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Enfants, parents, médias et société du risque.Les classifications de contenu permettent-elles une régulation des médias ?

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1 Université de Paris II- Panthéon Assas

Institut Français de Presse

Sophie JEHEL

Enfants, parents, médias et société du risque.

Les classifications de contenu permettent-elles une régulation des médias ?

Thèse pour le doctorat en Sciences de l’information et de la communication

Soutenue et présentée publiquement le 4 décembre 2009

Sous la direction de Josiane JOUËT, Professeur, IFP-Université de Paris II

Jury

Monique DAGNAUD, Directrice de recherche, CNRS/ EHESS, rapporteur Divina FRAU-MEIGS, Professeur, Université de Paris III-

Sorbonne Nouvelle, rapporteur

Josiane JOUËT, Professeur, Université de Paris II Panthéon-Assas IFP Rémy RIEFFEL, Professeur, Université de Paris II Panthéon-Assas IFP

VOLUME 1

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2

L’Université de Paris 2-Panthéon Assas n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans cette thèse. Les opinions doivent être considérées comme propres à son auteur.

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3

Remerciements

Je remercie chaleureusement Josiane Jouët qui a accueilli cette recherche avec beaucoup d’attentions et m’a prodigué de nombreux et précieux conseils. Elle a bien voulu m’accompagner dans les différentes étapes de la construction de cette enquête et réserver à sa rédaction une grande disponibilité. Elle m’a beaucoup aidé de ses questions stimulantes, en sachant toujours maintenir une atmosphère encourageante.

Je remercie également vivement les membres du jury, Monique Dagnaud, Divina Frau-Meigs et Rémy Rieffel pour l’intérêt qu’ils témoignent à mon travail en ayant accepté de participer à la soutenance de cette thèse.

Je remercie également Agnès Vincent-Deray qui a régulièrement encouragé ma recherche, quand elle était conseillère au CSA.

Je remercie tous les conseillers du CSA et mes anciens collègues du CSA avec lesquels j’ai découvert et exploré les domaines de la régulation audiovisuelle. Je remercie particulièrement ceux qui ont bien voulu par leurs échanges ces trois dernières années m’aider à actualiser certaines données et à rafraîchir des souvenirs, et en particulier Maryse Brugière, Anissa Zeghlache, Jacinta Sarmento, Isabelle Avargues.

Je remercie les amis juristes ou spécialistes de la communication, qui ont bien voulu relire des parties de ce texte, me faire part de leurs suggestions ou m’aider de leurs conseils, Elisabeth Chaperon, François David, Christine Menzaghi, Marie-France Malonga.

Cette thèse repose sur une enquête de terrain la passation d’un questionnaire et la conduite d’entretiens, ils ont nécessité de trouver 32 établissements, et davantage de classes, dans lesquels les chefs d’établissements et les professeurs ont accepté de m’accueillir. Je leur ai promis l’anonymat je ne dévoilerai donc ni leur nom ni leur localité. Qu’il me soit permis cependant de remercier les amis qui m’ont aidé à un moment ou à un autre à entrer en contact avec des directeurs et des professeurs accueillants, mais aussi des parents et des enfants pour tester mes questionnaires, ils ont permis à cette recherche d’exister : Eric Favey, Christine Menzaghi, Jean Louis Davot à la Ligue de l’enseignement, Christian Gautellier aux CEMEA, Béatrice Barraud à l’UNAPEL, Odile et Bernard Pingaud, Eric Delcambre, Corinne Samyn, Claude Allard, Michèle Olivain. Cette enquête a également été facilitée par l’Académie du Maine et Loire et les encouragements de l’ex-député Dominique Richard, je les en remercie.

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Je suis également très redevable aux parents et aux enfants qui ont bien voulu répondre avec sérieux et attention à mes questionnaires.

Cette enquête représentait un travail assez lourd, ne serait-ce que pour entrer les données des 1142 questionnaires enfants et des 781 parents. Je n’en serai jamais venue à bout sans l’aide de Nadège Cathelineau qui a été d’une efficacité et d’une précision remarquable, se montrant très compréhensive, sans perdre sa bonne humeur.

Je remercie également de son aide et de ses encouragements Alice Cathelineau.

Enfin, je ne serai jamais parvenue à conserver mon calme, ma santé et le goût de la vie sans le soutien et les encouragements affectueux et constants d’Alain Saey.

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SOMMAIRE

VOLUME 1

REMERCIEMENTS 3

IINTRODUCTION 10 PREMIERE PARTIE A LA RECHERCHE D UN NOUVEL EQUILIBRE : SORTIR DU PARADIGME DE LA « CENSURE » POUR POSER CELUI DE LA PROTECTION DE L ENFANT DANS LA « SOCIETE DU RISQUE » 25 CHAPITRE 1 F REINS ET REFRAINS . L ES OPPOSITIONS A LA PROTECTION DES MINEURS DERRIERE L EPOUVANTAIL DE LA « CENSURE » 25 1. L’assouplissement du cadre juridique et des standards de classification des médias (cinéma, TV, radio) ... 29

1.1. Le cadre juridique et politique du contrôle des contenus (cinéma, TV, radio) : plus de négociation, d’autorégulation et de spécialisation ... 30

1.2. La classification du cinéma : une révolution sur le fond et sur la forme ... 34

1.3. L’émancipation sous contrôle de la télévision ... 43

2. Les freins et refrains idéologiques, professionnels, et commerciaux ... 50

2.1. Oppositions et début de retournement chez les pédagogues ... 50

2.2. Oppositions et ambivalences chez les professionnels des médias ... 71

Conclusion 112

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6

CHAPITRE 2 I NSCRIRE LES MEDIAS DANS LA " SOCIETE DU

RISQUE "

1. Les médias et le « nouvel esprit » du capitalisme ... 113

2. Les médias dans « la société du risque » ... 117

2.1. La « production sociale de risque » ... 118

2.2. Le rôle des médias dans la « société du risque » ... 121

2.3. Trois exemples de risques produits par les médias ... 126

3. De la difficulté d’assurer la protection des enfants et les adolescents face aux risques ... 166

3.1 La crise des autorités censées protéger et éduquer les enfants ... 166

3.2 Le marché et la gadgétisation de la transgression ... 176

3.3 Tendance de l’autorité des médias à cannibaliser les autres autorités ... 186

4. Les enjeux d’une régulation des contenus médiatiques ... 202

4.1. Un enjeu anthropologique : la place ambivalente des enfants dans la société du risque ... 202

4.2. Préserver la civilisation des mœurs ... 210

4.3. Les écueils de la régulation ... 217

Conclusion 223

CHAPITRE 3: LA CLASSIFICATION DES CONTENUS : UNE SOLUTION PRAGMATIQUE PROMUE PAR L 'U NION EUROPEENNE 1. La classification des contenus : une technique de régulation promue par l’Union européenne ... 225

1.1 L’impulsion européenne pour la protection des mineurs dans les médias ... 225

1.2 Les fondements juridiques des classifications et leur encadrement : un équilibre déséquilibré ? ... 231

1.3 La place cruciale de la classification des contenus dans le dispositif de protection des mineurs ... 239

1.4 Les autres partis pris de la régulation européenne : la cohérence des classifications et l’Education aux médias ... 242

1.5 Une approche dictée par un raisonnement économique et la préservation d’un haut niveau de liberté de communication ... 247

