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Le Hezbollah est un facteur produit des fluctuations régionales

SECTION II : La résistance islamique contre l’occupation israélienne

C- Le Hezbollah est un facteur produit des fluctuations régionales

Toutefois, et à partir de 1993, une équation triangulaire s‘est stabilisée entre le Hezbol-lah, l‘Iran et la Syrie. Or, les paramètres de cette nouvelle équation ont contribué à donner au Hezbollah plus que jamais, un rôle d‘envergure au sein du conflit israélo-arabe. Ce conflit ne concerne pas la Syrie seulement mais, il concernait en principe l‘ensemble des pays arabes pour des considérations stratégiques, idéologiques, politiques et morales, les degrés d‘implication de ces derniers dépendaient en première instance de facteurs géopolitiques et historiques.

Nous avons bien constaté comment l‘invasion israélienne du Liban en 1982 avait permis à l‘Iran - l‘allié stratégique de la Syrie - de s‘intégrer pour la première fois de manière substan-tielle dans le conflit israélo-arabe. Grâce aux fonds venus de Téhéran, et le soutien des « gar-diens de la révolution » iraniens (les Pasdarans) qui ont permis de développer l‘appareil mili-taire de Hezbollah.1

Alors, la Syrie paraissait géographiquement encerclée par la présence militaire israé-lienne au Golan et au Liban, surtout après la signature de la paix entre l‘Egypte et Israël en 1978. D‘autre part, l‘établissement au Liban d‘un gouvernement hostile à la Syrie risquait de compléter son encerclement géopolitique dans la région.

L‘inaction des pays arabes et occidentaux face à l‘invasion israélienne rendait nécessaire la recherche d‘un allié capable de peser dans le bras de fer.2 Dans cette perspective, l‘Iran est apparu à la Syrie comme un allié solide pouvant lui fournir un soutien militaire, et géostraté-gique considérable. 3

1 M. Badro, op.cit.

2 Sur le terrain, cette alliance a pris corps dans le soutien mutuel accordé au Hezbollah qui enclenchait sa mon-tée en puissance après que des dissensions internes aient miné la cohésion de la communauté chiite embrigadée par Amal, et à partir du moment où la résistance nationale au Sud prenait de plus en plus un caractère religieux, en l‘occurrence chiite.

3 H. Agha « l‘axe Syrie-Iran » in Hollis, Lebanon on hold, The Royal Institute of International Affairs, Londres, 1996.

Du point de vue iranien, cette alliance recelait de nombreux avantages. Tout d‘abord, la présence militaire iranienne permettait à la République islamique de s‘ingérer pour la pre-mière fois dans le conflit israélo-arabe, et par conséquent de renflouer son statut de puissance régionale. Son engagement dans le conflit israélo-arabe lui donnait plus d‘impact à son appel panislamique.1

Malgré cette coïncidence d‘intérêts, les relations triangulaires Syrie/Hezbollah/Iran connaîtront à plusieurs reprises des frictions, plus au moins bénignes.2

La Syrie était alors entrée en conflit avec l‘organisation palestinienne qu‘elle cherche-ra à combattre par le biais d‘Amal.3 Par sympathie idéologique (engagement commun dans la cause palestinienne et dans la lutte contre Israël) et par antagonisme « congénial » vis-à-vis d‘Amal, le Hezbollah va discrètement assister l‘OLP. L‘Iran interviendra à plusieurs reprises pour calmer le jeu par le biais d‘envoyés diplomatiques à Damas, en vain. La volonté syrienne de réduire l‘activisme palestinien était inébranlable et la Syrie entendait, probablement par la rigidité de sa position, mettre une limite à la croissance de l‘influence de l‘Iran au Liban et à celle du Hezbollah.

Quant à l‘Iran, conscience de la nécessaire coordination avec la Syrie et soucieux de préserver sa position au Proche-Orient et son lien privilégié avec la communauté chiite au Liban, il avait tendance à composer avec la Syrie sans s‘opposer à elle et en lui laissant la possibilité de jouer un rôle de premier plan et de faire pression sur le Hezbollah.

Mais en 1991, le statut de résistance nationale est accordé au Hezbollah, quand le gou-vernement libanais, et à travers lui, la Syrie, renonce à lui imposer la loi d‘avril 1991 sur le désarmement des milices selon l‘Accord de Taëf de 1990. Ce n‘est qu‘à partir de ce moment que le Hezbollah eut envie d‘être différencié des autres partis politiques.

