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CARRIERE JUSQU’AU COUP D’ETAT D’ELISABETH

A- La guerre de succession de Pologne, vue de Berlin

La fonction d’ambassadeur avait un lustre tout particulier, et Bassompierre, qui l’avait remplie à plusieurs reprises au siècle précédentnt, la magnifiait ainsi : « La plus éminente qualité qu’un prince puisse donner à son sujet est celle d’ambassadeur, parce que toutes les autres sont sous lui, mais celle-ci est comme égale à lui, et représente non seulement sa personne particulière, mais encore sa dignité… les personnes des ambassadeurs sont

sacrosaintes1. » Elle était principalement dévolue à des militaires, car, comme l’écrira en 1756

Philippe Auguste de Sainte-Foy, chevalier d’Arcq dans  La noblesse militaire ou le patriote

français opposé à la noblesse commerçante : « noblesse et service militaire ne font qu’un ».

L’inconvénient de ce recrutement tenait à la difficulté pour ces nobles d’épée de se soumettre

à un système d’apprentissage hiérarchique2. Wicquefort, de son côté, considère comme

indispensables pour un ambassadeur « l’avantage de la naissance, les biens de la fortune, les

vertus acquises, et … un mérite fort extraordinaire3 ».

Auparavant, le jeune marquis avait gravi les échelons de la hiérarchie militaire, puisque de capitaine en février 1730 il passait colonel au régiment du Tournaisis en mars 1734, époque où il avait pris un congé de ses fonctions diplomatiques en Prusse pour reprendre la carrière des armes. En effet, dès le mois de mars 1732 Chauvelin, secrétaire

d’État des Affaires étrangères, et garde des Sceaux4, rédige un mémoire pour La Chétardie,

afin de lui exposer la situation à la cour de Berlin, « qui est sa vraie destination », sans cependant lui fixer de date d’arrivée dans cette capitale. Dans un premier temps, en effet, ce jeune novice devra aller humer l’air de Londres (1727) où il fut fort apprécié, notamment du roi de la Grande-Bretagne, puis de La Haye, « ce voyage pouvant ne pas être inutile au service

du Roi »5. C’est le 2 juillet 1732 que le jeune ministre arriva à Berlin, tout en poursuivant son

1 Bassompierre, Bibl. Nat. Richelieu Nouvelles acq. Franç. 9736, fol 75v°, cité dans Lucien Bély, »la place de l’étranger dans la conspiration », Complots et conjurations dans l’Europe moderne, Colloque de l’école française de Rome, Palais Farnèse, 1996, p 403.

2 Claire Béchu, « Les ambassadeurs français au XVIIIe siècle », L’invention de la diplomatie, sld Bély, PUF, 1998, 334.

3 Abraham de Wicquefort, Mémoires touchant les ambassadeurs et les ministres publics, Cologne, Marteau, 1677, p. 7.

4 Cas unique sous l’Ancien Régime,bien que le marquis d’Argenson, qu’il avaitemployé, le traite de « sous-ministre », (il est vrai qu’il reprendra sa politique et qu’il intercédera pour autoriser son retour à Paris en 1746). Alix Bréban, Thèse de l’École des Chartes, Germain-Louis Chauvelin, 2004.

activité militaire6, et le 19 mars 1733 qu’il présenta ses lettres de créance à Frédéric-Guillaume.

Ce poste est tout à fait emblématique et même, si nous pouvons nous permettre ce clin d’œil, « représentatif » d’une ascension fulgurante, tant l’ambassadeur est par essence, « par le luxe de sa table, par le charme de ses manières, par la somptuosité de ses équipages,

par l’éclat de ses fêtes »… le modèle social du XVIIIe siècle.7 Roland Mousnier tempère :

« les diplomates sont un groupe d’hommes exquis et raffinés, mais capables de tout8 ».

L’ambassadeur doit aussi diffuser le goût français en matière de littérature, théâtre, arts, jeu, conversation, gastronomie et mode. Callières n’écrivait-il pas déjà :

« Une bonne table facilite le moyen de savoir ce qui se passe, lorsque des gens du pays ont la

liberté d’aller manger chez l’ambassadeur, et la dépense qu’on y fait est non seulement honorable mais encore très utile à son maître lorsque le négociateur la sait bien mettre en œuvre. C’est le propre de la bonne chère de concilier les esprits, de faire naître de la familiarité et de l’ouverture de cœur entre les convives et la chaleur du

vin fait souvent découvrir des secrets importants9 » ?

