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A — La Chétardie et les régences

3. Difficultés rencontrées dans le cérémonial

184 Sirio, tome 92, lettre 65, La Chétardie à Amelot, 3/14 mars 1741. Annexe 88

185 Proclamation des États de Courlande du 5 juillet 1726, où, par une déclaration unanime, ils se donnent au prince et seigneur Maurice de Saxe et à ses descendants mâles, promettant qu’ils ne se détacheront de lui d’aucune manière. Signée par Keyserling.

186 CP Russie supplt 6 fol.118, Maurice comte de Saxe à Fleury, 21 mars 1741, Paris.

187 Jean-Pierre Bois, Maurice de Saxe, Paris, Fayard, 1992, page 271.

Louis XV se félicite de la chute de Biren qui, en abattant l’ambition démesurée d’un parvenu, « remet les choses dans l’ordre conforme à la nature » et il ordonne à son ministre d’observer désormais le titre d’Altesse Royale) avec les deux princesses, Anna et Élisabeth, celle-ci ne faisant « aucune difficulté de céder [à celle-là] la préséance dans

l’administration des affaires189 ». Amelot précisera que le Roi souhaite que les deux

princesses soient honorées uniquement de « Ihre Hoheit ». Le point d’honneur attaché à ces questions est capital, car « les princes cèdent des villes ou des provinces, mais les plus habiles

ne peuvent les déterminer à céder un rang qu’ils se croient dû190 ».

La Chétardie change une fois encore sa conduite pour le cérémonial, et considère que le jeune âge du tsar « ne lui permet de se guider, selon l’ordre courant des choses, qu’à

l’égard de la princesse Élisabeth191 ». Il n’a pourtant vraisemblablement pas pu lire encore le

Cérémonial diplomatique de toutes les cours européennes, publié à Amsterdam en 1739 par

Jean Dumont et Jean Rousset de Missy (le second a été envoyé en Russie en 1725).

Ostermann lui fait cependant savoir que le prince Cantemir, d’abord plénipotentiaire, puis promu ambassadeur en janvier 1739, demeurera sur le même pied en dépit des changements survenus à sa cour. Le protocole reste le premier souci du marquis puisque sa première dépêche à Amelot contient des questions de cérémonial portant sur le titre d’Altesse qu’il hésite à accorder à la mère du tsar, considérée toujours comme duchesse de Mecklembourg ou princesse de Brunswick. Même les deux princesses Anna et Élisabeth et le prince de Brunswick ne doivent, selon le protocole, selon Amelot, et selon la déclaration du petit tsar du 24 octobre/2 novembre, être qualifiés que du titre d’Altesse sans l’épithète

« royale192 », Anna devant toutefois être traitée avec plus d’honneurs que son époux, simple

prince cadet d’une ancienne maison de l’empire. Quant au titre d’Altesse Royale, il est usité en Russie, contrairement à ce que Cantemir « qui vous a déguisé volontairement la vérité » a affirmé à Amelot. D’ailleurs, dès le 11 décembre, Louis XV répond à Ivan, qui lui avait annoncé son avènement, pour lui signaler qu’Il décore dorénavant La Chétardie de la qualité

de ministre plénipotentiaire193, ce qui justifie de nouvelles lettres de créance, à présenter au

189 Corr. Polit. Russie supplt 6, fol.97, Louis XV à La Chétardie, 11 décembre 1740. Annexe 47.

190 Jean Rousset de Missy, Mémoires sur le rang et la préséance entre les souverains de l’Europe, Amsterdam, 1746, introduction.

191 Corr. Polit. Russie 34, fol. 245, La Chétardie à Amelot, 10/21 novembre 1740.

192 Le 13 janvier 1741, Ivan ordonnera de titrer son père « Altesse Impériale » (Corr. Polit. Russie 35 fol. 41), et Cantemir excipera d’un rescrit du 17 février lui accordant le 1er rang après la régente (fol. 372) et ce titre (fol.395v°).

