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B –Début de la guerre de succession d’Autriche et son retentissement en Russie

4. Activités extradiplomatiques de La Chétardie

En cette période cruciale, où toute l’Europe va basculer dans la guerre, La Chétardie tente de remplir son rôle d’espion. Il n’est pas le seul ; ainsi le frère de Guillaume Delisle, le professeur de géographie du Roi, Joseph-Nicolas Delisle, qui est cartographe en

Russie depuis plus de quinze ans (il a été appelé par Pierre 1er en 1725), et en conflit aigu avec

Schumacher, secrétaire de l’Académie des Sciences de Petersbourg,268 envoie-t-il secrètement

par la Suède à Maurepas ses cartes et manuscrits concernant ce pays269 ; il en a déjà envoyé dès

1731 plusieurs caisses au comte d’Ons-en-Bray, dans son laboratoire de Bercy. La Chétardie, lui, adresse à sa cour un état détaillé des forces russes (nombre de régiments d’infanterie, de dragons et de cuirassiers, avec leur nom, celui de leur commandant, leur emplacement, leur ordre de mission). Mais il a tendance à sous-estimer leur nombre, leur moral et leur armement : « les forces russes ne seraient pas aussi formidables qu’on tente de le faire croire… les dragons sont mal montés et mal armés,… toutes ces troupes ne seront point complètes et, même si elles

l’étaient, les bataillons ne dépasseraient pas 600 hommes270, plusieurs régiments sont dans un

état lamentable, les recrues inexpérimentées, les malades non secourus » et à exagérer l’épuisement extrême du pays. Il tire aussi des déductions peut-être hâtives de l’état déguenillé des soldats qu’on lui alloue pour sa garde afin de remplacer ceux des régiments qui ont reçu ordre de marcher : ils sont « très défectueux, ne sachant ni se tenir sur leurs jambes, ni manier les armes… et il serait avantageux de n’avoir que de semblables ennemis à combattre ». Ces

267 Corr. Polit. Suède 199 Fol.456 Amelot à Mondamert, 27 octobre 1741.

268 Simon Werrett, The Schumacher affair, Osiris, 2010. II, 25, p.116.

269 Corr. Polit. Russie 42 fol. 206 et 209, Delisle à Maurepas, 12 mars 1743.

soldats « défectueux » ont été envoyés pour tenir la garnison de Cronstadt, peu menacée. C’est donc en partie sur cette erreur d’appréciation que les Suédois se sont flattés d’une victoire facile, et La Chétardie porte là une lourde responsabilité. Il signale néanmoins que les retards des Suédois ont laissé aux Russes le loisir d’acheminer des renforts, et que les troupes d’élite ont été envoyées à Viborg, mais il affirme à Saint-Séverin que « les Suédois peuvent être sûrs qu’ils n’éprouveraient qu’une bien faible résistance dès qu’ils se présenteraient comme venant

pour soutenir les droits de la descendance de Pierre 1er ». Encore ce projet ne devrait-il pas

paraître avoir été prémédité avant la déclaration de guerre pour échapper au reproche d’ingérence dans les affaires intérieures de la Russie. En tout cas, l’effet de surprise est manqué.

Parallèlement, son attention est détournée par un petit incident diplomatique, lié à la conduite inappropriée d’un de ses chanoines, Allégier, arrêté en état d’ivresse par la police pétersbourgeoise dans un mauvais lieu où il fait scandale (bris de vitres, rixe avec un sergent)

après avoir « tiré de sa culotte ce que la modestie défend de nommer271 » et cherché à séduire

par ce truchement la femme d’un soldat « sans autre compliment » ; estimant le « droit des gens » violé, La Chétardie, tout en punissant le coupable (suspension de ses fonctions sacerdotales, eau et pain sec), obtient d’Ostermann, à force de récriminations, un châtiment bien plus sévère pour les policiers qui ont arrêté l’ecclésiastique en commettant eux-mêmes plusieurs illégalités : conduite du récalcitrant à la police, rédaction d’un procès-verbal alors que son appartenance à l’ambassade exigeait qu’on l’y menât. Le sous officier, le caporal et le canonnier responsables seront donc cassés, affectés « à la charrette » et condamnés par le

conseil de guerre au supplice des baguettes272 auquel ils échapperont cependant par la grâce de

l’ambassadeur, qui veut faire connaître en même temps la sanction et le pardon, et que les punis viendront remercier de sa mansuétude en se prosternant…

Un (très relativement) illustre Français vient aussi au début de 1741 occuper l’ambassadeur ; celui-ci est en effet sollicité pour confirmer le décès d’un aventurier dont le duc d’Ancenis souhaiterait hériter ; il s’agit du duc de Falari, surtout célèbre parce que sa seconde épouse, née d’Haraucourt, avait… assisté aux derniers moments du régent dont elle fut la maîtresse en même temps que la Parabère. Le duc, né Gorge d’Entraigues (cousin du maréchal de Montmorency, mais dont Saint-Simon raille la boueuse origine), créé duc de

Falari par Clément XI, arrêté pour dettes après son mariage, avait réussi à fuir en Espagne273.

271 Corr. Polit. Russie supplément 6 fol. 165.

272 Il consiste à faire passer le supplicié entre deux rangs de soldats qui lui donnent tous des coups de bâton au rythme du tambour battu par un officier ; bien souvent, la mort s’ensuit.