1 La communauté chiite libanaise est la deuxième la plus grande du monde arabe après celle de l‘Irak.

2 La République islamique d‘Iran a affronté l‘Occident, dès le début de son existence, par la prise d‘otages de l‘ambassade américaine, sorte d‘acte inaugural du nouveau pouvoir. Le soutien aux mouvements radicaux du Moyen-Orient et l‘utilisation avérée du terrorisme au cours des années 1980 ont fini de discréditer le régime auprès des Occidentaux.

3 Un début de tension apparaîtra au cours de la « guerre des camps » qui vit l‘affrontement d‘Amal et de l‘OLP.

Le Hezbollah devient alors un outil efficace pour la Syrie dans son face-à-face qui l‘oppose à Israël dans une stratégie dont la captation de la politique étrangère constitue le premier volet, et l‘instrumentalisation du Hezbollah le second.

La réactivation de Hezbollah en 1993 est largement dépendante du tournant que pren-dront les négociations libano-israéliennes et, à travers elles, les négociations syro-israéliennes.

A partir de la conférence multilatérale de Madrid, les négociations libano-israéliennes avaient en effet été enclenchées sur le fondement de la résolution 425, par opposition au prin-cipe de base de Madrid, à savoir celui de l‘échange de la terre contre la paix. Du côté libanais, on insistait sur l‘inconditionnalité du retrait israélien. Du côté israélien, la position de base était la signature d‘un traité de paix, l‘accord du 17 mai du 1983 étant posé comme précédent des relations libano-israéliennes. Au cours de la neuvième et dixième session, celles de prin-temps 1993, les Israéliens présentèrent un document de travail qui, pour la première fois, te-nait partiellement compte de la 425. Sous pression syrienne, le gouvernement libanais ne ré-pondra pas au dernier projet proposé. Au cours de cette même période, les opérations mili-taires du Hezbollah vont se multiplier à côté d‘autres organisations.

Ce moment est un moment crucial de transition entre deux orientations, deux solutions possibles du conflit israélo-libanais, dont le principal artisan sera la Syrie et dont l‘objet sera la diplomatie libanaise.

La résolution 425 constituait alors, la pierre angulaire de la diplomatie libanaise et re-celait deux principales dimensions. D‘une part, elle insistait sur le caractère inconditionnel du retrait israélien. D‘autre part, elle permettait de séparer la question libanaise du règlement du conflit du Proche-Orient, par crainte que les implications de cette crise n‘amènent à un enli-sement indéfini crainte que nourrissaient de nombreuses personnalités de l‘establishment poli-tique libanais.

Mais à partir de 1993, la Syrie qui était, elle aussi, engagée dans des négociations avec Israël va instrumentaliser la diplomatie libanaise afin de renforcer sa propre position. Ce changement dans la politique étrangère syrienne est à relier dans une large mesure à la fissura-tion du bloc arabe engagé dans les multilatérales de Madrid, à la suite de la signature des ac-cords d‘Oslo qui avaient été négociés secrètement entre les palestiniens et les Israéliens de-puis janvier 1993.

La Syrie va donc réussir, avec la résolution 425, à intégrer le cas libanais, auparavant isolé du contexte général, dans une nouvelle doctrine, celle du « jumelage des deux processus de paix, libanais et syrien » ou « talazum almassara’in ».

Un glissement implicite s‘est alors opéré : le caractère le plus important de la résolu-tion 425 devient non plus l‘autonomie de la quesrésolu-tion libanaise mais l‘incondirésolu-tionnalité du retrait israélien suivant le raisonnement suivant : Israël ne peut se retirer du Sud-Liban sans que ne soit réglée la question du Golan. La résolution 425 devient alors une arme diploma-tique pour éviter un retrait israélien qui isolerait la Syrie et qui la priverait de sa carte maî-tresse dans les négociations.

Par le déclenchement de l‘opération « règlement de comptes » visant à faire pression sur le Hezbollah et la Syrie, Israël semblait en effet prendre acte du pari syrien sur les opéra-tions militaires du Hezbollah.

En 1996, l‘arrangement d‘avril qui suit l‘opération des « raisins de la colère » intègre le jumelage de processus dans son mode de fonctionnement, avec la participation de la Syrie au comité de surveillance au Sud-Liban avec les Etats-Unis et la France. Et, pour la première fois, les Syriens, Libanais, aussi les Israéliens avec les Etats-Unis et la France avaient apposé leur signature sur un même document appelé « protocole d‘avril ». Avec set accord, ils insti-tuaient des contacts réguliers entre eux, mais le Hezbollah avait aussi été brutalement élevé de partenaire régional.

