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CHAPITRE 2. LES PARADIGMES POÉTIQUES (1850-1960) (1850-1960)

2. Usages scolaires des genres poétiques

2.2. Historicisation du genre poétique

Si l’on suit le genre dans les programmes et surtout dans les manuels tout au long des XIXe et XXe siècles, on constate une historicisation de plus en plus nette de la notion, qui commence dès la seconde moitié du XIXe siècle, et qui prend peu à peu le dessus sur la conception très abstraite et théorique qui prévalait.

Cette historicisation du genre accompagne la montée en puissance de l’approche historique de la littérature qui commence dès les années 1850 et conduit à l’instauration au tournant du siècle d’un cours magistral d’histoire littéraire. Ce cours magistral est rapidement décrié, notamment par Lanson, et assez rapidement abandonné (Chervel, 2006, p. 750 sqq.). Mais

l’approche historique de la littérature continue à dominer l’enseignement secondaire, comme le montrent par exemple les classements chronologiques des manuels qui dominent entre 1880 et 1970, voire au-delà (cf. infra chapitre 4, p. 152 sqq.), et comme en témoignent également les critiques virulentes portées à nouveau contre l’histoire de la littérature dans les années 1960-1970 : « Histoire ou littérature ? », demande Barthes dans un texte célèbre, regrettant qu’on ait sans cesse confondu (1960/2002, p. 179) « deux disciplines qui n’ont pas du tout les mêmes critères d’objectivité ». Cette approche historique des catégories génériques a par ailleurs été renforcée, me semble-t-il, par la théorie de Brunetière sur l’évolution des genres, qui emprunte à Darwin et à la théorie de l’évolution des espèces, et qui rencontre l’idée d’une évolution historique des formes littéraires.

2.2.1. L’approche historique du genre

Tout au long du XXe siècle, l’approche historique du genre se fait donc de plus en plus nette, et on peut la repérer dans la plupart des manuels de mon corpus, jusque dans les manuels modernes. Pendant la première moitié du siècle, elle va de pair avec l’approche historique de la littérature : Doumic (1900) prend ainsi nettement en compte l’évolution de certains genres, parallèlement aux différentes écoles littéraires qu’il distingue. Ainsi écrit-il par exemple dans un « tableau chronologique » (p. 587) que, pendant la période romantique, « un idéal nouveau prend forme dans la littérature. La poésie lyrique, le roman et la littérature d’histoire se constituent ». Quant à Vincent (1902/1951), il rappelle que « la distinction des genres est fondée sur les faits et qu’elle est une loi de l’histoire ». Mais c’est chez Des Granges que cette conception historique des genres est la plus perceptible, puisqu’il dresse un « tableau de leur évolution », en traitant chaque article selon un plan immuable, Définition et caractères / Développement en France ; ce second point est à chaque fois un historique du genre en question. C’est aussi sur un axe diachronique qu’il place les sous-catégories génériques : dans l’exemple ci-dessous, la tragédie succède au mystère, la farce est antérieure au drame bourgeois, et, plus inattendu, à l’épopée « naturelle » succède l’épopée « artificielle » (Des Granges, 1910/1942, p. 974-975) :

L’épopée est la forme poétique et merveilleuse que les peuples jeunes donnent instinctivement à l’histoire. Elle naît d’ordinaire après un grand événement, victoire que l’on célèbre, désastre dont on cherche à se consoler. Et, d’abord, elle est brève ; elle se présente sous la forme d’un petit poème à la fois narratif et lyrique (la chanson, la cantilène, la romance espagnole) ; elle court de bouche en bouche, elle est un chant de veillée ou de combat. Puis le genre littéraire se constitue par la juxtaposition et la fusion de plusieurs de ces poèmes relatifs à un même héros ; on ramène à ce héros (Achille, Siegfried, Charlemagne) des fragments primitivement

consacrés à un autre personnage dont la personne est oubliée. Telle est l’épopée que l’on appelle naturelle ou spontanée.

Artificiellement, et à l’imitation de ces premières épopées, on en écrit d’autres, destinées à des lecteurs, et qui ont pour sujet quelque exploit national, pour héros un des fondateurs ou des restaurateurs du pays, de la religion, etc. (Énée, Godefroy de Bouillon, Henri IV, etc.)

