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Ce génie grandiose du romantisme, dans son ambition d’une vision synthétique de l’histoire, embrassant les temps et les espaces, c’est Edgar Quinet qui en dépit de son échec littéraire le représente le mieux… Il est le poète de la philosophie de l’histoire. [Pierre Albouy, Mythes et Mythologies dans la littérature

fran-çaise, Paris, Armand Colin, coll. « U2 », 1969]

196 - Revue Écrire l’histoire, n° 16, « Accélérations » : [https://elh.revues.org].

197 - EH, « Préface », p. 3 : « Les sociétés anciennes périssent : de leurs ruines sortent des sociétés nouvelles : lois, mœurs, usages, coutumes, opinions, principes même  : tout est changé. Une grande révolution est accomplie, une grande révolution se prépare : la France doit recomposer ses annales, pour les mettre en rapport avec les progrès de l’intelligence ».

L’image d’un penseur total proposée par Pierre Albouy, faisant d’Edgar Quinet un poète au-tant qu’un historien – ou un philosophe de l’histoire – confirme l’intuition de cette présente étude. À l’heure romantique où les sciences s’établissent, il n’est pas rare de croiser des intellectuels qui ne se soucient guère des tentatives de classifications. Edgar Quinet prend acte de ce mélange des genres et choisit la poésie pour retracer son périple au pays du logos. Au moment où est affichée l’ambition de retracer les « systèmes » inhérents à la Grèce, le jeune intellectuel français justifie son choix générique :

C’est à cette dernière vue [rétablir l’âme et le corps de la Grèce] que l’auteur s’est arrêté. Afin de la mettre dans tout son jour, il est vrai qu’il n’a point procédé avec des formes dogmatiques. Au contraire, il a cru que pour mieux approcher de la représentation vraie d’un pays tout formé de poésie, il devait demeurer lui-même dans les termes où l’art reste possible, et il a conservé la marche d’un voyage. [GM, « Préface de 1830, p. XCIV]

L’auteur aurait pu utiliser un ton péremptoire au travers de « formes dogmatiques », telles que l’essai ou le pamphlet pour transcrire son expérience hellénique. Néanmoins la dominante littéraire fut préconisée afin de faire correspondre son discours au genre institué dans le territoire traversé. Au pays de l’épopée, l’historien en devenir se devait d’employer le médium littéraire. Pour autant, cette ambition formelle n’empêche nullement l’établissement du regard historique dans la Grèce moderne. Dans la théorie de l’histoire d’Edgar Quinet, deux étapes sont perceptibles en amont du périple grec. Dès 1820 au Collège de Lyon, « le sentiment de l’histoire [s’était] éveillé dans [s]on esprit 198 », établi par le biais du culte démystifié par sa volonté de tout rationaliser. Or ce « sentiment de l’histoire » occupera ses recherches tout au long de sa vie, avant comme après la circumnaviga-tion. Le premier jalon de sa philosophie de l’histoire est posé avec l’Essai sur l’histoire moderne dont Willy Aeschimann 199 retrace les grandes lignes. Écrit après les Tablettes du Juif errant, ce texte ina-chevé date de 1823. À tout juste vingt ans, le grand lecteur a pour influences les travaux de Madame de Staël (De la littérature, De l’Allemagne) et les ouvrages de Chateaubriand dont les lectures d’Atala,

René, le Génie et l’Essai sur les Révolutions ont tôt fait de l’influencer dans son écriture

historiogra-phique :

Quinet réunirait, sur le plan de l’histoire, les deux filières issues de Rousseau : la première, artistique, qui va de Bernardin de Saint-Pierre à Chateaubriand ; la seconde, religieuse et politique, qui conduit à Mme de Staël et à B. Constant. Et voilà condamnés le « scepticisme moqueur », le ton « persifleur et cynique » de Voltaire si sensible dans Candide, « cet ouvrage d’une gaieté infernale », et les Tablettes, reniées aussi-tôt que publiées. Le compromis de 1820 se révèle judicieux : Quinet découvre la Muse romantique de l’histoire. 200

198 - Son autobiographie rend compte de la formation de ses idées, notamment historiques : [HI, IV, p. 147]. 199 - Willy Aeschimann, La Pensée d’Edgar Quinet. Étude sur la formation de ses idées avec essais de jeunesse et documents

inédits, Paris-Genève, Éditions Anthropos, 1986, IV, p. 111-134.

