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GENRES LITTÉRAIRES ET GENRES TEXTUELS EN CLASSE DE FRANÇAIS Scolarisation, construction, fonctions et usages des genres dans la discipline français

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CLASSE DE FRANÇAIS Scolarisation, construction, fonctions et usages des genres dans la discipline français

Nathalie Denizot

To cite this version:

Nathalie Denizot. GENRES LITTÉRAIRES ET GENRES TEXTUELS EN CLASSE DE FRANÇAIS Scolarisation, construction, fonctions et usages des genres dans la discipline français. Education.

Université Charles de Gaulle - Lille III, 2008. Français. �NNT : 2008LIL30031�. �tel-00532983�

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UFR de Sciences de l’Éducation

École doctorale Sciences de l’Homme et de la Société

GENRES LITTÉRAIRES ET GENRES TEXTUELS EN CLASSE DE FRANÇAIS

Scolarisation, construction, fonctions et usages des genres dans la discipline français.

Nathalie DENIZOT Thèse de Doctorat

En sciences de l’éducation (didactique du français) Sous la direction d’Yves REUTER

Soutenue publiquement le 14 novembre 2008

JURY :

François Jacquet-Francillon, Professeur à l’Université de Lille 3 Dominique Maingueneau, Professeur à l’Université de Paris 12 André Petitjean, Professeur à l’Université de Metz

Yves Reuter, Professeur à l’Université de Lille 3

Bernard Schneuwly, Professeur à l’Université de Genève

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2

À Yves Reuter pour son accompagnement, sa disponibilité et la qualité de ses lectures et de son écoute : la confiance qu’il m’a toujours témoignée a été un soutien essentiel tout au long de ce travail.

À Bertrand Daunay pour son soutien amical et ses lectures toujours attentives et revigorantes.

À l’Éducation Nationale, qui m’a accordé deux années à mi-temps, dans le cadre d’un congé individuel de formation, et à l’Inspection Générale, qui m’a autorisée à reproduire et utiliser des copies de baccalauréat.

Au petit groupe fidèle et toujours chaleureux de doctorant-e-s de l’UFR des sciences de l’éducation et aux membres de Théodile qui nous ont consacré de précieux moments.

À celles et ceux qui m’ont aidée à constituer le corpus des copies de baccalauréat, et/ou à recueillir les questionnaires de mes enquêtes, ainsi qu’à tous ceux qui ont accepté de répondre à ces questionnaires.

À toutes celles et ceux qui ont accepté de faire, pendant leurs vacances d’été, une ultime relecture de quelques pages du manuscrit définitif.

À Caroline, qui a fait toute cette route avec moi : je lui dédie cette thèse qui lui doit tant.

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3

SOMMAIRE

[Une table des matières détaillée se trouve à la fin du tome 3.]

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 7

PARTIE 1. FORMES SCOLAIRES DES GENRES LITTÉRAIRES DANS LA DISCIPLINE FRANÇAIS... 25

CHAPITRE 1. L’HÉRITAGE RHÉTORIQUE (1802-1880) ... 33

1. Tradition et enseignement rhétoriques ... 34

1.1. L’enseignement de la rhétorique au XIXe siècle ... 34

1.2. Genres de genres rhétoriques... 37

2. Les genres rhétoriques scolaires... 39

2.1. Des catégories apparemment stables ... 41

2.2. Le genre rhétorique : une catégorie ambivalente ... 43

2.3. Catégories génériques et listes de genres : des cadres instables... 46

2.4. Quelle réalité socio-discursive pour les genres rhétoriques ? ... 51

3. Rhétorique et apprentissage de l’écriture : les « genres » à produire... 53

3.1. Le Noël et Delaplace ... 54

3.2. Morceaux de composition et genres disciplinaires... 56

3.3. Survivance des genres disciplinaires rhétoriques dans les recueils de morceaux choisis après 1880... 60

CHAPITRE 2. LES PARADIGMES POÉTIQUES (1850-1960)... 66

1. Cadres théoriques des conceptions poétiques du genre ... 72

1.1. Aristote et Platon : définition énonciative et/ou thématique ... 72

1.2. Les « Arts poétiques » : définitions normatives et prescriptives... 76

1.3. La triade « romantique »... 78

2. Usages scolaires des genres poétiques ... 83

2.1. Les genres poétiques scolaires : figer l’instable ... 84

2.2. Historicisation du genre poétique... 92

CHAPITRE 3. LES « NOUVEAUX » GENRES : linguistique et théories de la lecture (1960-2008) ... 101

1. Sciences humaines et « nouveaux » genres... 103

1.1. Approches d’inspiration linguistique ... 103

1.2. Théories de la lecture... 108

1.3. Approches sociologiques de la lecture ... 110

2. Le genre dans les programmes : un concept intégrateur ... 113

2.1. Ouvrir le corpus scolaire à la paralittérature ... 113

2.2. Intégrer de nouveaux genres : les genres argumentatifs... 119

2.3. Permanence des cadres traditionnels dans les programmes ... 123

(5)

4

CHAPITRE 4. CLASSER LES TEXTES EN CLASSE DE FRANÇAIS : genres et autres modes de

classification... 136

1. Le classement par auteurs ... 137

1.1. Les auteurs dans les listes et les manuels ... 137

1.2. Un classement en palimpseste ... 141

1.3. Classement par auteurs, enjeux disciplinaires et genres... 144

2. Le classement vers/prose... 146

2.1. Une distinction « naturelle » jusqu’en 1981... 146

2.2. La partition vers/prose et les genres ... 149

3. Le classement chronologique ... 152

3.1. Un classement d’histoire littéraire... 152

3.2. Classement générique et classement chronologique ... 157

4. Les regroupements thématiques ... 161

4.1. Statut des thèmes ... 162

4.2. Les thèmes : genres, sous-genres ou catégories transgénériques ?... 167

5. Les typologies de textes ... 169

5.1. Splendeurs et misères des typologies ... 170

5.2. Genres et types de textes ... 172

CHAPITRE 5. CLASSER LES TEXTES AU CDI... 180

1. Libre accès et classifications décimales ... 182

1.1. CDD et CDU : une même logique systématique... 183

1.2. Intérêts et limites des classifications décimales ... 184

1.3. Indexation et recherche documentaire... 189

2. Littérature et classification ... 193

2.1. Classer les romans et les biographies en dehors de la CDD ... 193

2.2. Classer la littérature dans la CDD ... 195

3. Les genres littéraires dans les CDI... 198

3.1. Les catégories de genres dans la CDD ... 199

3.2. Les catégories de genres dans les CDI ... 203

PARTIE 3. CONSTRUCTIONS ET CONFIGURATIONS GÉNÉRIQUES... 209

CHAPITRE 6. UN GENRE LITTÉRAIRE « STABILISÉ » : LA TRAGÉDIE CLASSIQUE . 211 1. La scolarisation du théâtre... 212

