• Aucun résultat trouvé

L’expérience touristique comme moteur du tourisme L’expérience au cœur du tourisme

Touristes, industrie touristique et destination : les trois principaux

Section 2. Éclairage sur les trois principaux composants du tourisme et de la compétitivité

2.1. Les touristes au cœur de la compréhension du tourisme

2.1.3. L’expérience touristique comme moteur du tourisme L’expérience au cœur du tourisme

« To consume tourism is to consume experiences » (Sharpley, et al., 2010).

Cette phrase introductive de l’ouvrage de Sharpley et Stone (2010) montre bien l’importance de l’expérience au sein de l’univers du tourisme. Ainsi, « le produit touristique est d’abord et avant tout la représentation mentale qu’un individu se fait du voyage qu’il désire entreprendre » (de Grandpré, 2007). Selon Williams

48

(1998), l’expérience touristique comprend plusieurs phases : une phase initiale de planification du voyage, le voyage en lui-même, l’expérience durant le séjour, le retour du voyage et le souvenir de ce voyage. En effet, ce voyage sera rappelé plusieurs fois lors de discussions avec des amis, en regardant les photos ou vidéos des vacances. L’expérience touristique se compose d’éléments spécifiques tels que la motivation, la perception, relation tourisme-hôte, etc.

Elle se forme d’expériences culturelles et de loisirs, que le touriste cherche à vivre lors de son voyage. La motivation principale des touristes est en effet de satisfaire cette pulsion, l’envie de cette expérience qui contribue à façonner le produit. Comprendre l’envie de cette expérience permet de comprendre la nature des relations entre ces éléments et d’expliquer la dynamique du tourisme.

L’expérience touristique et la recherche d’authenticité

L’essence des vacances est souvent décrite comme provenant de l’envie ou du besoin de rupture de la routine. De nombreux sociologues se réfèrent à cette quête de la différenciation de la vie quotidienne (Cohen, 1984; Cohen, et al., 2012; Crompton, 1979; Dann, 1981; MacCannell, 1973; Uriely, 2005). Uriely (2005) postule que l’expérience touristique permet de suspendre les règles et normes de la vie de tous les jours, et ainsi de vivre différemment de manière temporaire. Le développement du tourisme est également appréhendé par les sociologues et anthropologues comme un produit de la société urbaine industrielle. L’industrialisation a poussé les individus dans les villes, qui recherchent désormais à s’en évader périodiquement (Raboteur, 2000).

Stravrakis (1979) montre que plus la taille des villes augmente, plus le nombre de départs en vacances est important.

Au cours du XXe siècle, la recherche sociologique du tourisme a été dominée par la question de la relation entre le tourisme et la modernité (MacCannell, 1973; MacCannell, 1976; Wang, 1999) et en particulier par la question de l’authenticité comme un motif culturel dans l’expérience touristique (Hillman, 2007). Pour Mac Cannell (1973), les touristes sont en fait à la recherche d’authenticité. S’inspirant des concepts d’aliénation de Marx, et de mise en

49

scène de Goffman, Mac Cannell analyse la quête touristique comme une tentative d’échapper à l’aliénation, en allant chercher derrière la scène touristique, la « vraie vie » (Cousin, 2011).

L’Homme pense ainsi quitter ce sentiment d’aliénation qu’il vit au travail en voyageant. Il souhaite s’éloigner de la « vie réelle » caractérisant la modernité, tout en vouant une fascination à la « vie réelle » des autres, comme une tentative sans cesse renouvelée d’aller voir dans les coulisses. « […] Les modernes pensent la réalité et l’authenticité comme étant autre part : dans d’autres périodes historiques ou dans d’autres styles de vie plus purs et plus simples » (MacCannell, 1976). Il se crée ainsi une relation superficielle au présent et le goût nostalgique d’un passé fantasmé (Cousin, 2011). Selon Cousin (2011), cet idéal peut être caractérisé soit par la nostalgie (impression que d’autres formes de vie, qui correspondent à notre passé, sont plus pures, plus spontanées, plus vraies), soit par le romantisme (exaltation des sentiments, des sensations et de la spontanéité en contrepoint de vies quotidiennes caractérisées par la rationalité moderne).