2 Les promesses et les problèmes ouverts par la classification des contenus ....

... 252

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7

2.1 Gains économiques et sociaux possibles ... 252

2.2 Un outil en phase avec les évolutions technologiques ... 256

2.3 Un outil en phase avec les intérêts des consommateurs ou une charge lourde à gérer ? ... 263

2.4 Quel type d’évaluation ? ... 264

2.5 Quels évaluateurs ? ... 267

2.6 Classer quels types de contenus ?... 270

2.7 Quelle efficacité et quel contrôle ... 271

3 Conclusion et hypothèses de la recherche ... 280

DEUXIEME PARTIE: LA MEDIATION PARENTALE ET LA RECEPTION DES CLASSIFICATIONS DE CONTENU PAR LES PREADOLESCENTS CHAPITRE 4 E TAT DES LIEUX ET PRESENTATION DU PROJET D ' ENQUETE 1. Une problématique peu traitée par les chercheurs français... 285

1.1 La mise à distance de la « protection des mineurs » ... 286

1.2 Le refus dominant de la théorie des « effets » ... 290

1.3 Le primat des théories de la réception et des usages ... 293

1.4 Les apories de la théorie de la réception dans l’analyse des relations entre les médias et les jeunes et des enjeux de la protection des mineurs ... 294

1.5 Les connaissances empiriques sur les pratiques médiatiques des jeunes et des familles ... 304

2. Objectif de l’enquête : mieux comprendre les conditions de la médiation parentale et de la régulation des contenus dans les familles ... 310

2.1 Affiner l’analyse des conditions d’exercice du contrôle parental dans le contexte d’enjeux de pouvoirs globaux ... 311

2.2 Présentation de l’enquête et de sa méthode ... 314

2.3 Les caractéristiques de l’échantillon recueilli : polarisé sur les milieux populaires et les fratries nombreuses ... 320

2.4 Difficultés théoriques et pratiques de l’enquête ... 335

Conclusion 343

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8

CHAPITRE 5 LES CLASSIFICATIONS DE CONTENU : DES OUTILS NECESSAIRES ET UTILES POUR LES PARENTS ET LES ENFANTS 1. L’ampleur des consommations médiatiques des préadolescents et leur

solitude ... 344

1.1 Ampleur des consommations ... 344

1.2 Exposition aux contenus « à risque » ... 368

2. Appréciations et inquiétudes des parents vis-à-vis des médias... 387

2.1 L’ambivalence des parents ... 387

2.2 Une inquiétude peu liée au temps ... 397

2.3 Une méfiance élevée par rapport à certains contenus : violence, vulgarité et sexualité ... 399

2.4 La perception par les parents des risques sur les comportements ... 403

2.5 Un positionnement des parents différent selon les médias... 407

Conclusion : quelles conséquences sur les pratiques ? ... 410

3. L’appréciation des classifications par les parents : des outils utiles ... 410

3.1 Une adhésion de principe à un dispositif public d’aide au contrôle parental ... 410

3.2 Les parents utilisent-ils vraiment ces signaux ? ... 414

3.3 Un lien entre la déclaration des parents et les pratiques des jeunes ... 415

4. L’appréciation des classifications par les jeunes : des outils utiles ... 417

4.1 Une adhésion de principe à un dispositif public de protection des plus jeunes ... 417

4.2 Une attention soutenue aux pictogrammes de la signalétique TV ... 420

4.3 L’utilisation des signaux télévisuels par les enfants ... 421

4.4 Une consultation régulière de la classification des jeux vidéo par les enfants... 425

5. L’évaluation des outils de classification par les parents ... 427

5.1 L’appréciation des parents sur la justesse des signalétiques ... 427

5.2 Les attentes des parents pour une classification plus complète... 429

5.3 L’attribution des classifications à des instances étatiques ... 431

5.4 La contestation des classifications : un horizon présent dans les têtes ... 433

Conclusion 434

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CHAPITRE 6 LE POIDS DE LA MEDIATION PARENTALE

1. Un âge stratégique pour l’autonomisation : la fin de l’école et l’entrée au

collège ... 437

1.1 La mesure de l’autonomisation des jeunes ... 437

1.2 Existe-t-il encore des rites de passage ? ... 444

2. Les caractéristiques de la médiation parentale face aux médias ... 458

2.1 Dialectique parentale : autonomisation précoce et maintien d’une autorité en pointillé le plus longtemps possible ... 458

2.2 Une typologie des styles de médiation parentale ... 473

3. La transmission des goûts et des interdits ... 478

3.1 Complexité de la transmission familiale ... 478

3.2 La transmission des goûts ... 485

3.3 Le marquage de limites aux consommations médiatiques ... 491

4. L’efficacité de la médiation parentale étayée sur les outils de classification . ... 505

4.1 La réactance : une théorie à relativiser ... 505

4.2 L’impact certain de la médiation parentale ... 510

4.3 Les failles de la médiation parentale étayée par les outils ... 523

4.4 La dimension sociale de la médiation parentale ... 528

Conclusion 532

Suite VOLUME 2

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VOLUME 2

CHAPITRE 7 537

1. La marge des acteurs : stratégies et positionnements ... 538

1.1. Stratégies et positionnements des enfants vis-à-vis de la signalétique ... 538

1.2. Complexité du positionnement vis-à-vis des contenus violents ... 548

1.3. Les Réfractaires et l’émergence d’une culture de la violence ... 555

2. Le poids du social, revisité par la culture médiatique, dans la construction des identités ... 570

2.1. Radicalisation des identités de genre par la culture médiatique ... 570

2.2. Les pairs et la culture médiatique ... 577

2.3. Culture médiatique ou culture populaire ? ... 581

CONCLUSION GENERALE ... 597

BIBLIOGRAPHIE 614

ANNEXES 634

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I NTRODUCTION GENERALE

Vendredi 25 octobre 2009, France 4 organisait dans Questions de génération un débat entre de jeunes adultes de 18 à 22 ans et un producteur de pornographie, G. Dorcel : « Trop de porno tue-t-il le sexe ? » Le producteur mettait en avant sa déontologie, son respect des règles juridiques en vigueur et les systèmes de filtrage mis en place par le CSA pour la diffusion des programmes pornographiques à la télévision : « double-verrouillage », diffusion entre minuit et cinq heures du matin, sur abonnement. Il regrettait que seulement 55% des parents utilisent un logiciel de filtrage pour Internet et mettait en cause l’irresponsabilité de ceux qui laissent leurs enfants aller seuls sur Internet. Il revendiquait pour sa part le fait de produire des œuvres de divertissement, des fantasmes pour adultes, sans prétention éducative. Les jeunes sur le plateau mettaient en cause au contraire la responsabilité sociale des producteurs de pornographie, l’impact de leurs images et de leurs scénarii sur les adolescents, dans les passages à l’acte ou même dans la façon d’interpeller les filles dans la rue. Au-delà de la question déontologique que l’on pourrait soulever à propos de la composition de ce plateau, consistant à donner la parole d’un côté à celui qui produit le risques, de l’autre à ceux qui le subissent, dans un face à face qui excluait celui qui analyse comme celui qui régule, l’opposition des points de vue, orchestrée par Samuel Etienne, était saisissante. Les jeunes semblaient inquiets, même s’ils étaient divisés sur les remèdes, le producteur de pornographie sûr de lui.

Des classifications de contenu pour protéger les enfants ou les médias ?

Les magazines d’information et les talkshows télévisés ont fait de l’envahissement de l’environnement des adolescents par la pornographie ou par la violence un leitmotiv. Confrontée à des flux d’images de grande ampleur, la société civile se sent impuissante et inquiète. Les systèmes de protection mis en place par les instances de régulation ont pour objectif de rassurer tout le monde, les diffuseurs, les producteurs de contenus à risques comme le public.

Pour la télévision, les systèmes semblent presque aboutis, pour l’Internet beaucoup plus parcellaires.

