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CHAPITRE 5 Discussion

5.2 Implications pédagogiques

Maintenant que nous avons présenté les principaux constats qui proviennent des résultats obtenus dans cette étude, nous proposons trois implications pédagogiques en lien avec

l’utilisation de l’outil IPROM en classe afin qu’il soit davantage au service de l’élaboration du discours collectif et du processus de coélaboration de connaissances.

5.2.1 Miser sur la négociation avec les élèves

La négociation de sens est au cœur du processus de coélaboration de connaissances. Ainsi, les élèves sont appelés à négocier leurs compréhensions d’un sujet donné afin de se construire une compréhension partagée. Cette négociation de sens ne doit pas avoir lieu qu’entre les élèves, mais aussi avec l’enseignant qui, en tant que guide plus expert, fait lui ou elle aussi partie de la discussion, du discours collectif. Nous avons constaté que, bien que l’outil IPROM ait permis aux élèves de s’engager davantage dans le discours collectif en élaborant davantage de questions et d’explications de plus haut niveau, une grande part de l’orientation du discours collectif relevait des enseignantes dans la formulation des questions posées et dans le choix des idées prometteuses pour le développement de nouvelles perspectives.

5.2.1.1 Pour la formulation de questions réelles et authentiques

Les questions de départ ont toujours été posées par les enseignantes. Ce sont des questions qui pouvaient avoir été précédées ou non d’une ou de discussion(s) en classe, mais qui sont demeurées sous le contrôle des enseignantes animées par le motif de susciter un certain type de réponse chez les élèves. Ainsi, les questions de départ des deux activités avec l’utilisation de l’outil IPROM étaient assez larges et ont permis aux élèves d’exprimer leurs premières idées sur les problèmes posés. Peu de place a alors été laissée aux élèves dans l’élaboration de la question de départ. Nous croyons que l’apport des élèves à la question de départ pourrait la rendre plus pertinente, car elle aurait du « sens » pour l’élève. Ainsi, les questions de départ pourraient être plus négociées en classe lors de discussions et émerger ainsi d’un questionnement authentique des élèves. Toutefois, une question authentique étant une question réelle pour la discipline étudiée (voir le premier des principes de coélaboration de connaissances), l’apport de l’enseignant demeure critique, car c’est la personne qui est le participant le plus avancé dans l’étude de la discipline. Il s’agirait donc de consacrer davantage de temps de classe à cette négociation avec et entre

jugement de l’enseignant et des élèves soient retenues et pour que ceux-ci s’exercent au rôle de véritables acteurs dans l’avancement de connaissances au sein d’une communauté. Ici, l’utilisation du langage inclusif, c’est-à-dire du « nous » en tant que communauté qui veut faire avancer ses connaissances sur un sujet, dans les questions posées sur le KF mais aussi dans le discours de classe, pourrait inciter davantage les élèves dans l’usage de l’outil IPROM au service du collectif. L’emploi d’un vocabulaire plus inclusif (entendre le « nous » ou, tout au moins le « on ») manifesterait chez les enseignantes une attitude flexible et ouverte lors des activités en classe en se positionnant comme faisant partie de la communauté qui cherche à faire avancer ses connaissances. C’est d’ailleurs ce à quoi arrivait la communauté de coélaboration de connaissances (CoÉco) formée dans un groupe d’étudiants en enseignement, incluant l’auteure de ce mémoire, ayant pris forme lors d’un stage de cinq semaines effectué à la même école et dans un programme « un ordinateur par élève » (CoÉco, H-2009).

5.2.1.2 Pour le développement de perspectives axées sur l’approfondissement

Ce sont les idées prometteuses des élèves qui conduisaient à l’ouverture de nouvelles perspectives lorsque les enseignantes plaçaient plusieurs idées prometteuses sous certains thèmes, après discussion en classe et afin de donner une vue d’ensemble de sujets amenés par les élèves dans le discours collectif. Ces thèmes s’inscrivaient dans les savoirs essentiels du Programme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2001) et cherchaient à encadrer le travail des élèves. La diversité d’idées qui en résultait, bien qu’elle reflétait l’application de l’un des principes de coélaboration de connaissances dans les nouvelles perspectives en venant enrichir les contributions des élèves, pouvait aussi les éloigner d’un travail en profondeur sur une idée prometteuse. Aussi, le fait de placer plusieurs idées sous un thème plus large pouvait faire en sorte qu’elles perdent de la précision en matière de contenu - entendre les idées surlignées par les élèves. Ainsi, ce ne fut pas comme tel les idées énoncées et surlignées par les élèves qui se sont retrouvées et ont été approfondies dans lesdites perspectives, mais des thèmes plus larges, repérés par les enseignantes. Le travail dans ces nouvelles perspectives ne s’est donc pas concentré sur une idée que le groupe souhaitait approfondir afin de « répondre » à une question, mais sur plusieurs idées. Ainsi, bien que les nouvelles perspectives aient fait l’objet de discussion en classe, les

enseignantes en avaient influencé le contenu en préparant des thèmes assez précis. Les idées prometteuses des élèves ont donc servi à orienter la poursuite du travail de la classe, mais selon des thèmes repérés par les enseignantes.