193 Cantemir et La Chétardie auront donc suivi des promotions inverses. Amelot expliquera à Cantemir que la rétrogression de La Chétardie répondait au souci d’éviter des difficultés de cérémonial avec le régent Biren. Cantemir répondra le jour même en souhaitant que son homologue retrouve son caractère d’ambassadeur (Sirio, tome 92, lettres 36 et 37, 15 janvier 1741), mais le Roi ne le souhaite point, afin que, « débarrassé de la contrainte du cérémonial, il puisse mieux suivre les

tsar (et à personne d’autre, les ordres du Roi sont formels sur ce point), auquel le Roi écrit trois lettres personnelles (Corr. Polit. Russie 34, fol.312, 313 et 314) fictivement datées du 11 décembre 1740 pour lui annoncer ce changement. Ces lettres de créance, que le protocole prévoit de remettre à Ostermann, ministre des Affaires étrangères, ont été saisies par

Munnich, Premier ministre, qui « n’a même pas prononcé le nom d’Ostermann 194», mais ne

s’est pas départi de son insistance à vouloir que le caractère d’ambassadeur soit donné à La Chétardie, en dépit des ordres qu’il a reçus, faisant envisager à ce dernier de demander son

congé195.

Louis XV recommande aussi à Son envoyé d’observer une égalité parfaite dans

les traitements à accorder aux princesses Élisabeth et Anna196 et de ne leur point baiser la

main, ce qu’il fera néanmoins sauf lors des audiences. La Chétardie, qui a qualifié la princesse Élisabeth d’Altesse Royale quand il était ambassadeur, s’inquiète de savoir s’il doit lui refuser ce titre, ainsi qu’à la régente, maintenant qu’il est ministre plénipotentiaire, ainsi que celui d’empereur au tsar ; le prétexte avancé pour cette prétention était la médaille que l’on avait

fait frapper à Paris en 1717 lors de la visite de Pierre 1er, et sur laquelle était inscrite Petrus

primus imperator Russiae197. Il recevra l’autorisation de donner de l’Altesse Royale aux deux princesses et même à Antoine-Ulrich, mais il se récrie hautement à l’idée de prendre audience

de ce dernier198 pour ne pas prostituer, dit-il, la dignité d’Élisabeth. En revanche, c’est au

jeune Ivan âgé de 4 mois qu’il doit adresser la parole et faire son compliment dans les audiences (incompatibles avec son âge) et à lui seul qu’il doit remettre ses lettres, sa mère tenant l’enfant dans les bras, mais passant la main par-dessous la toilette qui le couvre pour les recevoir, comme si c’était lui. Ceci, ainsi que la mauvaise volonté du gouvernement russe, qui ne lui oppose que des « subterfuges et des difficultés » (le prince de Hesse-Homburg le

confiera à La Chétardie199) explique le retard rencontré par le marquis, malgré ses multiples

négociations, notamment avec le général Loubras ; il n’eut sa première audience du tsar que lorsque ce dernier atteignit un an, le 25 août 1741, occasion où la régente eut le pas sur la

affaires entre les deux cours ». Cette situation de La Chétardie était une première, selon Botta, qui avait pourtant lui-même abdiqué son titre d’ambassadeur, mais avec audience de congé.

194 Sirio, tome 92, lettre 47, La Chétardie à Amelot, 27 janvier/7 février 1741.

195 Corr. Polit. Russie 35 fol. 274, La Chétardie à Amelot, 17/28 février 1741.

196 Annexe 47. Corr. Polit. Russie supplément 6 fol. 97 v° Louis XV à La Chétardie, 11 décembre 1740

197 Les souverains russes revendiquaient aussi ce titre depuis qu’en 1472 Sophie Paléologue, nièce du dernier empereur byzantin Constantin XI, avait épousé Ivan III Riourik et lui avait apporté en dot le blason de Byzance, l’aigle à deux têtes.

198 Annexe 119. Corr. Polit. Russie 36 fol. 227, Articles des dernières lettres de M. de La Chétardie qui peuvent demander réponse. Le baron de Munnich affirme que tous les ministres étrangers avaient accepté cette audience du prince, ce qu’ils auraient démenti à La Chétardie tout en acceptant de le reconnaître par écrit pour La Chétardie comme pour Ostermann qui en enverra les attestations à Cantemir pour en convaincre Amelot (id. fol. 256v°, 270v° et 361). Amelot le lui permettra positivement le 19 avril 1741, à la condition qu’il soit ministre plénipotentiaire et non ambassadeur.