A la télévision, la protection des mineurs repose sur une palette de mesures qui s’organisent aujourd’hui autour des pictogrammes de « la signalétique », indicateurs chiffrés supposés indiquer au public les tranches d’âge appropriées pouvant visionner un programme sans risque. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, est parvenu à faire élaborer aux chaînes une première signalétique en 1996 qui fonctionnait par icônes de couleur (vert, orange, rouge). Le système a été rénové en 1998

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puis plus profondément en 2002. Les codes de couleur ont alors été abandonnés, les chaînes ont accepté d’utiliser des signes chiffrés (10, 12, 16, 18), s’inspirant des seuils d’âge de la classification cinéma (12, 16, 18). Mais persistent des obligations d’horaire de diffusion associées à ces classifications et le CSA conserve une compétence en matière d’éthique des programmes et pour veiller à leur qualité.

Pour Internet, on attend une classification des contenus par page compatible avec les logiciels de filtrage qui permettraient ainsi de sélectionner de façon efficace les contenus accessibles. Une grille par âge a été élaborée par un groupe de travail du Forum des droits sur l’Internet avec les opérateurs français de téléphone mobile et acceptée par eux1. Mais son intérêt est aujourd’hui limité du fait de la difficulté que représente le contrôle de l’identité de l’usager du téléphone et de son âge. Pour Internet, les logiciels de filtrage sont censés repérer les sites les plus nocifs selon une grille plus ou moins fine (liste noire) ou proposer des sites sécurisés (liste blanche). Aux Etats-Unis a été développé le système ICRA (Internet Content Rating Association2) qui classe le contenu en fonction d’items descriptifs précis, mais il demeure peu utilisé par les sites européens. L’Union européenne souhaiterait que les classifications de contenus se développent aussi sur Internet.

Pour les jeux vidéo, des signes par âge (3, 7, 12, 16,18) accompagnés d’icônes descriptives sont proposés au public sous l’appellation PEGI (Pan European Game Information). Ils sont gérés par la Fédération européenne des logiciels de loisirs (Interactive Software Federation of Europe, ISFE).

Cette dernière a confié le soin de classer les jeux au NICAM (Institut de classification pour les médias audiovisuels, Netherland Institute for the Classification of Audio-visual Media), pour l’ensemble des pays européens qui l’acceptent, et au Video Standards Council, pour la Grande Bretagne. Le NICAM est lui-même un institut qui fédère les opérateurs privés et publics du secteur audiovisuel et cinématographique néerlandais. La loi française sur la prévention de la délinquance a posé en 2007 le principe d’une signalétique des jeux vidéo, elle a été précisée par un décret en 2008 fondant une nouvelle classification qui semble aujourd’hui lettre morte3. Dans la pratique, les producteurs et diffuseurs de jeux vidéo français ont adhéré au système PEGI, à travers l’ISFE, et proposent cette signalétique au public français.

L’enjeu de ces classifications pour les opérateurs privés français est double : il leur permet à la fois de fortifier le lien de confiance avec leur clientèle et de se protéger de la loi pénale. Le Code pénal

1 Recommandation sur la classification des contenus multimedias mobiles du Forum des droits sur l’Internet du 18 octobre 2006, suite à la Charte d’engagements des opérateurs sur le contenu multimedia mobile signée le 10 janvier 2006 entre les opérateurs et le Ministère de la Famille. Cette recommandation consiste à reprendre les quatre principaux niveaux de la signalétique du CSA pour la télévision (12, 16, 18) à l’exception du 10 ans, qui risquerait d’apparaître comme un encouragement au développement de contenus sur les téléphones portables pour les enfants, ce qui du fait du risque que ces médias et leur diffusion par onde représentent en terme de santé ne semble pas souhaitable.

2 Le système de classification de l’ICRA et son logiciel sont aujourd’hui gérés par l’association The Family Online Safety Institute (FOSI).

3 Loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (articles 32-39) modifiant la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs ; décret du 24 juin 2008 portant définition des caractéristiques de la signalétique révue par l’article 32 de la loi du 17 juin 1998, voir notamment le Rapport annuel du Forum des droits sur l’Internet pour l’année 2008.

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incrimine et sanctionne en effet le fait de mettre en contact des mineurs avec « un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine4 ».

Le principe du double contrat

Pour les chaînes de télévision, la mise en place de la « signalétique » agréée par le CSA, soutenue par le législateur puisqu’elle est depuis 2000 imposée par la loi sur la communication, constitue un double contrat. Ses dispositions étant intégrées à leurs conventions ou cahiers de charges, selon qu’il s’agit d’opérateurs publics ou privés, l’application de la « signalétique » fait partie de leurs obligations juridiques vis-à-vis de l’instance de régulation. Mais elles passent dans le même temps un second contrat, implicite, avec le public et les observateurs. Acceptant de signaler les contenus à risque qu’elles diffusent, elles permettent au public adulte de s’y soustraire et de veiller à éviter que les enfants n’y aient accès. Par ce second contrat, les opérateurs réussissent à faire reporter la protection des mineurs à la télévision dans la zone de responsabilité des « familles ».

On assiste ainsi à un double transfert des responsabilités. Les pouvoirs publics tenus d’assurer l’ordre public -car la protection des mineurs fait partie d’un tel objectif- transfèrent l’application du dispositif, c’est-à-dire l’ensemble des décisions quotidiennes de classification, aux diffuseurs. Ceux-ci par le biais des avertissements transmettent au public la charge d’éloigner les enfants des écrans à risque.

La responsabilité mettant en œuvre l’action de trois types d’acteurs, au moins, la protection des mineurs sur l’espace médiatique est donc devenue l’objet d’une interaction triangulaire entre ces acteurs. Les deux pôles « traditionnels » des pouvoirs publics et des opérateurs privés, sont plus ou moins clairement identifiés. Le troisième, celui du public, qui rassemble les parents, les enfants, les éducateurs, reste perçu essentiellement comme un récepteur des systèmes mis en place par les deux autres pôles, alors que son rôle devient en principe crucial dans le principe de corégulation, prôné dans le modèle de la gouvernance de l’Union européenne, qui favorise dans le même temps le retrait des pouvoirs publics.

C’est ainsi que les parents se trouvent désormais régulièrement rappelés à leurs responsabilités voire tancés pour ouvrir leur porte à tous les dangers, comme le mettait en scène récemment une campagne de sensibilisation aux dangers d’Internet, promue par le CSA et le Ministère de la Famille5. Les démarches de contrôle parental sur Internet supposent en effet une grande vigilance parentale.

L’un des jeunes sur le plateau de l’émission précitée, apprenant l’existence de tels outils pour Internet, s’est écrié qu’à quatorze ans il n’aurait jamais laissé son père faire cela, il aurait « désactivé » le filtrage.

Les médias rendent en effet, dans le même temps, plus complexe la tâche des parents.

4 Article 227-24 notamment.

5 Campagne « Où est Arthur ? », accessible sur les sites du CSA et du Ministère de la Famille.

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« J’espère pouvoir montrer que l’orientation générale actuelle des conceptions sur l’enfance et l’âge adulte est peut-être beaucoup plus liée à l’évolution des médias qu’on ne pourrait le penser »6.

déclarait Joshua Meyrowitz, dans un ouvrage célèbre, en 1985. Il était frappé de voir à quel point la télévision, parce qu’elle constituait un lieu ouvert à tous, permettant l’accès aux secrets des adultes, modifiait de ce fait la conception même de l’enfance. La télévision généraliste transformait le rapport au « savoir » des jeunes générations et, par delà, la nature des relations entre enfants et adultes, dont les secrets étaient jusqu’alors, selon lui, relativement protégés par la culture écrite. La virulence des contenus ainsi que leur diffusion grâce à Internet s’étant largement accrue depuis ce livre, peut-on imaginer que de simples signes, indicateurs chiffrés supposés indiquer des tranches d’âge, puissent les canaliser et en détourner les enfants ? Peut-on espérer, grâce à des pictogrammes, réorganiser des séparations, des étapes, permettre une transmission, marquer un ordre des générations dans un espace public médiatique qui se caractérise depuis l’avènement de la télévision par son ouverture d’accès à tous ?

