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a / Regards d’un républicain incompris sur la Révolution française

L’historiographie révolutionnaire quinetienne est ambivalente au sens où deux périodes déter-minées par l’exil s’opposent dans les discours. Avant l’exil, les publications successives de Napoléon (1836), de L’Ultramontanisme et du Christianisme et la Révolution française (1845) proposent une « mythification » de la Révolution, tandis que, pendant l’exil, les écrits de La Révolution (1865) et de la Critique de la Révolution (1867) lui opposent une « démythification » selon les dires de Simone Bernard-Griffiths 52. Ces divergences paradoxales s’expliquent sans doute par les « illusions

50 - VMGG, p. 145. 51- VMGG, p. 111.

52 - Simone Bernard-Griffiths, « Mythification et démythification de la Révolution dans l’œuvre d’Edgar Quinet », dans Christian Croisille, Jean Ehrard (dir.), La Légende de la Révolution, Clermont-Ferrand, Adosa, 1988, p. 431-461.

libérales 53 » qui l’habitent jusqu’en 1830 alors que Juillet 1848 et le coup d’État du 2 Décembre achèvent de ternir les espoirs du républicain.

La Révolution est symbole de modernité puisqu’elle marque la rupture avec l’Ancien Régime monarchique considéré comme incompatible avec les idéaux révolutionnaires. La Révolution n’in-carnerait pas l’achèvement de l’Ancien Régime mais l’avènement d’un Nouveau Régime :

Si la Révolution donne naissance, dans l’historiographie de Quinet, à un mythe, c’est-à-dire, pour re-prendre la définition de Mircéa Éliade, au « récit d’une création », à la relation d’une histoire « sacrée », d’un « événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des « commencements 54 », c’est qu’elle est analysée dans sa nouveauté idéale, en termes d’avènement. 55

L’historiographie quinetienne d’avant l’exil ouvre la voie à la mythification de la Révolution, au sens où l’âme de la Révolution française résiderait essentiellement dans l’instant créateur, signe de liberté. La France se libère alors de l’autoritarisme et de l’absolutisme du pouvoir pour proclamer les principes de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est une nouvelle ère historique qui s’offre au peuple français, acteur de son destin. Pour l’historiographe, l’occasion est toute trouvée de faire le récit de cette création socio-politique pleine de promesses.

L’exil en Belgique sera le moment idoine pour faire le point sur cette question politique qui aura pour conséquence la publication de La Révolution 56. Une semaine après sa sortie, l’édition fran-çaise est écoulée, soulignant son succès. Cet essai va marquer une rupture idéologique entre les deux amis que sont Michelet et Quinet 57, tous deux historiographes de la Révolution. En effet, la pensée proposée y est anticonformiste puisqu’elle prend le contrepied de la tradition historiographique ainsi que le suggère le titre du chapitre liminaire « Nécessité de réviser la tradition » :

La Révolution française n’a pas besoin d’apologies ; vraies ou fausses, tout le siècle en est rempli. Une parole de plus serait superflue. Que reste-t-il donc à dire ? Il reste à découvrir et à montrer pourquoi tant et de si immenses efforts, tant de sacrifices accomplis, une si prodigieuse dépense d’hommes, ont laissé après eux des résultats encore si incomplets ou si informes. [REV, I, p. 81]

Une dichotomie dévastatrice éclate aux yeux de Quinet entre les « sacrifices accomplis » par le peuple et « les résultats si informes ». L’historiographie révolutionnaire de l’exil prend à ce mo-ment-là la voie de la démythification. En tant qu’ « ami de la Révolution qui montrera les fautes des Révolutionnaires 58 », Quinet entend explorer, avec lucidité et recul, l’envers du mythe en faisant

53 - Ibid., p. 431.

54 - Simone Bernard-Griffiths cite Mircéa Éliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, p. 15.

55 - Simone Bernard-Griffiths, « Mythification et démythification de la Révolution dans l’œuvre d’Edgar Quinet », dans Jean Ehrard, Christian Croisille (dir.), La Légende de la Révolution, op. cit., p. 432.

56 - Le Christianisme et la Révolution Française précède La Révolution de vingt années.