1.1. Pratique théâtrale et forme scolaire ... 212

1.2. Le « Théâtre classique » ... 215

2. Tragédie classique et vulgates scolaires... 218

2.1. Le corpus des auteurs ... 219

2.2. La définition de la « tragédie classique » ... 221

2.3. Le choix des œuvres : l’exemple de Racine ... 225

3. Amphitextualité et caractérisation du genre... 227

3.1. Des modèles rhétoriques à imiter ... 228

3.2. Amphitextualité et reconfigurations des genres ... 234

(6)

5

1. Le biographique dans les programmes de première entre 2001 et 2007 ... 245

1.1. Le biographique est-il un genre ? ... 245

1.2. Des frontières brouillées... 246

1.3. Une catégorie ambivalente ... 249

2. Le biographique avant 2001 ... 251

2.1. L’invisibilité des genres biographiques dans les programmes des années 1980 .... 251

2.2. Les genres biographiques à l’université : le primat de l’autobiographie... 253

2.3. Les genres biographiques dans les manuels des années 1970-1980... 256

3. Le biographique au lycée entre 2001 et 2006 ... 260

3.1. Présentation des corpus ... 260

3.2. Les nouveaux genres biographiques : biographie et journal ... 263

3.3. Genres biographiques et fiction... 270

3.4. Le règne de l’autobiographie... 275

CHAPITRE 8. UN GENRE EN CONSTRUCTION ? Les « textes fondateurs » en sixième... 288

1. Humanités classiques et langues anciennes : 1938-1977 ... 290

1.1. Les textes anciens dans les programmes ... 290

1.2. Les textes anciens dans les manuels... 294

2. Les textes anciens dans les années 1970-1990... 298

2.1. Les textes anciens dans les programmes de 1977 et 1985... 298

2.2. Les nouveaux enjeux du corpus ... 300

2.3. Les textes anciens dans les manuels des années 1970-1990 ... 302

3. Le programme de 1996 et le retour des textes anciens ... 306

3.1. Langues anciennes et culture antique ... 306

3.2. Le programme de 1996... 309

4. Des textes « anciens » aux textes « fondateurs » ... 312

4.1. Textes mythiques et/ou mythologiques et épopée homérique... 312

4.2. Construction d’un genre scolaire... 317

PARTIE 4. PRATIQUES DISCIPLINAIRES DES GENRES... 325

CHAPITRE 9. SCOLARISATION DU GENRE ROMANESQUE ET PRATIQUE DES EXTRAITS : les romans de Balzac dans les manuels scolaires ... 327

1. Les romans de Balzac dans un ensemble de manuels du secondaire : construction d’un corpus scolaire ... 332

1.1. Présentation du corpus de travail... 332

1.2. Les extraits de Balzac : un corpus scolaire assez homogène... 337

2. Scolarisation et objectifs disciplinaires ... 347

2.1. Balzac et les finalités morales de la discipline ... 347

2.2. Extraits de Balzac et composition française : 1880-1925 ... 361

2.3. Pratiques de lecture-écriture : usage scriptural et usage lectoral... 368

2.4. Balzac « réaliste » : du réalisme scolaire au roman réaliste ... 371

(7)

6

1. L’écriture d’invention et les pratiques d’écriture générique dans l’histoire de la discipline.... 392

1.1. Les paradigmes rhétoriques... 392

1.2. Écritures créatives, jeux de langage et ateliers d’écriture ... 399

2. L’écriture d’invention et les genres au programme ... 403

2.1. Écriture d’invention et paradigmes disciplinaires ... 403

2.2. Une écriture de genres non scolaires ... 406

2.3. Un nouveau genre scolaire ?... 414

3. Analyse d’un corpus de copies de baccalauréat ... 416

3.1. Le sujet de l’EAF 2005 et le corpus de copies ... 417

3.2. Les images de journaliste ... 420

3.3. Les images scolaires ... 426

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 435

BIBLIOGRAPHIE ... 452

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ... 452

TEXTES INSTITUTIONNELS : ... 489

INDEX... 493

TABLE DES ANNEXES ... 504

TABLE DES TABLEAUX ET DES GRAPHIQUES ... 633

TABLE DES MATIÈRES... 634

(8)

Introduction générale

(9)

Persister à s’occuper des genres peut paraître de nos jours un passe- temps oiseux sinon anachronique.

Tzvetan Todorov (1971), L’origine des genres, dans Todorov (1987, p. 27).

La question des disciplines scolaires – qui est curieusement restée longtemps dans l’ombre, comme le fait remarquer Yves Reuter1 (2007b, p. 85) – fait depuis quelques années l’objet de travaux dans le champ des didactiques (notamment Develay, 1995 ; Lahanier-Reuter et Reuter, 2007 ; Compère et Savoie, 2005 ; Reuter, 2007a), à la suite de l’article fondateur d’André Chervel (1988/1998). Concernant la didactique du français, d’autres travaux ont porté plus spécifiquement sur la discipline français, qu’il s’agisse de travaux à dominante historique (Chervel, 1977, 2006 ; Boutan, 1996 ; Jey, 1998 ; Houdart-Mérot, 1998) ou à dominante didactique (Veck, 1990 ; Halté, 1992 ; Manesse, 1993 ; Chiss, David et Reuter, 1995 ; Savatovsky, 1995 ; Petitjean et Privat, 1999 ; Daunay, 2003a ; Reuter, 2003 et 2004 ; Schneuwly, 2007a ; Falardeau, Fisher, Simard et Sorin, 2007) : comment définir et délimiter une discipline ? Quelles sont ses composantes ? Quels effets vise-t-elle ? Quels rapports entretient-elle avec les espaces extra-disciplinaires et extra-scolaires, et notamment avec les disciplines de référence ? Toutes ces questions sont d’autant plus cruciales pour la discipline français que, comme le montrent par exemple Dan Savatovsky (1995) et Martine Jey (1998), elle n’a émergé qu’assez récemment dans l’histoire de l’enseignement, et que sa construction a été le lieu de tensions et de compromis qui ont marqué tant les contenus que les pratiques. D’ailleurs, le français est toujours le lieu de tensions sociales parfois fortes, autour de l’orthographe, de la lecture ou de la littérature par exemple2, tensions auxquelles il faut ajouter les remises en cause de son autonomie que signale Bernard Schneuwly (2007,

1. Qui attribue le fait à deux facteurs très différents : « l’impression d’évidence attachée à cette notion ; d’un autre côté, sa réelle complexité ».