Il semble avoir assez bien réussi dans cette première mission, et les gazettes

anglaises signalent qu’il a été bien reçu, tant par le roi que par la reine à Monbijou10. En effet,

si, les deux premières années, il alterna les tentes militaires et les lambris de Potsdam, dès qu’il devint colonel (1734), il ne quitta plus Frédéric-Guillaume, le « roi-sergent », jusqu’en 1738, ce qui est déjà une performance quand on connaît l’humeur acrimonieuse et le caractère querelleur de ce souverain. Il réussit même l’exploit de se faire apprécier à la fois par le monarque et par son fils le prince royal Frédéric, dont les points de convergence étaient peu nombreux. Il fut parfaitement conscient de ce succès et il s’en glorifiera encore huit ans plus tard dans une lettre à Fleury (« Quoiqu’il fût établi qu’on ne pouvait plaire [à

Frédéric-Guillaume] et être agréable au prince royal, je conciliai l’un et l’autre11 »), et se targuera

même, probablement non sans raison, d’avoir converti le jeune Frédéric et d’en avoir fait

« l’un des plus fermes alliés de Sa Majesté12 ». Nous avons une lettre de 1736, par laquelle le

prince royal recommande très vivement son ami intime M. de Lamothe-Fouqué, qui sera un glorieux gouverneur de Glatz en 1745, et qui n’est encore que capitaine dans le régiment du prince d’Anhalt : Frédéric le désigne à l’attention bienveillante de La Chétardie en ces termes : « Je vous envoie ci-joint une lettre du capitaine Fouqué, vous priant de vouloir bien

6 Madame Cl. Béchu nous confirme que les 2/3 des ambassadeurs du siècle sont des militaires. « Les ambassadeurs français au XVIIIe siècle », L’invention de la diplomatie, sld. Bély Lucien, Paris, PUF, 1998, p.333.

7 Lucien Bély, Les Relations Internationales en Europe, Paris, PUF, 1992, p. 585.

8 Roland Mousnier, Ernest Labrousse, Marc Bouloiseau, Le XVIIIe siècle, l’époque des « Lumières », Histoire générale

des civilisations, V, Paris, P.U.F., 216.

9 François Callières, De la manière de négocier avec les souverains, de l’utilité des négociations, Amsterdam, 1716. 10 The London Gazette, News from Berlin, 23 août 1733.

11 Annexe 51 Corr. Polit. Russie supplément 6 fol. 215 v°, La Chétardie à Fleury, 19/30 avril 1742.

lui accorder ce qu’il vous demande, en faveur de ce caractère d’honnête homme que vous lui connaissez, et de l’amitié que je lui porte ; vous m’obligerez beaucoup par là et je serais charmé de trouver à mon tour quelque occasion de vous faire plaisir, étant, avec bien de

l’estime, M, votre bien affectionné ami13 ».

Il faut quand même rappeler que, dès son instruction de 1732, Chauvelin soulignait que « le jeune Prince… est dans des sentiments tout différents de ceux de son

père14 ». Malgré son inexpérience diplomatique, et bien qu’il ne fût pas impliqué dans les

traités les plus importants, le travail de sape quotidien de l’ambassadeur parvint à miner l’influence des ministres impériaux et singulièrement celle de Seckendorff, envoyé de l’empereur Charles VI (et, cependant, fervent protestant) et des deux généraux prussiens Borcke et Grumbkow qui ramenaient toujours le monarque à l’allégeance impériale malgré ses déboires et insatisfactions, notamment au sujet de ses ambitions sur les domaines de Berg et Juliers, qu’il convoitait très vivement. Lors de son arrivée en 1732, La Chétardie décrira le roi de Prusse comme « l’esclave de l’empereur ». Ledit roi de Prusse, réputé parcimonieux, écrit le 26 août à Seckendorff : « il m’a porté ses lettres de créance, je n’ai pu me dispenser de l’inviter à dîner ». Pourtant, d’une part, le général-ministre Grumbkow n’était pas insensible aux ducats de la France (ni à ceux de l’Autriche) et, d’autre part, les relations de Frédéric-Guillaume avec l’empereur Charles VI s’étaient dégradées dès juin 1732, après leur entrevue en Bohême, au château de Kladrub, entrevue qui fut « le tombeau de leur amitié », selon Podewils, qui, après avoir été envoyé au Danemark et en Suède, avait été promu par Frédéric-Guillaume au conseil secret des Finances, avant d’être chargé par Frédéric II de la responsabilité des Affaires étrangères. Quant à Seckendorff, il avait su se rendre odieux au prince royal Frédéric, d’une part parce que ce dernier le rendait responsable des mauvais