Enfin, après une série de grands poèmes, dans la forme traditionnelle de l’épopée, on revient à la cantilène ou à la romance castillane ; et l’on écrit de « petites épopées » (Légende des siècles, de V. Hugo).

Cette notice est assez caractéristique de la manière de Des Granges : il définit les genres par des considérations énonciatives, thématiques, formelles et historiques, et s’inspire visiblement de la méthode historique, dans une tradition très positiviste, qui ne dissimule pas complètement cependant les traces de jugement plus subjectif, puisqu’aux « grands poèmes » d’autrefois succèdent les « petites épopées » de maintenant.

Mais l’histoire dont il est question est plus mythique que véritablement historique, et, dans le corpus que j’étudie, il est clair que les auteurs des manuels se sont en partie laissé prendre à l’une des illusions de perspective qu’évoque Lejeune (1975/1996), « l’illusion de la naissance », qui conduit par exemple, même lorsque l’aspect diachronique est pris en compte, à surestimer la cohérence du développement d’un genre, et à montrer comment le genre ne peut que se dégrader après des textes canoniques qui fonctionnent comme des archétypes. C’est très net dans ce paragraphe de Des Granges (1910/1942) sur l’épopée au XIXe siècle1 (p. 976) :

Le romantisme nous rend la notion de la véritable épopée ; mais, alors, on sent qu’elle est devenue impossible, dans une société où l’esprit critique n’est pas moins développé que l’imagination. Cependant, Chateaubriand écrit une épopée en prose,

les Martyrs ; autant les parties romanesque et historique en sont intéressantes, autant

la partie épique sent l’artifice et ennuie. Il faut arriver jusqu’à la Légende des siècles de Hugo et aux Poèmes barbares de Leconte de Lisle, pour retrouver sinon l’épopée complète, au moins le ton épique. Mais il convient de ne classer dans l’épopée que les pièces impersonnelles : l’Aigle du casque, le Petit roi de Galice, Éviradnus,

Aymerillot, etc.

Si l’on cherche des exemples du genre organisé et complet, la France ne possède comme épopées que les Chansons de geste.

Enfin, l’approche historique des genres peut se lire en creux dans les anthologies qui associent prioritairement tel genre à tel siècle, de Chevaillier et Audiat à Lagarde et

1. D’autant qu’il considère comme appartenant au genre épique ce que l’on attribuerait maintenant plutôt au registre épique ; cf. infra, p. 125 sqq. Un manuel contemporain (Décote et Dubosclard, 1988) qualifie les Martyrs de roman, et met en avant pour Leconte de Lisle son appartenance au Parnasse, évoquant de la

« poésie descriptive » (p. 288), et présentant ainsi les Poèmes barbares : « Puisant aux sources mythiques de l’Inde ou de la Bible, les Poèmes barbares offrent le récit épique des commencements du monde. » (p. 297). Là aussi, on est plus proche du registre que du genre.

Michard : le XVIe siècle est le siècle de la poésie lyrique ; le XVIIe celui du théâtre, et particulièrement de la tragédie, etc. Je ne m’attarde pas ici sur cette question, sur laquelle je reviendrai longuement dans le chapitre 4 (cf. infra, p. 158 sqq.).

2.2.2. La métaphore naturaliste et la théorie de l’évolution

En même temps, si l’historicisation des genres est indéniable, elle entre assez visiblement en collusion, dans les manuels des années 1900-1930 au moins, avec la conception naturaliste du genre.

On l’a vu (cf. supra, Introduction générale p. 16 sqq.), cette image de l’espèce est une analogie fréquente pour désigner métaphoriquement le genre. En biologie comme en littérature, les genres sont, dans notre imaginaire au moins, des espèces qui se reproduisent, qui engendrent, qui se génèrent les unes les autres, qui dégénèrent parfois, et dont on peut faire l’arbre généalogique. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les genres sont si souvent représentés selon une arborescence qui les montre se subdiviser sans cesse en d’autres genres, à la manière des « familles »1.

