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CHAPITRE II : LA VOLONTE CORPORELLE

II.6. Les dimensions émotionnelles de la volonté

II.6.10. L’appréciation soumise

Le pôle de l’appréciation soumise se trouve entre l’appréciation et la soumission. Il reflète des mouvements de vouloir bien combinés à la volonté de se soumettre. Ils sont déclenchés par un stimulus ou un motif qui à la fois fait plaisir et affaiblit. Il peut s’agir d’une aspiration appétitive vers la soumission ou empreinte de soumission, cherchant à s’approcher de ce qu’on veut bien en voulant se soumettre, comme d’un état de satisfaction et de soumission, quand on atteint ou est atteint par ce qu’on veut bien et qui affaiblit. Le motif ou le stimulus peut être social ou autre, de même le but. Des motifs qui à la fois nous font plaisir et nous affaiblissent sont ceux qui nous intimident tout en étant perçus comme bons ou utiles, ceux qui nous attirent et nous font craquer, qui fascinent et impressionnent, et ceux qui inspirent confiance, aident et sauvent.

Parmi les adjectifs interpersonnels de Wiggins, on trouve du côté de l’affiliation soumise : pas égotiste, pas exigeant, pas vaniteux, sans prétentions, pas malin, pas calculateur et pas rusé.288 Dans le modèle de Myllyniemi on trouve les adjectifs émotionnels suivants : agréable, accommodant, reconnaissant, modeste, respectueux, attachant, affectueux, à cœur ouvert, coopératif, crédule et fidèle.289

On peut distinguer deux grands types d’aspirations dans l’appréciation soumise : d’une part une volonté de s’accommoder socialement et d’autre part une volonté de se 284 Frijda (1986) 285 Tracy et Matsumoto (2008) 286 Tracy et Robins (2007) 287 Schopenhauer (1851 / 2004 : 70-71) 288 Wiggins (1979)

soumettre à ce qu’on apprécie comme un bien supérieur. Les deux peuvent aussi se confondre.

La volonté de s’accommoder socialement tourne autour de la politesse et de la modestie. Comme le dit Spinoza, la politesse ou la modestie, c’est le désir de faire ce qui plaît aux hommes et de ne pas faire ce qui leur déplaît.290 Comme le passent en revue Keltner, Young et Buswell, la politesse, système de règles qui gouverne notre comportement en public, permet aux individus de maintenir des relations coopératives et respectueuses : manières de table, de s’adresser aux autres, de converser et de s’asseoir, manières de négocier la distance physique, l’espace et l’allocation de ressources. La modestie est au centre des pratiques de politesse. C’est à la fois un sentiment et une stratégie d’interaction sociale, tournant autour de l’inhibition d’impulsions inappropriées, d’attitudes réservées envers soi et du respect des besoins des autres. Parmi les nombreuses fonctions de la politesse, dont celle de la démarcation des différences de classes, il y a celle d’apaisement. Les conditions dans lesquelles il y a politesse sont similaires à celles qui requièrent l’apaisement, gravitant typiquement autour des interactions avec des inconnus en public et de la distribution de ressources ; des situations qui comportent un risque de conflit. Les manières de table par exemple dictent qu’on laisse passer les besoins des autres avant les siens et qu’on retient ses impulsions. La politesse, comme les autres comportements d’apaisement, s’exprime à travers un comportement soumis, affiliatif et inhibé. La modestie polie accroît l’approche sociale et la coopération et réduit les tendances agressives. Comme le dit Goffman, elle donne respect, pouvoir et honneur aux autres, ce qui accroît l’harmonie et la coopération, les buts ultimes de l’apaisement.291

La gratitude est l’appréciation d’une offre altruiste qui apporte un bénéfice et aussi l’aspiration de le rendre.292

Selon Spinoza, la reconnaissance ou la gratitude est ce désir ou ce mouvement d’amour par lequel nous nous efforçons de faire du bien à celui qu’un même sentiment d’amour a porté à nous en faire.293

Une appréciation soumise plus forte est celle d’être impressionné et d’admirer ce qu’on trouve à la fois supérieur et bon, voire immense et fascinant. Du point de vue évolutif, l’admiration n’était au départ probablement que la stupeur d’un homme primitif ou d’un singe devant ce qu’il ne comprend pas et le dépasse, combinée à une appréciation ; par la suite elle est devenue vénération et dévotion religieuse. On peut assimiler l’admiration à l’émerveillement, qui consiste à être emporté par quelque chose d’incompréhensible et de fascinant, et à une surprise agréable, intense et prolongée.