traitements que lui avait infligés son père15, d’autre part parce que le jeune prince, imbu de sa

fierté prussienne, voulait regarder le présomptueux général, non comme un fonctionnaire porteur de l’autorité impériale, mais comme le représentant d’une puissance étrangère parmi les autres. Bien que Seckendorf rendît de multiples services au prince royal (en particulier, il payait ses dettes), celui-ci ne lui pardonna jamais d’avoir favorisé son mariage malheureux avec Élisabeth-Christine de Brunswick. Le prince royal écrivait en effet à Grumbkow, pour

lequel il n’avait guère plus de tropisme que pour Seckendorff16 : « J’aimerais mieux épouser

Mademoiselle Jette (fille de Grumbkow) sans avantages et sans aïeux que d’avoir une sotte

13 Corr. Polit. Prusse 102, fol. 189 v°, octobre 1736.

14 Annexe 9 Mémoires pour servir d’instructions au marquis de La Chétardie, Corr. Polit. Prusse 93, fol. 73.

15 Alfred von Arneth, Geschichte Maria Theresias, Vienne, Braumüller, 1863, III, 433.

princesse pour compagne17 ». Son amour conjugal n’avait de plus guère été stimulé par sa sœur Charlotte, qui, lui parlant de sa fiancée, aux ablutions de laquelle elle avait assisté, se plaignait de l’odeur infecte qu’elle dégageait, et qu’elle attribuait à « une douzaine de fistules anales pour le moins » en ajoutant qu’elle était contrefaite avec une hanche plus haute que

l’autre18. De son côté, l’envoyé impérial à Berlin regardait avec de plus en plus de méfiance le

commerce qui s’instaurait entre La Chétardie et le prince royal, au point d’en envoyer à

Vienne des rapports alarmés19 ; d’ailleurs le remplacement de Seckendorff à Berlin fut

probablement demandé par le prince Eugène dans le but d’installer dans ce poste un diplomate plus susceptible de plaire à Frédéric, et doté d’une faconde et d’une munificence qui pussent concourir avec celles de La Chétardie, afin de neutraliser ce dernier : ce sera le prince Joseph-Wenceslas de Liechtenstein (1696-1772), qui se liera d’amitié avec Frédéric,

lui prêtera (aussi) 12000 thalers20, et même sera contraint de lui vendre la statue dont il

pensait qu’elle représentait Antinoüs (le « garçon qui prie », jadis propriété de Fouquet,) statue qui deviendra la perle de ses collections, et qu’il avait, au terme d’une quête acharnée,

acquise auprès des héritiers du prince Eugène, auquel elle appartenait précédemment21. Ainsi,

pour Fischbacher, cette icône de l’homosexualité, placée en évidence sous les fenêtres du roi de Prusse au château de Sans-souci, renseignait-elle les visiteurs sans hésitation sur son orientation sexuelle. Liechtenstein était à Philippsbourg en 1734 général-major auprès du prince Eugène et c’est là qu’il fit la connaissance du jeune Frédéric de Prusse, qui y connut son baptême du feu. Les deux hommes sympathisèrent et débutèrent une correspondance, ce qui facilita la nomination à Berlin du prince de Liechtenstein, surtout après la nomination de ce dernier comme tuteur de son neveu Johann Népomucène (1724-1748), et gouverneur de sa maison, ce qui a beaucoup augmenté ses rerssources et lui a permis d’abord de financer sa

courte mission à la cour de Prusse (janvier-mai 1745) puis l’achat du bronze.22

17 Lettre du prince royal à Grumbkow, 11 février 1732, Cüstrin. Friedrich Christoph Förster, Friedrich-Wilhelm I, König

von Preussen, Potsdam, Ferdinand Riegel Verlag, 1835, volume III, p. 161.

18 Ingeborg Weber-Kellermann, Wilhelmine von Bayreuth, eine preussische Königstochter, Francfort, 1990, page 349.

19 Alfred von Arneth, Geschichte Maria Theresias, Vienne, Braumüller, 1863, III, 429.

20 Cette dette ne sera soldée qu’après la guerre de sept ans !

21 Tim Blanning, Frederick the Great, Penguin books, 2015, p.177-178..Nous avons contacté cet auteur, car la discordance entre la datation (récente, par le C14) de la statuette, d’environ 300 avant J-C, et la date de la mort d’Antinoüs (130 après J-C) nous surprenait : il nous a confirmé que l’effigie était très antérieure au personnage qu’elle était censée représenter. Voir Annexe 3.