princesse Élisabeth200 ; mais ces « arrangements domestiques » n’altèrent pas la détermination de La Chétardie, pour qui Élisabeth est fille de roi, et non Antoine-Ulrich, qui « n’est pas du

sang de Russie, mais de celui de Brunswick201 ». Ivan VI se plaint aussi à Cantemir : « des

prétentions excessives élevées par l’ambassadeur de France qui exige une audience auprès de

nous-même ».202

Il faut mentionner la faiblesse des arguments employés par la cour de Petersbourg pour refuser au marquis tant une audience publique que particulière, par ex. les vêtements

noirs assemblés autour de lui choqueraient sûrement le nourrisson203. Lui, de son côté,

s’étonne que l’âge du tsar lui permette de gouverner un empire, mais non d’admettre aucun ministre à son audience. Les différends sur cette question sont allés si loin que La Chétardie annonce à Ostermann qu’il ne peut plus poursuivre la négociation sur le cérémonial et qu’il quitte son poste : « si l’affaire se termine, ce ne sera pas avec moi ; j’ai trop mal réussi pour

vouloir continuer204 ». Ostermann se livrera à une véritable comédie ; non seulement il

ajourne quotidiennement le rendez-vous qu’il doit donner à l’ambassadeur, mais encore, quand il le rencontre, il roule les yeux pour n’en laisser voir que le blanc, feint de ne pas avoir reçu les papiers de la chancellerie ou s’offre le plaisir de les feuilleter — en vain — devant son hôte pendant plus de deux heures, parle en même temps que lui pour couvrir sa voix, réitère la scène plusieurs fois en vitupérant son secrétaire ; La Chétardie lui réplique que ce contretemps n’est pas grave, puisqu’il lui offrira l’occasion de revenir tous les jours voir le chancelier, « ne connaissant pas d’instants mieux employés que ceux qu’il passait avec lui ». Ostermann dit « le trouver drôle », avis que nous partageons.

Cette affaire entraîne une proclamation de la régente, qui déclare, qu’ayant cru faire preuve de beaucoup de condescendance en accordant au marquis une audience particulière et secrète auprès de Sa Majesté l’empereur, elle constatait avec chagrin qu’il refusait en échange de se conformer aux désirs de cette cour, et qu’elle s’adresserait donc directement à la cour de France, laissant entendre que le Roi serait plus facile à raisonner que son ministre pour obtenir que ce dernier prenne deux fois des audiences de la régente, du prince de Brunswick, « seconde personne de la famille impériale » et de la princesse Élisabeth, d’abord en qualité d’ambassadeur puis, après avoir présenté ses nouvelles lettres de créance, en qualité de ministre plénipotentiaire.

200 Mém. et Doc. Russie 9, fol.112v°, compliments du marquis de La Chétardie au tsar et à ses parents.

201 Sirio, tome 96, lettre 7, La Chétardie à Amelot, 10/23 mai 1741.

202 Rescrit du 17 février 1741 envoyé à Cantemir, cité par Marcelle Ehrard, op. cit. p. 89.

203 La fausseté de cet argument éclatera quand, à l’occasion des fêtes de Pâques (avril 1741), Ivan sera présenté au public.

En récupérant un nouveau caractère, il fut aussi contraint jusqu’au 16 février de porter le deuil comme ses collègues, sans cependant imiter le prince de Brunswick qui y ajouta de larges manchettes blanches. Il put ensuite inviter les dignitaires locaux à l’occasion de l’anniversaire du Roi (31 ans le 15 février), avec fontaine de vin, illuminations et ambigu (repas froid où l’on servait viande et dessert), mais tous (Munnich en prétextant une colique,

Ostermann, Golowkine, Tcherkassky, Ouchakoff205) se font excuser. Ce n’est que le début

d’une longue série d’avanies et d’humiliations, les ministres voulant le punir de son intransigeance à réclamer une audience, non seulement des deux princesses, mais du tsar, et de son refus de présenter ses lettres de créance à la régente, comme de lui baiser la main ; à Munnich qui lui fait observer « qu’il est toujours bon de baiser la main d’une belle princesse », il répond « qu’il y a plus à gagner avec une particulière, parce qu’on la mène plus

loin206 ». D’ailleurs, elle semblait moins faite pour régner que sa cousine Élisabeth, et

l’ambassadeur turc admet que, ayant aperçu celle-ci dans un bal, « son air majestueux [lui] apprit assez qu’elle était la fille de Pierre le Grand, au lieu [qu’il] n’eût jamais reconnu la régente, si on ne la [lui] eût montrée ». Élisabeth, en effet, malgré son embonpoint et son nez

camus,207 (que le peintre Tocqué refusera de… retoucher, mais qui sera corrigé par