Les outils de protection des enfants ont-ils une véritable utilité ou servent-ils des intérêts étrangers à leur objectif affiché? Qui cherchent-ils à rassurer ? Les parents ? Les enfants ? La bonne conscience ? Les entreprises et les administrations qui y travaillent sans relâche et parfois sans certitude, construisent-elles un monde plus ordonné, plus harmonieux, ou remplissent-elles simplement de fastidieuses obligations juridiques ?

Protection des enfants : un objet de consensus et de division

J’ai travaillé pendant quinze ans au CSA à la « protection du jeune public » et je me suis efforcée, à ma modeste place, de veiller à ce que les principes puissent irriguer ma pratique, j’y voyais une application de l’éthique de responsabilité énoncée par Max Weber. Chaque fois que j’ai pu discuter avec les personnes concrètement en charge de l’application quotidienne de la signalétique à l’intérieur des chaînes historiques qui y employaient des personnes à temps complet, j’ai perçu chez elles, malgré d’éventuelles divergences ponctuelles, une réelle implication, un souci de faire au mieux et de s’interroger sur les critères pertinents. Elles se sentaient souvent mises en tension entre leurs fonctions professionnelles et leurs attitudes parentales, elles cherchaient la plupart du temps à tenir compte de cette double position.

Si la mise en cause par le CSA de certaines pratiques des opérateurs a pu déclencher des polémiques, la mise en œuvre de nouvelles réglementations, de nouvelles préconisations ou de nouvelles protections s’est généralement faite dans un esprit de concertation et de coopération.

Monique Dagnaud l’affirme, en tant que sociologue mais aussi en tant qu’ex-membre de l’instance de régulation, en évoquant la mise en place de la première signalétique télévisuelle en 1996 :

« La mise en place par le CSA d’une politique pour contrôler les excès de la violence sur les écrans a trouvé facilement un soutien auprès des diffuseurs et a été largement relayée par le discours des responsables politiques, car elle est en phase avec la sensibilité majoritaire »7.

6 Meyrowitz J. « La télévision et l’intégration des enfants. La fin du secret des adultes. » Réseaux n°74 1995, extrait de son ouvrage No Sense of Place. The Impact of Electronic Media on Social Behaviour, Oxford University Press, 1985.

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Les opérateurs ont été régulièrement entendus par le CSA, sinon suivis. Tous ou presque savent qu’il y a nécessité d’avoir un cadre, des grilles de critères, afin de cerner leurs responsabilités et de clarifier le contrat avec le public.

Le contrat est-il clair pour autant ? Il comprend assurément bien des zones floues. Si tout le monde est favorable au principe de protection des mineurs, toute application concrète fait ressurgir des débats de société entre partisans de la protection des mineurs et opposants à « la censure » et ravive en chacun de nous une division subjective entre une aspiration à la plus grande liberté et à la tolérance pour tous et un souci de responsabilité et de maintien d’une cohésion sociale.

Du côté des créateurs, certains estiment encore que la signalétique est un outil de « censure » de leur imagination. Du côté des institutions, privées ou publiques, impliquées dans la classification audiovisuelle ou cinématographique, certains redoutent toujours qu’une décision de classification trop élevée ne sous-estime la capacité des enfants à discriminer entre l’humour et la réalité ou ne blesse la carrière d’un auteur. La classification attribuée cette année en France au film de Jacques Audiard Un prophète, interdit seulement aux moins de 12 ans, alors qu’il l’est aux moins de 18 en Grande Bretagne pour « strong violence and very strong language », aux moins de 17 (Restricted) aux Etats- Unis, et aux moins de 16 aux Pays Bas, interroge8. Du fait de l’efficace intensité de sa mise en scène, de l’excellence de ses acteurs, le film fera certainement date dans l’histoire du cinéma français. Mais il comporte au moins deux scènes d’une violence impitoyable et sanguinaire, qu’un adulte a du mal à supporter. Il dresse le portrait d’un jeune Maghrébin illettré qui, pour survivre, n’a d’autre issue que le meurtre, à l’intérieur même de la prison. Entrant naïf dans le milieu carcéral, il en sort promis à un bel avenir de caïd, après avoir commis, en toute impunité, bien pire que ce pourquoi il y était entré. Le propos est sombre et « dérangeant », comme l’ont dit plusieurs commentateurs. Il peut être vu comme une critique cinglante du système carcéral français, il peut aussi être interprété comme une ode à la violence maffieuse. Une interdiction aux moins de 16 ans lui aurait-elle porté ombrage ? N’aurait-elle pas été plus prudente, plus en phase avec ce que l’on sait de la psychologie des enfants de 12 ans, pour qui il est difficile de prendre de la distance vis-à-vis de violences filmées sur un mode réaliste ? Ces débats sont toujours difficiles à mener. On en trouve peu de traces dans la presse française à propos de ce film. Dans les « cercles de connivence » qui spécifient le monde de l’audiovisuel et de sa régulation, que Monique Dagnaud, dans l’Etat et les médias, décrit comme « hérités de la société de cour », on craint de commettre un crime de bienséance, en rappelant les objectifs prosaïques de la protection de l’enfance. Comparé par les journalistes français, avec fierté, au meilleur des productions américaines, de Scarface à Oz, en passant par Prison Break, le débat sur l’impact potentiel de ce film auprès des adolescents de 12 à 15 ans n’a pas eu lieu.

Les classifications présentent aussi un grand atout pour les pouvoirs publics. Dans le rapport de force avec les opérateurs privés, elles constituent une arme de portée limitée. Interroger la pertinence d’une

7 Dagnaud M. L’Etat et les médias. Fin de partie. Paris : O. Jacob 2000, p 66.

8 Pour des raisons de délai, sa classification s’est faite dans le cadre de la procédure simplifiée du CNC. Elle repose sur l’acceptation par le producteur de la classification proposée par la sous-commission de classification des films. Un débat en commission plénière au CNC n’a pas eu lieu. La décision a été motivée par le fait qu’il

« comporte des scènes de violence ».

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classification permet d’éviter la question de la pertinence déontologique d’un concept d’émission et paraît donc plus libéral, donc plus acceptable pour les diffuseurs et plus aisé à obtenir, sans redouter la menace du recours au juge. Dans le contexte de la délinéarisation des contenus audiovisuels sur Internet, la classification est promise à un avenir plus grand encore. Elle constitue l’outil promu par l’Union européenne pour orchestrer la régulation sur les différents supports jeux vidéo, Internet, télévision. On peut y voir le résultat d’un pragmatisme idéologique. Outil peu encombrant, il pourrait rendre le maximum de service, en occasionnant un minimum de gêne. Le pragmatisme pourrait ainsi déboucher sur des formes de croyances quasi magiques, celle dans le pouvoir d’un petit signe incrusté sur un écran, ayant aussi une dimension pratique, sur le plan politique.

Dans l’univers télévisuel français, le public semble s’être accoutumé aux pictogrammes de la signalétique télévisuelle. Ils font désormais partie du paysage. Est-ce à dire qu’ils induisent des comportements de protection et d’autoprotection ? Permettent-ils une régulation des contenus ?