D’autres actions pédagogiques peuvent amener le travail collectif à se recentrer sur certaines idées, par exemple, la formulation de nouvelles questions de « départ », coélaborées avec les élèves en vue de débuter le travail dans les nouvelles perspectives créées à l’aide de l’outil IPROM. De telles questions orienteraient la poursuite du travail des élèves sur des idées plus pointues et leur permettraient d’aller plus en profondeur dans les nouvelles perspectives tout en les amenant sur une question authentique. Les études sur le discours des élèves dans l’École éloignée en réseau (Laferrière et al., 2008, 2011) démontrent bien que les élèves sont habitués de travailler à partir de questions authentiques, le fait de préserver ce questionnement même dans les nouvelles sous-perspectives pourrait permettre aux élèves de se concentrer sur les idées et non sur des faits validés autour de thèmes. De plus, lors de la création de nouvelles perspectives, des synthèses de l’état des connaissances actuelles pourraient servir de point de départ à un approfondissement des idées sélectionnées. Les élèves auraient ainsi une base sur laquelle construire et orienter leur discours collectif de façon plus précise dans les nouvelles perspectives.

5.2.2 Insister sur un travail collaboratif plus en profondeur

Le fait qu’un produit individuel était attendu en bout d’exercice, par exemple la rédaction d’un texte ou la construction d’une balle, a contribué à centrer les élèves sur leur démarche individuelle plutôt que sur une démarche collective.

L’utilisation du « nous » inclusif et la « douce exigence » d’en arriver à une compréhension collective d’une question ou d’un problème engageraient davantage les élèves dans un processus collectif et aurait vraisemblablement pour effet d’augmenter leur sentiment de responsabilité quant à la coélaboration d’un discours collectif. L’utilisation de l’outil IPROM serait ainsi davantage orientée vers l’amélioration des idées sélectionnées dans le but d’aller collectivement plus loin, plutôt que vers la sélection des idées importantes pour

la tâche individuelle à accomplir. En même temps, nous demeurons conscients que les contraintes d’évaluation énoncées par le MELS sont une grande source de « tensions pédagogiques » puisque les enseignants adhèrent à l’idée que le travail est collectif, leur discours le démontre bien. Toutefois, leurs « réflexes pédagogiques » les ramènent souvent à choisir un produit fini individuel afin de répondre aux exigences de l’évaluation. Tout comme pour les élèves, un écart existe entre ce qu’ils comprennent de la coélaboration de connaissances et ce qu’ils sont en mesure de mettre en œuvre dans leur pratique.

Un travail de soutien demeure à faire en ce sens auprès des enseignantes afin de les aider à résoudre le dilemme « tâche individuelle – tâche collective ». Cette première expérimentation avec l’outil IPROM aura permis de mettre en lumière que l’étayage fait par les enseignantes, basé sur leurs perceptions de l’outil, était davantage orienté vers la tâche (individuelle) à accomplir lorsqu’il s’agissait de retenir des idées prometteuses que sur le principe d’amélioration des idées pour l’élaboration d’un discours collectif. Ici le contrat didactique, c’est-à-dire l’ensemble des comportements des élèves attendus par les enseignantes, est demeuré davantage centré sur l’apprentissage individuel davantage que sur la coélaboration de connaissances16. Cette distinction, promue par Scardamalia et

Bereiter (2003) comme fondamentale, est difficile à saisir pour qui a un programme ministériel à respecter. C’est dire qu’il importe pour l’équipe d’accompagnement d’ÉER de porter attention aux tensions vécues par les enseignants en cette matière. L’approche du « Change Lab » (Engeström, 1987) pourrait ici être utilisée.

5.2.3 Pratiquer un étayage soutenu quant au concept d’idée prometteuse

Le rapprochement fait par les enseignantes entre l’outil IPROM et les mots clés sur le KF a servi d’échafaudage. Toutefois, cela a aussi pu amener les élèves à voir l’outil comme un outil de lecture et d’aide à la compréhension individuelle si leur expérience de l’utilisation des mots clés leur était reliée.

16 La coélaboration de connaissances n’occulte pas l’apprentissage individuel, il est alors vu comme étant un

apprentissage résiduel au processus de coélaboration qui se centre sur l’avancement des connaissances collectives, soit la création de connaissance.

Offrir un étayage axé sur la compréhension du concept d’idée prometteuse et des critères de sélection de telles idées s’impose. Ce qu’il faut entendre par les concepts d’idée prometteuse et d’amélioration des idées doit faire l’objet d’un travail plus approfondi avec les élèves si l’on veut les amener à dissocier informations importantes (faits, de l’ordre de l’apprentissage) et idées qui peuvent les amener plus loin dans leur compréhension d’un objet d’investigation (de l’ordre de la coélaboration de connaissances). Nous soumettons qu’il est essentiel pour le développement de la capacité des élèves à user de leur capacité de jugement quant à des idées prometteuses que les enseignantes consacrent du temps en classe à l’interaction entre des idées prometteuses et des faits importants et, ainsi, à faire le pont entre le processus d’amélioration des idées qui relève de la coélaboration de connaissances et les faits reconnus par les sources d’autorités qui, eux, relèvent de l’apprentissage (voir aussi Chen et al., 2011; Chuy et al., 2010).