57 - Simone Bernard-Griffiths, « Rupture entre Michelet et Quinet. À propos de l’Histoire de la Révolution » dans Paul Viallaneix (dir.), Michelet, cent ans après, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1975, p. 145-165.

état des erreurs des acteurs de cette libération. Or cette position lui vaudra les foudres de la critique, et le statut d’ennemi de la cause révolutionnaire. Écrire l’histoire revient donc, pour le penseur, à montrer les revers afin de comprendre les mécanismes ayant conduit, malgré les espoirs, à de « si extraordinaires avortements » :

Je me propose de rechercher pourquoi nos révolutions se sont accomplies, comment les contem-porains les ont comprises, au moment où elles éclataient, quelle signification elles ont reçue le lende-main, pourquoi de si vastes espoirs suivis de si extraordinaires avortements, enfin, s’il est un remède à de pareils maux et ce qu’il convient de faire pour le trouver.

Je voudrais faire rentrer dans l’histoire la conscience humaine, alors qu’elle semble avoir disparu du monde. [REV, I, p. 81]

Par excès d’ambition et soif de distinction, Edgar Quinet se propose de raconter le côté obscur du fait révolutionnaire, quitte à se placer en porte-à-faux face à ses prédécesseurs. D’aucuns ont « raconté les triomphes » (remarquable allusion à Michelet) alors qu’il se penche sur « les revers, les chutes, les défaites, les reniements 59 ». L’ambition quinetienne reviendrait donc à opérer la critique de la Révolution au nom de la Révolution 60. Cette nouvelle pensée révolutionnaire, à rebours de ses contemporains, est ainsi analysée par Simone Bernard-Griffiths :

À cette mythologie lumineuse, Quinet oppose une mythologie de l’échec qui transpose, en images, l’idée centrale de son livre : la Révolution a échoué doublement. Politiquement, elle s’abîme dans le despotisme de la Terreur, puis, de la dictature militaire que l’on voit poindre dès le 19 Brumaire. Il y a plus grave. La prétendue liberté des cultes, au lieu de fonder une authentique liberté religieuse, a fait le jeu du catholi-cisme romain, despotique par nature, qui recevra du concordat une consécration indigne. 61

À l’aune de la solitude de l’exil, l’échec révolutionnaire est analysé à partir des résultats et non des ambitions. L’exilé meurtri considère ainsi que les idéaux de la Révolution n’ont pas été mis en place puisque les événements successifs ont démenti les espoirs initiaux : « Effort de géants, résultat nul ». Constatant l’avortement 62 de la Révolution française, Edgar Quinet condamnera tour à tour la Ter-reur, la Constituante et le Césarisme, en cherchant d’éventuelles raisons religieuses 63. Si Quinet opère une telle critique à distance, l’essence de la Révolution est ailleurs dans les idées de résistance, de fierté, de liberté et de souveraineté qui demeurent, pour lui, les idéaux révolutionnaires universels.

59 - REV, t. I, p. 81-82.

60 - REV, t. I, p. 44 : « Admirez tout, disent-ils, sinon soyez anathème ! Ainsi on voudrait tuer au nom de la Révolution l’esprit de critique. Prenez-y garde ; c’est tuer du même coup la Révolution ».

61 - Simone Bernard-Griffiths, « Rupture entre Michelet et Quinet. À propos de l’Histoire de la Révolution » dans Paul Viallaneix (dir.), Michelet, cent ans après, op. cit., p. 151.

62 - Lorsque Quinet est pessimiste, Michelet est porté par l’espoir.

63 - On consultera avec profit les articles suivants de Simone Bernard-Griffiths : « Mythification et démythification de la Révolution dans l’œuvre d’Edgar Quinet  » et «  Autour de la Révolution d’Edgar Quinet. Les enjeux du débat religion-révolution dans l’historiographie d’un républicain désenchanté ».

b / D’une révolution l’autre

Une politique immorale s’applaudit d’un succès passager : elle se croit fine, adroite, habile ; elle écoute avec un mépris ironique le cri de la conscience et les conseils de la probité. Mais tandis qu’elle marche, et qu’elle se dit triomphante, elle se sent tout à coup arrêtée par les voiles dans lesquels elle s’enveloppait ; elle tourne la tête et se trouve face à face avec une révolution vengeresse qui l’a silencieu-sement suivie. Vous ne voulez pas serrer la main suppliante de la Grèce ? [IPJ, « Préface de 1826 », p. 70]

