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les programmes signalisés -10

3. De la difficulté d’assurer la protection des enfants et les adolescents face aux risques face aux risques

3.3 Tendance de l’autorité des médias à cannibaliser les autres autorités

3.3.2 Le « coaching » des parents : aide ou disqualification ?

Le traitement réservé aux parents par la télévision est lui aussi très ambivalent. La crise sociétale de la parentalité a donné lieu à l’apparition d’émissions qui ont pour objectif affiché d’aider les parents à éduquer leurs enfants. Ces émissions prennent place dans un ensemble plus vaste de programmes de coaching : la télévision apprend à remettre à neuf un appartement (D&co), élever son chien, nettoyer sa maison (C’est du propre !), soigner les animaux de la ferme (La Ferme célébrités). Sur un modèle qui combine les procédés de la cassette de bricolage et les techniques de la téléréalité, les chaînes semblent y réaffirmer, dans une forme nouvelle, leur vocation éducative traditionnelle, celle du triptyque classique des missions de la « paléotélévision » (U.Eco) : informer, éduquer, distraire.

Les émissions qui s’attachent à coacher des parents en difficulté ont un succès certain auprès du cœur de cible de la publicité, la ménagère de moins de 50 ans302. Mais l’éducation des enfants se prête-t-elle à un exercice de bricolage ? Dans une société, dans laquelle les savoirs (juridiques, psychologiques, psychanalytiques etc.) se sont tellement complexifiés, la tentation est grande de proposer au public des remèdes spectaculaires : tel ce psychiatre qui suit tout au long de sa journée un adolescent en crise dans Il faut que ça change (M6). Aident-ils les personnes qui s’exposent, ou sont ils seulement censés aider le public ? On peut voir dans Confessions intimes ou dans Supernanny des parents perdus devant les colères de leurs enfants. La solution semble simple : faire venir la télévision avec son expert psychologue (Confessions intimes), sa Supernanny , sa femme de ménage (C’est du propre), son éducateur canadien (Le camp des fortes têtes). L’intervenant va mettre en condition les parents, à l’aide d’une oreillette (Confessions intimes) ou en dressant une liste des nouvelles règles sur le tableau de la cuisine (Supernanny) et va résoudre le problème. Comme les mélodrames américains, les émissions de coaching finissent par un happy end, à la télévision. Pour convaincre, elles utilisent le procédé narratif du flash back, qui permet de réinscrire la « tâche »/ « tache », l’asocialité de l’enfant, la démission des parents,

300 Notamment la règle des « 4S ». Cette règle de communication d’apparaître comme « sympathique, sincère, simple, spontané ». C’est ainsi qu’un homme politique condamné par la justice réussit notamment à se faire applaudir dans l’émission d’Ardisson en l’occurrence, il vient d’être réélu préalablement à l’émission, exemple cité par E. Neveu « De l’art et du coût d’éviter la politique » article précité, ceux qui savent maîtriser ces codes et accepter le deal posé par ces émissions en sont des « clients » réguliers.

301 P. Bourdieu Sur la Télévision Paris : Raisons d’agir 1996. Philippe Meirieu qui a créé une chaîne éducative régionale, Cap Canal, témoigne dans ses conférences publiques de la difficulté qu’il y a à faire sortir des professionnels (caméramen, réalisateurs), habitués aux standards des émissions commerciales, de la logique du zapping et à les obliger à changer le rythme des séquences, pour permettre aux intervenants d’élaborer une explication en profondeur.

302 Sur les 25 meilleures audiences de M6 en 2005, on compte 4 émissions de coaching (Nouvelle star, Supernanny, C’est du propre, Oui chef), source Médiamétrie.

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chaque fois qu’un « progrès » aura été accompli. Cherchent-ils à aider les parents ou à consolider l’autorité médiatique sur le terrain des instances domestiques ?

Le script au fond est simple et déjà rôdé dans la publicité pour la lessive : montrer la tâche sur les draps avant, et le linge après, plus blanc que blanc, ce qui, en image, est toujours assez facile à mettre en scène et produit un effet de conviction. Mais sur les conflits familiaux, la grande lessive publique peut s’accompagner de dégâts collatéraux. Comment les voisins et les professeurs vont-ils considérer les enfants et les parents après l’exposition de leur intimité ? Comment vont réagir les parents si le voisinage se montre sévère ou prend partie contre eux, ou contre les enfants ? Quelles conséquences les enfants devront-ils subir en définitive, après la diffusion ? On pourrait poser les mêmes questions de fond vis-à-vis des émissions de coaching et d’exhibition des malheurs privés de France télévision, comme ça se discute, vie privée vie publique, ou plus récemment Le mieux c’est d’en parler qui organisait une consultation familiale en plateau avec le Dr Ruffo (France 3, 2008-2009).

Nous avons déjà examiné l’hypothèse de production de « risque social » par les émissions de téléréalité, la déstabilisation des parents, l’affaiblissement de leur autorité, dans les émissions de coaching, fait partie de ces risques sociaux. En mettant en scène les difficultés des parents, qu’elle dramatise à des fins de spectacle303, la télévision pense surtout à mettre en scène son propre rôle d’adjuvant voire de substitut parental.