2. Que l’on pense par exemple aux polémiques récentes autour des méthodes de lecture ou à l’article qu’un collectif de plumes illustres avait signé dans le Monde le 4 mars 2000, au moment où paraissaient de nouveaux programmes pour le lycée, sous ce titre catastrophiste : « C’est la littérature qu’on assassine rue de Grenelle » (Collectif, 2000).

(10)

p. 9), qui évoque les tendances de certains systèmes scolaires à déstructurer, dissoudre, décloisonner, voire reconfigurer la discipline.

L’étude des disciplines scolaires est donc un enjeu important pour les didactiques. Ce travail s’inscrit ainsi dans ce champ de recherches, en cernant une catégorie d’objets disciplinaires : les genres textuels, et plus particulièrement les genres littéraires1. Ce sont en effet, dans l’enseignement du français, des objets aussi insaisissables qu’incontournables : incontournables parce qu’ils sont constitués, dès l’origine de la discipline, comme objets de savoir et comme pratiques de lecture et d’écriture ; insaisissables parce que leur définition, leur statut, voire leurs usages, n’ont cessé de se modifier au gré des configurations disciplinaires2 et des situations didactiques. Qui plus est, s’ils sont à première vue anodins et inoffensifs, ils se révèlent en réalité être objets d’enseignement problématiques, au carrefour des tensions et des débats qui agitent l’enseignement du français : naguère décriés par les tenants d’un enseignement rénové de la littérature parce que « marqué[s] du sceau de l’archaïsme voire du label réactionnaire des Belles Lettres »3, ils ont été plus récemment vilipendés aussi violemment par les adversaires des réformes des programmes du lycée : l’un d’entre eux (Wainer, 2002a) explique ainsi que l’entrée par les genres et les registres est une façon de nier l’histoire littéraire et la littérature, de privilégier des « moules simplificateurs » aux dépens des chefs d’œuvre, de vouloir créer une « culture commune » à l’aide de ces « lieux communs », bref de renoncer à l’« humanisme historique » qui fait la grandeur de l’enseignement du français. Pour ces adversaires des genres, les programmes en

1. Je reviens ci-dessous sur la différence que j’opère et sur l’utilité de cette double dénomination (cf. infra, p. 19)

2. J’emploie cette expression à la suite de Dominique Lahanier-Reuter et d’Yves Reuter (2007, p. 31), pour lesquels les configurations disciplinaires « organis[ent] de manière spécifique les composantes de la discipline, selon des espaces tels que celui de la prescription (textes officiels), de l’encadrement des pratiques (inspection, formation, militantisme, manuels…), des pratiques sur le “terrain”, des représentations des acteurs ». Dans ce travail, les configurations que je distingue correspondent souvent à différentes périodes historiques, mais pas uniquement.

3. J’emprunte l’expression – au prix d’un léger détournement – à l’éditorial d’un numéro de Recherches (1990a) consacré aux Genres, qui s’interrogeait déjà sur la réhabilitation des genres : « Reste à se demander pourquoi la didactique du français, ces dernières années, réhabilite une notion millénaire et marquée du sceau de l’archaïsme voire du label réactionnaire des Belles Lettres. Peut-être faut-il voir là, paradoxalement, l’héritage historique de l’ouverture du cours de français aux “mauvais genres” : aborder les textes par le biais du “genre” n’autorise-t-il pas à traiter tout texte, sans s’en tenir aux genres constitués, canoniques, normatifs ? » Le Précis de littérature de la collection « Organibac » (Calais et Doucet, 1988), collection qui se veut innovante, introduit ainsi sa partie sur les genres littéraires : « S’il est une notion qui peut paraître désuète et dépassée, c’est bien celle de “genre littéraire”. Les écoles du siècle dernier, aussi bien que les gros bataillons de la critique moderne ont depuis longtemps donné l’assaut à la forteresse de l’idéal classique, et à la classification, qui se voulait rationnelle et intemporelle, des grands et petits genres de la boutique littéraire. Néanmoins, en dépit des incertitudes qui entourent désormais le concept même de

“genre littéraire”, il apparaît nécessaire de s’y reconnaître et d’admettre, au moins provisoirement, quelques éléments d’analyse et de classification » (p. 141). On ne saurait guère être plus prudent.

(11)

vigueur ont abandonné l’enseignement de la littérature : ils en veulent justement pour preuve le fait qu’aucun nom d’œuvre ni d’auteur n’y figure, et qu’on les a remplacés par un

« rangement » des textes en genres, par un « catalogue simplificateur », par une « méthode » réductrice qui met la littérature dans des tiroirs (Wainer, 2002b).

La question du genre est donc au cœur des questions liées à la discipline, en tant qu’objet disciplinaire chargé d’enjeux et ancré dans une longue histoire, mais aussi en tant que se pose à travers lui la question des relations que la discipline français entretient avec les espaces extrascolaires : les genres littéraires appartiennent aussi à d’autres sphères socioculturelles que l’école. Enfin, le genre littéraire a en quelque sorte une double existence au sein de la classe : d’une part en tant que concept, et d’autre part en tant que corpus de textes. C’est d’ailleurs dans ces deux acceptions qu’il m’intéresse ici : même lorsque le genre n’est pas en tant que tel une notion disciplinaire, des genres sont étudiés, privilégiés, disqualifiés, que ces genres soient ou non visibles en tant que genres et qu’ils fassent ou non le sujet de descriptions ou de prescriptions précises. Il faut cependant préciser d’emblée que, dans le corpus très vaste des programmes entre 1802 et 2001, il n’est quasiment jamais question du genre, en tant qu’objet disciplinaire. La première mention que l’on peut relever se trouve dans le programme de 1981 ; et c’est dans les textes publiés entre 1996 (programme de sixième) et 2001 (programme de première) qu’il est le plus présent puisque la notion y devient un savoir disciplinaire à part entière. Mais des genres sont nommés, cités voire évoqués, ne serait-ce que dans les listes d’œuvres à étudier, depuis le XIXe siècle : outre les programmes des vingt dernières années, ce sont ces mentions qui nous intéresseront, lorsqu’il s’agira d’étudier les textes officiels.