La régulation des contenus médiatiques : une notion polysémique et multipolaire

Qu’entendons-nous par régulation des contenus ? La régulation suppose un encadrement plus souple qu’une réglementation, plus ouvert aussi. Elle s’inscrit dans un modèle de société dans laquelle les normes sont toujours en renégociation, dans un modèle de normes flexibles, susceptibles de s’ajuster au contexte pour être les plus pertinentes, les plus adaptées à leur objectif, tout en établissant des contraintes minimales pour les acteurs économiques. Elles requièrent encore plus qu’auparavant leur acceptation et leur compréhension.

La notion de régulation s’acclimate depuis près de vingt ans dans un contexte juridique français construit traditionnellement autour des notions de puissance publique, de souveraineté, de service public. Elle reste une notion sinon floue, du moins polysémique, et attachée à une conception souple du fonctionnement normatif. Lorsque la juriste Marie Anne Frison-Roche définit le droit de la régulation économique, elle constate que :

« Le sens du concept de « régulation » demeure incertain en droit, alors même qu’il fournit le socle sur lequel se construisent de nouveaux corpus unifiés de règles. On ne saurait certes prétendre que ce terme renvoie d’une façon définitive et complète à telle ou telle réalité institutionnelle, exercice épuisant et sans résultat car, expression polysémique par excellence, plusieurs définitions de la régulation demeurent recevables.9 »

Cherchant à définir la régulation du côté du régulateur, et particulièrement du régulateur de la concurrence, elle y voit le principe de la recherche d’un « équilibre des pouvoirs et la compensation des pouvoirs entre puissances inégales ». Mais elle ne peut dissocier le principe de « régulation » de la notion économique d’économie de marché. S’ajoute en effet à la polysémie du terme son ancrage dans l’économie aussi bien micro-économique, puisque le terme vient du management, que de la macro-économie quand il s’applique à désigner une des fonctions des pouvoirs publics. Elle souligne le paradoxe, la « difficulté dialectique » de la situation contemporaine qui consiste à vouloir étendre la

« régulation » aux espaces sur lesquels la normativité juridique a du mal à s’appliquer du fait de la mondialisation et de la dilution des frontières. Le secteur qui nous occupe, celui de la classification

9 Frison-Roche A-M. Droit et économie de la régulation Vol 1 Les régulations économiques : légitimité et efficacité, Paris : Presses des Sciences politiques/Dalloz 2004 p 8.

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des contenus médiatiques, est particulièrement exposé à ce paradoxe. La plupart des contenus à risque sont produits sous d’autres régimes de normativité tant sociale que juridique, leur diffusion sur Internet peut se faire directement depuis des territoires extra européens. Or, comme le remarque A.- M. Frison-Roche, au moment où la puissance publique perd de son efficacité, du fait même de l’internationalisation des échanges, elle a tendance à reporter sur les acteurs privés, les entreprises et les ménages, un contrôle de leurs activités, par le biais de la déontologie, de l’autorégulation, et de la discipline personnelle.

Le détour par le droit est indispensable pour comprendre à quel point cette notion, qui vient de l’économie, imprègne nos grilles d’analyse sociologique. Comme le disait récemment le sociologue Jacques Commaille, la sociologie et le droit sont appelés à resserrer leurs liens pour mieux comprendre les mutations de l’organisation sociale elle-même.

« Tout se passe comme si nous nous trouvions à nouveau, comme ce fut le cas dans la période historique qui a vu fleurir les grandes traditions sociologiques, dans un contexte de mutations sociales, politiques, économiques, culturelles, exigeant de redonner au droit toute sa valeur heuristique pour une compréhension de ces mutations. Que dit le droit, que disent les façons dont il est produit, les formes de ses mises en œuvre, sur les incertitudes actuelles de nos sociétés au plan social et politique ?

Les transformations du statut de l’Etat moderne, la relativisation de l’Etat Nation,

l’affaiblissement des modes tutélaires de gouvernement […] les manifestations diverses de la supranationalisation en matière économique, sociale et politique, les problèmes de légitimité du pouvoir politique, l’apparent paradoxe d’un mouvement d’individualisation de la société associé à l’émergence de nouvelles formes de mobilisations collectives, tous ces

changements sont, parmi beaucoup d’autres, des éléments de contexte qui ne peuvent qu’inciter la sociologie à retrouver l’importance du droit, celui-ci à la fois indicateur exemplaire de ces transformations et clef dans la recherche du sens qu’il convient de leur donner.

Notre conviction est que la vie du droit telle qu’elle se donne à voir dans nos sociétés contemporaines porte la signification des métamorphoses qu’on y observe de leur régulation sociale et de leur régulation politique. 10»

Si nous nous posons aujourd’hui la question de la réception des classifications par les parents et les enfants, c’est parce qu’elles constituent les outils que la régulation juridique, française et européenne, propose à la régulation sociale. L’articulation entre ces deux fonctionnements pose la question de la viabilité d’une démocratie en régime mondialisé. L’adéquation d’un outil de régulation des médias au fonctionnement des pratiques individuelles se situe au cœur du pacte qui unit les pouvoirs publics et les citoyens, surtout pour des questions qui concernent l’enfance et la violence, deux notions sur lesquelles la sensibilité du public est grande. Il est d’ailleurs surprenant que si peu de recherches sociologiques portent sur ces régulations, comme si elles étaient confiées aux « spécialistes » de la régulation, aux juristes, en laissant éventuellement les psychothérapeutes limiter les dégâts éventuels a posteriori, si les parents s’en inquiètent.

Nous entendrons donc la notion de régulation de façon large, comme l’ensemble des procédés mis en oeuvre par les acteurs publics et privés pour ajuster les comportements de réception ou de diffusion

10 Commaille Jacques, Conférence du 9 juin 2008 à l’Académie des sciences morales et politiques « Droit et sociologie. Des rapports au risque de l’histoire » (disponible sur le site de l’Académie). Voir aussi

Commaille, Jacques (1988), «Régulation sociale» in Arnaud, André-Jean (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris/Bruxelles : LGDJ /E. Story –Scientia.

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de contenus aux normes et valeurs de cette société et particulièrement celles de la protection de l’enfance et de la dignité humaine.

Il serait possible d’étudier diverses pistes de régulation ouvertes par les classifications de contenu.

Les contenus pourraient se trouver régulés en amont, sous l’effet de la signalétique, au moment de la production, ou au moment de l’achat des programmes par les diffuseurs. Il n’est pas exclu que cela ait pu faire partie d’un certain espoir soulevé par cet outil. La régulation pourrait aboutir à des formes de normalisation des contenus, de modération des excès. Pour le mesurer, il faudrait un outil d’évaluation extérieur à la classification elle-même. Utiliser, par exemple, la grille d’analyse de l’équipe de George Gerbner, comme nous l’avions fait nous-même en 1995 au CSA, et décompter les scènes de violence sur les écrans11. Sont-elles plus ou moins nombreuses qu’avant la signalétique ? La signalétique aurait pu avoir un impact sur les politiques de programmation et d’achat. Les chaînes françaises ont- elles acheté moins de programmes étrangers violents depuis l’arrivée de la signalétique en France en 1996 ? Si l’on pense aux séries policières américaines qui fleurissent sur les antennes depuis ces cinq dernières années, les Experts, NCIS, The Shield, 24 heures chrono, Alias, cela semble peu vraisemblable, mais mériterait expertise. Nous ne traiterons pas ici la question de savoir si l’existence de la signalétique pour la télévision a eu une influence sur les contenus diffusés. Ayant beaucoup travaillé sur ces questions, de l’intérieur du contrôle administratif, je n’aurais pas été la mieux placée pour en juger de l’extérieur.

