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les programmes signalisés -10

3. De la difficulté d’assurer la protection des enfants et les adolescents face aux risques face aux risques

3.3 Tendance de l’autorité des médias à cannibaliser les autres autorités

3.3.1 Cannibalisation des figures de l’Etat et du politique

Les policiers apparaissent comme une des figures de l’Etat particulièrement choyée par les médias, tant dans les programmes d’information que de fiction. Les chaînes y consacrent de nombreux magazines qui mettent en avant leur rôle social. Maxime Drouet dans son étude sur l’image des jeunes à la télévision montre que, parmi les « professionnels de la jeunesse », les policiers sont qualitativement mieux servis que les autres (éducateurs, associations…). Leur rôle se prête davantage à des images sur le vif, car leurs actions sont plus spectaculaires (course

287Wolton D Éloge du grand public. Une théorie critique de la télévision. Paris : Flammarion,1990.

288 Miège B. La société conquise par la comunication ? Tome 2 la communication entre l’industrie et l’espace public, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble 1997.

289 Voir l’intervention de l’anthropologue Michel Rautenberg aux journées CCO Université de Saint Etienne,

« Cultures urbaines, cultures du monde, cultures de masse » Villeurbanne 10 janvier 2008. Il voit cette évolution dans le cosmopolitisme actuel sans le référer directement aux médias, il se réfère à l’expression de Charles Taylor et renvoie à Renaut E. « la reconnaissance au cœur du social » Sciences humaines 2005, 172.

290 Cf « l’horizontalité magique » dont parle P. Bellanger, le patron de Skyrock à la Commission Assouline.

(déjà citée).

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poursuite en voiture, gyrophares allumés et caméra embarquée…)291. Ces professionnels ont aussi l’avantage de donner un point de vue rapide, et, selon Drouet, de ne pas être avares de propos généralisateurs. Ils correspondent aussi à la dimension sécuritaire de « l’Etat gendarme », dans la conception minimaliste et libérale de l’intervention publique qui s’accorde aussi avec les choix politiques défendus publiquement par les dirigeants des groupes médiatiques292.

Les policiers, du moins les policiers de terrain de la police urbaine, ont cependant une perception très négative des médias en général et du « miroir » qu’ils leur renvoient. Ils considèrent que les médias leur font plutôt « mauvaise presse ». Ils ressentent une « hostilité» voire une tendance au

« dénigrement » de leur compétence professionnelle. Il semblerait même que ce sentiment d’hostilité serve à la profession de catalyseur d’identité293. L’objectif des médias, comme le ressentent les policiers, n’est en effet pas de servir leur image. Tel est le malentendu permanent des professions qui se sentent en mal de « reconnaissance » sociale. Le propos des médias, en particulier de la télévision, n’est pas non plus exclusivement de servir leur fonction de contrôle démocratique de la police, même si on ne peut en balayer rapidement l’hypothèse294, mais de l’utiliser comme catalyseur d’audience295. Ces nombreux magazines d’information mettant en scène la vie des commissariats ou brigades des mineurs permettent ainsi de retrouver à travers la figure des policiers et de leur univers des éléments de scénarii attractifs pour l’audience, car déjà rôdés dans la fiction. Le rôle prépondérant de cette profession parmi les héros de la fiction, transforme les magazines d’information en quasi outils d’autopromotion, du fait du renvoi implicite à l’univers des séries.

On ne peut résumer en quelques mots l’effet du traitement médiatique sur l’autorité politique, mais il est au cœur du questionnement du traitement de l’autorité par les médias. L’importance prise par les débats et talk-shows dans l’espace public a posé depuis longtemps la question du rôle de la

291 Maxime Drouet coauteur du rapport Image des jeunes dans les médias, Commission Nationale de la jeunesse 2002.

292 L’hostilité des chaînes privées à l’égard des interventions de l’Etat dans l’audiovisuel s’exprime régulièrement : soit pour mettre en cause le financement des chaînes publiques (par la publicité, par les dotations en capital de l’Etat, ou plus récemment par la taxe sur le chiffre d’affaires des chaînes privées), soit pour remettre en cause la réglementation de l’audiovisuel, considérée comme excessive. A titre d’illustration très ponctuelle, Nicolas de Tavernost président du directoire de M6 depuis 2000, a pris récemment position contre le nombre des chaînes publiques (le monde 24oct 2008), le fait que l’Etat, suite à la loi interdisant la publicité à France télévision après 20h, garantisse des recettes à France télévision « dans une période de crise économique si intense » lui semble « surréaliste » (Le Monde 21 janvier 2009) au point que son libéralisme s’ébranle un peu, lorsqu’il demande au même moment avec TF1 et Canal + des aides de l’Etat pour les chaînes privées. Ils envisagent ensuite de saisir Bruxelles contre la taxe sur le chiffre d’affaires des chaînes privées qui était la contrepartie de la suppression de la publicité sur le service public (5/5 09, Nouvel Observateur). En décembre 2007, Marianne rapportait que Nonce Paolini (TF1) qualifiait les quotas de production en France de « système à la soviétique ». Toute réglementation peut être contestée, ce que nous soulignons ici c’est le ton idéologique des critiques et leur caractère systématique.

