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Le principe de causalité des monstres exposé précédemment postule leur inclusion dans l’ensemble des processus naturels : si l’accouplement interspécifique pose un problème éthique (Paré, par un raisonnement qui pourrait trouver son origine chez saint Thomas d’Aquin, fera d’ailleurs du péché de bestialité l’une des causes majeures des monstruosités humaines27), ses produits n’en restent pas moins explicables par des conditions physiologiques et écologiques, certes particulières, mais qui ne font que souligner la diversité des expressions de la nature. En revanche, d’autres développements sur l’origine des monstres déplacent le débat rabelaisien sur le terrain épistémologique et théologique de la monstruosité considérée comme erreur de la nature. Répétons-le : que l’on se place dans une optique aristotélicienne ou augustinienne, cette erreur n’est à considérer comme telle qu’au niveau des causes particulières : la nécessité naturelle ou, respectivement, la toute-puissance divine garantissent l’insertion du monstre dans un ordre supérieur, fût-il inaccessible à l’esprit. Cela étant, l’image de l’erreur de nature, par sa formulation même, se charge d’une

24 Claude KAPPLER, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Âge, Paris : Payot, 1990 (« Bibliothèque historique Payot »), p. 36.

25 Ainsi chez Pline : « […] on y trouve […] beaucoup d'êtres monstrueux, car les semences et les embryons s'y confondent et s'agglomèrent de multiples façons, roulés soit par le vent soit par la vague […] » (PLINEL'ANCIEN, L'Histoire naturelle. Livre IX, éd. / trad. E. de Saint-Denis, Paris : Les Belles Lettres, 1955 (« Collection des universités de France »), II, p. 1.

26 Pour Claude Kappler toujours, ce serait même dans l’expérience viatique qu’il faudrait rechercher les racines d’un exotisme tératogène : « L’état d’esprit le plus favorable à la crédulité et à l’affabulation est cet état de réceptivité extrême et d’inquiétude où se trouvent les voyageurs qui foulent pour la première fois l’une de ces terres où l’on n’est plus très sûr de la matérialité du sol et de l’équilibre entre les différents éléments » (C. KAPPLER, Monstres, démons et merveilles…, p. 36).

27 Voir Arnold I. DAVIDSON, « The Horror of Monsters », The Boundaries of Humanity : Humans, Animals, Machines, éd. J. J. Sheehan & M. Sosna, Berkeley : University of California Press, 1991, p. 36-67, p. 42-45.

négativité que l’exotisme tératogène partage beaucoup moins : couramment formulée durant la Renaissance, l'expression d'une nature fautive prend d'ailleurs au fil du XVIe siècle une inflexion qui l’oriente vers une forme de pessimisme de plus en plus affirmé. Ainsi pour Arnaud Sorbin qui, dans son Tractatus de monstris (1570), plaide pour la possibilité de concevoir une nature empreinte du péché, et dont les productions monstrueuses sont à comprendre comme autant de dénonciations, de signes, de nos monstruosités morales. Plus tôt, en 1553, Caspar Peucer s’était déjà ému, dans son Commentarius de praecipuis divinationum generibus, des conséquences tératogènes de la mauvaise conduite des hommes :

[…] Dieu courroucé maudit nature, & le genre humain encorut les punitions & calamitez denoncees auparavant [c’est-à-dire, entre autres, les monstres]. Ceste malediction n’a pas destruit toute la nature des choses, mais elle a troublé l’ordre qui estoit si bien estably, a dissouls l’accord, brisé &

escrasé la force et la perfection des choses.28

Pour reprendre la terminologie de Jean Céard, à une période caractérisée par la merveilleuse variété du prodige succède peu à peu une ère très concernée par son inquiétante variété.