La dédifférenciation entre vie quotidienne et expériences

Uriely (2005) montre comment la différenciation entre vie quotidienne et expériences touristiques s’est amoindrie au cours du temps et conclut sur la dédifférenciation du tourisme. Ainsi, de nombreux visiteurs partent en vacances pour pratiquer une activité qui fait déjà partie de leur vie quotidienne, comme la randonnée, l’escalade, le VTT, etc. Par ailleurs, la profusion d’images, de vidéos, et de reportages sur de nombreuses destinations par différents médias rapproche le moment des vacances de la vie quotidienne. Le touriste intellectualise sa future expérience touristique comme un agent rationnel de la théorie économique, le transformant en consommateur et non plus en voyageur.

L’homme moderne recherche une authenticité en dehors de la modernité, mais il se retrouve à jouer un rôle, celui du touriste caractérisé par l’inauthenticité.

« L’aliénation du travailleur s’arrête où l’aliénation du touriste commence » (MacCannell, 1976). Cette quête est donc forcément vouée à l’échec, puisque la

50

présence des touristes induit une mise en scène des coulisses et lieux de rencontre avec la population locale, qui deviennent une nouvelle scène, avec de nouvelles coulisses. Les touristes peuvent être dupés ou voir leurs espoirs déçus. Il leur est difficile d’accéder à l’arrière des coulisses. Même lorsque certaines coulisses leur sont présentées, elles sont également mises en scène. Il s’agit alors d’authenticité mise en scène (Cravatte, 2009). Ce concept d’authenticité mis en scène (MacCannell, 1973; MacCannell, 1976) a profondément marqué la recherche en anthropologie et sociologie du tourisme, prenant à contre-pied une tradition d’opposition entre le vrai et le faux dans de nombreux écrits critiques sur le tourisme (Boorstin, 1964).

La quête de l’authenticité : l’authenticité chaude et l’authenticité froide

Plusieurs sociologues et anthropologues proposent de distinguer différentes formes d’authenticité. Les travaux de Selwyn (1996) sur l’opposition entre l’authenticité chaude et l’authenticité froide permettent d’élargir le concept d’authenticité. L’authenticité froide est rattachée aux connaissances scientifiques, tandis que l’authenticité chaude se fonde sur des « mythes » touristiques. En effet, le tourisme produit des images idylliques des territoires et des nations, un récit utopique de la rencontre entre Soi et l’Autre (Cousin, 2011). Ces constructions théoriques de l’authenticité chaude présentent l’intérêt de théoriser des mythes identifiables et descriptibles. Elles structurent l’expérience touristique, sans confondre cette recherche d’authenticité avec l’exigence de connaissances. Cette authenticité chaude aborde également la dimension rituelle et extraordinaire de l’expérience touristique (Cousin, 2011).

Wang (1999) propose de retenir une troisième forme d’authenticité : l’authenticité objective, c’est-à-dire l’authenticité originelle que l’on rapproche à l’authenticité froide de Selwyn, l’authenticité constructiviste, celle construite par les touristes, mais également les professionnels, et l’authenticité existentielle, qui se rapproche de l’authenticité chaude, qu’il définit comme « un état existentiel dans lequel chacun serait fidèle à lui-même, qui agirait comme un

51

antidote face à la perte du “vrai soi” dans les rôles et les sphères publiques de la société occidentale moderne » (Cousin, 2011; Wang, 1999).

Taylor (2001) montre également dans un article sur la présentation des Maoris en Nouvelle-Zélande qu’au-delà de l’authenticité mise en scène, il existe également une recherche de « sincérité » de la part des touristes, qui porte sur la qualité de la relation entre touristes et prestataires. La marchandisation ne mène pas nécessairement à une perte irrémédiable d’authenticité. Elle peut être également un moyen de rendre plus vivaces certaines pratiques aux yeux des autres. Mac Kean (1977, 1989) démontre que le développement du tourisme de l’ile se fait « main dans la main » avec la conservation de la culture traditionnelle. La promotion de l’art touristique peut ainsi servir d’occasion pour les artistes autochtones de préserver leur culture. À l’inverse, une authenticité fondée sur des « faux » peut aussi provoquer une expérience authentiquement sociale (Selwyn, 1996). L’exemple le plus cité est celui du mémorial d’Hiroshima qui est reconstruit pour les touristes sous sa forme à moitié détruite, afin de renforcer une sensation de souffrance et ainsi le sentiment d’appartenance à un collectif.

