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INTRODUCTION

Étudier les formes scolaires du genre ne peut se cantonner à cette première approche diachronique : en tant qu’ils sont des outils de l’enseignement et des apprentissages, les genres ne peuvent être pris isolément, d’autant que d’autres modes de classement des textes ont pu exister – voire coexister – à l’école à différentes époques : classement par auteurs, par formes (en dehors du genre, il y a par exemple la distinction vers/prose, longtemps structurante à l’école), classements thématiques, chronologiques, mais aussi méthodologiques1 voire classements par niveaux (collège/lycée ; 6e/5e/4e/3e, etc.) ou par filières (général/professionnel ; filles/garçons).

Cette deuxième partie se propose donc de replacer les genres dans un certain nombre de ces systèmes de classification et de classement des textes, qui sont des systèmes théoriques – scolaires ou extrascolaires – complexes et variables selon les configurations disciplinaires. Car il se joue dans les catégories textuelles quelque chose d’essentiel, qui questionne à la fois les frontières de la littérature à l’école, et celles de la discipline français. Classer les textes, nommer des catégories, c’est en effet délimiter un territoire – pour reprendre la métaphore de la carte et de la cartographie (cf. introduction générale, supra, p. 21) – et configurer en quelque sorte le champ de la littérature et de son enseignement.

Il aurait sans doute fallu dépasser le cadre de la discipline français, et se demander ce que deviennent les genres en dehors de la classe de français : d’autres disciplines scolaires sont susceptibles de convoquer ou d’utiliser les genres textuels, notamment toutes celles qui travaillent sur des corpus de textes (la philosophie, l’histoire, mais aussi les langues vivantes, par exemple). Je me suis heurtée cependant à plusieurs difficultés. La première

1. On pourrait également signaler comme une variante des classements méthodologiques les organisations de

manuels autour des différentes rubriques du programme qui ont longtemps structuré les manuels de collège. Par exemple, parmi beaucoup d’autres, le sommaire de Cayrou, (1954, classe de cinquième) présente les rubriques suivantes : « I. Explications françaises. Morceaux choisis des prosateurs et des poètes du XVIIe au XXe siècle. La Fontaine, Fables choisies. Daudet, Pages choisies. II. Lectures suivies et dirigées. Contes et récits traduits des grands écrivains antiques. Contes et récits du moyen âge mis en français moderne. Racine,

Les Plaideurs. Victor Hugo, Poèmes choisis. Contes et récits en prose des XIXe-XXe siècles. » L’organisation du manuel suit donc le programme. On retrouve d’une autre manière cette forme d’alignement sur le programme dans des ouvrages plus récents, qui envisagent une progression des apprentissages autour de chapitres méthodologiques reprenant les savoirs et savoir-faire au programme. Dans tous ces cas, les manuels affichent ainsi leur conformité avec les textes officiels.

tient au fait que les genres ne sont pas, dans ces disciplines, des objets disciplinaires1, comme le montrent la lecture des textes officiels en vigueur ainsi qu’un sondage que j’ai effectué dans plusieurs manuels de philosophie, d’histoire-géographie et d’allemand : l’histoire et la géographie s’intéressent aux textes en tant qu’ils sont des « documents » (cf. par exemple Audigier, 1993), catégorie d’objets disciplinaires qui semble n’avoir en rien besoin du genre ; l’allemand (à l’instar sans doute des autres langues vivantes enseignées dans le secondaire) travaille sur des textes qui peuvent être référés de façon assez lâche à des genres (roman, nouvelle, article de presse, petite annonce, etc.), mais sans que cela soit un objet de travail explicite avec les élèves : l’essentiel est centré sur l’acquisition de savoirs langagiers et linguistiques, et les genres, quand ils sont explicitement convoqués (ce qui est rarement le cas), restent des savoirs à peine protodisciplinaires, puisqu’on attend éventuellement de l’élève une capacité de reconnaissance de la notion, mais qu’il n’est même pas sûr que l’on en repère le manque, tant le texte n’est souvent qu’un prétexte pour des activités et des pratiques disciplinaires. Quant à la philosophie, on pourrait penser qu’elle fait des genres un usage particulier, tant certains lui sont liés : le dialogue philosophique2, certaines formes de l’essai, mais aussi certains genres que Dominique Maingueneau (2004a, par exemple) nomme auctoriaux, comme les « méditations » ou les « traités ». Mais, si l’on s’en tient à la discipline scolaire philosophie, elle semble faire des genres un usage voisin de celui des langues vivantes : les genres y sont généralement des savoirs protodisciplinaires ; d’ailleurs, les textes sont indexés dans les manuels le plus souvent en fonction de thèmes et de problématiques3, voire, plus rarement, par auteurs ou de manière chronologique. Un petit ouvrage didactique (Raffin, 2002) à destination des enseignants s’en tient même à une typologie qui distingue les « textes philosophiques » et les « textes non-philosophiques ».

Confronter les formes scolaires des genres dans différentes disciplines relèverait donc, pour dépasser ces premiers constats, d’un travail d’une ampleur au moins comparable à celui qui est au centre de cette recherche, travail qu’il faudrait inscrire dans le champ des didactiques

1. Je reprends ici les catégories proposées par Yves Chevallard (1985/1991), en distinguant les notions disciplinaires (les objets d’enseignement, objets d’étude pour le spécialiste), paradisciplinaires (les outils de la

discipline) et protodisciplinaires (les prérequis).

2. Il est par exemple au centre de l’ouvrage dirigé par Cossuta (2004).

3. Le programme de philosophie dans toutes les séries des classes de terminale s’organise en effet autour de

« notions » (par exemple : le sujet, la culture, la politique, etc.), de « repères » transversaux (par exemple : abstrait/concret, croire/savoir, genre/espèce/individu, etc.) et d’auteurs : cf. Bulletin Officiel n° 25 du 19 juin 2003 et n° 7 du 1er septembre 2005.

des disciplines en question. La difficulté ici est affaire de compétence – ou plutôt d’incompétence : pour rendre compte des spécificités disciplinaires de l’objet « genre » dans les différentes disciplines, il faudrait s’inscrire dans une perspective comparatiste et « mettre en dialogue »1 (Daunay, 2007a) les différentes didactiques disciplinaires.

Plus modestement donc, cette partie met les genres en perspective selon une double étude : dans le chapitre 4, les genres sont confrontés aux modes de classements alternatifs qui existent ou ont existé dans la discipline français, pour voir ce que ces autres types de classification (thèmes, types, etc.) permettent de comprendre de la construction disciplinaire des genres textuels. Le chapitre 5 fait une incursion aux frontières cette fois de la discipline : puisqu’il ne me semblait pas possible d’explorer d’autres disciplines, j’ai choisi d’interroger les usages des genres dans les CDI (Centres de documentation et d’information) des collèges et des lycées, qui recomposent les catégories littéraires au travers des outils bibliothéconomiques qui leur sont propres, et particulièrement les classifications décimales. Ce détour, qui offre un point de vue différent sur l’objet, permet d’interroger un usage moins spécifiquement disciplinaire que ceux qui sont propres à la classe de français : nous verrons cependant que la même instabilité et la même souplesse caractérisent les genres dans les classifications décimales, et qu’il peut être reconfiguré différemment selon les finalités visées par les documentalistes mais que, dans tous les cas, il véhicule et contribue à construire une représentation scolaire de la littérature.

1. Je m’inscris donc ici pleinement dans la perspective ouverte par Reuter (2007a), qui souligne la différence

CHAPITRE 4. CLASSER LES TEXTES EN CLASSE