Dans diverses configurations, l’image de l’erreur de nature comme principe tératogène apparaît chez Rabelais. C’est le cas tout d’abord au Prologue du Tiers Livre, lorsqu'il emprunte au Prometheus es in verbis de Lucien29 l’histoire qui voit Ptolémée présenter à son peuple quelques pièces de ses butins de conquête. Parmi celles-ci, un chameau noir et un esclave bigarré, nouveautés admirables dont le souverain espère qu’elles réjouiront les yeux des Egyptiens et lui assureront leur fidélité. Rien ne se passera comme il l’avait espéré :

A la production du Chameau tous feurent effroyez et indignez : à la veue de l’home biguarré aulcuns se mocquerent, autres le abhominerent comme monstre infame, créé par erreur de nature.30

Notons que Rabelais remanie le texte de Lucien pour y insérer, justement, la notion de l’erreur de nature comme principe tératogène31 : cette trace de récriture

28 Caspar PEUCER, Les devins ou Commentaire des principales sortes de devinations : distingué en quinze livres, esquels les ruses et impostures de Satan sont descouvertes, solidement refutees,

& separees d’avec les sainctes propheties & d’avec les prédictions naturelles, Anvers : par Heudrik Connix, 1584, XII, IIII, p. 480.

29 LUCIEN DE SAMOSATE, « A un homme qui lui avait dit : tu es un Prométhée dans tes discours », Œuvres complètes. Tome premier, éd. / trad. E. Talbot, Paris : Librairie Hachette et Cie, 1912, 4, p. 9.

30 Tiers Livre, « Prologue », p. 350.

31 Voici le texte tel qu’on le trouve chez Lucien de Samosate : « […] en voyant le chameau, les spectateurs eurent une si grande peur, qu’ils furent sur le point de se lever et de s’enfuir.

Cependant l’animal était tout couvert d’or, il avait une housse de pourpre, et un frein orné de diamants, tiré des trésors de Darius, de Cambyse, peut-être même de Cyrus. Quand on vit l’homme, la plupart se mirent à rire ; d’autres le regardèrent avec horreur comme un monstre » (LUCIENDE SAMOSATE, « A un homme… », 4, p. 9).

me semble devoir être soulignée, d’autant que le motif de la nature fautive stricto sensu réapparaît, tendant ainsi à former un système récurrent, dans le Cinquiesme Livre. Posant le pied sur l’Isle des ferrements, les voyageurs y découvrent une végétation particulièrement étrange : les arbres portent des armes à la place de fruits, les herbes croissent comme piques, lances ou hallebardes. L’explication donnée par la voix narrative à cette inquiétante luxuriance est la suivante :

Vray est qu’en toutes choses (Dieu excepté) advient quelques fois erreur. Nature mesme n’en est exempte quant elle produit choses monstrueuses et animaux difformes.32

On en revient ici au principe exprimé par Aristote dans De la génération des animaux : le monstre est une imperfection des œuvres de la nature, et non plus une production, certes marginale, mais explicable par les lois habituelles de cette dernière. On notera toutefois quelques variations dans son utilisation par Rabelais.

La formulation du Cinquiesme Livre maintient la seconde partie du principe aristotélicien, qui plaide pour une forme de relativisme du prodige : si le monstre peut être considéré comme tel eu égard à la nature particulière, il ne peut l’être rapporté à la nature universelle. Ici, les plantes monstrueuses de l’Isle des ferrements sont, malgré leur étrangeté, replacées dans l’organisation générale du plan divin. Par contre, la formulation du Prologue du Tiers Livre escamote cette précision : pour les sujets de Ptolémée, la nature s’est bel et bien trompée en créant l'homme en noir et blanc que le souverain leur présente. Simple oubli de la part de Rabelais ? Le fait que, comme nous l’avons déjà noté, la mention de l’erreur de nature est absente de l’hypotexte de Lucien plaide pour une récriture la plus consciente possible du passage. Peut-être faudrait-il dès lors considérer cet ajout comme un phénomène d’attribution énonciative : ne pas remarquer la force agissante de la nature en amont de ses productions altérées est le fait de gens de peu d’esprit… Cette critique est en tout cas l’un des traits les mieux partagés du discours sur la relativité de l’appréhension du prodige eu égard aux limitations de l’esprit humain. C’est même l’un des axes principaux de la pensée de Cicéron en la matière, ainsi dans De la divination :

[…] jamais rien de ce qui n’aurait pu se produire ne s’est produit ; si une chose se produit, il n’y a pas à s’en étonner. En effet, face à un fait nouveau, l’ignorance des causes produit l’étonnement ; quand la même ignorance s’applique à des faits habituels, nous ne nous étonnons pas.33 Et plus loin :

32 Cinquiesme Livre, IX, p. 747.

33 CICÉRON, De la divination (De diuinatione), éd. / trad. J. Kany-Turpin, Paris : Flammarion, 2004 (« GF »), II, XXII, 49, p. 237. Ce discours de la relativité sera bien sûr encore celui de Montaigne. Voir par exemple Tristan DAGRON, « Les Etres contrefaits d’un monde malade. La nature et ses monstres à la Renaissance : Montaigne et Vanini », Seizième Siècle, 1 (2005), p.