Les relations franco-hellènes ont été pour le moins chaotiques durant les années 1789-1821, c’est-à-dire entre le début de la Révolution française et celui du soulèvement grec. La France occu-pait en 1789 une place commerciale d’importance en Hellade au point que de nombreuses maisons de commerce se trouvaient dans les ports de Smyrne ou de Salonique. Mais « Les intrigues de la lointaine Constantinople et surtout le blocus anglais mettent rapidement fin à cette situation pri-vilégiée de la France, éloignée du théâtre central 64 ». Durant les années 1798-1802, la diplomatie française – auparavant acquise à l’Empire ottoman – prend peu à peu le parti de la Grèce. Pour Dimitri Nicolaïdis, dont nous partageons l’analyse, la diplomatie française ne cesse de tergiverser sur la situation grecque au tournant du XIXe siècle :

Comment en effet brandir l’étendard de la liberté, signe de reconnaissance de la France de la Révolution pour les peuples opprimés, et en même temps garantir ses intérêts stratégiques dans une région où les guerres révolutionnaires lui ont largement fait perdre son influence au profit des Anglais et des Russes ? Comment contribuer à la libération et à la régénération des « descendants d’un peuple si célèbre » sans remettre en cause l’alliance traditionnelle et nécessaire entre la France et la Sublime-Porte ? Pour les au-torités françaises, ce dilemme demeurera sans solution jusqu’à la bataille de Navarin (1827). Malgré la part active prise par la France, à la satisfaction de son opinion publique, dans le dénouement heureux de la guerre d’Indépendance, ces quelque quarante années qui séparent le début de la Révolution française de la fin de la Révolution grecque enregistrent un incontestable déclin de son influence en Méditerranée orientale, fait qui ne manque pas de colorer d’une façon particulière le philhellénisme français. 65

La France se trouvait dans une situation inconfortable et paradoxale puisqu’elle défendait d’un côté la souveraineté nationale et la liberté des peuples mais tenait à conserver, de l’autre, ses liens com-merciaux avec l’Empire ottoman et ses possessions. La période 1789-1821 voit se développer des rapports ambigus entre la France et la Grèce. À mesure que l’influence commerciale de la France décline en Grèce, son implication diplomatique philhellène grandit. L’obstacle égyptien au sou-tien de la cause hellène tombe lors de la campagne d’Égypte de Napoléon. Placée sur la route des Indes, l’Égypte est alors un promontoire commercial pour les Anglais. Le Directoire, soucieux de gêner l’Empire britannique, décide de l’attaquer de biais. Or l’Égypte est à l’époque sous l’égide de l’Empire ottoman. Autour de 1798-1801, Napoléon Bonaparte s’ouvre à l’idée de l’indépendance grecque car la situation d’oppression égyptienne qu’il a entraperçue in situ s’apparente à la situation

64 - Dimitri Nicolaïdis, « D’une révolution à l’autre, la France face au mirage grec », La Grèce en révolte. Delacroix et les

peintres français 1815-1848, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1996, p. 22.

grecque. Il s’offusque alors de l’hégémonie autocratique de la Sublime Porte et la condamne. La chute de Napoléon Ier et le retour au conservatisme ne seront pas favorables à la guerre d’indé-pendance. Pourtant les idéaux révolutionnaires français ont d’ores et déjà germé dans les pensées grecques. Les principes républicains de liberté et de souveraineté seront davantage véhiculés par l’opinion publique française que par l’action des politiques. Dans ce soutien français au conflit grec, l’opinion publique précède l’engagement diplomatique 66.

