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ASSISES THÉORIQUE, CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

POLITIQUE LINGUISTIQUE ET POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE, UN NÉCESSAIRE REPOSITIONNEMENT CONCEPTUEL ET TERMINOLOGIQUE

1.2.3 DÉFINITION DE LA POLITIQUE LINGUISTIQUE

« De prononcer et expedier tous actes en langaige françoys Et pour ce que telles choses sont souventesfoys advenues sur l'intelligence des motz latins contenuz es dictz arretz. Nous voulons que doresenavant tous arretz ensemble toutes aultres procedeures, soient de nous cours souveraines ou aultres subalternes et inferieures, soient de registres, enquestes, contractz, commisions, sentences, testamens et aultres quelzconques actes et exploictz de justice ou qui en dependent, soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langage maternel francoys et non aultrement. » Art. 111. de l'Ordonnance d'août 1539 sur le fait de la justice de Villers-Cotterêts. (Feltin-Palas)15.

sociolinguistiques et didactiques à leur mise en pratique. Université Stendhal - Grenoble III.

14 Calvet, L-J. (1999), Pour une écologie des langues du monde. Plon.

15 Feltin-Palas, M. (2015), La grande aventure du français. Ministère de la Culture et de la Communication, Délégation générale à la langue française et aux langues de France.

Comme le montre l'ordonnance de Villers-Cotterêts (Aisne), connue pour être l'acte fondateur de la primauté et de l'exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique du royaume de France, une politique linguistique est d'abord une tentative d'unification d'une communauté linguistique. Toutefois, ce concept polysémique et peu univoque a largement évolué depuis le XVIe siècle et ipso facto de nombreuses définitions ont germé. C'est la raison pour laquelle, à la lumière des discours scientifiques actuellement à l’œuvre dans ce champ disciplinaire, nous allons tenter de procéder à une mise à jour des différentes acceptions courantes qui articulent le concept de politique linguistique afin de jalonner notre réflexion.

Le syntagme « politique linguistique » revêt de configurations très disparates dans les discours scientifiques et professionnels étant donné la diversité de traitement des contacts de deux ou plusieurs langues parlées par des communautés linguistiques (Labov, 1976) au sein d'un même espace sociétal. Les ensembles géopolitiques, (Union Européenne, Mercosul, ASEAN, etc.), États, Régions, ont vu éclore au cours des dernières décennies (1990, 2000) un foisonnement terminologique et des glissements sémantiques qu’il conviendrait de recadrer dans une logique de lisibilité pas toujours évidente, en prenant en considération les différents contextes sociétaux rencontrés.

Selon Beacco et Byram16, la politique linguistique se définit comme étant une : « action volontaire,

officielle ou militante, fondée sur des principes (économie et efficacité, identité nationale, démocratie…), visant à intervenir sur les langues, quelles qu'elles soient (nationales, régionales minoritaires, étrangères…), dans leurs formes (par ex. : système d'écriture), dans leurs fonctions sociales (par ex. choix d'une langue officielle) ou dans leur place dans l’enseignement. » (p. 128, 2003). On voit ici s’affirmer les dimensions volontariste et militante, fondées sur des motivations politico-idéologiques évidentes où la politique linguistique relève largement de l’autorité de l’État (politique au sens de policy), mais aussi des entités en compétition pour l’accès aux responsabilités collectives (politique au sens de politics) : partis politiques, associations et groupements de citoyens, familles.

La loi Toubon17 n°94-665 du 4 août 1994, relative à l'emploi de la langue française et destinée à

16 Beacco, J-C., Byram, M. (2003), Guide pour l'élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. De la

protéger le patrimoine linguistique français, a par exemple permis de légiférer en matière de langue en ce qui concerne la communication entre les citoyens et les administrations publiques. À cet effet, cette loi reconnaît le droit au citoyen français pour les textes légaux mais aussi au salarié pour tout ce qui a trait au contrat de travail et au consommateur en ce qui concerne la présentation des produits, les modes d'emploi et les garanties, de s'exprimer et de recevoir toute information utile en français. Cette loi porte davantage sur le statut de la langue française (pour en renforcer l’usage face à la montée en puissance de l’anglais) que sur le code.

Robillard18 apporte un éclairage important sur la nature de cette intervention en précisant qu’elle

impacte à la fois le statut des langues, mais aussi leur corpus : « ensemble d’efforts délibérés visant à la modification des langues en ce qui concerne leur statut ou leur corpus » (p. 104, 1997), ce que confirme Calvet en ces termes : « La politique linguistique est donc définie le plus souvent comme un ensemble de choix conscients en matière d’action sur le corpus ou sur le statut des langues, choix qui sont mis en pratique par une opération de planification. » (p. 2, 2002). Dans ce contexte, le « corpus » est pensé selon Blanchet (2008) comme étant le système linguistique (au sens structural : phonologie, morphologie, syntaxe) et le « statut » y envisage la « position d’une langue dans la hiérarchie sociolinguistique d’une communauté linguistique, cette position étant liée aux fonctions remplies par la langue, et à la valeur sociale relative conférée à ces fonctions. » (Robillard, p. 269, 1997).