289-311.

Tout être qui naît, quel qu'il soit, trouve nécessairement sa cause dans la nature ; par conséquent, même s'il est contraire à l'habitude, il ne peut être contraire à la nature.34

La thématique de l’ignorance semble intimement liée à la question du monstre entrevu comme erreur de nature. Si l’on quitte pour un temps le domaine du tératologique comme conformation physique particulière pour la monstruosité considérée sur un plan moral, on verra que, chez Rabelais aussi, les limitations de l’esprit humain peuvent se muer en principe de causalité et endosser le rôle de conditions, ou à tout le moins celui de compagnes nécessaires, de l’apparition d’une erreur naturelle de caractère éthique. Dans un passage célèbre du Quart Livre, l’auteur remodèle le motif de la nature brouillonne par un réinvestissement mythologique, non plus en faisant de cette dernière la responsable d’une faute, fût-elle relative, mais en la plaçant dans un débat l’opposant à une force générative antagoniste agissant au-delà de son domaine propre, autrement dit à une contre-nature. Je veux parler ici de l’apologue de Physis et Antiphysie, auquel Pantagruel fait recours pour tenter de cerner la nature du monstrueux Quaresmeprenant, duquel Xenomanes vient de lui faire la description. La trame de la fable, empruntée à l’humaniste italien Calcagnini, met en scène les personnifications de la nature et de la contre-nature, chacune vantant sa conformité au plan divin. Pantagruel, dans la dernière séquence de son exégèse de l'apologue, énumère les descendants d’Antiphysie, fanatiques religieux et ennemis de Rabelais, fruits selon lui de ce que l'on pourrait voir comme un coup d'état contre l'ordre naturel :

Depuys elle engendra les Matagotz, Cagotz, et Papelars : les Maniacles Pistoletz : les Demoniacles Calvins imposteurs de Geneve : les enraigez Putherbes, Briffaulx, Caphars, Chattemites, Canibales : et aultres monstres difformes et contrefaicts en despit de Nature.35

On sait depuis les travaux de Stanley Eskin36 que Rabelais, dans cet épisode, ne reprend que la première partie de la fable de Calcagnini : dans le récit de ce dernier (intitulé « Gigantes »), Natura, une fois clos le débat qui l’a opposée à Antiphysis, va se plaindre aux dieux de la perversité des arguments de son opposante. Les dieux entendent sa plainte et envoient sur terre une délégation de vertus (Veritas, Voluptas, Paritas, etc…) qui parviennent à rendre son honneur à Natura en restaurant pour un temps l’Âge d’or. Pour un temps, car une race de géants, subvertissant les Vertus, fera ensuite son apparition, se mêlera aux hommes, scellant ainsi leur continuel déclin37. On aura remarqué que Rabelais

34 Ibid., II, XXVIII, 60, p. 245.

35 Quart Livre, XXXII, p. 615.

36 Stanley G. ESKIN, « Physis and Antiphysie : The Idea of Nature in Rabelais and Calcagnini », Comparative Literature, XIV/2 (1962), p. 167-73.

37 Celio CALCAGNINI & Antonio M. BRASAVOLA, Caelii Calcagnini Opera Aliquot, Bâle : per Hier.

Frobenium et Nic. Episcopium, 1544, p. 622.

court-circuite la trame narrative de Calcagnini pour faire des descendants directs d’Antiphysis / Antiphysie les représentants des vices que son devancier ne dénonce qu'à la toute fin de son apologue comme la conséquence du commerce des géants et des hommes. Toutefois, la récriture par escamotage qui caractérise ce passage du Quart Livre ne parvient pas à annihiler la communauté de vues des propos des deux auteurs, qui se manifeste dans le débat sur le domaine précis de la monstruosité morale : pour l’humaniste italien en effet, les arguments dont use Antiphysis dans le débat qui l’oppose à Natura ont ceci de particulier qu’ils n’impressionnent que les faibles d’esprit – ce qui, note sarcastiquement Calcagnini, pourrait être tout à fait suffisant à lui assurer la victoire. Chez Rabelais, l’argumentaire est tout à fait semblable :

