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la construction d’une technique de combat : Le martyr

SECTION II : La résistance islamique contre l’occupation israélienne

C- la construction d’une technique de combat : Le martyr

L‘armée israélienne, réputée invincible par ses performances militaires durant les con-flits israélo-arabes et son écrasante puissance de feu, aura subi au Liban ses plus sérieux re-vers avant d‘être forcée d‘opérer un retrait inconditionnel.

Sur le plan militaire, le Hezbollah a connu une remarquable évolution qui lui a permis de gagner une efficacité tout en minimisant ses propres pertes. Le nombre d‘opérations est passé de 292 par an entre 1989 et 1991, à 936 par an entre 1995 et 1997 : embuscades, bombes télécommandées, attaques de positions militaires, actions kamikazes, tirs de Katiou-chas, etc. Ces exploits militaires, toujours filmés, révélant un niveau de professionnalisme militaire en lui renforçant sa popularité comme un mouvement de résistance efficace. Il en a résulté une pression de plus en plus croissante sur l‘armée israélienne et l‘ALS (armée du Li-ban Sud) et qui a reconnu « une supériorité technologique et tactique incontestable ».1

Il dotait d‘une base permanente, territoriale au Sud-Liban et d‘une infrastructure com-plète dont le niveau militaire reste modeste. Et, il dispose de relais à travers tout le pays. Il n‘a pas besoin donc de se dissimuler car sa dynamique peut jouer à plein.

L‘armée israélienne, malgré sa supériorité matérielle a vécu un complexe de supériori-té dans son affrontement avec ces médiocres combattants où le Hezbollah avec l‘arme des volontaires de la mort joue à plein des effets asymétriques.

Pour comprendre le rapport de force militaire qui existait entre le Hezbollah et l‘Etat d‘Israël, il faudrait de toute évidence revenir sur la nature de la guerre qui les opposait, à sa-voir la guérilla. Cette forme de lutte qui oppose une armée conventionnelle à un groupe armé infra ou paraétatique privilégie en effet ce dernier par rapport à la force armée régulière.

Sous réserve des différences de contexte et des enjeux, les exemples historiques qui ont vu triompher le groupe armé vaincre l‘armée conventionnelle sont légions. Comme no-tamment les très célèbres exemples de la guerre du Vietnam qui a opposé le Viêt-Cong à l‘armée américaine, la guerre de résistance en France qui a vu l‘affrontement de la résistance

1 C. Donati, Le Liban-Sud : Le retrait israélien, Maghreb-Machrek, n° 168, juin 2000.

française à l‘armée nazie ou la guerre d‘Algérie opposant les militants du F.L.N. à l‘armée régulière française.1

Toutefois, il faut remarquer que la guerre de guérilla n‘implique pas immédiatement la victoire des guérilleros puisque d‘autres facteurs que la nature du conflit entrent en jeu pour délimiter le rapport de force comme le soutien extérieur, le contexte géopolitique, la nature de l‘enjeu…Ses méthodes lui sont particulières et sont liées aux circonstances de la lutte. Tout dans la guérilla fonctionne sur la surprise, le sabotage, le harcèlement des forces armées en-nemies.

Toujours est-il que si la nature de la guerre n‘impose pas l‘identité du vainqueur, il est évident qu‘elle intervient comme l‘un des facteurs qui modèlent un rapport de force généra-lement défavorable vis-à-vis du groupe armé. Tel fut le cas pour le conflit opposant Israël au Hezbollah, qui a donné de sérieux avantages à ce dernier sur le terrain sur le plan tactique, d‘autant plus que les accords qui réglementeront les combats lui seront favorables dans ce conflit de faible intensité.

Fort de condition de lutte et de certaines caractéristiques qui l‘avantageaient, il a su professionnaliser ses opérations qui sont devenues plus efficaces. Il menait une guérilla clas-sique en portant des coups ponctuels contre les troupes israéliennes et ses alliés de l‘armée du Sud-Liban. Plutôt que de lancer une opération de grande envergure, les combattants se con-tentent de harceler les troupes israéliennes par des attaques de Katiouchas.

En effet, comme toute guérilla, toute formation guerrière a besoin d‘une station mi-nimale, d‘un sanctuaire protégé pour l‘entraînement matériel et la formation spirituelle. La question stratégique du degré d‘implantation territoriale, du développement de bases (localisa-tion, dimension) constitue un élément essentiel. De plus, la qualité de l‘adossement géogra-phique modifie les modalités du groupe, sa puissance et son efficacité. C‘est pour cela que le propre territoire des combattants permet de développer une stratégie des moyens plus puis-sante. La notion d‘une base est fondamentale pour toute opération militaire quels qu‘en soient la nature, la dimension et le niveau. Elle recouvre une grande diversité d‘objets : les bases opérationnelles, les arrières par rapport à un front, une infrastructure logistique…

1 F. Géré, op. cit. p. 102.

Dans ce contexte, le Hezbollah a bénéficié d‘un terrain hautement favorable aux opé-rations de guérilla, irrégulier, avec des replis de terrain qui permettent de se dissimuler alors que les véhicules blindés peuvent difficilement se déplacer.