La régulation dont il sera question ici sera donc celle de l’aval de la diffusion, celle du public, des parents et des enfants. Les classifications permettent-elles une régulation des contenus dans les familles, sous l’effet d’une discipline privée ? Alors que les équipements médiatiques s’individualisent et que les enfants y accèdent de plus en plus tôt, peuvent-elles servir de point d’appui à l’intervention des parents ? Alors que les discours publics pointent la montée des incivilités commises par les mineurs, des signes chiffrés peuvent-ils rendre possibles des démarches d’autoprotection de la part des enfants ? Suscitent-ils au contraire, comme le prétendent la plupart des recherches anglo- saxonnes, des effets d’attraction qui les rendent contreproductifs ? Jusqu’ici peu de recherches se sont attaquées au sujet, en France, du moins frontalement. Les enjeux paraissaient sans doute moindres. L’importance prise dans les politiques publiques des systèmes de classification nous a incitée à nous en emparer.

L’objectif principal de ce travail a été d’entrer dans la boîte noire de la relation enfant/parent/média, avec toutes les liaisons possibles : comprendre la réception de ces signaux par les parents et par les enfants ; savoir s’ils donnent lieu à des interactions entre parents et enfants ou non ; évaluer si ces interactions intrafamiliales imprègnent, modifient, façonnent les consommations et quel est leur poids face au flux des images et des messages.

Les termes du contrat implicite que représentent les classifications sont-ils clairs pour le public ? Le sont-ils pour les parents et les enfants, auxquels ces pictogrammes sont destinés ? Du fait du mouvement de retrait de la puissance publique, la société civile est formellement appelée à prendre la relève. Le passage de l’ère de la réglementation à celle de la régulation doit permettre de développer, dans le cadre libéral de la gouvernance européenne, l’autorégulation, par laquelle les opérateurs

11 Jehel S. Enquête sur la représentation de la violence dans la fiction à la télévision, Paris : CSA 1995.

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privés ou publics s’imposent des règles et s’y plient et la corégulation, par laquelle les règles sont négociées avec l’ensemble des pôles du triangle pouvoirs publics/opérateurs/société civile, afin de mettre en place de nouvelles formes de contre-pouvoirs, de « check and balances ».

Ainsi, une régulation par les classifications n’ouvre pas seulement le devoir pour les parents de

« respecter » les signes apposés sur les écrans et les pochettes des jeux, elle ouvre aussi un droit individuel à contester des classements. Les procédures prévues ne sont pas d’ordre judiciaire, elles ne nécessitent ni frais d’avocat ni mise en cause publique12. Les décisions de classification des chaînes sont contestables par tout téléspectateur devant le CSA, par simple courrier ou courriel, celles de PEGI également, de la même façon auprès du NICAM13. Les pouvoirs publics garantissent directement dans le cas du CSA ou indirectement dans celui de PEGI la possibilité que ces plaintes soient entendues et traitées. Faire vivre ces procédures paraît indispensable pour obtenir un équilibre entre la sensibilité du public et la sensibilité financière des opérateurs. L’Union européenne reconnaît la légitimité des associations défendant les intérêts des enfants à faire entendre leur voix, à demander à participer à la corégulation. Le CIEM, Collectif interassociatif Enfance et Médias qui regroupe notamment les associations familiales, les associations d’éducation populaire, les fédérations de parents d’élèves, et des syndicats d’enseignants, a commencé depuis 2001 à jouer en France ce rôle d’interlocuteur des pouvoirs publics et des médias14. Il participe à des groupes de travail et des groupes d’expert, à titre consultatif. Il n’est pas associé de plain pied aux décisions de classification.

Les parents ont-ils compris pour autant le nouveau cadre du contrat associé à la signalétique que représentent les classifications ? Il est vrai que celui-ci n’a pas bénéficié de campagnes d’affichage et les associations restent un peu seules à en diffuser le message.

Après avoir longtemps œuvré pour la régulation à la direction des programmes du CSA, j’ai donc souhaité passer de l’autre côté du miroir pour en mesurer l’impact. Dans les ambiances feutrées de l’administration, il est difficile de percevoir les échos de la régulation sur les parents, sur les enfants pour lesquels la télévision, les jeux vidéo, et aujourd’hui Internet, occupent une place affective si importante. On peut faire des incursions, commander ponctuellement des analyses qualitatives ou quantitatives sur la réception de telle campagne ou de telle signalétique, participer à des débats, lire les courriers des téléspectateurs, on n’a pas le temps de creuser la nature du contrat qui lie le public et les pictogrammes. Et encore moins de s’interroger sur ses cadres.

Des pratiques individuelles en résonance avec les mouvements de la société globale

Sitôt le sujet en apparence délimité, ressurgissent les questions de fond. Les parents pas plus que les enfants ne vivent dans un monde fermé. Les normes familiales ne se forment pas en dehors des espaces politiques. Le rapport des parents et des enfants aux médias est induit par les normes en circulation dans le contexte national, sur lequel opèrent les obligations scolaires, les attentes

12 Le cas des classifications de cinéma qui reposent sur une décision du Ministre de la Culture est différent. Dans ce cas, la contestation doit être portée devant les tribunaux administratifs.

13 A partir du site PEGI.

14 Le CIEM a récemment changé de nom, et s’intitule désormais CIEME, Collectif Interassociatif Enfance, Médias, et Education, voir son site www.collectifciem.org.

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publiques formulées à l’adresse des parents, les contenus médiatiques eux-mêmes, venus de divers horizons et produits dans des contextes normatifs tout aussi divers.

Comme nous l’avons vu à propos de l’exemple du film d’Audiard, les classifications induisent la possibilité d’un débat, entre les différents partenaires, autour d’un objet commun, si des acteurs (journalistes, associations, pouvoirs publics, professionnels, intellectuels) s’en emparent et l’entretiennent, sans craindre la discorde. Elles actualisent sans cesse la question de la norme, des normes. C’est aussi ce qui donne à ce sujet une dimension épuisante, lancinante, analogue à la malédiction de Sisyphe, dans un contexte où les limites ne sont pas de l’ordre de l’acquis, mais du complexe et du négociable, où l’horizon de l’idéal est situé dans un tout dire, tout montrer, tout faire circuler. Chaque œuvre, chaque émission, chaque jeu vidéo repose la question des normes à transmettre, du tolérable et de l’intolérable, du point de vue des identifications, des souffrances ou des transgressions. Une fois quitté le point de vue de la régulation administrative, la question se repose dans des termes presque identiques chez les parents.

Petits en apparence, les pictogrammes chiffrés posent des questions qui se situent au croisement de différentes problématiques : juridiques, éducatives, politiques, économiques. Ils intéressent de très nombreux acteurs aux logiques diverses : les entreprises qui produisent les contenus, mais aussi leurs auteurs et leurs diffuseurs, les associations impliquées dans l’accompagnement et la défense des intérêts des familles, les associations de parents d’élèves, les éducateurs, les enseignants dans l’école et les associations d’éducation populaire hors l’école, mais aussi, ou surtout, les parents, les enfants et les adolescents auxquels ils s’adressent. C’est le premier constat sur lequel s’ouvre le livre The V-chip debate, qui fait le point un an après son adoption aux Etat-Unis15.