Schmidt208) réunissait, grâce à ses cheveux superbes, son teint clair, et ses yeux bleus irradiant

la gaîté, « les charmes du corps et de l’esprit, avec une grâce admirable. » Mardefeld rejoint ici Madame Rondeau. Quant à son intelligence, elle était beaucoup plus développée que ne le pensent ceux qui la comparent à sa nièce par alliance : « du haut de son altitude cérébrale, Catherine II pouvait considérer avec une sorte de ricanement méprisant les femmes simples qui l’avaient précédée sur le trône et dont elle avait chaussé les pantoufles élégantes, mais mal

adaptées à son pied209 ».

Les autres ministres étrangers n’ont pas fait toutes ces difficultés de cérémonial et, par exemple, à la grande indignation de La Chétardie, Mardefeld, qui vient aussi d’être promu ministre plénipotentiaire, a remis ses lettres de créance à Anna Leopoldovna, hors de la présence du tsar ! Lynar, Backoff, ministre plénipotentiaire du Danemark, Finch et le vieux résident autrichien (Hohenholz, en attendant le retour de Botta, qui l’imitera quand il arrivera à Petersbourg le 6/17 janvier) ont agi de même, mais il est vrai que les ministres autrichiens sont demandeurs (réquisition de secours militaires contre l’envahisseur prussien en échange de l’accord du titre d’empereur au tsar) et Hohenholz va d’ailleurs jusqu’à prier La Chétardie

205 Ouchakoff, chef de la chancellerie secrète, est aussi l’homme de confiance d’Élisabeth, et son impolitesse est notoire.

206 Cela semble avoir été le cas avec une certaine Madame Testov, femme d’un capitaine des gardes.

207 Christopher Marsden, Palmyra of the North, the first days of St Petersburg, Londres, Faber & Faber, 1943, pp. 117.

208 Dimitri Rovinski, Dictionnaire des portraits gravés, Académie des Sc. Petersbourg, 1872, IV, 377.

de rassurer les Russes sur l’absence de menaces suédoises sur leurs frontières, afin de leur enlever tout prétexte pour ne pas se porter à l’aide de Marie-Thérèse. Quand Ostermann lui fait observer la soumission de ses collègues, La Chétardie répond fièrement : « je ne suis pas leur précepteur, mais ils ne sont pas les miens ».

En mai 1741, d’ailleurs Lynar et Botta lui écriront sans vergogne qu’ils n’ont pas hésité à remettre leurs lettres de créance à la régente et à solliciter d’elle et de son mari les audiences que lui, La Chétardie, refuse. La cour de France se montrera moins rigide que son ministre et acceptera qu’il prenne une audience particulière du tsar pour y abdiquer sa qualité d’ambassadeur et même qu’il accepte la présence d’Antoine-Ulrich à l’audience que lui donnerait son épouse. En effet son isolement l’empêche, et c’est fâcheux, de rencontrer la princesse Élisabeth et de négocier avec elle. Enfin, Amelot recommande à La Chétardie de brûler toutes ses lettres, notamment celles qui traitent de ladite princesse.

Pour résumer les « difficultés » de cérémonial soulevées par La Chétardie, on peut retenir cinq points essentiels, sur lesquels il a le soutien du gouvernement français :

1°) Il souhaite une audience particulière (à porte fermée) d’Ivan VI, pour y abdiquer sa qualité d’ambassadeur, et ne remettra à nul autre ses lettres de créance (les lettres ultérieures pouvant être remises au ministre des Affaires étrangères).

2°) Il sollicite ensuite une audience privée de la grande-princesse Anna Leopoldovna, (en la présence très controversée d’Antoine-Ulrich) et de Madame la princesse Élisabeth.

3°) Il n’accepte de porter le grand deuil qu’à la seule audience du tsar. 4°) Il refuse de baiser la main des princesses lors de ses premières audiences. 5°) Il ne rendra visite au prince de Brunswick qu’après s’être acquitté desdites visites auprès de celles-ci.