La question qui guide ce travail est donc celle des rapports complexes que la discipline français entretient, dans l’enseignement français1, avec les genres littéraires : quels genres – et quelles théories des genres – sont présents dans la discipline français, et avec quels statuts ? Comment sont-ils disciplinairement construits – lorsqu’ils le sont – en tant qu’objets d’enseignement ? Quels sont leurs fonctions et leurs usages ?

1. Une comparaison avec l’enseignement du français langue maternelle dans les autres pays francophones reste à faire.

(12)

Définition du genre

Pour pouvoir répondre à ces questions, il faut cependant construire une définition opératoire de l’objet « genre littéraire » et ne pas se dérober devant la question faussement candide de Tzvetan Todorov (1987, p. 31) :

Mais […] qu’est-ce, au fond, qu’un genre ?

Définir le genre est en effet une entreprise à la fois simple et hasardeuse. Simple, parce qu’il est toujours possible de proposer une définition minimaliste :

Le mot « genre » désigne une classe d’objets qui partagent une série de caractères communs.1

Hasardeuse parce que, on le sait aussi, ce genre de définition est loin de régler la question du genre : bien d’autres mots pourraient sans doute convenir à cette première définition, et comment distinguer le genre de la catégorie, du type, voire de l’espèce ? Les réponses varient selon les disciplines, les époques et les auteurs. Je ne proposerai cependant pas ici un état exhaustif de la question2 mais, paraphrasant Todorov, je poserai plutôt la question :

« Mais au fond, qu’est-ce qu’un genre littéraire dans ce travail ? », question qui appelle une réponse en deux temps, pour définir le genre, puis plus particulièrement le genre littéraire.

Pour le premier temps (la définition du genre), je développerai mon propos en plusieurs étapes, qui l’articuleront aux débats et théories sur le sujet. Il est entendu que je n’ai cherché ni à réinventer le genre, ni à en proposer une nouvelle définition, mais à construire un concept cohérent et opératoire pour ma recherche.

Les genres du discours

J’emprunte pour l’essentiel ma définition à Mikhaïl Bakhtine (1979/1984, p. 265) dont la célébrité de la définition n’a d’égale que sa concision, comme en témoignent ces deux lignes lapidaires dès la première page de l’essai intitulé justement « Les genres du discours » (c’est lui qui souligne) :

[C]haque sphère d’utilisation de la langue élabore ses types relativement stables d’énoncés, et c’est ce que nous appelons les genres du discours.

1. Aron, Saint-Jacques et Viala (2002), article « Genres littéraires », p. 248. Pour être exacte, il s’agit de la phrase d’ouverture de l’article, qui s’étend ensuite sur quatre colonnes.

2. Cf. par exemple, parmi les travaux récents sur les genres littéraires : Genette et Todorov, 1986 ; Caluwé, 1987 ; Todorov, 1987 ; Schaeffer, 1989 ; Combe, 1992 ; Saint-Gelais, 1998 ; Canvat, 1999 ; Branca-Rosoff, 1996 ; Dambre et Gosselin-Noat, 2001 ; Dion, Fortier et Haghebaert, 2001 ; Soulier et Ventresque, 2003 ; Macé, 2004 ; Seillan, 2005.

(13)

Le genre est donc pour Bakhtine une entité formelle à la fois socio-linguistique et socio- historique, qui s’ancre dans la réalité quotidienne du langage. Cette dimension double, voire triple, qui donne au genre une existence – et une épaisseur – à la fois socio-historique et langagière, est centrale dans mon travail.

Je vois dans les propositions de Bakhtine un autre intérêt, celui d’avoir ouvert la notion de genre à des catégories de textes non littéraires. Traditionnellement en effet, la question des genres est une question de spécialistes de la littérature, qui se réfèrent à de grands ancêtres1, ou à des modernes parfois plus critiques2, mais qui en restent dans le cadre de la littérature.

Pour Bakhtine (1979/1984) en revanche, les genres littéraires3 n’ont pas de différence de nature avec les autres genres du discours. Il précise donc qu’il n’y a pas de raison de séparer leur étude de celle des autres formes du discours, puisqu’ils ont avec eux en commun leur

« nature verbale » (id., p. 266 ; c’est lui qui souligne) :

On a étudié – et plus que toute autre chose – les genres littéraires. Mais ceux-ci ont toujours (qu’il s’agisse de l’Antiquité ou de la contemporanéité) été étudiés sous l’angle artistique-littéraire de leur spécificité, des distinctions différentielles intergénériques (dans les limites de la littérature), et non en tant que types particuliers d’énoncés qui se différencient d’autres types d’énoncés, avec lesquels ils ont toutefois en commun d’être de nature verbale (linguistique).

Face à l’extrême hétérogénéité des genres du discours et à la difficulté que pose la tentative de définition générale de l’énoncé, Bakhtine propose donc, non pas de distinguer les genres littéraires des autres genres de discours, mais de distinguer les genres premiers et les genres seconds, les genres littéraires étant au nombre de ces derniers, aux côtés par exemple du

« discours scientifique » et du « discours idéologique », avec lesquels ils partagent une caractéristique essentielle, celle d’apparaître « dans le cadre d’un échange culturel », c’est- à-dire de n’être pas spontané (ibid., p. 267).

C’est le deuxième emprunt que je fais à Bakhtine, mais que je détourne. Cette idée des

« genres seconds » me semble en effet particulièrement stimulante, mais non pas dans l’opposition qu’elle opère entre genres premiers et seconds : que la lettre, par exemple, soit par nature et définitivement un genre premier semble trop réducteur ; vouloir ranger tous

1. Platon et Aristote essentiellement, mais aussi plus près de nous Boileau ou certains romantiques comme Schiller ou Hugo. Cf. infra, p. 72 sqq.

2. Maurice Blanchot (1959) ou Benedetto Croce (1904), par exemple.

3. Par lesquels il a commencé ses travaux sur les genres : cf. Todorov (1981, p. 123 sqq.)

(14)

les genres d’un côté ou d’un autre paraît difficile – et vain1. C’est la propriété que Bakhtine leur attribue qui nous intéressera ici, celle de pouvoir « absorber et transmuter » les genres premiers, dans une opération quasi alchimique (ibid. ; c’est moi qui souligne) :

Au cours du processus de leur formation, ces genres seconds absorbent et transmutent les genres premiers (simples) de toutes sortes, qui se sont constitués dans les circonstances d’un échange verbal spontané. Les genres premiers, en devenant composantes des genres seconds, s’y transforment et se dotent d’une caractéristique particulière : ils perdent leur rapport immédiat au réel existant et au réel des énoncés d’autrui – insérée dans un roman par exemple, la réplique du dialogue quotidien ou la lettre, tout en conservant sa forme et sa signification quotidienne sur le plan du seul contenu du roman, ne s’intègre au réel existant qu’à travers le roman pris comme un tout, c’est-à-dire le roman conçu comme un phénomène de la vie littéraire-artistique et non de la vie quotidienne. Le roman dans son tout est un énoncé au même titre que la réplique du dialogue quotidien ou la lettre personnelle (ce sont des phénomènes de même nature), ce qui différencie le roman, c’est d’être un énoncé second (complexe).