« Il y a quelque chose qui était et reste politiquement hypnotisant dans l’idée de la puce anti- violence, c’est qu’une gaufrette magique, une combinaison d’ondes et de plastique, puisse aider à sauver les consciences et permettre de répondre à la responsabilité publique, de ressusciter la parentalité, de pousser les pourvoyeurs de programmes à être plus attentifs à leurs contenu et à l’impact du matériel qu’ils dispensent. »16

Mais quand il déplie les différentes facettes de la gaufrette, ses implications en amont et en aval, Monroe E. Price est lui-même fasciné par l’ampleur des questions soulevées tant sur la légitimité des critères, des procédures que suppose l’institution de la « V-Chip », que celle de la place de la liberté d’expression dans la société, de l’intérêt des politiques pour une telle question. Il est frappé par l’effet boomerang du débat américain et de la puce anti-violence sur les autres pays (Canada, Europe notamment) et sur leurs modes de régulation, pliant sous la force de l’internationalisation des flux et des techniques. La signalétique française dans sa version de 1996 est elle aussi un rejeton du débat nord-américain sur la puce anti-violence, même si elle s’est détachée du principe de filtrage privé que représente la puce. Mais le débat français vite canalisé en 1996 par la « trouvaille » de la signalétique, a ressurgi en 2002, accouchant alors d’une nouvelle « signalétique » pour la télévision et d’un nouveau « verrouillage » pour la diffusion des programmes pour adultes.

15 Price M.E. The V-chip Debate: Content Filtering From Television To the Internet (Lea's Communication Series) ed., Mahwah, New Jersey London : 1998 Lawrence Erlbaum Associates, Publishers.

16 “There's something that was and remains politically mesmerizing about the idea of the V-chip, a magic wafer or combination of wires and plastic that would help salve consciences, allow public responsibility to be satisfied, resurrect parenthood, and urge provenders of programming to be more forthcoming as to the content and impact of the material they purvey.” Ibid. p12.

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Divina Frau-Meigs, qui a beaucoup travaillé à décrypter les contenus violents et leurs implications sociétales, propose aujourd’hui d’interpréter le fonctionnement des débats publics autour de la violence dans les médias par une analyse du fonctionnement des « paniques médiatiques ». Elle appelle ainsi ces mouvements d’opinion systémiques, déclenchés en retour, d’une façon cataclysmique, par les représentations violentes, la plupart du temps suite à un fait divers tragique, crime particulièrement grave commis par des mineurs ou sur des mineurs, qui suscite la mise en cause de l’impact des médias :

« Ces paniques médiatiques, tant dans les médias audiovisuels que dans les médias numériques, parcourent l’opinion publique et concernent de manière récurrente les contenus et comportements à risque : violence, pornographie, pédophilie et publicité surtout. D’autres préoccupations moins clairement exprimées existent aussi sur le rapport à la réalité, l’obésité ou encore l’identité culturelle et l’appartenance ethnique. Toutes relaient un sentiment de perte des repères et des valeurs sociaux et une inquiétude pour l’intégrité morale et psychique de la personne. […]

L’attribution du risque médiatique devient donc un acte public et politique de la part d’une série d’acteurs sociaux, préoccupés de l’intervention croissante des médias dans la

socialisation des jeunes. C’est l’impact des messages qui pose problème, d’où le fait que les paniques se focalisent très rapidement sur la protection de l’enfance et de l’adolescence et s’appuient sur les droits de l’homme (à la dignité, notamment).17 »

Selon cette auteure, la mise en place de la V-chip aux Etats-Unis et au Canada, celle de la signalétique en 1996 en France, puis de sa seconde version en 2001 sont des produits de ces paniques. L’émergence de « paniques » génère un emballement médiatique voire politico-médiatique proche de ce que le journaliste Daniel Schneidermann a décrit dans Le cauchemar médiatique18. Sur le plan politique, ces mouvements brutaux d’opinion posent un problème majeur au regard des exigences démocratiques du traitement des questions de société, car ils débouchent souvent sur la promotion par les gouvernements d’« une » solution limpide, susceptible de rassurer et d’assécher l’émotion. La simplicité du remède est censée tranquilliser l’opinion publique, par le fait même que, tout en étant chargée de promesses, elle est aisée à mettre en œuvre, les gouvernements ont de ce fait tendance à favoriser celles qui demandent peu de changements profonds. La promotion de la signalétique en France, comme celle de la puce anti-violence aux Etats-Unis, a, par deux fois, refermé un débat effervescent qui remettait potentiellement en cause les politiques de programmation de puissants opérateurs. La complexité du problème public que constitue la responsabilité sociale des diffuseurs et des concepteurs de programmes médiatiques demanderait l’invention de procédures multidimensionnelles susceptibles de maintenir le questionnement et l’attention de l’ensemble des acteurs concernés dans la durée. Or, passé le moment de troubles, le problème a été de nouveau confié, entièrement ou presque, aux experts de la régulation, et confiné dans des espaces administratifs, au risque de ne pas faire advenir le pole civil de la corégulation pourtant indispensable à la mise en œuvre de contre-pouvoirs. Divina Frau-Meigs montre cependant que ces périodes de crise permettent quand même la plupart du temps une reformulation des problèmes publics latents et des avancées dans leur traitement.

17 Frau-Meigs D. « La panique médiatique entre déviance et problème social : vers une modélisation socio- cognitive du risque » Questions de Communication 17 (2010) (à paraître).

18 Schneidermann D. Le cauchemar médiatique, Paris : Denoël, 2003.

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La notion de « panique » n’est cependant pas de celles sur lesquelles cette réflexion est construite.

Souhaitant creuser l’analyse des conditions de possibilité d’une médiation parentale aux contenus médiatiques, ce concept ne semblait pas approprié.

Un nouveau modèle d’analyse des risques médiatiques

Il m’est apparu important d’examiner à froid, dans la temporalité plus lente de la recherche universitaire, le fonctionnement des outils de régulation que les pouvoirs publics proposent à l’industrie et au public pour canaliser les contenus jugés corrosifs. L’objectif de ce travail est d’élaborer un nouveau modèle d’analyse des risques médiatiques.

Inévitablement, toute volonté de restreindre l’accès à ces programmes au nom de la protection des mineurs pose la question de la liberté de communication et de ses limites. Or ce sujet demeure d’une sensibilité épidermique. Les juristes ont beau savoir que la constitution d’une liberté nécessite des garde-fous et un agencement vis-à-vis des autres libertés, les débats entre experts de l’enfance et professionnels des médias sur les décisions de protection des mineurs réactivent systématiquement une dispute simpliste entre partisans de la censure et ceux de la liberté. Pour ces derniers, toute limitation de la liberté entraînerait des formes de censure et constituerait une régression de l’état de droit, sans parler de l’outrage à la culture, qui dans un pays comme la France paralyse les élites diplômées, qui ont tendance de ce fait à laisser le champ aux extrémistes.

Malgré la petitesse des pictogrammes, la question de la protection des mineurs n’a donc rien de minuscule, elle oblige à reposer la question du politique dans le médiatique. Elle oblige à voir au-delà des chantres de la liberté, les coalitions d’intérêt entre les discours séducteurs et rebelles et ceux de l’industrie, toujours plus discrète et tempérée. Cela mérite évidemment de nombreuses nuances, tant du côté des chantres de la liberté sans frein, que de celui des médias, eux-mêmes animés par une logique économique variable selon leur part de marché. Supposer que la censure est systématiquement du côté de la répression et de la régression, même lorsqu’il s’agit d’une protection limitée au temps de l’enfance, structurelle, nécessaire à la formation des nouvelles générations et à la préservation de valeurs communes, mérite analyse. Celle-ci requiert un examen approfondi du plaidoyer pour la liberté, et des liens actuels entre le discours de la liberté sans frein et celui de la logique entrepreneuriale.