Il existe encore peu de recherches systématiques sur l’image des parents véhiculée par la télévision304. Celle-ci est d’ailleurs à multiples facettes. Les séries présentent les relations parents-enfants en mettant l’accent sur les antagonismes, ce qui pourrait avoir des effets confortants sur l’émergence ou l’entretien de conflits305. La famille apparaît comme un nœud de ruptures plus que d’identité, à travers le croisement des crises institutionnelles et des crises familiales dans les fictions de prime time306. La famille fait cependant partie des valeurs des jeunes et des valeurs centrales dans les goûts des jeunes pour les séries télévisées307. L’exagération télévisuelle de ses difficultés est également en porte à faux avec son rôle social crucial : elle figure parmi les institutions-refuges en temps de crise.

303 Une mère m’a ainsi expliqué qu’elle avait reçu des ordres contradictoires de la production lors de son passage dans l’émission Supernanny : ordre de ne plus donner de sucreries à l’enfant, ordre de passer dans les rayons du supermarché qui vendent ces sucreries, ordre au père de donner un pain au chocolat à l’enfant. Le premier conseil était d’ordre pédagogique, le second d’ordre spectaculaire, pour illustrer l’impuissance de la mère face à l’enfant, le troisième afin de conforter l’hypothèse éducatrice de la télévision selon laquelle les parents étaient souvent en désaccord, ce qui est mauvais pour l’enfant.

304 Baton-Hervé E. dans Télévision et fonction parentale, échos des recherches Paris : l’harmattan, 2005 en recense quelques unes, au niveau international, p 90 et suivantes et cite ses propres observations sur des programmes pour finir.

305 L’analyse proposée par le Center for health communication harvard school of public health dans « The role of the mass media in parenting education » (1997), indique que “60% des jeunes de 10 à 16 ans admettent que certaines comédies comme les Simpson et Marié deux enfants encouragent les jeunes à manquer de respect envers leurs parents”, cité in Baton-Hervé E. Télévision et fonction parentale, échos des recherches op. cit. p 93.

306 Lits M. « L’image de la famille dans les feuilletons télévisés francophones » in Actes du colloque Télévision et familles : relations conviviales-relations rivales ? Louvain la neuve, Recherches sociologiques 1995 p 45-54 cité par Baton-Hervé E. ibid. p 92.

307 Cf. Frau-Meigs D et Jehel S. “ Acculturation et américanisation des jeunes par les médias en France ” in Masselot-Girard M. (dir.) Jeunes et médias. Ethiques, socialisation et représentations, Paris :

L’Harmattan/GRREM 2004.

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Dans les émissions de téléréalité, la télévision met en scène les relations parents-enfants et les instrumentalise directement. Le rôle complice des mères dans les émissions de téléréalité de type Loft story, où elles sont parties prenantes de l’exhibition médiatique de l’intimité de leurs enfants, a plusieurs fois été mis en évidence pour en souligner le caractère très opposé aux valeurs de bonne éducation que les parents sont censés transmettre308, voire quasi incestueux. Dans certaines émissions de coaching, la télévision intervient sur les relations parents-enfants en mettant l’accent sur ses dysfonctionnements et en s’immisçant à l’intérieur de ces relations. Certaines émissions ont fait de la participation des parents un préalable à celle des enfants fussent-ils adultes. Les premiers se retrouvent piégés par leur affection pour leur enfant, plus encore que par leur narcissisme. Et la feinte fonctionne comme une fusée à plusieurs étages. L’émission Opération séduction, les parents s’en mêlent peut être prise comme un exemple-limite des brouillages engendrés dans les valeurs et dans la confiance entre enfants et parents.

L’émission Opération séduction : les parents s’en mêlent diffusée durant l’été 2004 sur M6 Manipulations en abîme

L’émission piégeait une première fois les parents, en conditionnant la participation de leurs enfants à la leur. Les parents, convoqués pour être près de leurs enfants « pour des raisons de sécurité » se sont vu demander la veille de leur départ une participation au jury des jeunes309.

Second niveau de manipulation : le statut des parents dans le jeu. Leur participation au jury les implique directement dans le jeu : ils prennent fait et cause pour leurs enfants et s’éliminent entre eux310. Ce sont eux qui dénigrent les enfants en employant des qualificatifs peu favorables :

« allumeuse », « bête », « sans réflexion », vulgaire ». la production les sollicite pour inventer des épreuves pour tester les capacités de leurs enfants à se dépasser : ils leur demandent de porter des strings dans les rues de Papeete, de donner des claques à d’autres candidats pour gagner des

« immunités », d’embrasser sur la bouche des filles qui leur sont désignées. Ainsi, les parents se retrouvent à l’origine des épreuves potentiellement dévalorisantes pour leurs enfants, voire attentatoires à leur dignité.

Troisième niveau de manipulation, la manipulation des jeunes candidats de l’émission. Ils ne savent pas que le jury qui doit évaluer leur capacité de séduction est composé de leurs parents.