L’amitié franco-hellène s’expliquerait, selon Stavroula Kefallonitis, par des raisons d’ordre historique. Lors d’un colloque à Athènes 67, la chercheuse a ainsi rapproché les pays en proposant deux points d’accroche. Résistance et exception culturelle constitueraient le socle commun d’une médiation. Au début du XIXe siècle, la Grèce perçoit la France comme une nation illuminée par ses Lumières, au patrimoine culturel remarquable, qui a réussi à s’affranchir du joug monarchique. Les Français quant à eux gardent en tête l’image d’une Grèce au riche passé historique et légen-daire, berceau de la civilisation européenne et de la démocratie. Le rapport filial entre les deux pays s’inverse au XIXe siècle. Considérée comme la figure maternelle de la France avant les événements révolutionnaires, la Grèce devient au tournant du siècle la fille de la France. Le rapport de filiation est ainsi bouleversé dans l’ordre de dépendance. Avec 1789, la France devient maîtresse de son des-tin et inspiratrice d’idéaux. La situation politique française insuffle aux pays européens des valeurs universelles de liberté et de souveraineté, sources de révolutions européennes futures.

Si le soulèvement français influe sur le grec, il n’est pas certain que nous puissions employer le même terme pour désigner les deux réalités. Une question terminologique demeure devant l’em-ploi du terme de révolution, à dissocier de révolte ou de rébellion. On entendra par révolution une évolution brutale des opinions entraînant un bouleversement profond de l’ordre social, politique, moral ou économique. La révolution serait à entendre comme l’avènement temporel d’une nou-velle ère. Si le soulèvement français au tournant des XVIIIe et XIXe siècle fut nommé Révolution française – avec un R majuscule – c’est aussi parce que ce changement de régime fut réalisé dans un temps relativement restreint. La révolution serait en somme le degré fort du soulèvement national. Pour qu’il y ait révolution, il est nécessaire que le changement soit abrupt, concis et absolu, de sorte qu’aucun retour à la situation initiale ne soit possible. La mise en place d’institutions et de valeurs nouvelles est ainsi consubstantielle à l’émergence d’une nouvelle temporalité. La révolte désigne quant à elle le soulèvement d’une collectivité contre un pouvoir en place. Dès lors, dans l’échelle cataclysmique, la révolte représente un degré moindre au sens où elle n’est qu’accessoirement suivie de bouleversements sociaux, économiques ou moraux. La rébellion engendre quant à elle une vio-lence immédiate et absolue, à rapprocher de la révolte qui ne dure pas forcément dans le temps et qui n’est pas suivie d’effets à long terme. En conséquence, ces menues divergences terminologiques sont intéressantes puisqu’elles sont liées à la durée ou à la violence du conflit.

La Grèce vit au début du XIXe siècle un mouvement de soulèvement national, à rapprocher

66 - Cf. Chapitre 2, C « La scène politique ».

67 - Stavroula Keffallonitis, « Pour une approche pragmatique des traductions en français de textes d’historiens grecs anciens », Médiation et réception dans l’espace culturel franco-hellénique, Athènes, Aigokeros, 2015, p. 409-422.

de la révolte. La longue durée du conflit – une petite dizaine d’années – empêcherait de la nommer révolution. Bien plus, ce soulèvement s’apparente à une rébellion au sens où la Grèce tente de se libé-rer d’un pouvoir autocrate étranger. Si le terme de révolution semble galvaudé dans le cas grec, c’est aussi parce que la guerre n’a pas été suivie par des transformations majeures. En effet, ce sont les puis-sances européennes régentes qui ont imposé le nouveau régime politique au lendemain du conflit, à savoir le règne d’Othon Ier de Bavière. Dans le cas hellène, on préfèrera donc employer l’expression de guerre de soulèvement national. Pour autant, ces dissociations terminologiques ne sont pas fixes : Chateaubriand n’emploie guère le mot révolution dans son Voyage en Hellade pour la simple raison qu’il part avant l’élan insurrectionnel. À l’inverse, Quinet explique ses ambitions dans sa préface de 1830 dans laquelle il qualifie la situation présente d’ « oppression 68 » puis de « révolution » :

Enfin, ces faits lointains, dont on entendait peut-être encore un reste de retentissement dans les faits actuels, si l’on prêtait l’oreille, ne lui ont point fait oublier les détails de la révolution qui s’achève. Cette rencontre, tant souhaitée de la science, de l’art et des luttes de liberté sur un même sol, était une trop bonne fortune pour la laisser échapper. [GM, « Préface de 1830 », p. XCV]