Après une existence mouvementée, il apparaît à Petersbourg, prétendant apporter à la régente des bijoux de la part de son père, le très turbulent Charles-Léopold de Mecklembourg.

Emprisonné, le rusé duc se fait donner du millet, attire à sa fenêtre les pigeons voyageurs et leur colle aux pattes des messages qui ne permettront pourtant pas d’obtenir sa libération, d’autant qu’on a annoncé sa mort dans un cachot (effective le 10 septembre 1740) ainsi que celle du duc de Mecklembourg (qui, lui, survivra jusqu’en 1747) dans le but, selon La Chétardie, d’empêcher son accueil par la régente sa fille. La Chétardie sera requis par le duc

Paul-François de Béthune, capitaine des gardes du Roi274, de lui fournir un acte authentique de

sa mort, car le duc, qui a épousé la sœur de Falari, veut récupérer ses biens en faveur de son petit-fils, le duc d’Ancenis. La Chétardie est d’autant plus soucieux de satisfaire le duc que son ami Belle-Isle est marié à Marie-Casimire de Béthune, veuve du marquis de Médavy, et dont la grand-mère avait été la sœur de Marie-Casimire de la Grange d’Arquien, reine de Pologne, et le grand-père, marquis de Béthune, ambassadeur en ce pays. Marie-Casimire et Paul-François étaient des cousins éloignés, le bisaïeul de l’une, Hippolyte de Béthune (1603-1665) étant frère du bisaïeul de l’autre, Louis de Béthune (1605-1681). Ces liens avec la Pologne expliquent peut-être que ce fût Belle-Isle, gouverneur des Trois-Évêchés, qui mit Stanislas Leszczynski en possession de ses États de Lorraine, d’autant que Louis Marie Victor de Béthune, son

beau-père, était le chambellan du dit Stanislas à Lunéville275. En tout cas, Marie-Casimire cousinait

avec les Wittelsbach et, dès sa première lettre à Törring, Premier ministre de Charles-Albert de Bavière, Belle-Isle lui rappelle « les bontés infinies qu’il a reçu de son père (Maximilien II

Emmanuel) et l’honneur qu’a Madame de Belle-Isle d’appartenir à sa maison276 ». Cette

glorieuse extrace ne suffit pourtant pas à séduire Sophie-Wilhelmine, sœur du roi de Prusse, qui éreinte la maréchale d’une phrase : « bien qu’elle eût beaucoup d’entregent, son air me

parut celui d’une soubrette et ses manières mesquines277

On peut rappeler que Jean Paris de Montmartel, grand créancier de La Chétardie durant sa vie, et qui demandera la levés des scellés après sa mort, épousera (en troisièmes noces en 1746) Marie-Armande, sœur du marquis de Béthune, dont le beau-père était Jean de Boullongne, qui sera contrôleur général des Finances (1757-1759).

274 Bernard Hours. Louis XV et sa cour, Paris, P.U.F., 2002, p.162

275 Camille Rousset . Le comte de Gisors, Paris, Librairie Académique Didier, 1868, page 10.

276 Correspondance Politique Allemagne 459, fol.3 Belle-Isle à Törring, 11 novembre 1740. En effet, la grand-mère paternelle de Mme de Belle-Isle (par Louis-Marie Victor de Béthune) était Marie-Louise de la Grange d’Arquien, sœur de Marie-Casimire, reine de Pologne, aïeule de Charles-Albert, qui était fils de Thérèse Sobieska.

La famille de Béthune Philippe de Béthune, comte de Selles (1565-1649) Hippolyte de Béthune (1603-1665) ep. Anne-Marie de St Aignan Louis de Béthune (1605-1681) ep. Marie L’Escalopier Louis-Armand, duc de Béthune (1640-1717) ep. Marie Fouquet Armand de Béthune (1663-1747) ep. Louise d’Epinay Paul François de Béthune (1682-1759) ep. Julie Gorge d’Entraigues

François Joseph de Béthune (1717-1739)

Armand Joseph de Béthune, duc d’Ancenis (1738-1800) François Gaston, marquis de Béthune

(1638-1692) ep. Louise Marie de la Grange d’Arquien, sœur de la double reine de Pologne Marie-Casimire de la Grange d’Arquien

Louis Marie Victor, comte de Béthune-Pologne (1670-1744)

_________________________________________________________________ Charles-Albert de Wittelsbach (1697-1745), électeur de Bavière (1726-1742), puis empereur Charles VII (1742-1745)

Jean III Sobieski (1629-1696), roi de Pologne

Maximilien-Emmanuel de Bavière (1662-1726), électeur de

Bavière (1679-1726)

Marie Casimire Louise de La Grange d’Arquien

(1641-1716)

Louis Marie de Béthune (mort en 1744)

Louise Marie de La Grange d’Arquien

(1634-1728)

Marie Casimire Thérèse Geneviève Emmanuelle de Béthune (1709-1755),

maréchale de Belle-Isle

Thérèse Cunégonde Sobieska (1676-1730)

Louis Charles Auguste Fouquet, marquis de Belle-Isle (1684-1761), maréchal de

France (11.02.1741)

collatéraux mariage

Descendants

Arbre généalogique simplifié du cousinage Fouquet – Béthune - Wittelsbach

Fouquet Béthune Wittelsbach