Calvet (1927a) reprend cette métaphore en présentant ainsi les genres littéraires (p. 2. C’est lui qui souligne) :

Il y a des genres littéraires comme il y a des espèces animales. – Quand on étudie

les œuvres littéraires on s’aperçoit qu’elles se classent et se groupent en genres, comme les animaux et les plantes se classent en espèces. Sans doute les genres littéraires n’ont pas la rigueur et la fixité des espèces animales, mais ils correspondent à la diversité des sujets traités et à une loi de notre esprit qui ne peut s’attacher à la fois qu’à une seule catégorie de caractères. En poésie, comme en prose, il y a donc plusieurs genres.

Mais la métaphore naturaliste a pris un nouveau tournant avec la théorie de l’évolution, dans la seconde moitié du XIXe siècle, revisitée tout à la fin du XIXe siècle par Brunetière (1890/2000). Ce dernier se propose en effet (p. 42-46) d’étudier les genres à l’aide des concepts darwiniens2, comme la différenciation des espèces, la divergence des caractères, les modificateurs, l’hérédité, la race, le milieu, et même la sélection naturelle3 :

1. On retrouve d’ailleurs ce mode de représentation dans les classifications des bibliothèques (Dewey et CDU),

auxquelles je consacre mon chapitre 5 (cf. infra, p. 180 sqq.).

2. Ou plus généralement positivistes, Taine étant pour Brunetière celui qui fait de la critique moderne une

quasi science.

3. Schaeffer (1989, p. 47-63) en fait une critique très précise, montrant que les thèses de Brunetière sont

De même que, dans la nature, deux espèces parentes ne sauraient croître et prospérer ensemble dans le même canton, mais tout ce que l’une d’elles réussit à gagner dans le combat de la vie, il faut que l’autre le perde ; ainsi dans un temps donné de l’histoire d’une littérature, on n’a jamais vu qu’il y eût de place pour tous les genres à la fois, mais si quelqu’un d’entre eux y atteint sa perfection, c’est toujours au dépens de quelque autre1.

La théorie de Brunetière, qui a visiblement été reçue de manière fort diverse2, a pourtant connu un certain succès, puisque Calvet, par exemple, la présente encore près de 50 ans plus tard, dans sa dix-septième édition (datée de 1948 et « entièrement refondue ») de son

Manuel illustré d’histoire de la Littérature Française (p. 860)3 :

Ferdinand Brunetière (1849-1906) était doué d’un tempérament vigoureux qui le désignait pour être un chef. […] Disciple de Sainte-Beuve, de Taine et d’Auguste Comte, il rêvait d’introduire dans la critique et l’histoire littéraire des règles rigides et d’en faire une vraie science. Une de ses idées les plus chères, qui fit grand bruit et connut une certaine fortune, est celle de l’évolution des genres. Il concevait les genres littéraires comme des êtres vivants, organisés, qui ont leur naissance, leur période de croissance, leur plein épanouissement, puis décroissent, se dégradent, se dissocient et disparaissent en donnant naissance à d’autres espèces. Cette théorie, qu’il exposait avec une conviction ardente, est aujourd’hui bien abandonnée.

On en trouve visiblement des traces chez Des Granges (1910/1942)4, qui introduit son chapitre sur les genres avec ce qui apparaît clairement comme une référence à l’ouvrage de Brunetière (p. 974 ; c’est lui qui souligne) :

Nous ne prétendons pas, dans ce tableau, traiter scientifiquement la question de l’Évolution des genres. Nous voulons seulement grouper, à l’usage des élèves, les

définitions, les caractères et les modifications des principaux genres littéraires.5

1. Brunetière (1899), cité par Schaeffer (1989, p. 56).

2. Compagnon (1997, p. 16) évoque la fascination que Brunetière exerçait sur les normaliens, devant qui il

développa sa théorie, avant de la publier. Mais il souligne aussi que cette publication « suffit pour démontrer la faillite de sa théorie », et cite (p. 23) une phrase de Doumic, qui fut son proche collaborateur, et qui écrivit en 1894 : « [Brunetière] est aujourd’hui l’écrivain de France qui a le plus d’ennemis ».

3. Une édition précédente du même ouvrage (la sixième, datée de 1927 ; cf. Calvet, 1927b) n’accorde à

Brunetière que ces deux lignes lapidaires (p. 720) : « La critique a eu aussi son heure d’éclat et a exercé une véritable influence. Brunetière, au nom de principes idéalistes et classiques, a régenté les lettres pendant vingt ans. ».

4. Cf. aussi infra, p. 235, note 2, à propos de la tragédie classique, décrite selon cette même logique

évolutionniste.