Si le territoire du Hezbollah lui est favorable sur le plan géographique, il est aussi sur le plan démographique et humain puisqu‘il dispose de fameuses bases sûres qui lui permettent de se mouvoir sur un terrain. Terrain où son adversaire a du mal à le distinguer de la popula-tion civile qui le protège et au sein de laquelle il se fond. Cette condipopula-tion est primordiale et, à cet égard, Gérard Chaliand apporte un grand nombre de cas où la guérilla a échoué parce qu‘elle n‘était pas du même groupe ethnique, linguistique ou religieux que celui au sein du-quel elle agissait.1

Pour lui, Hezbollah a réussi à combiner cinq éléments qui constituaient son point de force dans sa lutte contre Israël, à savoir l‘organisation, le secret, l‘information, l‘utilisation des médias, la surprise, qui sont en général les attributs des groupes de guérilleros. Il semble en effet que le travail de la résistance islamique en tant qu‘organisation secrète et non transpa-rente ait dans une large mesure contribué à renforcer le Hezbollah face à Israël. Waddah Cha-rara les nomme « hommes de l‘ombre, la majorité des militaires, des responsables sécuri-taires, ne se montrent pas, et cet aspect de l‘activisme du parti khomeyniste est en perpétuel développement depuis le début des années 90 ».

Sur un autre plan, le Hezbollah a su exploiter les médias afin d‘amplifier l‘impact de ses opérations dans le but de terroriser son adversaire. C‘est une arme auxiliaire visant à pro-pager la peur parmi les militaires de l‘adversaire. 2

Dans une autre dimension quelque peu similaire, Chaliand évoque l‘importance de la propagande souvent brillamment maîtrisée par les guérilleros et servant à renforcer la cohé-sion interne du groupe mais aussi à dissuader l‘ennemi.

Au cours de l‘opération « les raisins de colère », le Hezbollah a ainsi diffusé, à titre d‘exemple, sur les écrans de la télévision El-Manar (le phare) un film vidéo montrant un con-tingent de 70 bombes humaines prêts à être envoyés en Israël, sans que rien dans ce sens ne

1 G. Challiand, Stratégies de la guérilla, Mazarine, Paris, 1979, p. 434.

2 M. Ranstrop « The strategy and tactics of Hezbollah current lebanonization process », op.cit.

soit réellement effectué.1 Ses programmes ponctués de clips apologétiques du résistant et glo-rifiant le martyr, sont l‘un des moyens employés à faire effrayer l‘adversaire estimant d‘influer sur sa morale. Cette stratégie médiatique contribue aussi à diffuser sa gloire à travers le Moyen-Orient.

Le kamikaze du Hezbollah fait don de sa vie pour une collectivité identifiée revendi-quant un territoire.2 Son armement était d‘ailleurs plutôt limité : armes légères, roquettes, Ka-tiouchas, mines, missiles antichars, explosions télécommandées, mortiers et bombes hu-maines.

Au niveau des techniques de lutte, le Hezbollah a utilisé des tactiques relevant du re-gistre de la guerre de guérilla classique comme la guerre d‘usure, le harcèlement de l‘adversaire et l‘attaque-surprise.3 Frapper très fort, spectaculairement, pour aller vite ou jouer le pourrissement par la continuité des actions. Le Hezbollah a développé ces deux stratégies avec succès.

D‘une manière générale, ils localisent leurs opérations à la périphérie et au centre de la zone de sécurité sans s‘engager dans la profondeur du terrain. Comme le souligne Gérard Chaliand, le point faible des armées conventionnelles souvent ciblés par les guérilleros sont les voies de communication. La spécificité de Hezbollah résidait en ce qu‘il a pu combiner les techniques de la guerre de guérilla aux techniques de la guerre conventionnelles, ce qui in-dique une fois de plus la professionnalisation de la guérilla menée par le Hezbollah. Mais, cette propre technique de guerre se reposait aussi sur l‘utilisation de la technique des guerres traditionnelles.

D‘autre part, les opérations-suicides du Hezbollah se feront de plus en plus rares et l‘on pourrait comprendre ce fait comme la résistante de la diversification de la panoplie d‘opérations possibles par la combinaison de diverses techniques et armes. Par conséquent à la relégation des « bombes humaines » à partir du moment où d‘autres opérations étaient plus efficaces et moins coûteuses.