Avec l’Essai sur l’histoire moderne, le jeune Quinet devient le chantre d’une historiographie tournée vers l’imagination, pensée qu’il doit entre autres à Madame de Staël, qui a révélé l’harmonie créatrice formée par le binôme érudition/imagination. Cet essai effectue une synthèse de l’histoire de la civi-lisation médiévale et moderne ; il dresse un état des lieux des mœurs, des arts et de la politique tout en excluant le champ de l’économie. Edgar Quinet prend le parti d’une forme dogmatique pour pro-poser un condensé de ses lectures pléthoriques. Au centre de sa pensée historique réside l’idée que la liberté régit les mouvements de l’histoire. Fondement de sa théorie, la liberté se réalise par l’entremise de la souveraineté des nations, autrement dit par l’indépendance de chaque peuple face à ses voisins. Se dessine ainsi l’historiographie révolutionnaire d’Edgar Quinet qui préconise l’esprit de liberté plu-tôt que la servilité et explique une Révolution en fonction de celles qui la précèdent. En ce sens, les efforts des peuples entrepris pour accéder à la liberté retrouvée doivent être soutenus par l’historien.

Outre cette clause fondamentale d’accession à la liberté, cinq lignes directrices apparaissent dans cet essai historique. Ces préceptes à suivre pour tout historien sont résumés par le critique Willy Aeschimann :

1° Écrire l’histoire du peuple pour le rendre conscient de ses droits et apte à assumer son destin. 2° Découvrir une cause transcendante en montrant les rapports de la Providence avec le monde moral : comme Mme de Staël, il refuse la conception voltairienne d’une histoire soumise au hasard et suit, semble-t-il, Chateaubriand [GC], pour qui l’ordre physique et moral de l’univers est « combiné » par Dieu.

3° Préciser l’enchaînement des révolutions à travers les siècles […]

4° Parvenir à une contemplation de l’histoire distinguant sous son apparente « similitude » la diversité des rapports de civilisation (religion, lois politiques).

5° Écrire l’histoire de l’homme individuel, privé, mettre à nu « le secret des âmes ». 201

Le lecteur attentif perçoit ici plusieurs éléments qui se vérifieront dans le texte grec. La focalisation sur la souveraineté des peuples, l’interrogation sur les cycles des Révolutions, le regard intéressé sur les acteurs individuels de l’histoire et le rapport entretenu entre la destinée et la Providence divine sont, à n’en pas douter, les marques tangibles de l’écriture de l’histoire grecque de Quinet. La théorie précède donc d’une dizaine d’années la mise en pratique dans l’écriture viatique. Marqué par les désillusions de la Révolution française, le jeune Quinet propose une vision pacifiste. Cet embryon d’une philosophie de l’histoire posé dans l’Essai sur l’histoire moderne en 1823 met en avant l’image d’un peuple qui doit être disposé à se libérer du joug qui l’étreint. La vérité historique serait enfin à chercher dans l’alliance entre, d’un côté, l’imagination et la sensibilité, et de l’autre, le rationalisme de la pensée historique.

La seconde étape de sa philosophie de l’histoire prend place à Heidelberg, à l’aube de son dé-part pour la Grèce. Le Français y a été à bonne école tant les maîtres à penser allemands l’ancrèrent sur la voie de la philosophie de l’histoire grecque. Son séjour germanique auprès de l’école d’Heidel-berg – de janvier 1827 à janvier 1829 – confirmera son enthousiasme pour l’Orient :

Un peu avant que nos philhellènes s’armassent pour elle, d’autres hommes s’étaient insurgés à leur ma-nière contre l’abâtardissement des traditions qui nous voilaient et pâlissaient l’Antiquité. C’est Gœrres qui, avec la richesse de végétation d’une forêt du nouveau monde, où tout croît, où tout vit, où tout s’ébranle à la fois, dispersait son génie sur les chemins perdus de l’Orient, et s’y livrait si bien que de vouloir reconstruire parmi nous une société asiatique. C’est Creuzer qui élevait lentement un monument cyclopéen, nu, large, aux bases de granit, et qu’il dorait au sommet des gracieuses lueurs de l’Anthologie. C’est Müller qui mettait à débrouiller les commencements des races de Xuthus la sagacité et le sérieux que d’autres ont mis parmi nous à suivre les phases du Long parlement et de la Convention. L’auteur a profité de ces lumières […] [GM, Préface de 1830 », XCIV-XCV].