La révolution symbolise le combat pour la liberté dont le caractère exceptionnel enjoint le voyageur à l’observation et à la réflexion. Quinet a conscience de vivre un temps « propice 69 » qu’il ne faut « laisser échapper ». Pour lui, le présent est en train de « changer de forme 70 » et pour comprendre ces bouleversements, il faut tourner les regards – devrait-on dire les oreilles – vers le passé. Ainsi « ces faits lointains » que sont les événements de l’histoire antique peuvent éclairer « les détails de la révolution qui s’achève ». Pour le dire autrement avec Quinet : « La liberté moderne se mesurait avec les siècles qui ne sont plus 71 ». La lecture du présent se réalise donc à l’aune de l’évaluation du passé. Bien plus, les événements présents permettent de proposer une nouvelle lecture des faits antiques. Ainsi « la Grèce ancienne redevenait pour nous sans comparaison plus nouvelle et plus originale que la Grèce moderne 72 ».

En somme, la Relation quinetienne propose le déploiement de l’écriture de l’histoire immé-diate autant, si ce n’est plus, que l’observation des lieux parcourus. Le Voyage littéraire contemplatif laisse souvent la place à un récit performatif à ambition politique :

Sans doute, ce lent relevé de décombres, ces journées de voyage à travers un champ de carnage, ont leur inévi-table monotonie. Mais dans des jours où tant de peuples font effort pour regagner avec leurs droits la part de

68 - GM, « Préface de 1830 », p. XCIII [ANNEXE 4]

69 - GM, « Préface de 1830 », p. XCIV [ANNEXE 4] : « Le temps du moins était propice. A travers les mouvements de notre évolution, pendant que le présent changeait de forme, la science du passé se renouvelait à proportion. La liberté moderne se mesurait avec les siècles qui ne sont plus. Plus d’idolâtrie, plus de faux semblants. Sans peur, on approchait, on jugeait, on expliquait […] ; si bien que la Grèce ancienne redevenait pour nous sans comparaison plus nouvelle et plus originale que la Grèce moderne ».

70 - Idem. 71 - Idem. 72 - Idem.

dignité qui commençait à leur manquer, ce ne saurait être complètement inutile que de mesurer d’un coup tout ce qu’un peuple est en état de perdre et de donner sans regret pour une cause semblable. Si notre civilisa-tion nous pèse par quelques points, il faut montrer quel sujet de merveille elle est à des nacivilisa-tions sorties à peine du seuil des époques primitives. À une société parvenue à son faîte et qui, si loin de ses origines, ne comprend plus comment elle a pu commencer, il est bon, pour savoir le chemin qu’elle a fait, de regarder en bas une société qui se débrouille à peine, et s’essaye déjà à se former à son image. [GM, « Préface de 1830 », p. XCV]

Écrire le présent reviendrait donc à « mesurer d’un coup tout ce qu’un peuple est en état de perdre et de donner », c’est-à-dire à pratiquer une analyse globale avec un esprit de système. Afin de parvenir à ce résultat, le penseur propose de faire de la France un modèle qui n’est autre qu’ « un sujet de merveille » pour toutes ces « nations sorties à peine du seuil des époques primitives ». Libre et source d’éclat, la civilisation française fait office de figure matricielle sortie des ténèbres de l’époque primi-tive. Nation « parvenue à son faîte », la France doit aussi apprendre de la Grèce pour redécouvrir son passé. Pour ce faire, Quinet conseille de « regarder en bas une société qui se débrouille à peine », autrement dit d’observer une nation – la Grèce – tout juste en train de renaître pour comprendre, par effet de miroir, la renaissance effective de sa propre nation. Fort de sa culture antique, l’historio-graphe n’oublie pas non plus les éternels conflits entre la Grèce et le monde byzantin :

La première condition pour bien servir la Grèce est d’apprécier avec justesse les causes de la révolution moderne. Depuis la fin de l’Antiquité, les provinces incessamment renouvelées ne passent pas un demi-siècle sans tenter d’échapper au monde byzantin. Même sous la domination chrétienne, une continuelle rumeur qui n’est étouffée que par la facilité des concessions inquiète de ce côté la cour monacale des empereurs d’Orient. [GM, VII, p. 164]

« Apprécier avec justesse les causes de la révolution » revient à utiliser ses connaissances historiques