Les ministres russes rétorquent qu’il faut attendre pour une audience que le tsar soit en état de se tenir debout pour des raisons de « dignité » et que d’ailleurs sa mère était revêtue de l’autorité souveraine, comme l’ont reconnu les autres ministres étrangers ; le prince de Brunswick, père du tsar, étant reconnu par son fils comme troisième personnage de l’État, il s’imposerait, selon eux, que La Chétardie prît audience de lui. Si la cour de France voulait ordonner à son envoyé de se conformer au cérémonial observé par les ministres étrangers, les difficultés liées au baisemain et au deuil tomberaient d’elles-mêmes. C’est Cantemir qui fait

part à Amelot des desiderata de sa cour ; or il déteste La Chétardie qui le lui rend bien.210 Il

210 Lemny Stephan Les Cantemir, Paris, Complexe, 2009, page 231. La bienveillance naturelle de La Chétardie le poussera pourtant à intervenir pour Cantemir pendant la maladie terminale de celui-ci : « j’espère exciter les bontés d’Élisabeth en sa

suggère que le marquis se conforme à « l’usage établi », qu’il définit comme « ce qui a été prescrit par le souverain, et pratiqué par plusieurs ministres étrangers », dont un seul ne saurait s’exempter, et l’accuse d’avoir pris du retard dans sa prise de deuil, indépendamment des

ordres du Roi211. Le ministère russe, d’ailleurs, récuse toutes les affirmations du marquis, et

attribue le retard de son audience au délai qu’il s’est accordé pour montrer ses lettres de créance à Munnich, et aux dévotions de carême qui ont occupé la régente ; il va jusqu’à affirmer que les plus grands dignitaires lui rendent souvent visite et qu’il n’a aucun sujet de se plaindre.

Une autre fois, Ostermann reçoit à dîner « fort longuement » le comte de Wilzeck, venu annoncer la naissance du futur Joseph II (13 mars 1741), et refuse aussitôt après, prétextant une indisposition, de recevoir M. de Valdancourt, secrétaire de La Chétardie. Il

conteste aussi l’adjectif « ballotté 212» par lequel La Chétardie décrit la façon dont on le traite,

et finit par lui dire « que si, après avoir tout fait pour mériter son amitié, il ne pouvait l’obtenir, il s’en passerait ». Ces vexations (doublées de la lecture de ses dépêches décachetées qu’Ostermann ne craint pas de commenter devant lui) vont si loin que son rappel a été envisagé bien que la situation à la frontière suédoise et les ambitions d’Élisabeth exigeassent son maintien. Amelot écrit même : « L’honneur de la France serait compromis si

le Roi laissait plus longtemps son ambassadeur à Petersbourg213 ». Lui-même, en juin 1741,

évoque avec son ami Saint-Séverin la possibilité de lui succéder à Stockholm214, et cette

hypothèse est si sérieuse qu’Amelot lui écrit pour suggérer que ce soit d’Allion qui l’instruise de ce qui se passera en Russie après son départ et s’interroge sur le degré de fiabilité de ce subordonné pour lui confier « ce qui regarde la princesse Élisabeth », à quoi La Chétardie répond qu’il informera d’Allion des mesures regardant la Suède, mais juge aussi qu’il serait superflu de lui donner des « connaissances plus étendues » sur les ambitions de la princesse.

La princesse de Brunswick Anna Leopoldovna a été reconnue régente pendant la minorité de son fils et grande-princesse de Russie (titre qui la désigne comme héritière présomptive de la couronne). Les gardes, qui avaient gardé un silence affligé quand ils avaient été contraints de prêter serment à Biren, manifestent cette fois leur joie en jetant leurs chapeaux en l’air. Toute la cour se réjouit et les grâces pleuvent : le prince de Brunswick est

faveur », Corr. Polit. 44, fol. 94 v°, La Chétardie à Amelot, 28 janvier/8 février 1744. Il s’agit d’une autorisation de partir jouir du soleil italien, qui lui sera accordée en février, mais dont sa santé ne lui permettra pas de faire usage, et c’est à Paris qu’il mourra le 11 avril 1744.

211 Sirio, tome 92, lettre 86, Amelot à La Chétardie, 16 avril 1741.

212 Annexe 119. Corr. Polit. Russie 36 fol.224v°. Articles des dernières lettres de M. de La Chétardie qui peuvent demander quelque réponse.

213 Corr. Polit. Suède 199 fol. 87, Amelot à Saint-Séverin, 16 juillet 1741.

214 Corr. Polit. Russie 36 fol.309, La Chétardie à Saint-Séverin, 5/16 juin 1741. Voulant cependant avoir plusieurs fers au feu, La Chétardie écrit simultanément à son ami Le Dran de faire rassembler des provisions d’une année à Hambourg au