Porcher et Faro-Hanoun soulignent eux aussi cette dimension volontariste en élargissant le champ communautaire qui dépasse celui du domaine public pour s’appliquer également à la sphère privée et associative : « Une politique linguistique, c'est donc l'action menée par une communauté pour développer au mieux (selon les objectifs visés, eux-mêmes à définir) la diffusion de la ou des langue(s) qui y circule(nt). Cette communauté peut-être publique (un État, une région, un département, une ville) ou privée (une entreprise, une chaîne médiatique, une association). […] Une politique linguistique se caractérise par son volontarisme. » (p. 7, 2000)19. Nous citerons l'exemple

17 La loi Toubon vise trois objectifs principaux : l'enrichissement de la langue ; l'obligation d'utiliser la langue française ; la défense du français en tant que langue de la République.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005616341 (Consulté le 2 mai 2016) 18 Robillard, D. (1997), articles « Action linguistique » (20), Aménagement linguistique » (36-41), « Corpus » (102),

« Evaluation » (151-152), « Planification » (228-229), « Politique linguistique » (229-230), « Statut » (269-270), in MOREAU, Marie-Louise (éd.), Sociolinguistique, concepts de base, Sprimont (B), Mardaga.

de la politique linguistique volontariste de l'occitan par la Conseil régional Midi-Pyrénées20. Suite à

la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe)21, la collectivité

territoriale a d'ailleurs depuis (re)pris son nom historique d'Occitanie.

En outre, Spolsky22 définit la politique linguistique avant tout comme un choix fort : « Language

policy is about choice. It may be the choice of a specific sound, or expression, or a specific variety of language. It may be the choice regularly made by an individual, or a socially defined group of individuals. It may be discovered in the linguistic behavior (language practices) of the individual or group. It may be also discovered in the ideology or beliefs about language of the individual or group. Finally, it may be made explicit in the formal language management or planning decisions of an authorized body. » (p. 217, 2004).

Enfin, Boyer met en exergue l'exception du monolinguisme qui est pourtant la situation la plus répandue dans l'ensemble des États de la planète. En effet, prenant en considération qu'il existe 6 000 langues en usage dans le monde, il met en évidence que le monolinguisme fait figure d'exception face au plurilinguisme et ajoute : « Il en va de même en Europe, certes avec une pluralité moindre, mais cependant souvent menacée : d’où la mise en œuvre par le Conseil de l’Europe d’une disposition supra-étatique de politique linguistique : la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Woehrling, 2005), car l’espace géopolitique européen est souvent celui où s’est le plus développé l’idéal de l’État-Nation, c’est-à-dire un idéal d’État monolingue qui tend à associer un même territoire, une seule organisation politico-administrative et une langue unique. L’État français est la concrétisation de cet idéal d’État-Nation qui obsède bon nombre de revendications identitaires (et nationalistes) sur le continent européen (cf. l’« espace ex- yougoslave ») (Baggioni, 1997 ; Boyer éd., 2004). » (p. 71, 2010).

20 La société Média Pluriel Méditerranée a réalisé à la demande de la la Région Midi-Pyrénées et de cinq Conseils Départementaux (2010) une étude sociolinguistique intitulée « Présences, pratiques et perceptions de la langue occitane en Région Midi-Pyrénées » et il en est ressorti que l’occitan était un élément du patrimoine immatériel bien identifié, considéré positivement et qui doit être protégé pour une très grande majorité des Midi-Pyrénéens interrogés.

21 Promulguée le 7 août 2015, la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) confie de nouvelles compétences aux régions et redéfinit clairement les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale. Il s'agit du troisième volet de la réforme des territoires, voulue par le président de la République, après la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles et la loi relative à la délimitation des régions. http://www.gouvernement.fr/action/la-reforme-territoriale (Consulté le 2 mai 2016)

Finalement, nous constaterons qu'en matière de plurilinguisme et en relation à la mondialisation, il existe deux options de politique linguistique : la première tend vers un libéralisme où chaque langue serait « régulée » par le laisser-faire du marché (langues dominantes vs langues dominées). La deuxième tend vers un interventionnisme visant à préserver la diversité linguistique. C'est cette deuxième option que Boyer définit comme : « un pôle interventionniste qui s’oppose à un pôle libéral à travers deux variantes, parfois associées : celle des droits universels en matière linguistique et de l’écologie linguistique, qui défend le principe de sauvegarde de la diversité linguistique et donc de défense systématique du plurilinguisme, et le positionnement identitaire en faveur de la langue communautaire, dont le nationalisme linguistique est le cas de figure le plus achevé. » (ibid., p. 213).

Afin de finaliser notre travail sur les différentes acceptions du syntagme de « politique linguistique », nous avons reproduit ci-dessous le schéma de « Politique linguistique » de Boyer23,

dans lequel nous retrouvons les différents paliers qui ont été présentés dans la matrice opératoire de Borg.

Politique linguistique, H. Boyer (p. 69, 2010)

Puisque notre étude questionne ce substrat linguistique et culturel véhiculé par les échanges langagiers, sources de relations interculturelles dans un cadre de coopération internationale franco- brésilienne, nous nous référerons à cette citation de Porcher : « Qui dit langue dit obligatoirement culture. [...] Pour mettre l'accent adéquat, il faudrait donc dire politique linguistique et culturelle » (p. 8, 2000), afin de nous demander si une politique linguistique devrait également intégrer un volet culturel.

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