Je retiens donc cette idée d’une secondarisation2 possible des genres, que je reformule de cette façon : les genres « absorbent et transmutent » sans cesse d’autres genres, et ces genres transmutés peuvent « perdre leur rapport immédiat au réel existant », c’est-à-dire aux conditions socio-historiques et/ou énonciatives qui ont vu naître les genres d’origine. Dans ce cadre, « premiers » et « seconds » ne définissent pas des catégories fermées de genres, mais un processus, puisqu’un genre « second » peut devenir « premier » et être à son tour absorbé et transmuté. On verra ce processus à l’œuvre souvent à l’école, qui construit justement des genres par absorption et transmutation de genres déjà existants, les genres

« seconds » ainsi construits se trouvant souvent coupés des conditions d’émergence ou d’existence des genres « premiers ».

1. La concision du texte de Bakhtine a d’ailleurs donné lieu à de multiples commentaires et interprétations.

L’une des réserves principales émises à son égard concerne la hiérarchisation que peut induire cette distinction genres premiers/genres seconds, si on l’interprète en terme de genres oraux/genres scripturaux. Cf. par exemple Bronckart (1998, p. 389).

2. J’utilise le terme dans un sens un peu différent d’Élisabeth Bautier (par exemple Bautier et Goigoux, 2004) qui désigne ainsi le « rapport second au savoir » que l’école demande aux élèves, à savoir une décontextualisation avec changement de finalité. Martine Jaubert et Maryse Rebière (2002) reprennent l’expression dans un sens assez voisin, pour désigner le processus de mise à distance des pratiques langagières ordinaires dans le cadre de la « communauté discursive » (Bernié, 2002) qu’est la classe. Ce ne sont pas, pour ma part, les processus de mise à distance qui m’intéressent ici, mais plutôt les processus de recomposition et reconfiguration. Dans ce sens, mon emploi du terme s’apparente davantage à celui de Schneuwly (2007a), qui l’utilise pour décrire les progressions curriculaires en matière de genres textuels.

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Niveaux de catégorisation et hétérogénéité

Bakhtine en revanche ne va pas plus loin sur cette question des niveaux de hiérarchisation des genres1, qui a suscité maints débats, et qui recoupe en partie celle de leur nature : à quel niveau situer le genre ? Je laisse de côté pour l’instant la « triade romantique », sur laquelle je reviendrai dans le chapitre concernant les taxinomies poétiques (cf. infra, chapitre 2, p. 78). La question de la triade n’épuise de toute façon pas les problèmes de niveaux de catégorisation des genres. Certains auteurs distinguent en effet genres et sous-genres2, genres et hypergenres3, microgenres, mégagenres et mésogenres4 voire genre et « champ générique »5. Mais classer ainsi genres, sous-genres et grands genres tend généralement à suggérer que certains genres sont supérieurs à d’autres. L’histoire des genres et des classements génériques est pleine de ces hiérarchisations plus ou moins explicites : si l’époque classique distingue très clairement grands et petits genres, des hiérarchies plus insidieuses ont pu aussi exister à des époques plus récentes, notamment autour du roman, dont les « sous-genres »6 (roman policier, roman sentimental, roman historique, etc. ) ont pu être assimilés à une « sous-littérature », ou une « infralittérature »7. Certains théoriciens ont

1. Il propose bien des listes de sous-genres du roman, mais, comme l’a montré Todorov (1981, p. 42), il s’agit pour lui d’une donnée empirique, et non d’une construction théorique.

2. Aron Kibédi Varga (1984, p. 898) par exemple voit dans les sous-genres des « subdivisions historiques ou thématiques », et subdivise les sous-genres en « sous-sous-genres », les textes qui les constituent pouvant être considérés comme des « variantes » du sous-genre.

3. Le concept a été surtout théorisé par Dominique Maingueneau (1998, 2004b), qui en fait une catégorie englobante sans ancrage socio-historique déterminé, à la limite du genre, pour désigner notamment la lettre et le dialogue, « structures génériques aux contraintes pauvres » (1998, p. 60). Marie-France Bishop (2004, p. 456 sqq.) avance le terme pour désigner les « écritures de soi » à l’école. Quant à Jean Molino (1993), il parle d’hypergenre pour désigner la littérature dans son ensemble, là où Maingueneau (1993, p. 66) définissant les genres comme des « contrats discursifs tacites », préfère décrire la littérature comme un « “méta-genre” qui commande leur mode de circulation et de consommation ».

4. Cf. Molino (1993), qui voit dans les mésogenres un niveau intermédiaire mouvant et poreux, qui peut se construire de manière différente selon le corpus d’œuvres que l’on retient et les critères définitoires que l’on privilégie. Le « micro-genre » est également une catégorie convoquée par Marc Fumaroli (1994), qui nomme ainsi les formes codifiées et globalement admises, mais correspondant à un objet très restreint.

5. François Rastier (2001, p. 230) : « Un champ générique est un groupe de genres qui contrastent, voire rivalisent dans un champ pratique : par exemple, au sein du discours littéraire, le champ générique du théâtre se divisait en comédie et tragédie. »

6. Le roman pose ici des problèmes spécifiques, puisqu’une même œuvre peut être classée parmi différents sous-genres à la fois (historique, sentimental, etc.). Par ailleurs, l’existence même des sous-genres romanesques ne fait pas unanimité parmi les critiques. Pour Marthe Robert (1972), tout classement thématique des romans est par nature absurde, et le classement des romans par sujet « dissout la notion de genre […] avant même qu’elle ait pu se former » (p. 23). Michel Zéraffa (1978, p. 98) en revanche accepte « les romans picaresque, historique, policier et [le] roman d’éducation, car ce sont des structures narratives traduisant des schémas sociologiques et culturels particulièrement nets », mais pas les « romans psychologiques, autobiographiques, réalistes, sentimentaux, exotiques, paysans, régionalistes ».