5. On peut par ailleurs comparer avec Calvet (supra) ce que Des Granges (1910/1942) écrit de Brunetière,

auquel il consacre deux pages, dont voici un extrait significatif (p. 868 ; c’est lui qui souligne): « Brunetière fut d’abord un érudit d’une extraordinaire puissance de travail. Sauf sur le moyen âge, qu’il n’aimait pas, il avait approfondi les sources et les textes, et il excellait à s’assimiler, pour en faire un usage original, les travaux de la critique contemporaine. À ce fonds très riche, et qui s’augmentait de jour en jour, Brunetière ajoutait la connaissance des philosophes et des savants contemporains : Darwin, Herbert Spencer, Haeckel, Schopenhauer, Auguste Comte. Leurs théories, qu’il n’acceptait pas tout entières, au point de vue moral, il essaya de les appliquer à la critique littéraire. Il inventa donc l’évolution des genres. Un genre, l’épopée, le lyrisme, le roman, etc., naît, se développe, se transforme, meurt ou plutôt se mue en un autre genre, selon le milieu, le moment, les influences, etc. En dehors de cette théorie générale, qui n’a peut-être d’autre

Plus surprenant peut-être, on la trouve aussi chez l’abbé1 Vincent (1902/1951) : son traité sur les genres commence par l’analogie classique entre le genre et l’espèce (p. 4 ; c’est lui qui souligne) :

Les genres littéraires présentent une certaine analogie avec les espèces, genres,

familles, etc., qui, en histoire naturelle, sont des groupes d’individus aux caractères

semblables, par où ces individus se classent dans une catégorie spéciale, et, en même temps, se séparent d’autres groupes ayant des caractères différents.

Il se poursuit par un chapitre entier consacré à l’évolution des genres :

En histoire naturelle, on appelle évolution la transformation graduelle que subit une espèce végétale ou animale, le chêne, le chien, selon les influences extérieures du milieu où elle est placée, ou selon la loi intérieure de son organisme.

Et il compare sans cesse histoire naturelle et histoire littéraire, mêlant les deux paradigmes (p. 4-6 ; c’est lui qui souligne) :

Dans l’histoire littéraire, l’évolution est la série des formes que prend un genre, épopée, drame, sous l’action des différentes civilisations et du génie. La doctrine de l’évolution tâche à relier entre elles ces métamorphoses, à montrer comment elles sortent les unes des autres et à découvrir la continuité sous la succession, l’unité sous la diversité. […] Ç’a a été l’erreur de Boileau et de la critique, au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, de considérer les genres comme des moules rigides et des types fixes, immuables, qui s’organisent, un beau jour, de toutes pièces, et ne subissent, dans la suite, aucun changement. Aujourd’hui, grâce à la méthode historique, appliquée à la littérature, on a reconnu que chaque genre évolue, c’est-à-dire qu’après une époque primitive de chaos et d’indétermination, il se différencie de ses voisins, avec lesquels il était mêlé et confondu ; il se constitue et vit de sa vie propre, atteignant son point de maturité et de perfection pour tomber ensuite en décadence. Quelques genres, comme l’épopée, finissent par disparaître complètement, ne trouvant plus de milieu où se développer. C’est ainsi que nous rencontrons, dans certains terrains et dans certaines contrées, des espèces végétales ou animales disparues de nos jours.

Cette collusion de l’histoire naturelle et de l’histoire littéraire permet donc de revisiter la métaphore naturaliste, et de l’adapter aux nouvelles exigences disciplinaires, qui mettent en avant l’histoire de la littérature.

L’idée de l’évolution des genres est devenue en tout cas un lieu commun de l’école, que l’on retrouve par exemple dans le programme de seconde et de première de 1981 (p. 29) :

Genres littéraires : caractéristiques, évolution ; limites de cette notion.

inconvénient, quand on y réfléchit bien, que d’être d’une évidence un peu naïve, Brunetière en a soutenu d’autres qui nous semblent plus importantes pour qui veut lui assigner sa place dans la critique du dix-neuvième siècle. »

1. Il faut dire qu’en 1902, date de la première édition du traité de Vincent, la violence des attaques de l’Église

Une formulation du même type est présente dans le programme de terminale de 1982 (p. 69) :