Ainsi par le tesmoinage et astipulation des bestes brutes [Antiphysie]

tiroit tous les folz et insensez en sa sentence, et estoit en admiration à toutes gens ecervelez et desguarniz de bon jugement, et sens commun.38

Répétons-le : pour Rabelais, les monstruosités morales que représentent

« les Demoniacles Calvins » et al sont les descendants directs d’Antiphysie ; pour Calcagnini, ces mêmes vices sont promis par les géants qui font leur apparition sur terre à la fin de l’Âge d’or décrété par les Vertus. Mais les interprétations que chacun extrait de sa fable peuvent être mises sur un même plan : l’ignorance est le terreau sur lequel croissent les difformités de l’âme. Autrement dit – et l’on retrouve ici le domaine de l’erreur de nature au sens large : si les limitations de l’esprit humain peuvent empêcher de voir la nature à l'œuvre derrière l’altérité du monstre, elles peuvent également accompagner, si ce n’est provoquer, l’apparition de la monstruosité éthique. Le « Monstre Ignorance » que Ronsard mettra plus tard en vers se révèle, en tous cas de l’avis de Rabelais, d’une désespérante fertilité.

« Eclairs sur l'au-delà »

Derrière le monstre, la nature ne se laisse entrevoir qu’à ceux dont l’esprit déjoue les chausse-trappes de la difformité : le monstrueux, tout en conservant le pouvoir de déranger, n’est inexplicable qu’au regard du cours ressenti comme habituel de la nature. S'il échappe à l'absurdité de la faute, il peut se faire le révélateur d'un plan divin, sous la forme d'un message parvenu d'en haut. Dès lors, lorsque l’observateur du prodige parvient à se débarrasser du trouble que l’ignorance fait naître en lui, il peut – en principe – devenir interprète de ce même prodige, se prononcer sur ses causes ou sur sa signification. Au Quart Livre, lors de l’escale des navigateurs sur l’Isle des Macræons, Pantagruel évoque les

38 Quart Livre, XXXII, p. 615.

prodiges qui peuvent se faire jour peu de temps avant la mort des grands hommes :

[…] pour declairer la terre et gens terriens n’estre dignes de la presence, compaignie, et fruition de telles insignes ames, [les cieux]

l’estonnent et espovantent par prodiges, portentes, monstres et aultres precedens signes formez contre tout ordre de nature. 39

On retrouve ici l’image d’une nature contrecarrée. Pantagruel pondère toutefois l’accroc potentiel que le prodige pourrait réaliser dans la trame naturelle en indiquant la cause première de telles manifestations : la divinité, sans égard d’ailleurs au panthéon que l’on adopte. Les prodiges « formez contre tout ordre de nature » le sont sous la garantie d’un ordre supérieur : le relativisme du prodigieux est une fois de plus rappelé.

Remarquons la terminologie utilisée par Rabelais : « prodiges, portentes, monstres » vaut bien entendu pour rappel partiel de la fameuse tétrade lexicale par laquelle saint Augustin, reprenant en cela le Cicéron du De divinatione et du De natura deorum, circonscrit le vocabulaire du prodigieux. Dans La Cité de Dieu, l'archevêque d'Hippone décrit :

[…] cette abondante forêt de miracles, qui ont pour nom monstra, ostenta, portenta, prodigia : si je voulais les passer en revue et les rappeler, quand finirait cet ouvrage ? [Les interprètes] font venir, à juste titre, les monstra de monstrare, car ils montrent quelque chose en le signifiant, les ostenta d'ostendere, les portenta de portendere, c'est-à-dire de praeostendere, et prodigia de porro dicere, à savoir « dire à l'avance » les choses à venir.40

Le monstre, ici, se profile comme signe. Ce qui pose quelques questions : pour Rabelais, ce signe se décode-t-il aisément ou non ? Selon des procédures d’interprétation fixes ou labiles ? Le présage qu’il incarne se vérifie-t-il ou non41 ? Contentons-nous pour l’instant de remarquer que la tradition à laquelle il est ici fait allusion propose un discours sur le prodigieux qui, alors que les notions de l’exotisme tératogène et de l’erreur de nature s’en tiennent à une étiologie, articule à une pensée de la causalité du monstre une réflexion sur la fonction de ce dernier : l’épistémique ouvre sur le sémiologique.