7. C’est d’ailleurs en partie en réaction contre cette conception hiérarchisée de la valeur des œuvres littéraires qu’a été construite la notion de « paralittérature », dont le préfixe para- (en grec : à côté de) permet justement d’échapper à cette idée d’infériorité. Cf. par exemple Arnaud, Lacassin et Tortel, 1970 ; Pratiques, 1986a.

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tenté d’échapper à ce piège de la hiérarchisation1 : Dominique Maingueneau (1998, p. 56) distingue par exemple le genre « lettre » et les sous-genres « correspondance privée »,

« courrier administratif », « courrier publicitaire », dont les spécifications dépendent du type de discours (littéraire, religieux, philosophique, etc.). Il distingue ensuite d’autres niveaux de sous-genres ; la correspondance privée peut se subdiviser, selon la visée pragmatique par exemple, entre « lettres d’amour », « de condoléances », etc., ou selon le support : courrier électronique ou papier, par exemple. Mais il ajoute (id. ; c’est moi qui souligne) :

Les genres et sous-genres ne sont tels que du point de vue à travers lequel on construit la classification : du point de vue du genre épistolaire, la lettre d’amour est un sous-genre, mais c’est aussi un des genres de l’expression des sentiments amoureux. Dans la mesure où les genres sont des institutions de parole socio- historiquement définies, leur instabilité est grande et ils ne se laissent pas ranger dans des taxinomies compactes.

Dans la perspective qui est la mienne, j’adopterai une définition souple, qui ne cherche ni à hiérarchiser, ni à inclure les genres ; autrement dit, roman, roman policier, poésie, tragédie, autobiographie, épopée, etc. sont ici des genres, et s’il m’arrivera de parler de sous-genres, ce sera plus par commodité ou, comme le propose Maingueneau, pour distinguer différentes spécifications discursives et différents points de vue : cette question du point de vue me semble en effet essentielle, et j’y reviens infra (p. 18).

Il faut dire encore un mot d’une autre question importante s’agissant du genre, à savoir celle de l’hétérogénéité des critères qui construisent la notion : formels, thématiques, historiques, pragmatiques, énonciatifs, etc. Cependant, si, d’une manière plus générale, les typologies textuelles ont fait elles-mêmes l’objet de nombreuses tentatives de typologisation (Schneuwly, 1987 ; Petitjean, 1989 ; Canvat, 1996 ; Branca-Rosoff, 1999), on ne peut que prendre acte de l’hétérogénéité constitutive des genres, d’autant que, comme le souligne Karl Canvat (1998, p. 274), c’est la faible consistance théorique de la notion qui en fait justement l’intérêt :

Loin de constituer un obstacle, cette hétérogénéité rend paradoxalement la notion de genre particulièrement intéressante, théoriquement et didactiquement. À la différence des types de textes qui fonctionnent comme des schémas stables, universels, abstraits et anachroniques, le genre fonctionne comme une forme labile, à la fois ouverte et relativement contraignante, qui rattache un texte à une socio-culture et à une histoire

Jacques Dubois (1978/2005) préfère quant à lui parler de « littératures minoritaires », et Bernard Mouralis (1975) de « contre-littératures », toutes désignations qui marquent des choix théoriques (cf. infra, chapitre 3, p. 110).

1. Aron Kibédi Varga (1984, p. 898) envisage un classement des genres littéraires en « une hiérarchie de trois étages », mais sa hiérarchisation n’implique pas – précise-t-il d’emblée – que certains genres soient supérieurs à d’autres. Sa prudence n’est cependant pas si commune, et les hiérarchisations restent souvent ambiguës, particulièrement dans la tradition littéraire.

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déterminées et qui mobilise, par conséquent, un certain nombre de composantes textuelles évacuées par les typologies (thématiques, rhétoriques, socio-discursives…).

Cette hétérogénéité du genre est donc partie intégrante de la définition de la notion ; à la suite de Canvat (1999, p. 86-87), on peut distinguer différents composants, qui ne sont pas toujours tous présents en même temps, mais qui peuvent éventuellement se décrire en terme de

« dominante » : composants institutionnels, énonciatifs, fonctionnels, formels et thématiques.

Métaphore et concept

Si j’adopte la définition bakhtinienne, c’est qu’elle offre une réelle souplesse et ignore les grands échafaudages théoriques auxquels la question du genre a souvent donné lieu. Mais il me semble en réalité que le genre est parfois mieux approché de façon intuitive, à l’aide de métaphores ou d’analogies, et ce d’autant plus que le terme est lui-même métaphorique : le genre, c’est d’abord une catégorie biologique, que l’étymologie ancre dans l’idée de la

« génération », c’est-à-dire de ce qui est généré ; tel est en effet le premier sens du latin genus1. Et cette image de l’espèce est devenue l’une des analogies les plus fréquentes2, en partie bien sûr par sa filiation avec les catégories aristotéliciennes, mais en partie sans doute aussi parce que les taxinomies des biologistes et des naturalistes, celles des cabinets d’histoire naturelle, celles des collections de spécimens, celles de Linné, de Cuvier comme celle ensuite de Darwin, qui introduit des liens généalogiques dans l’ordre taxinomique, ont largement inspiré les classifications des sciences humaines (Foucault, 1966).

Certes, ce processus analogique n’est pas sans danger, comme on le verra en analysant plus précisément les conséquences possibles de la métaphore naturaliste (infra, p. 95 sqq.), d’autant que l’analogie avec l’espèce végétale ou animale contribue également à naturaliser le genre littéraire, qui n’est pas, à travers cette métaphore, perçu comme une catégorie

1. La même polysémie se retrouve dans d’autres langues, permettant le même rapprochement analogique.

Gœthe (1819/1952) utilise pour désigner les « genres » poétiques le terme allemand de Art, que l’on traduit généralement par « sorte », mais qui peut désigner aussi l’espèce biologique. Le terme couramment employé actuellement pour désigner le genre littéraire (et que Gœthe n’utilise pas dans son texte), est le terme Gattung, qui signifie en biologie l’« ordre », et qui vient d’un ancien verbe gatten : réunir, fusionner ; ce verbe actuellement inusité a donné begatten : saillir, couvrir ou copuler. On reste donc dans cette filiation avec le

« genos » grec. Hempfer (1997, p. 652) précise d’ailleurs dans son historique du mot Gattung que ce sont « les équivalents latins et grecs de Genre (genos et genus) et d’espèce (eidos et species) qui ont fait fonction de termes techniques pour la poétique, depuis les débuts en Europe de la réflexion sur la poésie » (c’est moi qui traduis).