1 Y. Soueid « Al-mouqawama al-islamiyya » (la résistance islamique) Al-ahd, Beyrouth, 21 septembre 1997.

2 P. Conesa, Aux origines des attentas-suicide, le Monde diplomatique, juin 2004.

3 G. Trendle « Hezbollah‘s guerrilla war in south Lebanon », Middle East international, n° 512, 1995.

Il est nécessaire de noter que les pilotes japonais qui pendant la Seconde Guerre mondiale jetèrent leurs avions sur les navires de guerre américains constituent la référence des opéra-tions suicides qui touchent le Proche-Orient et le Moyen-Orient depuis 1980.

Les volontaires vietnamiens alimentent la tradition du culte des morts au combat surtout contre les Français et les Américains. Donc, Les « bombes humaines » ou les « opérations martyrs » qui sont apparues durant la guerre civile américaine mais aussi durant la Deuxième Guerre mondiale et plus tard, sont devenues une partie des stratégies de guerre que l‘on en-seigne dans les écoles et académies militaires.

Et, la résistance libanaise s‘est caractérisée par les opérations de martyr qui formaient l‘un de ses traits distinctifs « Combattez dans la voie de Dieu ceux qui vous combattent et ne soyez pas transgresseurs, Dieu n’aime pas les transgresseurs » (sourat2, verset 190 du Coran).

Le sacrifice, qu‘il soit ou non meurtrier, imprime sa marque indélébile et durable. L‘identité palestinienne se renforce par le sang des martyrs. Les cimetières des héros se retrouvent par-tout presque dans chaque société.

L‘un des principaux points de force du Hezbollah résidera dans la forte mobilisation de la communauté chiite autour du djihad, mythe fondateur de l‘identité chiite depuis le mar-tyre de l‘imam Hussein, et introuvable dans le sunnisme.

Le djihad signifie la guerre pour Dieu, le combat permanent de résistance aux tyrans donc aussi la persécution des croyants, le martyre quand Dieu le veut. Le djihad est un droit et un devoir pour tout musulman.

Cependant, cet idéalisme religieux commémore chaque année les évènements légen-daires du martyre originel chiite sur le champ de bataille de Karbala - lieu du martyre des fi-dèles d‘Ali (le beau fils du prophète Mohamed) - ce jour dit Achoura qui devient un rituel de pénitence annuel caractéristique de l‘islam chiite. C‘est vrai que le pouvoir religieux est adap-té comme un opportunisme authentique révolutionnaire et patriotique mais, à vrai dire, il n‘est pas besoin du chiisme pour favoriser la culture du martyre. Il existe l‘amour charnel de la terre, la conscience d‘un enjeu vital enracinée pour créer l‘aptitude mentale au sacrifice. Dans

ce contexte, la foi du croyant forge sa personnalité et lui donne une énergie spirituelle qui devient une force puissante et indestructible.

Comme de nombreux mouvements de guérilla qui mobilisaient leurs combattants au-tour d‘un fort référent idéologique, nationaliste, communiste ou autre, le Hezbollah saura as-surer enrôlement, discipline et sacrifice au nom du martyre.

Tomber en martyr au service des préceptes de Dieu devient ainsi un honneur suprême pour tout jeune chiite. Et l‘objectif sur ce plan n‘est pas tant de remporter une victoire militaire directe et immédiate, mais plutôt d‘avoir eu le privilège d‘être martyr, de s‘être sacrifié par amour du Tout-Puissant, d‘autant que la vie dans l‘au-delà promet le bonheur éternel. Rester attaché à la vie d‘ici-bas, motivée par les contingences matérielles, est donc insignifiant de-vant l‘honneur que représente le martyre au service de Dieu.1

La conception du chiite croyant et particulièrement celle du combattant pour qui la mort annonce le début d‘une nouvelle vie, ce qui contribue à dévaloriser totalement la vie sur terre par rapport à la vie au paradis. Le Chiite croyant voit aussi que le canal de communica-tion n‘est jamais coupé entre les deux mondes, ce qui permet au mort de veiller sur les vivants et communiquer avec eux par le biais des rêves.

Cette forte mobilisation autour de l‘idéologie du martyre et du sacrifice a permis au combattant du Hezbollah de combattre sans se soucier de sa propre survie, à l‘opposé du sol-dat de l‘armée israélienne, et il est de même heureux de son sort. Le sacrifice dans la guerre ne procède pas de la haine de l‘ennemi, mais davantage du désir de protéger les siens contre ses menaces. Au plus fort degré de cette mobilisation, le Hezbollah ira même jusqu‘à pouvoir mobiliser des combattants entraînés pour des opérations-suicides dont le nombre avait été évalué à 300 en 1996.2

Par ces manœuvres tactiques et sa stratégie, le Hezbollah réussira à empêcher Israël de sécuriser la zone de sécurité, en lui infligeant des pertes significatives. Embuscades,

1 P. Feldstein, «à propos de Hezbollah », le 15 décembre 2006, www.la Sociale.net.

2 Y. Charara, Anakid al Ghadab (les raisins de colère), Nahar al-chabab (éditorial libanais diffusé en arabe), 22avril 1996.

dos, engins piégés posés sur les routes militaires et actionnés à distance, le Hezbollah a mené sur le terrain une guerre ultra sophistiquée.