La Grèce d’avant 1825 était déjà pour lui en plein « abâtardissement des traditions » du fait de l’oppression ottomane qui aurait rendu les Modernes Hellènes assujettis à l’oubli. Loin de se sa-tisfaire de cette « pâle » Antiquité, Edgar Quinet tient à rendre hommage à l’héritage germanique qu’il a reçu. Après avoir cité les philosophes de l’histoire de la Grèce antique, l’intellectuel explique à quel point il « a profité [de leurs] lumières », le laissant toutefois maître de son entreprise histo-riographique. Gœrres, Creuzer et Muller sont autant de penseurs ayant façonné sa connaissance de l’histoire, spécifiquement antique. Étudier avec l’auteur de la Symbolique et Mythologie des peuples

antiques, et surtout des Grecs (la traduction française de Guigniaut paraît en 1825), à Heidelberg

ap-paraît comme une étape nécessaire vers la Grèce. Par le biais de son ami Victor Cousin, il découvre l’helléniste Creuzer, qui sera une source d’inspiration sans égal :

Grâce à Creuzer et à Guigniaut, Quinet découvre la richesse symbolique des religions orientales, telles qu’elles apparaissent chez les Hindous avec le Rig-Véda, le Râmâyana, le Mahâ-Bhârata dont fait partie la Bhagavad-Gîtâ, et en Iran, avec le Zend-Avesta. Tout fait croire alors que la civilisation a pro-gressé d’Est en Ouest. De plus, pour Creuzer, la mythologie s’explique, à l’instar des Alexandrins, par un symbolisme moral ou mystique, de nature essentiellement religieuse. Il ouvre ainsi la voie aux explo-rations les plus audacieuses de la psychologie du XXe siècle. Goerres procède de même dans Mythen-geschichte der asiatischen Welt (Histoire des mythes du monde asiatique) [1810] ; « malgré l’excentricité qu’on lui reproche, écrit Quinet, [il] envisage avec une vraie profondeur l’aspect poétique et religieux de l’Orient » (lettre à Michelet de mars 1828). [GM, « Introduction », p. XXXV-XXXVI]

Les commentaires éditoriaux de Willy Aeschimann éclairent l’intérêt d’un tel séjour à Heidelberg qui aura permis l’ouverture vers de nouvelles recherches historiques, tournées principalement sur l’alliance entre la légende et l’histoire, via l’étude des mythes. Edgar Quinet s’y trouve confronté à une pensée germanophone en phase avec la poésie, la religion et l’histoire, n’ayant de cesse d’interro-ger le génie primitif des peuples. Dès lors, l’Allemagne se présente aux yeux de Quinet, comme une porte vers l’Orient 202. Cette observation du caractère primitif d’une société, inspirée de la pensée allemande, est également revendiquée dans la « Préface de 1857 » précisant que le pays des Hellènes

202 - Laurence Richer, « Les lettres allemandes de Quinet », dans Pierre-Jean Dufief (dir.), La lettre de voyage, Actes du colloque de Brest, Novembre 2004, p. 88 : « Le projet même de se rendre en Grèce, que Quinet élabore en Allemagne, est sans doute lié au séjour allemand. Le retour vers une autre source de la civilisation naît en cette ville où il pense toucher l’histoire du doigt ».