On s’attachera à diversifier les points de vue et les approches des œuvres. Par exemple : […] en suivant l’évolution d’un genre (histoire, conte, nouvelle…) ou dans une chronologie inverse (la tragédie en partant de Giraudoux, le comique en partant d’Ionesco, le roman en partant de Butor…)

Le genre est ainsi nettement corrélé avec l’évolution, dans une conception somme toute encore assez brunetiérienne, ce que semble confirmer le programme de seconde de 1987, qui apporte quelques compléments à celui de 1981. Concernant le genre, voici en effet ce que l’on peut lire (p. 16 ; c’est moi qui souligne) :

Il existe de nombreux principes de classification des textes. Mais, dans l’étude des œuvres, la référence aux formes, spécialement aux genres littéraires (roman, théâtre, poésie, etc.) est essentielle. Elle permet aux élèves de réfléchir sur des aspects particuliers de la création littéraire (structures, techniques, langages), de mieux identifier un type d’écriture, d’apprécier les choix que fait un écrivain, en fonction des contraintes qui, à une époque donnée, s’attachent à un genre, pour s’y soumettre ou pour s’en libérer, enfin de percevoir l’évolution d’un genre littéraire, ses

moments de gloire, ses constantes, ses modifications de forme et de contenu.

Plus complet qu’en 1981, le passage est aussi beaucoup plus disert concernant l’évolution des genres. Mais c’est la même conception qui transparaît ici, très proche de celle de Brunetière.

Il y a au moins deux conséquences à ce processus analogique. Une première est liée aux représentations, dont on sait qu’elles peuvent s’appuyer sur des images1. Or les métaphores, si elles peuvent aider à appréhender un concept, peuvent également contribuer à véhiculer ou à renforcer des représentations erronées2. Plusieurs auteurs ont ainsi souligné les dangers de la métaphore naturaliste3. Todorov (1970, p. 10 ; c’est lui qui souligne) montre par exemple les limites de l’analogie entre le genre littéraire et le genre des naturalistes :

1. Cf. Astolfi (1992/1994, p. 88), à propos de l’origine des représentations : « Certaines relèvent plutôt du

caractère inachevé du développement cognitif des élèves […]. D’autres sont à relier aux ruptures qui doivent s’établir avec la pensée commune et avec les facilités qu’elle accorde, telles l’usage des analogies ou la substancialisation des choses abstraites […]. Certaines résultent des ambiguïtés et de la polysémie inhérente au langage. D’autres encore sont d’origine sociale fortement intériorisée. »

2. Cf. par exemple Bachelard, 1967. Cf aussi Bourdieu, Chamboredon et Passeron (1968), qui dénoncent les

« pièges de la métaphore » (p. 38-39) ou Molino (1979), pour qui les sciences humaines, à la différence des sciences de la nature, sont dans l’impossibilité de conceptualiser les métaphores, de les transformer en modèles explicatifs, et les conservent donc « vivantes ».

3. Sans compter la question provocante et lapidaire de Derrida (1986/2003, p. 257) : « Qu’en serait-il d’un

La naissance d’un nouveau tigre ne modifie pas l’espèce en sa définition. L’action de l’organisme individuel sur l’évolution de l’espèce est si lente qu’on peut en faire abstraction dans la pratique. […] Il n’en va pas de même dans le domaine de l’art ou de la science. L’évolution suit ici un rythme tout à fait différent : toute œuvre modifie l’ensemble des choses, chaque nouvel exemple change l’espèce.

Quant à Schaeffer (1989), il rappelle une évidence que l’on semble oublier trop souvent : les textes, au contraire des êtres vivants, « ne se reproduisent pas et ne s’engendrent pas directement les uns les autres […] Un texte n’existe que grâce à l’intervention d’une causalité non textuelle » (p. 71). Mais surtout, montre-t-il, la métaphore du genre rend ambiguë la notion d’appartenance générique : dans le cadre du genre biologique, on peut dire que tel ou tel individu (être humain, poisson, chien, etc.) appartient à telle ou telle espèce, que cette appartenance « suppose une relation d’inclusion globale », et que c’est parce que ces individus appartiennent à la même classe biologique qu’ils ont les mêmes caractéristiques. Au contraire, poursuit Schaeffer, dans le cas des genres littéraires, la même