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L’instance de régulation sans soutien politique ni associatif jusqu’à 2004

Des politiques prennent le parti de « la jeunesse »

En 1994, le CSA souhaite que Fun radio modifie le fonctionnement de l’émission. Constatant de nombreux dérapages et l’ayant déjà mise en demeure en septembre 1993, il demande que les témoignages ne soient plus diffusés en direct, et que les questions de sexualité soient abordées uniquement par le médecin de l’émission235. Selon Télérama, le président de Fun radio aurait accepté ces modifications le 3 mars, mais, le 5 mars, le Ministre de la Communication, Alain Carignon, prend le parti de la station. Il apporte son soutien en studio le 8 mars et demande au CSA de réexaminer le dossier. Il défend la liberté d’expression, « je ne serai pas le chantre de l’interdiction » et invoque la mémoire de Baudelaire et de ses Fleurs du mal, de Jean Genet236. Même si le CSA est une instance indépendante du Ministre de la Communication, cette intervention politique brise la légitimité de celle du CSA. L’instance de régulation doit changer son point de vue et renonce à toute modification de l’émission, en échange d’un engagement de meilleur contrôle éditorial de la station. Le CSA publie un communiqué pour expliquer qu’il n’envisageait pas de « censurer » l’émission, mais qu’il avait demandé à ses dirigeants de mieux

233 Courrier posté sur le site de Skyrock le 29 septembre 2006.

234 Le Figaro 15 mars 2004.

235 Anne-Marie Gustave et Valérie Péronnet « CSA Sex and Fun » Télérama N°2305 16 mars 1994.

236 Libération 10 mars 1994.

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maîtriser leur antenne237. Le renoncement au direct est présenté comme une possibilité non une obligation.

Le CSA est alors majoritairement composé par des membres de gauche, tandis que le gouvernement est de droite. Jack Lang, socialiste, maire de Blois et ancien Ministre de la Culture, soutient lui aussi publiquement la station contre le CSA.

En 2001, la situation n’est pas très différente. Jack Lang, Ministre de l’Education nationale, soutient la station mise en cause par le CSA et critique « un acte de censure permanente » de la part de l’instance contre Skyrock238. SOS Racisme, par la voix de Malek Boutih, interprète la décision du CSA comme la preuve d’« une véritable peur vis-à-vis de la jeunesse », voire une forme de

« discrimination » à l’égard d’une certaine jeunesse. D’autres députés comme Maxime Gremetz (PC) Julien Dray (PS), Yann Galut (DL), Françoise Giroud apportent leur soutien à la radio239. La défense de la station est une façon de maintenir un lien pour les institutions (la police et les politiques) avec une jeunesse dont les repères et le langage leur échappe par ailleurs. La radio joue d’ailleurs un rôle citoyen en invitant des hommes politiques pendant les élections240.

Les associations sont partagées

Lors de l’affaire « Lovin’fun", les associations qui prennent part au débat ont des points de vue divers, mais la plupart soutiennent Fun.

Antea et MTT, Média Télévision Téléspectateurs, issue de l’UNAF et de la Ligue de l’enseignement, soutiennent la décision du CSA. MTT déclare : « il serait démagogique de laisser penser aux jeunes qu’ils ont le droit parce qu’ils sont jeunes de s’exprimer sur les ondes en toute liberté sans respecter aucune des limites qui s’imposent à l’expression en public »241. La Fédération des Familles de France soutient également le rôle juridique et régulateur du CSA. La télé est à nous, quant à elle, se déclare « entièrement solidaire » de Fun Radio. Le Mouvement français pour le planning familial soutient également l’émission parce qu’elle donne une information aux jeunes sur la contraception et les maladies sexuellement transmissibles242.

Un débat est aussi lancé sur le contenu de l’article 227-24 du Code pénal sur lequel s’appuie le CSA, qui vient alors d’entrer en vigueur et qui condamne « toutes les interventions à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité de la personne humaine sont interdites » dès lors qu’elles sont susceptibles d’être perçues par un mineur.

Plusieurs associations de magistrats et de défense des droits de l’Homme y voient un « retour de la censure »243. C’est le cas du Syndicat de la magistrature et de l’association pour les droits de

237 Communiqué du 7 mars n° 259.

238 Correspondance de la presse 30 mai 2001.

239 Daniel Psenny « Skyrock dérape dans le « loft » », Le Monde 19 juin 2001.

240 Pendant la campagne de la présidentielle en 2007, N. Sarkozy, F. Bayrou, S. Royal notamment y ont été invités. La station entretient des liens privilégiés avec le parti socialiste, tant dans la personne de Malek Boutih, responsable de la communication institutionnelle de Skyrock et par ailleurs secrétaire national du PS depuis 2003, que de David Roizen qui, en 2007, quitte le poste de directeur de la communication de Skyrock pour rejoindre l’équipe de communication de Julien Dray coordinateur de la campagne de S. Royal.

241 Luc Vachez Libération 9 mars 1994.

242 Même article Libération 9 mars 1994.

243 « Le syndicat de la magistrature inquiet d’un retour de l’ordre moral »Libération 9 mars 1994.

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l’homme et l’abolition des discriminations sexuelles de Henri Caillavet et Dominique Jamet. Le réseau Voltaire se constitue également contre cet article. Ces interprétations faisant de cet article un dispositif liberticide ont pourtant leur limite puisque le nouveau Code Pénal supprime toute référence aux bonnes mœurs et limite l’interdiction de diffusion de la pornographie au public des mineurs.