22 Thomas Fischbacher, Des Königs Knabe, Weimar, VDG, 2011, page 46. La statue, qui a été trouvée et probablement exécutée à Rhodes, serait due à un élève de Lysippe de Sycione, (Teysicrates ?) vers 300 av. J-C, et se visite à l’Altes

Quand éclata la guerre de succession de Pologne, Frédéric-Guillaume voulut monnayer son appui à l’électeur Frédéric-Auguste de Saxe en échange de garanties de ce dernier, tant sur Berg que sur la Courlande, fief nominal de la Pologne depuis lesejm de

1726,23 que le roi de Prusse destinait à un de ses fils cadets (Guillaume). Essuyant un refus, il

adopta une attitude de neutralité mal définie (il regardait un nouveau Wettin à Varsovie

comme un danger potentiel pour la Prusse24), mais ambiguë, tandis que son fils ne cachait pas

sa dilection pour le candidat Stanislas25. Il est possible d’ailleurs que la douane berlinoise,

lorsqu’elle inspecta les papiers du commis Bramback, (pseudonyme de Stanislas Leszczynski se rendant à Varsovie dans sa chaise de poste allemande en vue de s’y faire élire roi de

23 Asprey Robert. Frédéric le Grand, , Paris, Hachette, 1986, page 98.

24 Philip Stewart Oakley, War and peace in the Baltic 1560-1790, Londres, 1992, page 137.

25 Inspectant les retranchements russes à Dantzig un an après l’affreux siège de la ville martyre, il déclara : « je n’aurais pas cru M. de Munnich (le feld-maréchal qui commandait les batteries russes) capable d’une entreprise aussi mal conçue que celle-là ».

Pologne pour la seconde fois), ne l’ait laissé passer qu’avec l’assentiment du roi de Prusse.

Par ailleurs, La Chétardie écrivait depuis Berlin à Belle-Isle que Sa Hautesse Mahmud 1er

était résolue d’observer scrupuleusement le traité de Passarowitz (Požarevac, actuellement en Serbie) conclu en 1718 par son oncle Ahmed III avec Charles VI ; en revanche, elle voyait

d’un très mauvais œil la violation à la fois des traités du Prut (de 1711, par lequel Pierre 1er lui

rendait Azov et la Crimée) et des frontières polonaises par les troupes moscovites26. Le traité

du Prut de juillet 1711 consacrait la défaite de Pierre 1er face aux Turcs ; le tsar, bien conseillé

par Catherine Skavronskaia, qu’il épouserait l’année suivante, recouvra sa liberté en échange des bijoux de sa concubine, et dut promettre de rendre Azov et de ne plus intervenir en Pologne, promesses qui avaient bien moins de valeur que les pierreries. Le traité de Passarowitz, de juillet 1718, faisant suite aux victoires du prince Eugène à Petrovaradin et à Timisoara, avait amputé l’Empire ottoman du Banat de Temesvar, de Belgrade et d’une partie de la Valachie ; ces provinces seront partiellement restituées aux Turcs par la paix de Belgrade de 1739. La Chétardie laisse entendre que la Turquie serait légitime à intervenir contre les Russes qui renient leur parole en envahissant la Pologne pour y imposer leur candidat contre celui qui avait été légitimement élu.

Frédéric-Guillaume proposait d’envoyer un contingent (10 000 hommes, comme cela était stipulé dans le traité défensif austro-prussien de 1728, après en avoir offert le quadruple, chiffre qui avait effrayé Charles VI) au secours de l’empereur sur le Rhin, mais la forteresse de Breisach était si sévèrement décatie que le prince Eugène (bien diminué lui aussi et incapable d’envoyer des renforts), se bornait à « faire confiance à la garnison pour défendre

l’honneur des armes impériales27 » ; quant à Kehl et à Fribourg, elles tombèrent rapidement.