Sur le terrain, la captation de la carte libanaise par la Syrie se faisait dans l‘instrumentalisation du Hezbollah, 1qui est devenu lui seul l‘incarnation de la résistance na-tionale libanaise. Et à vrai dire que, la signature et l‘implication directe des Français et des Américains dans l‘application de ces accords équivalents enfin, à une reconnaissance offi-cielle de l‘occupation israélienne du Sud-Liban et de la résistance légitime des combattants libanais sur cette terre.

De nombreux hauts cadres de Hezbollah affirmaient qu‘en cas de signature d‘un ac-cord de paix syro-israélien les activités de résistance cesseront.

1 S. Karam : le souffle court de la diplomatie libanaise, L’Orient- Express, mai 1996.

En définitive, le triangle Iran/Hezbollah/Syrie se tissera autour du rôle local que jouera le Hezbollah dans le conflit israélo-arabe et sa fonction dans l‘équation syro-israélienne. Ce triangle se présentera sous la forme suivante : l‘Iran assure le soutien financier et idéologique au Hezbollah, la Syrie le soutien politique et militaire et le Hezbollah assure sa fonction logis-tique.1

Au sein de ce triangle, la Syrie maintient toutefois sa position dominante, tant par rap-port à l‘Iran que par raprap-port au Hezbollah. 2

En conclusion, dans la mesure où le Hezbollah avait pour objectif de lier le sort du Golan à celui du Sud-Liban, en faisant pression sur Israël qui ne pouvait se retirer dans un cadre négocié duquel la Syrie serait exclue, et en tenant compte du fait qu‘Israël n‘a depuis 1985 qu‘un intérêt de sécurité courante lié précisément à l‘activisme du Hezbollah.

On peut affirmer que la situation pré-retrait n‘opposait pas un occupant, Israël et un résistant le Hezbollah, mais un acteur sur lequel est exercée une pression et qui veut se retirer et un acteur qui conditionne ce retrait par un autre. Tel est le schéma que l‘on pourrait opposer à celui de la version officielle et qui se dégage du discours désapprobateur qui a précédé le retrait unilatéral israélien.3

Alors que l‘accent était mis sur la future victoire du parti résultant d‘un retrait israé-lien obtenu sans conditions. Le Hezbollah opérait une extension de la définition du retrait israélien en le rendant plus difficile à réaliser. Hassan Nasrallah, le Secrétaire général de Hez-bollah, escortait le retrait israélien des conditions suivantes : le retrait devait être complet, les prisonniers libanais dans les prisons israéliennes devaient être libérés, le Liban a le droit de demander le jugement des responsables israéliens qui pourraient être considérés comme des

1 L‘Iran maintient son engagement dans le conflit israélo-arabe et entretient le contact avec la communauté chiite du Liban. La Syrie possède une utile carte dans le conflit qui l‘oppose à Israël. Le Hezbollah remplit les objectifs qu‘il s‘était fixé au prix de certaines concessions, mais en y gagnant en aides diverses.

2 W. Charara, op.cit.

3 M. Ranstorp, The strategy and tactics of Hezbollah‘s current lebanonization process, Mediterranean Politics, vol.3, n° 1, été 1998.

prisonniers de guerre, le retour des réfugiés palestiniens en ajoutant que ce dernier point était, pour le Hezbollah, aussi « important que la libération du territoire libanais ».

Dans une large mesure, le Hezbollah a contribué à être la cause et la conséquence, dans le même temps, qui a poussé Israël à se retirer unilatéralement du Liban le 25 mai 2000.

Ce rapprochement inattendu, qui avait pris au dépourvu le « camp anti-syrien », a ra-dicalement modifié le champ politique libanais. On peut considérer que c‘est cette nouvelle alliance - et non la capture de deux soldats israéliens - qui a été l‘élément déclencheur de l‘offensive israélienne. Et il paraît certain que jamais le Hezbollah continuera d‘être un acteur avec lequel il faudra encore longtemps compter sur la scène libanaise, et la dernière guerre déclenchée en été 2006 était contre le Hezbollah et non contre le Liban comme Etat … (Nous allons développer dans un chapitre toute cette guerre, ses circonstances et ses répercussions).