« La société civile et politique n’a pas suivi le CSA » analysait Monique Dagnaud, sociologue et ex-membre du CSA, en 2000. Elle en déduisait alors que la régulation deviendrait progressivement de moins en moins légitime, « comme régulateurs, il n’y aura donc plus que les parents et les éducateurs »244.

La presse soutient plutôt les radios

La presse présente généralement l’attitude du CSA comme une décision décalée par rapport aux enjeux, qui n’emporte donc pas l’adhésion. Il ne s’agit pas ici de dresser le bilan d’une analyse précise de la presse mais plutôt de témoigner d’un climat général245.

Même lorsque les journalistes de la presse écrite décryptent les objectifs commerciaux des radios jeunes dans leur guerre du trash, ils ont tendance à fustiger le CSA. L’article d’Emmanuel Beretta dans le Point en 2001 est assez significatif246.

« Certes on peut regretter que Difool n’ait pas la répartie toujours élégante, et que le fameux Romano puise son humour aux sources les plus vulgaires. Mais bon, il semble qu’à aucun moment l’auditeur ne soit dupe. N’empêche, le CSA semble sourd au troisième degré. A une exception près… »

Pour affirmer cette compréhension du public, le journaliste s’appuyait notamment sur une étude de la Sorgem selon laquelle les jeunes « peuvent tenir des propos très moraux en se servant de mots très obscènes ».

Un des rares journaux à soutenir le CSA, voire dans les temps de creux du conflit, à regretter son silence est La Croix, qui témoigne sur ce dossier d’une réelle constance. En 2000, en dehors de toute actualité brûlante, le journal publie un dossier d’enquêtes sur les contenus radiophoniques écoutés par les jeunes247. Le journal s’étonne alors de la quiétude du CSA : « les pouvoirs publics paraissent s’en désintéresser. Plus surprenant, le CSA lui-même donne l’impression d’être globalement satisfait de leur teneur », et de citer notamment Jacqueline de Guillenschmidt, conseillère en charge du dossier des radios, qui considère que les radios « se sont bien assagies » et « qu’il y a une plus grande responsabilisation des animateurs ».

Retournement en 2002

En 2004, lorsque le CSA publie sa Recommandation sur le respect d’horaires de programmation familiale les contestations sont en revanche très faibles. Les temps ont un peu changé. En 2002, Ségolène Royal, alors Ministre de la Famille, a essayé, avec le CIEM, de faire de la protection des mineurs vis-à-vis de la pornographie un combat citoyen, dont la gauche ne peut se désintéresser.

Alain Vogelweith, qui, en 1994, en tant que secrétaire général du Syndicat de la Magistrature avait

244 Entretien au journal La Croix, 8 novembre 2000.

245 Je me suis appuyée cependant pour la rédaction de cette partie sur une relecture de dossiers de presse des années 1992-1995 et 2000-2004.

246 Beretta E. « Skyrock la radio des « bad boys » »Le Point 31 août 2001.

247 Emmanuel Carlier et Christine Legrand « Quand les radios jeunes dérapent » La Croix, 8 novembre 2000.

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critiqué la protection des mineurs assurée par l’article 227-24 du Code Pénal, participe à la rédaction du rapport de Claire Brisset, alors Défenseure des enfants, sur « Les enfants face aux images et aux messages violents », en tant que conseiller juridique et membre du groupe de travail qui le réalise. En 2004, C. Brisset, saisit à la fois le CSA pour le soutenir et l’encourager à agir, et le juge judiciaire pour lutter contre la pornographie sur les ondes.

La Croix continue à soutenir le CSA et donne largement la parole à Agnès Vincent-Deray sur les dérives de Skyrock, ce qui lui vaut d’ailleurs une plainte de la station et une condamnation.

Lors de la contestation de ses sanctions en 2006 et 2008, Skyrock ne trouve plus beaucoup de soutiens politiques. La mobilisation pour la liberté et contre la protection des mineurs sur les radios jeunes a peut-être trouvé une limite. De nombreux journalistes ont compris que l’enjeu de cette

« libération » des ondes était davantage commercial que politique. Eprouvé par ces conflits, le CSA reste cependant lui aussi très discret.

A tire d’exemple, la décision de sanction à l’encontre de Skyrock pour manquement à la protection des mineurs est prise le 31 janvier 2006, mais publiée sur le site seulement le 27 février soit près d’un mois plus tard, et publiée au JO le 12 avril. Le CSA ne l’accompagne d’aucun communiqué à la presse. Même discrétion en 2008 pour la décision prise le 22 juillet et publiée sur le site du CSA en plein mois d’août, le 8 août.

Les offensives communicationnelles des radios jeunes ont abouti à museler de fait la communication de l’instance qui a pour tâche de les réguler. Pour ne pas être pris en otage par un chantage à la censure, pour éviter l’instrumentalisation des adolescents qui sont le public de ces radios, le CSA est amené à réguler dans le silence, alors même que la légalité de ses décisions en matière de protection des mineurs et de l’ordre public a été reconnue tant par le juge judiciaire (en 1995) que le juge administratif (en 2001 notamment)248. C’est le principe même de la régulation de pouvoirs économiques qui est mis en cause, de fait.