La décision prise par le roi de Prusse d’envoyer son fils sur le Rhin effaroucha beaucoup La Chétardie : « Le roi a aussi pris la résolution de faire faire la campagne prochaine au prince royal comme volontaire et sous les yeux du prince Eugène… Cette démarche me paraît déplacée et ne point s’accorder avec l’intention que le roi de Prusse a toujours témoignée de

ne vouloir se particulariser en rien au-delà de ce qu’il ne pouvait éviter de remplir28 ». Trois

mois plus tard, il envisage même l’hypothèse, assez irréaliste en vérité, que le prince serve alternativement dans chacune des deux armées ennemies : « Le prince royal, pour mieux soutenir son rôle de voyageur [irait] également passer quelque temps à l’armée du Roi ainsi

qu’à celle de l’empereur29 ».

26 SHD, A1 2768 fol. 3 La Chétardie à Belle-Isle, 4 janvier 1734.

27 Sutton J.L. The king’s honor and the King’s cardinal; the war of the Polish Succession, Lexington, 1980.

28 Corr. Polit. Prusse 97 fol.29/4, La Chétardie à Chauvelin, 6 mars 1734.

Le prince royal Frédéric lui-même se mit en marche en juin 1734 et rejoignit le prince Eugène au camp de Wiesenthal, mais sans participer à un réel combat contre l’armée française, car, le 18 juillet, la reddition avec les honneurs de la guerre du général Wutgenau, gouverneur de la citadelle de Philippsbourg, qu’Eugène n’avait pu secourir, signa quasiment la fin de la campagne, Eugène se retirant dans le pays de Bade. Frédéric aurait dit à La

Chétardie en raillant : « le roi mon père a renoncé à détruire la France30 ». Frédéric, plein

d’enthousiasme et de joie de vivre, revint à Potsdam, où il composa son « ode à la Gloire », dans laquelle il rend un hommage exalté pêle-mêle à Virgile, Horace, Voltaire et au prince Eugène :

Un dieu s’empare de mon âme Je sens une céleste ardeur Ô gloire, ta divine flamme

M’enflamme jusqu’au fond du cœur. Rempli de ton puissant délire, Par les doux accords de ma lyre Je veux célébrer tes bienfaits.

Il y trouva son père, très malade, mais toujours pas disposé à lui abandonner le pouvoir ; tout au plus lui concéda-t-il quelques responsabilités dans les domaines de la Justice et de l’Administration. En revanche, en matière de politique étrangère, Frédéric-Guillaume avait complètement renversé ses opinions et ne décolérait pas contre l’Autriche, coupable, non seulement de ne pas l’avoir averti de la fin de la guerre qu’elle avait perdue, malgré les importants contingents prussiens envoyés à Charles VI, mais encore de lui interdire désormais de recruter des soldats, géants ou non, dans ses domaines. À son fils, rempli d’un désir passionné de pouvoir, il tint un discours plein de récriminations contre les impériaux, et de repentir de n’avoir pas saisi les avantages que lui aurait procurés une alliance avec la France. On conçoit que La Chétardie, qui avait ses entrées à Rheinsberg (résidence de Frédéric) ait bu du petit lait ; il était en effet le plus intime familier du prince, « der erste Vertrauter », comme s’en lamentait Seckendorff en soulignant le fait que « La Chétardie espérait beaucoup du

changement31 » (qui allait survenir à la mort de Frédéric-Guillaume).

Alors même qu’il envoyait ses troupes sur le Rhin pour combattre la France, le roi-sergent adressait à celle-ci de multiples signaux de bienveillance, auxquels La Chétardie

n’était pas étranger (« Je l’ai contenu dans les derniers troubles de Pologne 32», se félicitait-il

six ans plus tard). Ainsi, les quelques soldats des trois bataillons du comte de La Motte, rescapés du siège de Dantzig et s’étant échappés des geôles de Petersbourg, où, en dépit des

30 Arnold Berney, Friedrich der Grosse, Entwicklungsgeschichte eines Staatsmannes, Tübingen, 1936, p. 48.

31 Friedrich Heinrich von Seckendorff, Journal secret, Tübingen, Cotta, 1811,6 novembre 1734, p. 28

promesses du feld-maréchal Munnich33 et des autorités russes (graeca fides, nulla fides), ils avaient été conduits, ces soldats, donc, s’ils parvenaient à gagner la Prusse, y étaient secourus efficacement ; La Chétardie semble également être intervenu pour faire libérer en 1735 son collègue Monti, ambassadeur en Pologne et son secrétaire Tercier, détenus dans des conditions inhumaines et contre le droit des gens. C’est aussi lui qui incita Louis XV à payer les 36 000 florins dus par les officiers suédois, les 5 000 reichsthalers alloués par Stanislas