S’il est un domaine de la pensée du monstre qui a nourri la polémique chez les tératologues, c’est bien celui de l'utilisation du prodige comme outil divinatoire. On ne refera pas ici l’histoire de ce débat pluriséculaire, là aussi documenté de manière définitive pour la Renaissance par Jean Céard. Notons

39 Ibid., XXVII, p. 602.

40 SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu..., XXI, VIII, p. 982.

41 Voir à ce sujet Michel JEANNERET, « Les monstres et la question des causes », Hasard et providence XIVe – XVIIe siècles. Actes du cinquantenaire de la fondation du CESR et XLIXe colloque international d’Etudes humanistes. Tours, 3-9 juillet 2006, éd. M.-L. Demonet, Tours : Centre d’études supérieures de la Renaissance, 2007, p. 1-13

simplement avec lui que, si la manière d’interpréter les présages varie énormément d’un herméneute à l’autre, la licéité même de cette interprétation est sujette à caution : l’Eglise interdit la divination, mais

Les hommes de la Renaissance ne cessent de ruser avec [cette]

interdiction […], notant que s’il est licite aux agriculteurs, aux marins, aux médecins de recueillir des «signes naturels» (ceux du temps, par exemple) pour orienter leur action, il doit exister quelque droit d’interroger la signification des signes plus rares que sont les monstres.42

Rabelais lui-même entretient l’ambiguïté : dans le Quart Livre, l'épisode consacré à l'escale sur l'île des Macræons semble constituer un éloge de l’attention à porter aux signes célestes – l'évocation, placée dans la bouche d’Epistemon (le

« sage »), des « prodiges tant divers et horrificques »43 qui ont précédé la mort de Guillaume du Bellay, protecteur de Rabelais, plaide pour une forme de bienveillance. A contrario, les consultations matrimoniales que Panurge, dans le Tiers Livre, prend auprès de la Sibylle de Panzoust44 et de l’occultiste Her Trippa45 traitent les pratiques divinatoires sous l’angle de la satire. Bien entendu, les statuts de ces deux types de phénomènes ne s’accordent pas : à la conscience donnée comme intime d’un message des cieux – « Il m’en souvient (dist Epistemon) et encores me frissonne et tremble le cœur dedans sa capsule »46 – s’oppose dans le Tiers Livre le savoir présenté comme douteux de devins bouffons. Chez Rabelais, le champ de la divination dans son acception la plus large nourrit des discours contradictoires. Pour les penseurs renaissants (mais aussi antiques et médiévaux), la tératomancie comme mode divinatoire n’offre guère plus d’unité de vue : pour prendre quelques exemples, Isidore de Séville reprendra les propos de saint Augustin en redonnant aux monstres, à l’encontre des conclusions de son devancier, une valeur de présage. Huit siècles plus tard, un débat très similaire oppose encore Ficin à Pomponazzi, celui-ci accordant aux prodiges le caractère d’objet d’une divination, celui-là s’y refusant en n’y voyant que « des manifestations de l’intérêt que les puissances intermédiaires prennent aux choses humaines dont elles ont la charge »47. Si permanence il y a dans le domaine du monstre constitué en objet d’une sémiologie, elle se trouvera dans le débat sans fin que la possibilité et les modalités de cette dernière font naître.

42 J. CÉARD, « L’énigme des monstres : aperçus sur l’histoire culturelle et scientifique de la monstruosité », Imaginaire & Inconscient, 13 (2004), p. 17-26, p. 21.

43 Quart Livre, XXVII, p. 602.

44 Tiers Livre, XVI-XVIII, p. 399-408.

45 Ibid., XXV, p. 427-31.

46 Quart Livre, XXVII, p. 602.

47 J. CÉARD, La Nature et les prodiges…, p. 106.