Par ailleurs, il est à cet égard significatif que l‘armée israélienne malgré sa capacité militaire élevée a paru incapable d‘arrêter les attaques de Hezbollah. Le système « Nautilus », un puissant laser destiné à détruire des roquettes Katiouchas, va coûter des millions de dollars, et aura pour but de riposter à un combattant de Hezbollah engagé opérant avec un missile coû-tant moins que 100 dollars.1

Fort de conditions de lutte propices, de techniques affinées, d‘une motivation sans faille, libre de toute contrainte dans ses opérations et insaisissable, le Hezbollah, à défaut de se rendre maître du terrain, a rendu poreuse une zone-tampon supposée être hermétique.

Le Hezbollah n‘a jamais entretenu l‘illusion de défaire militairement une armée sur-puissante, il a en revanche très bien compris qu‘en harcelant Israël dans ses actes de guérilla, il l‘entraînait dans des affrontements lancinants qui finiraient par émousser sa combativité.

« Les précédents de la guerre d’usure le long du canal de Suez (1969-1970) puis de l’intifada (1987-1993) étaient là pour prouver qu’une nation en armes comme Israël où appelés et ré-servistes remplissent un rôle essentiel, est fragilisée par un conflit prolongé qui requiert une mobilisation permanente et des ressources humaines et matérielles ».2

Ainsi, le Hezbollah a pu faire pression sur Israël, sur le plan militaire et de même sur le plan politique, par la capture régulière des soldats israéliens afin de négocier sur leur libéra-tion et de celle de ses propres combattants.

Négocié au terme de l‘opération des « Raisins de la colère » auprès des acteurs du con-flit –Liban, Syrie, Iran, Israël- par les parrains américains et français. L‘arrangement d‘avril a codifié les règles de la guerre opposant le Hezbollah à Israël. Cet arrangement n‘a fait, en réalité, que consacrer le statu quo en 1993, à la suite de l‘opération « Règlement de compte ».

1 Haaretz, 5 juin 2000.

2 A. Dieckoff, les leçons d‘un retrait, le Monde, 1er juin 2000.

Par conséquent, cet accord prohibait toute attaque contre les territoires israélien et libanais en limitant le territoire de belligérance à la zone d‘occupation.1

Ce faisant, l‘accord de juillet donnait l‘avantage au Hezbollah pour y mener une action de guérilla, leurs bases militaires ou points d‘appui se confondant avec les zones civiles. Cette asymétrie entre guérilla et armée régulière sera dénoncée par Israël, parce qu‘il lui interdit l‘inviolabilité des éventuelles cibles libanaises civiles.

Ainsi, et comme le remarque Magnus Ranstrop, le Hezbollah est souvent perçu comme une organisation idéologisée, fanatique, et qui tire ses motivations de seuls préceptes coraniques et religieux.

SECTION III : La double métamorphose du Hezbollah

Perçu comme une organisation idéologisée et fanatique, le Hezbollah a réussi à en-clencher une montée politique puissante.

Certains groupes, lors de leurs apparitions sont jugés déloyaux. Dans l‘histoire des guerres, presque tous les groupes (vietminh- tigres tamouls- Fatah palestinien…) qui ont aspi-ré à la liberté nationale, l‘indépendance, l‘autonomie ont reconnu la lutte pour légitimer leur combat. Car le principe de guerre demeure le fondement des armées régulières des Etats qui, le droit de guerre (jus in Bello) édicte des règles de bonne conduite dans l‘usage de la force posé comme légitime. Ces règles ne peuvent pas fonctionner qu‘entre des Etats qui, mutuel-lement, se reconnaissent. S‘agissant d‘une guerre déclarée pratiquée par des soldats en uni-forme contre d‘autres soldats, c‘est un mode de combat asymétrique. Mais, si l‘on dénie à l‘adversaire toute identité politique, on le rejette dans le terrorisme.

1 Cet accord tacite établi sous parrainage américain en juillet 1993 imposait à l‘Etat d‘Israël de ne pas viser les agglomérations civiles dans le cadre de son activité militaire au Sud-Liban, et interdisait au Hezbollah de tirer des Katiouchas sur la Galilée.