est « redevenu primitif par l’effet du carnage et de la déprédation ». La société primitive l’intéresse donc dans la mesure où son observation induit une approche originale sur le pays traversé, actant le caractère cyclique de l’histoire. Interroger l’histoire grecque des origines, notamment l’époque des Pélasges 203 « mangeurs de glands », aurait son intérêt puisque les Modernes rencontrés vivraient des conditions analogues de retour à la « déprédation ». L’histoire serait à penser à la lumière de la reli-gion puisque les croyances – dont le parangon est le mythe – régissent les sociétés dites primitives. Si l’Allemagne est la voie quinetienne de l’intellection de l’histoire grecque 204, la pensée de Johann Gottfried von Herder l’éclaire davantage que celles de Georg Friedrich Creuzer ou de Jo-hann Joseph von Gœrres, ouverts à d’autres ères géographiques. « C’est vers la Grèce, comme vers son berceau, que la philosophie de l’histoire reporte ses regards, c’est là qu’elle a passé sa brillante jeunesse 205 » écrit Herder dans les Idées sur la philosophie de l’histoire. La pensée historique naîtrait en Hellade puisque l’origine de l’humanité, notamment religieuse, serait à chercher dans ce balcon en Orient que représente la Grèce du XIXe siècle. C’est au travers de cette voie qu’Edgar Quinet – tra-ducteur des Idées sur la philosophie de l’histoire – approche l’histoire grecque. Or pour comprendre sa pensée historique sensible dans la Grèce moderne, il faut se tourner vers l’Introduction de l’ouvrage d’Herder publié en 1827 qui établit trois jalons de sa pensée historienne. Le premier consiste en un rapprochement fondamental entre l’Histoire et l’esprit de Liberté :

En un mot, l’histoire, dans son commencement comme dans sa fin, est le spectacle de la liberté, la pro-testation du genre humain contre le monde qui l’enchaîne, le triomphe de l’infini sur le fini, l’affranchis-sement de l’esprit, le règne de l’âme : le jour où la liberté manquerait au monde serait celui où l’histoire s’arrêterait. [INTRO. HERDER, p. 34]

L’idée d’une convergence entre Histoire et Liberté fait sens chez le futur Républicain qui avait fui la Restauration française pour raisons politiques, méprisant la servilité du pouvoir français. Le retour à la monarchie des Bourbons entre 1814-1815 et 1830 est à appréhender selon lui comme le signe d’une stase dans le processus historique. Au moment de la Restauration, la France serait dénuée de toute historicité caractéristique d’un État de droit. Dans la pensée quinetienne de l’histoire, toute oppression dénote donc la suspension même de toute historicité. Ainsi la France de la Restauration est-elle qualifiée d’anhistorique et peut jouer d’écho avec la Grèce entraperçue en 1829. Nul doute que la perception du modèle historique français influe sur la considération de la Grèce. Le deuxième jalon de la philosophie de l’histoire de Quinet aurait à voir avec l’infini, l’éternité et le temps sacré, mar-quant l’influence tangible des théories de Creuzer et Gœrres. Ce dessein historiographique interroge les croyances religieuses et mythologiques qui feront l’objet du chapitre 4. Sa théorie de l’histoire en germe

203 - L’époque est à la pensée en une Grèce primitive habitée par les Pélasges « mangeurs de glands », les Achéens et les Doriens.

204 - LM, p. 47 : Dans une lettre à sa mère datée du 7 octobre 1826 le fils écrit depuis Strasbourg que la rencontre du Rhin « lui fait penser à tout ce qu’il y a d’illimité dans l’histoire ». C’est dire à quel point l’Allemagne se présente comme une source d’inspiration historique pour le jeune Quinet fuyant la Restauration.

se dote encore d’un axe méthodologique qui vient complexifier la conception cyclique proposée par l’analyse des mythes : « Il restait donc à fonder la science en introduisant dans l’histoire des éléments de fixité, et en donnant un caractère de consistance aux phénomènes jusque-là éphémères et presque insaisissables dont elle se composait 206. » L’histoire comme science aurait donc tout intérêt à s’instaurer sur des jalons qui pourraient être des événements marquants l’histoire. Pour ce faire, il propose à tout historien de s’appuyer sur ce qu’il nomme des « éléments de fixité ». En somme, la philosophie de l’his-toire de Quinet tient en un mélange dichotomique entre une pensée du mythe, a priori cyclique, et la prise en charge de l’événement, symptomatique d’une écriture linéaire. Cette science émergente qu’est l’histoire aurait enfin trois champs d’application : « Ou l’histoire raconte la vie d’un individu, ou celle d’un peuple, ou celle de l’humanité, dans laquelle les peuples et les individus vont se perdre ». Le choix du verbe « raconter » montre d’emblée que l’histoire se propose comme un récit de vies plurielles. La narration tient lieu de point de jonction entre l’histoire et le roman soulignant le problème de la vérité des faits contés, à l’image de la formule de Paul Veyne définissant l’histoire comme « un roman-vrai 207 ». Reste à savoir si ces fragments théoriques s’illustrent par l’exemple dans La Grèce moderne et