Quatrième niveau : lors de la dernière épreuve, les jeunes ont été mis dans la confidence et doivent « piéger leurs parents, les choquer ». Certains inventent un fils caché, d’autres mettent en scène une fausse homosexualité.

Claude Halmos, psychanalyste, dénonçait le voyeurisme de l’émission qui banalise « un droit de regard des parents sur la vie privée et (…) sexuelle de leurs enfants » et fait que « l’interdit de l’inceste semble levé »311. Elle relevait aussi le caractère fondamentalement contradictoire d’une émission censée mesurer l’apprentissage de l’autonomie et qui conserve la tutelle des parents sur des enfants adultes.

308 Baton-Hervé, E. ibid p 97-98. Elisabeth Baton-Hervé cite notamment un extrait de l’émission Nice People dans laquelle une mère félicite son fils alors qu’il a « peloté toutes les filles ».

309 Broizat F. « Quand les familles s’emmêlent », Télérama 18 août 2004

310 Dans Le Parisien du 15 juillet 2004, un des parents déclare qu’à son avis ce sont les parents qui s’éliminent : « on s’est éliminé entre jurés ».

311 Dans Le Parisien du 8 juillet 2004.

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D’autres émissions de téléréalité reposent sur un principe analogue en introduisant les parents dans les relations amoureuses de leurs enfants comme si celles-ci étaient de l’ordre du jeu312. Pour E. Baton-Hervé la « déstructuration des liens familiaux, notamment du lien mère-enfant », fait partie d’une stratégie industrielle pour « lever tous les obstacles qui pourraient entraver les consommations diverses et variées offertes par le marché », en ternissant l’image de la mère éducatrice en la présentant comme castratrice, en la détournant de son rôle pour la montrer comme une complice des risques télévisuels, en inversant les règles habituellement posées par les parents313. La répartition sexuée des rôles sociaux vis-à-vis de l’enfant et des médias a souvent été soulignée par les sociologues et la mère est en effet le parent dont l’action de protection est plus forte vis-à-vis des médias314. Pour E. Baton Hervé c’est ce qui justifie que les attaques soient plus dures ou plus visibles à l’égard de l’image de la mère.

Nous préfèrerons cependant parler de déstabilisation de l’autorité parentale en général, plutôt que de déstructuration du lien lui-même, ou du lien avec la mère. Ce qui est visé dans les représentations télévisuelles c’est la verticalité du lien, non le lien lui-même, c’est l’autorité parentale en tant que vecteur de valeurs et de limites, aussi bien vis-à-vis de la consommation que d’autres comportements, quand la publicité ou le marketing vantent l’absence de limites et valorisent le plaisir de la régression. Ce n’est pas le lien dans sa totalité qui peut comme on l’a vu être réinvesti et détourné par la téléréalité. L’objectif de cette déstabilisation semble être de poursuivre jusqu’au bout le lien d’individuation, en glissant éventuellement une dose de trahison dans les relations parents-enfants, et de conforter l’autorité de la télévision à l’intérieur-même de cette relation.

Comme dans le cas de l’affaiblissement de l’autorité des politiques par l’infotainment, on pourrait analyser les raisons pour lesquelles les parents peuvent accepter cette déstabilisation, soit directement en participant à ces émissions, soit implicitement en les regardant. A titre d’hypothèse, on peut penser que la recomposition d’une image « cool », complice des plaisirs des enfants, à l’opposé des modèles autoritaires qui servent de repoussoir, d’une relation non conflictuelle avec les enfants, la libération de leur temps par l’occupation des enfants par les médias en font partie315. Comme on le verra dans les résultats de notre enquête, les parents ne se sentent pas directement agressés par les médias et voient en eux avant tout des alliés pour l’éducation de leurs enfants. Ils sous-estiment sans doute la puissance et l’ambivalence des représentations qui les concernent.

312 Par exemple, l’émission américaine « Mes beaux parents et moi » diffusée sur TF6 en 2004 dans laquelle des parents mettaient à l’épreuve trois garçons pour savoir qui allait gagner la semaine de vacances avec leur fille. Le jeu de téléréalité renouait avec des traditions patriarcales que l’on croyait dépassées dans la

modernité tardive.

313 Baton Hervé E. Télévision et fonction parentale, échos des recherches op. cit. p 100. L’auteure a poursuivi cet axe d’analyse lors d’une audition devant la délégation à la famille en 2006 (disponible sur le site de l’UNAF) qui avait été organisée en vue de la publication d’une étude sur l’image de la famille à la télévision. Cette étude n’est jamais parue. Pour prendre un autre exemple venu réactualiser la représentation castratrice de la mère à la télévision, le spot publicitaire Universal en faveur du forfait bloqué « si tu ne veux pas que ta mère t’explose » présentant une mère experte en sport de combat éclatant la tête de son fils à travers la porte du réfrigérateur.

314 Voir Jouët J. Pasquier D. « Les jeunes et la culture de l’écran », Réseaux 1999, n°92-93.

315 Ces hypothèses nécessiteraient des recherches spécifiques. Le modèle parental autoritaire et sans médias est l’objet d’une caricature médiatique, notamment dans l’émission On va échanger nos mamans.

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