Dans une première partie, nous interrogerons ces liens. Plutôt que d’expliquer l’urgence de la protection de l’enfance et les enjeux de la régulation médiatique, nous chercherons à montrer à quel point le discours qui la soutient est si peu dans « l’air du temps », tenu à distance aussi bien du côté des pédagogues que de celui des professionnels des médias. Il est en effet, depuis au moins une vingtaine d’années, anesthésié par l’anathème de la censure, même si se dessinent des évolutions récentes. Nous prendrons le temps de revenir sur les prises de position publiques émises par les instances éducatives et associatives au moment des débats sur la violence dans les médias qui émaillent ces quinze dernières années. Nous avons souhaité faire un retour en arrière sur les arguments de certains diffuseurs lors de leurs affrontements avec le CSA. Il n’entre pas dans notre propos de dessiner une histoire de la protection de l’enfance dans les médias, mais de mettre en

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évidence les structures argumentatives, grâce à leur mise en perspective. Elles ont si peu changé qu’elles ressurgissent intactes ou presque à chaque fois que le débat pointe à nouveau à la surface de l’agenda médiatique. Or la pérennité des structures du raisonnement tranche avec l’évolution des structures juridiques de la régulation et celle des contenus médiatiques eux-mêmes, comme si elles s’étaient figées dans le temps.

Pour comprendre pourquoi le discours de la protection des mineurs a tant de mal à être entendu, nous nous sommes interrogée sur le fonctionnement du nouveau capitalisme et ses rapports actuels avec la morale. Là où les chantres de la liberté revendiquent le droit de tout voir et de tout montrer, dans un combat sempiternel contre l’hypocrisie de la morale bourgeoise, il nous est nécessaire de replacer les contenus médiatiques dans le cadre d’une production industrielle de masse. Les soubassements de la production capitaliste et les fondements de son management ont changé depuis l’éthique protestante mise en lumière par Max Weber. Nous nous appuierons sur des concepts issus de la sociologie économique, comme celui du Nouvel esprit du capitalisme décrit par Luc Boltanski et Eva Chiapello à partir de l’analyse des ouvrages de management des entreprises des années 1990. Le moteur de ce nouveau capitalisme est celui de l’individu et de son désir d’autonomie, aux antipodes d’une morale paternaliste. Pour comprendre la place des contenus médiatiques violents, rendus possibles par un esprit d’entreprise qui ne cherche plus à moraliser les masses populaires mais à coller aux fantasmes de publics différenciés pour mieux les faire adhérer aux écrans, le concept développé par Ulrich Beck de société du risque nous a fourni les outils intellectuels indispensables à notre chantier.

« Dans la modernité avancée, la production sociale de richesses est systématiquement corrélée à la production sociale de risques. En conséquence, les problèmes de répartition propres à la société de pénurie et les conflits qui y étaient liés, sont recouverts par les problèmes et les conflits générés par la production, la définition et la répartition des risques induits par la science et la technique. »

Pour U. Beck cette transformation sociale et industrielle est génératrice d’une transformation de la société toute entière et de la notion même d’inégalité sociale qui deviennent des inégalités de risque.

« Dans le volcan de la civilisation », la question de la régulation comme celle de la prise de conscience par les acteurs est cruciale.

« Comment les risques et les menaces qui sont systématiquement produits au cours du processus de modernisation avancée peuvent-ils être supprimés, diminués, dramatisés, canalisés et, dans le cas où ils ont pris la forme « d’effets induits latents» endigués et évacués de sorte qu’ils ne gênent pas le processus de modernisation ni ne franchissent les limites de ce qui est « tolérable » […]? […]

Le processus de modernisation devient « réflexif », il est à lui-même objet de réflexion et problème».19

Il est temps de tirer le rideau aux représentations doucereuses et désarmantes de la « censure », issues des années 1960, où s’affrontent le gendarme voyeur et le nudiste amoureux de la nature. Les industries médiatiques ont en effet bien des caractéristiques des industries du risque décrites par U.

Beck. Pris dans une logique de croissance et de concurrence exacerbés, ils diffusent des risques qui deviennent indissociables des environnements identitaires qu’ils construisent. La limite du

« tolérable » est en permanence testée, elle fait partie de l’économie de l’adhérence aux écrans. Les

19 Beck U. La société du risque, sur la voie d’une autre modernité, 1ère édition Frankfurt am Main, Surhrkampf Verlag 1986, Paris : Flammarion 2001 préface Bruno Latour p 35.

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médias et leur régulation privée nous plongent dans un monde en abyme, leur poser une limite suppose aussi la force de renoncer à la mise en miroir des narcissismes et de l’obscène qui fascine les enfants.

«Fascinés par l’exhibition d’une humanité réduite à des pantomimes, sidérés par la possibilité d’accéder en direct à ce qu’ils prennent pour la « vraie vie », découvrant un monde où les corps sont réduits à de la viande, et les relations entre les êtres à l’élimination du maillon faible, ils apprennent très tôt à goûter les joies de l’obscène. »20

Le constat émane d’un pédagogue, Philippe Meirieu, qui continue de réfléchir aux modalités d’une éducation adaptée aux « enfants d’aujourd’hui », mais qui souhaiterait aussi une réflexion des professionnels et une évolution des codes esthétiques et éthiques des producteurs d’images.

En tenant les enjeux des débats autour des contenus médiatiques pour des enjeux industriels, on comprend mieux l’implication soutenue de l’Union européenne pour que les risques engendrés par cette industrie n’obstruent pas la voie d’une croissance dans laquelle les technologies de la culture sont appelées à jouer un rôle de premier plan.

Une fois posé le cadre théorique de notre analyse des risques médiatiques, il nous importait de trouver un terrain permettant d’évaluer la portée des risques et des outils de régulation auprès des enfants et des parents. Dans une seconde partie nous présenterons la démarche et les résultats de l’enquête quantitative que nous avons menée entre juin 2006 et juin 2007 auprès de 1142 enfants de CM2 et de sixième, dans 32 établissements scolaires de 5 régions différentes de France et auprès de 781 de leurs parents. Nous avons complété cette analyse quantitative par des entretiens auprès de 16 groupes d’enfants. Souhaitant mettre en évidence les prises de risques des enfants et les possibilités d’interaction étroite avec les parents, il nous a paru souhaitable de retenir le passage de l’école primaire au collège comme un moment clé de la médiation parentale et des prises de risque.

Les préadolescents deviennent un sujet de plus en plus prisé de la sociologie et des médias, alors qu’ils étaient jusqu’à récemment relativement ignorés. Le sociologue François de Singly leur a consacré son ouvrage Les Adonaissants, pour évaluer les démarches d’accompagnement parental. Il y met en défaut ceux qui dénoncent un laisser-faire parental. Les consommations médiatiques des préadolescents ne cessent de croître et de s’autonomiser avec la miniaturisation des équipements, le développement des téléphones portables et des baladeurs. L’équipement Internet des foyers et d’abord des foyers avec enfants modifie les comportements et les consommations. Dans ce contexte, que deviennent les systèmes de classification, à quels usages donnent-ils lieu ? L’individualisation des consommations médiatiques et leur précocité s’accompagne-t-elle d’une maturité des enfants vis- à-vis des risques médiatiques et d’une diffusion de démarches d’autoprotection ?

Sachant par les études antérieures et notamment la grande enquête les Jeunes et l’écran menée par Josiane Jouët et Dominique Pasquier21, mais aussi par les enquêtes sur les pratiques culturelles du Ministère de la Culture conduites par Olivier Donnat, l’importance des différences sociales en matière de consommations médiatiques, nous avons souhaité construire notre terrain en dehors des milieux

20 Meirieu Ph. Lettre aux grandes personnes sur les enfants d’aujourd’hui, Paris : Rue du Monde, 2009 p 118.

21 Jouët J. et Pasquier D. (dir.). “ Les jeunes et l’écran ”. Réseaux (CNET/CNRS), n° 92-93, 1999.

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