ses rapports avec l’Antiquité. Pour tenter une telle approche, il faut se tourner en premier lieu vers le

paratexte à même d’offrir quelques éclairages. À la lecture des préfaces de 1830 et 1857, le lecteur découvre que la philosophie de l’histoire selon Quinet aurait à voir avec une observation analytique de l’environnement. L’esprit scientifique qui émane du Voyage se perçoit ainsi à l’aune de la focali-sation sur la situation de crise vécue par les Grecs en 1829 :

Sans doute, ce lent relevé de décombres, ces journées de voyage à travers un champ de carnage, ont leur inévitable monotonie. Mais dans des jours où tant de peuples font effort pour regagner avec leurs droits la part de dignité qui commençait à leur manquer, ce ne saurait être complètement inutile que de mesurer d’un coup tout ce qu’un peuple est en état de perdre et de donner sans regret pour une cause semblable. [GM, « Préface de 1830 », p. XCV]

La dimension littéraire du texte est ici mise de côté afin d’exposer la méthode scientifique sen-sible dans les vocables « relevé » et « mesure ». L’objectif revendiqué semble être de « mesurer d’un coup tout ce qu’un peuple est en état de perdre et de donner ». L’on sent ici à quel point le regard englobant et réflexif de l’observateur sera capable d’approcher un instantané de la situation grecque d’alors. Lorsque le traducteur de Herder préconisait une historiographie à même de ne s’intéresser qu’à l’individu, au peuple ou à l’humanité, le champ d’application s’applique ici au peuple seul. Or ce peuple vit dans « un champ de carnage » et peine à se relever. La question délicate de la résurrec-tion des peuples est soulevée de façon sous-jacente puisque Quinet remarque les efforts effectués par les peuples en manque de dignité, de souveraineté, et in fine, de liberté. L’interrogation historienne sur la décadence des peuples sera martelée davantage encore dans la préface de 1857. Le terme de peuple est alors éclipsé par celui de nation entendu comme peuple unifié ayant acquis des droits :

206 - INTRO. HERDER.

« Y avait-il encore une nation, un avenir sous cette blanche poussière d’ossements humains ? […] En relisant ce tableau, on avouera que jamais peuple n’est descendu plus avant dans la mort. […] Où est la nation en Europe qui n’ait point fait de chutes ? 208 ». La décadence du peuple grec – comparée à une chute en avant vers la mort – est au centre du débat dans la mesure où, en 1857, la Grèce serait retombée dans une situation précaire : « Après s’être relevée, la voilà retombée ». Tout porte à croire que le peuple grec, qui s’est relevé de l’oppression turque à partir de 1830 vit à nouveau des heures sombres. Or ces cycles infinis de vie et de mort du peuple hellène font bel et bien penser à une conception cyclique de l’histoire, marquant la résurrection des nations. Cette palingénésie inhérente à la pensée quinetienne de l’histoire était déjà sensible au moment de publier la Grèce moderne pour la première fois :

Le temps du moins était propice. À travers les mouvements de notre évolution, pendant que le présent changeait de forme, la science du passé se renouvelait à profusion. La liberté moderne se mesurait avec les siècles qui ne sont plus. Plus d’idolâtrie, plus de faux semblants. Sans peur, on approchait, on jugeait, on expliquait ces colosses par les colosses de nos jours ; si bien que la Grèce ancienne redevenait pour nous sans comparaison plus nouvelle et plus originale que la Grèce moderne. [GM, « Préface de 1830 » p. XCIV]

Au moment où Quinet publie son tableau de la Grèce, il explique avoir pris conscience du re-nouvellement de l’histoire. Or la science du passé a pour objet d’envisager la liberté future par le