2. Elle a également servi de fondement à la théorie de Ferdinand Brunetière (1890/2000), sur laquelle je reviens infra, p. 95 sqq.

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culturelle, ni comme une production artistique, mais comme une entité autonome, avec une existence propre, capable de vivre et de mourir1.

Il serait dommage cependant d’en rester là, tant les effets de sens des métaphores sont complexes et justement pas univoques. Il est intéressant en effet de s’interroger aussi sur la

« vérité métaphorique », pour reprendre l’expression de Paul Ricœur (1975)2, de ces images, et de dépasser l’opposition classique entre métaphore et concept, comme le propose Jacques Derrida3 :

Toutes les métaphores ne sont-elles pas, rigoureusement parlant, des concepts, et y a-t-il du sens à les opposer ? La rectification de la critique scientifique ne va-t-elle pas plutôt d’un concept-tropique inefficient, mal construit, à un concept-tropique opératoire, plus fin et plus puissant, dans un champ donné et à une phase déterminée du procès scientifique ?

C’est peut-être en ce sens que l’on peut relire les métaphores secondaires, en quelque sorte (au sens où la métaphore du « genre » serait première), qui servent de définition au genre, et qui sont nombreuses et variées : comme autant de tentatives pour rendre plus opératoire le

« concept-tropique », pour essayer de rectifier l’image de départ. Marielle Macé (2004, p. 29-33) a ainsi fait un inventaire de l’« imaginaire des genres », pour voir en particulier ce que ces images disent du genre : le genre peut être moule, ou cage, lorsqu’il est prescriptif ; il peut appartenir à une famille, et son histoire s’inscrire dans une généalogie ; dans un paradigme biologique, il est membre d’un corps, et on peut s’interroger sur les fonctions de ces organes ; sur un mode énumératif, il est entrée d’un inventaire, et on peut juxtaposer sans fin les genres dans des listes et des catalogues ; l’organisation dans un tableau permet davantage de dénaturaliser les genres et peut avoir une fonction heuristique ; l’image des constellations met l’accent sur les liens, visibles ou invisibles, entre les genres ; celle des décors ou des cadres met plutôt l’accent sur leur statut conventionnel4.

On pourrait compléter la liste de Macé, qui s’en tient aux genres littéraires. D’autres images, élaborées dans d’autres champs disciplinaires, témoignent d’autres conceptions du genre.

1. On pourrait sans doute voir dans la plupart des métaphores qui désignent le genre une forme de naturalisation, tant les images convoquées, quelles qu’elles soient, ramènent le genre à des choses ordinaires, quasi quotidiennes : un moule, un catalogue, une famille. Or, si ces objets sont éminemment culturels, le sens commun a pourtant tendance à les considérer comme des choses quasi « naturelles », au sens où il est

« naturel » de fonder une famille, ou de consulter un catalogue.

2. Ricœur nomme ainsi « l’intention “réaliste” qui s’attache au pouvoir de redescription du langage poétique » (1975, p. 310).

3. Cité par Claudine Normand (1976, p. 68).

4. Concluant son inventaire des différentes images, Marielle Macé plaide ainsi pour une « ontologie tolérante de la notion » (id., p. 33).

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Bernard Schneuwly (notamment 1998 ; cf. aussi Dolz et Schneuwly, 1998) voit dans le genre un « outil ». Or cette image de l’outil ou du méga-outil (voire de l’usine) fait du genre quelque chose de matériel et d’indispensable, dont l’existence n’est pas discutable, mais qui peut être transformé et réinventé à l’infini. On est très loin d’une conception fermée des genres, très loin aussi d’une conception hiérarchisante : si certains outils sont plus perfectionnés que d’autres, peut-on vraiment dire que les plus sommaires sont les moins utiles ?

Tout aussi peu hiérarchisante est la belle métaphore proposée par Jean-Paul Bronckart (1996a, p. 76 ; c’est lui qui souligne), qui voit dans les genres des étoiles :

[L’]organisation des genres se présente aux yeux des usagers d’une langue sous la forme d’une nébuleuse, comportant des îlots plus ou moins stabilisés (genres clairement définissables et étiquetables), et des ensembles de textes aux contours flous et en intersection partielle (genres pour lesquels les définitions et les critères de classement restent mobiles et/ou divergents).

Cette métaphore rend compte en effet de plusieurs caractéristiques des genres, tels qu’ils sont définis par Bronckart : comme les étoiles qu’on a parfois du mal à distinguer, les genres sont vagues ; comme elles, ils peuvent apparaître et disparaître ; ils sont en mouvement perpétuel, et leur mobilité fait que les frontières entre eux sont instables et floues. L’image des nébuleuses permet de conceptualiser de manière souple cette conception du genre, et de marquer là encore l’écart par rapport aux représentations traditionnelles des systèmes génériques.

C’est pourtant une autre image qui correspond le mieux me semble-t-il à la conception du genre qui a été la mienne tout au long de ce travail : s’il faut définir les genres de façon métaphorique, c’est l’image des familles que je retiens. Non pas tant comme Jauss (1986, p. 421) pour rendre compte de leur dimension historique, ni comme on le fait parfois à la suite de Wittgenstein pour mettre en avant les ressemblances, les « airs de famille »2, mais parce qu’elle permet d’intégrer une dimension qui me semble essentielle : la délimitation et

1. « Il s’agit de saisir les genres littéraires non comme genera (classes) dans un sens logique, mais comme groupes ou familles historiques. On ne saurait donc procéder par dérivation ou par définition, mais uniquement constater et décrire empiriquement. En ce sens, les genres sont analogues aux langues historiques (l’allemand ou le français par exemple), dont on estime qu’elles ne peuvent être définies, mais uniquement examinées d’un point de vue symbolique ou historique. » Ce parallèle entre genres et langues est repris par Bronckart (1996b, p. 34) : « À une autre échelle peut-être, les genres et leurs utilisateurs sont dans le même rapport génétique et dialectique que le système d’une langue naturelle et ses utilisateurs. »

2. Wittgenstein (1953/1986) forge l’expression pour décrire les analogies entre les jeux de langage, et plus largement pour les concepts qui n’ont pas de limite rigoureuse (il prend aussi l’exemple du concept de

« nombre »).

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la caractérisation du genre sont affaire avant tout de point de vue. Socio-historiquement et culturellement, genres et familles sont des catégories mouvantes et, selon le point de vue que l’on adopte, tel peut être un cousin ou un étranger, appartenir à une version plus ou moins élargie de la famille, et appartenir en même temps, par des liens tout aussi essentiels – ou tout aussi fragiles – à une ou plusieurs autres configurations familiales.