Les motivations des touristes vues au-delà de la notion d’authenticité Enfin, le désir d’authenticité n’est pas partagé par tous. L’action, la récréation et le repos ont des buts qui ne relèvent pas de la quête d’authenticité. L’achat d’un forfait dans un hôtel-club en Tunisie ou en République dominicaine ne répond pas à un motif d’authenticité comme le décrit Mac Cannell. L’action, la récréation et le repos ont des buts qui ne relèvent pas uniquement de la quête d’authenticité. Pourtant, cela n’implique pas non plus que les moments vécus lors de ces séjours ne seront pas considérés comme « authentiques » par les protagonistes. Comme l’écrit Cravatte (2009) : « […] Si la recherche d’un ailleurs plus authentique est prégnante dans les catégories touristiques, présupposer que tous les touristes se sentent aliénés par la société moderne et sont en quête d’authenticité est une hypothèse lourde, aussi lourde que de renvoyer systématiquement les touristes à l’inauthenticité de leur expérience. Il y a ici un risque de généralisation non contrôlée d’une préoccupation qui peut

52

émaner de groupes sociaux spécifiques, auxquels les anthropologues appartiennent ».

Ces perceptions de l’expérience des touristes et de l’authenticité sont des conceptions occidentales du fait touristique. Les touristes venant d’Asie ont une tout autre perception du tourisme et leurs motivations sont à l’opposé de celles des touristes occidentaux. « La valorisation touristique est perçue par les autorités chinoises comme un outil politique et idéologique pour faire accepter les réformes, et pacifier les conflits. La pratique touristique est vécue comme l’expérience moderne par excellence » (Cousin, 2011). Les touristes chinois recherchent des infrastructures, des hébergements et des loisirs qui incarnent cette modernité, à l’opposé des touristes occidentaux cherchant à oublier la mise en scène touristique. Liu (1997) note ainsi que ces touristes sont incités à voyager selon une règle particulière : des localités pauvres vers les régions riches, des régions rurales vers les centres urbains, de la Chine vers l’Occident.

Cette préférence explique le succès des parcs d’attractions, mais aussi des sites naturels et traditionnels reconstruits et mis en scène. Les touristes chinois venus visiter l’Europe expriment leur frustration de ne pas voir assez de symboles de la modernité du capitalisme, ce qu’ils sont venus visiter tout autant que les sites traditionnels (Nyiri, 2006). Eux aussi cherchent une forme d’authenticité. Alors que les Occidentaux identifient l’authenticité au passé, les Asiatiques recherchent les symboles du présent et, peut-être, de l’avenir (Evrard, 2006).

Différentes expériences pour différents touristes

« L’expérience touristique est un phénomène pluriel et divers » (Uriely, 2005).

Les gens peuvent avoir différentes motivations d’un voyage à l’autre ou même dans le même voyage (Cohen, 1984). Ainsi, différents types de touristes peuvent désirer différents types d’expériences touristiques. Cohen (1972) propose de regrouper les touristes en quatre catégories, en fonction de leur désir de familiarité ou de nouveauté. Tout d’abord, le vagabond va chercher la nouveauté à tout prix, même dans l’inconfort et le danger. Il va essayer d’éviter tout contact avec les « touristes ». La nouveauté sera leur objectif principal.

53

L’explorateur recherche des vacances « hors des sentiers battus ». Néanmoins, il reste plus prudent que le vagabond et recherche des hébergements confortables et des transports sûrs. Les touristes de masse individuels vont utiliser les installations institutionnelles du système de tourisme (vols réguliers, réservations centralisées, transferts, etc.). Ils organisent autant que possible par leurs propres moyens leur séjour, quitte à fréquenter les mêmes sites que les touristes de masse. Enfin, le touriste de masse en groupe a besoin d’une zone de confort qui sera créée, alimentée et entretenue par l’industrie du tourisme international. Il achète des vacances à forfait pour supprimer toute mauvaise surprise et tout risque.