Un autre aspect d’une forte appréciation soumise est la tendresse. C’est une façon plus soumise d’aimer. A cet état volitif correspondent des traits interpersonnels que Wiggins a considérés comme simplement affiliatifs, alors qu’ils ont un aspect soumis de par leur fragilité et leur douceur : au cœur tendre, doux, gentil, sensible. Aussi quelques adjectifs émotionnels que Myllyniemi a associés à l’affiliation dominante ont en fait un côté soumis : serviable, tendre, conciliant, se sacrifiant. Car

290 Spinoza (1999)

291 Keltner, Young et Buswell (1997)

292

Ekman (2003), Keltner, Haidt et Shiota (2006)

même si une personne dominante se montre telle, par exemple un parent qui s’occupe de son enfant, c’est une façon aimable de descendre de ses hauteurs.

Horowitz recense les buts affiliatifs-soumis suivants : placer les buts de l’autre devant les siens, ne pas être trop indépendant, ne pas être trop suspicieux envers l’autre, travailler avec l’autre d’une manière à ce que cela protège ou supporte ses intérêts.294

II.6.11. La dépréciation

Le pôle de dépréciation de la dimension horizontale reflète les mouvements de ne pas

vouloir. Ils sont déclenchés par un stimulus ou un motif qui déplaît. Il peut s’agir

d’une aspiration défensive, cherchant à s’éloigner ou à se dégager de qu’on ne veut pas, comme d’un état d’insatisfaction, quand on atteint ou est atteint par ce qu’on ne veut pas. Le motif ou le stimulus et le but peuvent être sociaux ou autres. La dépréciation regroupe tout ce qui est sensation désagréable et sentiment négatif, et plus loin la maladie, à la fois corporelle et mentale. L’aspiration défensive est en général celle de la survie.

Des traits interpersonnels que Wiggins a associés à l’aspect distant de la désaffiliation soumise peuvent être considérés comme de la désaffiliation sans soumission, c’est-à-dire de la simple dépréciation d’autrui : antisocial, pas accueillant, impersonnel, pas sociable, distant, pas souriant, pas joyeux. Il en va de même pour quelques adjectifs du modèle de Myllyniemi, qu’elle a classés dans la défiance soumise, alors qu’ils sont mieux conçus comme simplement défiants ou dépréciatifs, à savoir : amer, à contrecœur, blessé, d’humeur maussade, sans merci. Ces états émotionnels ne sont pas des états dépréciatifs-soumis de peur, comme le suggère le modèle de Myllyniemi, mais des états dépréciatifs tout court.

La douleur est la sensation-type de la dépréciation : à la fois état d’insatisfaction et aspiration d’ôter ou de s’éloigner de la source de douleur par laquelle on est atteinte. La douleur nous mobilise à vouloir nous dégager d’un mal. Quand l’objet, social ou autre, duquel on ne veut pas, est perçu comme répugnant, on manifeste le dégoût. Le dégoût comme émotion de base est selon Plutchik la tendance à rejeter un objet répugnant. L’objet impalpable est identifié comme un poison, le comportement consiste à vomir et le but est d’éjecter le poison.295

Le dégoût s’applique de même à ce qui est répugnant au sens moral. Dans la dépréciation, il ne faut pas non plus oublier l’ennui, qui selon Schopenhauer est un malheur comparable à la misère. Dans cet état désagréable de l’ennui, l’aspiration de la volonté tourne au vide. L’ennui nous pousse à vouloir nous distraire, s’il n’est chassé soudainement par une autre dépréciation, telle la douleur et une aspiration défensive plus directement liée à la survie.296

Le but des aspirations défensives est toujours de s’éloigner ou de se dégager de ce qu’on ne veut pas, tout ce qui est perçu comme : mauvais, mal, désagréable, négatif, indésirable, aversif, punition, nuisible, dangereux, inutile et sans valeur. Horowitz recense des buts interpersonnels hostiles : ne pas trop faire confiance en l’autre, ne pas être ouvertement généreux en aidant l’autre personne, ne pas mettre les

294 Horowitz, in Plutchik et Conte (Dirs.) (1998)

295

Plutchik (2001), Sander et Scherer (Dirs.) (2009)

buts de l’autre avant les propres buts, travailler avec l’autre d’une manière à protéger les propres intérêts.