Genre « littéraire » et genre « textuel »

Venons-en à l’adjectif littéraire : il sert ici à caractériser des sortes de genres, si je puis dire, et n’a pas d’autre sens que celui qu’on lui donne dans l’institution scolaire. Or la définition scolaire de la littérature a subi des variations importantes selon les configurations disciplinaires : jusqu’aux années 1970-1980, étaient littéraires par définition1 les textes scolarisés en cours de français. Comme le faisait remarquer Roland Barthes dans une formule restée fameuse (1971/2002a, p. 945), « [l]a littérature, c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout ». Jusqu’à la fin du XIXe siècle d’ailleurs, voire parfois au-delà, étaient par là même littéraires aussi bien les œuvres des historiens2 que celles des critiques littéraires, aussi bien les discours des prédicateurs que ceux des hommes politiques, aussi bien les textes sacrés que les textes des naturalistes3. Les années 1970-1980 marquent une rupture souvent commentée : on introduit à l’école, à côté des textes littéraires, d’autres textes, articles de presse, publicités, écrits ordinaires, fonctionnels, etc.4, puis suivra la « littérature de jeunesse » qui, pour les uns, devenait moins littéraire d’être « de jeunesse », et pour les autres, donnait une légitimité « littéraire » à des textes qui jusqu’ici étaient le plus souvent relégués hors de la littérature patrimoniale (Cf. par exemple Beaude, Petitjean et Privat, 1996). Prenant donc acte de la fluctuation des délimitations du « littéraire », et de

1. On pourrait presque dire, en usant d’une métaphore informatique, « par défaut ».

2. Pendant la majeure partie du XIXe siècle, l’enseignement de l’histoire est à la charge du professeur de lettres, dans le cadre de l’enseignement des humanités. Le corpus des textes « anciens », que j’étudie dans le chapitre 8 (infra, p. 288 sqq.), permet de voir à l’œuvre une autre forme des relations qui unissent les deux disciplines.

3. Sans compter les manuels qui proposent des textes écrits par les auteurs du manuel, ou d’anciens élèves, comme le fait par exemple Le Clerc (1823/1830, p. 378), qui donne comme modèles pour « rassurer » les élèves « de simples compositions scolastiques, du genre de celles qu’ils font tous les jours », qui sont

« l’ouvrage de quelques-uns de [s]es anciens élèves, dont [il a ] vu naître le talent ».

4. Qui, comme le souligne l’éditorial de Recherches (2007), devenaient légitimes de n’être pas littéraires (p. 5 ; c’est lui qui souligne) : « Ces nouveaux objets à enseigner trouvaient leur légitimité dans l’élitisme supposé de l’objet littéraire : la littérature était perçue comme machine à sélectionner les élèves, forcément inégaux sur la ligne de départ face à une culture littéraire dont ils étaient ou non les héritiers. En conséquence, ces textes non marqués du sceau du littéraire, précisément parce que jugés comme non marqués, devenaient en eux-mêmes de bons objets à enseigner : ils étaient censés mettre les élèves à égalité face à leur étude. »

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l’imprécision de sa définition1, je ne chercherai pas ici à conceptualiser la notion, que j’emploie dans une acception minimale : est littéraire dans ce travail tout texte que l’école considère comme tel, aussi bien donc les discours de Napoléon dans les manuels de la fin du XIXe siècle que les albums de jeunesse de ce début du XXIe siècle, qui deviennent littéraires du seul fait d’appartenir justement à la littérature de jeunesse2. Je retrouve ici la définition qu’en proposait Jean-Pierre Goldenstein (1983) dans un ancien numéro de Pratiques consacré à l’enseignement de la littérature (p. 4-5) :

Pour l’école, qu’est-ce que la littérature ? On comprendra aisément que nous ne pourrons adopter ici qu’une position pragmatique de compromis […] en considérant de façon circulaire et insatisfaisante que la littérature scolaire est ce qui est reconnu comme faisant partie du corpus « littérature » par l’école, et conjointement le mode de consommation de ce corpus. La littérature scolaire a élaboré au fil des ans un mode d’appropriation que l’on désigne couramment aujourd’hui sous la dénomination de « discours de l’école sur les textes » : sélection, réduction, calibrage et appareillage du texte en vue de l’usage pédagogique conforme, mise en morceaux choisis des « plus belles pages » de notre littérature, désénonciation, censure du politique et du sexuel, décision d’interpréter, codification de la lecture critique, etc.

Par ailleurs, j’adjoins parfois à ce corpus des textes littéraires d’autres textes lus et travaillés à l’école, qui, sans être considérés comme littéraires (certains genres argumentatifs, par exemple), sont articulés aux textes littéraires en ce sens qu’ils sont des objets disciplinaires permettant des activités similaires aux genres littéraires. Je parlerai le cas échéant de genres textuels3 étant entendu que l’expression est une catégorie de travail, et ne vaut que parce qu’elle fait système avec « genre littéraire ». Mais il m’arrivera aussi de les englober dans la catégorie des textes littéraires, pris alors au sens ancien que j’évoquais ci-dessus, et qui voyait dans tous les textes d’auteurs lus et travaillés en classe des textes « littéraires », quel que soit le statut institutionnel et disciplinaire des auteurs.

Ma recherche concerne donc les genres littéraires qui sont objets d’enseignement et d’apprentissage4 en cours de français. Elle ne concerne pas les genres scolaires1 que sont par

1. Par exemple Compagnon (1998) qui passe en revue les différentes acceptions du terme.

2. Les albums ont d’ailleurs acquis une nouvelle légitimité tout récemment lors de l’institutionnalisation d’une discipline « littérature » à l’école primaire. Cf. infra, p. 334, note 3.

3. André Petitjean (1992) utilise cette expression de « genre textuel » pour décrire les modes de classification textuelle, et conclut ainsi que « le “genre textuel” est un concept métatextuel dont la logique de construction, certes hétérogène, n’est pas aléatoire ». J’utilise ici l’expression non pas comme un concept, mais comme une notion commode pour désigner des textes à la frontière parfois de la littérature. Pour le dire autrement, il me semble que c’est le « genre » qui intéresse Petitjean plus que le « textuel », alors que c’est ici le « textuel » que je mets en avant.

4. À la suite de Jean Houssaye (1988) et de Reuter (2007a), je distingue enseignement et apprentissage en tant qu’ils sont deux processus distincts dont les rapports sont complexes.

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