Le regard du touriste

Urry (1990, 2012) montre que le regard du touriste (tourist gaze) modifie l’expérience touristique. Il s’inspire des travaux de Foucault (1963) et du concept de « regard médical » développé dans son ouvrage. Foucault utilise ce terme pour désigner la séparation du patient entre son corps déshumanisé et son identité, qui le confine dans sa « condition ». Il s’instaure ainsi un rapport hiérarchique entre le patient malade et impuissant et le médecin en bonne santé et sage. Urry (1990) montre que le regard (gaze) du touriste est socialement organisé et systématisé, comme le regard du médecin. Le lieu (site) devient une vue (sight). « La nature sauvage devient un paysage pittoresque. Les touristes visitent les églises, mais n’y prient plus. Les maisons de pêcheurs ont tourné le dos à la mer alors que les chambres d’hôtel y font face » (Urry, 1990). Bajc (2011) insiste sur l’imaginaire que véhicule une photo et sur l’expérience touristique que cela va impliquer. « Une photo d’un couple s’embrassant dans les rues de Paris ne vise pas simplement à capturer un comportement amoureux sur une rue, mais plutôt l’idée d’un Paris romantique.

De même, une photo du Grand Canyon ne montre pas seulement une formation géologique inhabituelle, mais plutôt l’idée d’une beauté naturelle inégalée » (Urry, 1990). Ce « gaze » est l’expression d’un processus de construction de l’expérience touristique. Il englobe tous les attentes et stéréotypes du touriste dans sa quête d’authenticité. En réponse, les populations locales leur renvoient ce regard biaisé, dans le but d’un développement économique via le tourisme.

54

« Ces regards permettent ainsi de créer ce qu’ils vont rencontrer au cours de leur voyage et alimenter le désir de faire l’expérience de ces imaginaires particuliers » (Bajc, 2011).

Cependant, les touristes ne sont pas les seuls responsables de ce processus.

Comme le souligne Uriely (2005), certaines activités touristiques sont considérées comme authentiques non pas de manière intrinsèque, mais par construction tant par les touristes que par les professionnels du tourisme.

L’envie de voyager s’actualise sous l’influence de l’information dont les touristes disposent, de la promotion dont ils sont la cible, ainsi que des possibilités qui s’offrent à eux (palette de choix de destinations potentielles, temps et argent disponibles, pression sociale, etc.). Le tourisme est établi comme une industrie qui cherche à construire et développer notre regard en tant que touriste.

Comme toute la production industrielle, le tourisme est normalisé, monté et produit en série. Depuis Karl Baedeker et Thomas Cook, c’est-à-dire les débuts du tourisme moderne, les sites sont assemblés aux circuits à forfait, qui sont ensuite vendus comme un bien de consommation de masse. Les sites touristiques sont devenus des marqueurs sur lesquels repose l’attractivité touristique des destinations. Les efforts de promotion des voyagistes, les médias populaires, et les gouvernements locaux, tous contribuent à la production de l’attractivité touristique et donc du regard touristique.

Une typologie de la quête des touristes

Quelques années après, Cohen (1979) propose une approche plus empirique de la quête des touristes. Il développe alors une typologie phénoménologique, plus théorique qu’inductive, fondée sur le rapport que le touriste entretient avec sa société et avec la manière dont il situe son centre électif. Le « centre » ne fait pas référence à une notion géographique, mais plutôt comme un centre des relations sociales dans lequel vit initialement le touriste. Le tourisme apparait donc comme une expérience récréative, dans le sens où il permet une évasion temporaire du « centre ». Ainsi, le touriste « récréatif » reste attaché au

« centre », mais il n’est pas aliéné par la société. Il cherche une forme d’authenticité dans le voyage, mais en conservant l’attachement à la conformité

55

de ce centre. Le touriste « diversion », lui, n’est pas attaché au « centre ». Pour lui, la vie est monotone et le tourisme apparait comme un moyen de rompre avec la routine de la vie quotidienne. Ensuite, le touriste « expérientiel » connait son aliéné par le « centre » et cherche, de ce fait, activement du sens et de l’authenticité dans la vie des autres. Après, le touriste « expérimental » comprend son aliénation et cherche des solutions de rechange à sa vie. Enfin, dans le mode « existentiel » du tourisme, l’individu est complètement détaché de la société, et il cherche une nouvelle vie au sein d’un autre « centre ».

2.2. Le tourisme du point de vue de l’Offre touristique : les

Outline

Documents relatifs