293 Enquête de réception conduite par Guillaume Le Saulnier, présentée à l’IFP le 27 mars 2008 (thèse en cours).

294 Cela nécessiterait une analyse précise de la mise en scène des policiers dans les magazines, et conduirait à des nuances selon les lignes éditoriales des chaînes. Les reportages qui sont filmés sous contrôle de la police et de sa hiérarchie sont rarement critiques, alors que des débats peuvent donner l’occasion d’une critique de l’action de la police.

295 Nous ne cherchons pas à opposer ces deux logiques, mais à montrer que la seconde impacte la première.

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télévision et de ses animateurs dans la mise en scène de la démocratie296. Les émissions de divertissement sont en effet devenues un refuge pour les hommes politiques après la fermeture des grands rendez-vous du dimanche soir sur les chaînes privées297. Erik Neveu montre comment ce remplacement s’est accompagné d’une forme subtile de censure du politique en tant que tel dans ces émissions :

« Toute une police du discours vient bloquer les propos inadaptés qui relèveraient du discours politique ».

L’autorité du politique y est amoindrie à la fois par l’obligation de « démocratisation fonctionnelle », la décontraction dans le style vestimentaire et le relâchement de l’expression faisant partie des codes de ces émissions. Obligés de tenir des propos relatifs à sa personne, à sa vie privée et non à ses idées, les hommes politiques participent la « désacralisation » de leur sphère d’action. Sa banalisation ci passe notamment par le côtoiement dans ces émissions d’invités d’univers sociaux très différents, voire antagonistes, les questions provocatrices posées par des animateurs connus pour leur outrance pour les « déstabiliser »298. E.Neveu analyse avec précision tout ce qui dans le dispositif de ces émissions peut ainsi procéder du « désarmement symbolique des politiques par un double nivellement qui les met en équivalence avec les autres invités et canalise leur discours vers le registre profane »299.

Pour des raisons électorales, les politiques ne peuvent qu’accepter les conditions que leur font les médias. Leur participation à ces émissions peut constituer l’occasion d’accroître leur image et donc la surface de leur popularité, mesurée par les sondages, dès lors qu’ils respectent les règles de la

296 Voir notamment Lochard G. et Soulages J-C « les imaginaires de la parole télévisuelle. Permanence, glissements, et conflits » Réseaux n°63 jan-fév 1994.

297 Aurélien Le Foulgoc met en évidence l’inversion du cadre des interventions politiques dans les émissions de divertissement qui deviennent à partir de 2000 (la période analysée s’arrête en 2002) plus nombreuses que dans des émissions strictement politiques. Cf. Le Foulgoc A. « 1990-2002 : Une décennie de politique à la télévision . Du politique au divertissement » Réseaux 2003/2 p 23-63.

298 Lochard G. et Soulages J.C. parlent de « comique de situation » lors du côtoiement d’hommes politiques et de mannequins ou de hardeurs. « La parole politique à la télévision. Du logos à l’éthos » Réseaux 2003/2 n°118 pp 65-94.

299 Neveu E. « De l’art (et du coût) d’éviter la politique. La démocratie du talkshow version française (Ardisson, Drucker, Fogiel) » Réseaux 2003/2 n°118. Dans ce numéro de la revue est organisé un débat entre E. Neveu qui manifeste une certaine inquiétude vis-à-vis de cet évitement du politique par l’infotainment, tandis que Kees Brants dans « De l’art de rendre la politique populaire… ou « qui a peur de l’infotainment ? » Celui-ci rappelle notamment que le style de l’infotainment est antérieur à la télévision commerciale et que selon les pays il peut intervenir sur les chaînes publiques. Il nie par ailleurs la domination du traitement de la politique dans des émissions d’infotainment, il établit par ailleurs une échelle de la

« variétisation » de l'information politique qui lui permet d’introduire des nuances dans le degré de divertissement, et considère que rien ne montre de façon globale au niveau européen que l’infotainment fasse partie d’une stratégie d’évitement des questionnements politiques. D’une façon plus générale, le rapprochement des politiques par le biais des talkshows du « langage du monde du vécu » et des « horizons de la vie et de la culture quotidienne » lui semble un aspect important de la démocratie. Les analyses de Erik Neveu dans le cas de la France et d’émissions de talkshows montrent comment au contraire l’intervention des politiques dans le cadre de certaines d’entre elles ne facilitent pas un rapprochement des politiques et des citoyens ordinaires mais les font passer pour des gens ordinaires en leur interdisant notamment d’évoquer trop précisément leur action politique. Elles les désacralisent tout en leur permettant d’affirmer leur supériorité dans le pur domaine de la maîtrise des conventions et de l’habilité discursive. Cela leur permet d’assurer la promotion de leur image, tout en la vidant d’un contenu politique, donc en la vidant de son autorité propre. Une actualisation de cette problématique a été présentée lors de la journée d’étude organisée par le CRAPE, Centre de recherches sur l’action politique en Europe le 30 avril 2009 à l’IEP de Rennes.

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communication publique300.Ils acceptent donc le mélange des genres quitte à ce que l’autorité de leur fonction en sorte affaiblie.

L’impact du cadrage imposé par l’impératif de divertissement s’avère également destructeur pour l’autorité de la parole des discours structurés, donc nécessairement complexes et entretient l’incompatibilité mise en avant par certains intellectuels entre télévision et réflexion301.