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Données comportementales

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4.4 Ocytocine et cognition sociale

4.4.1 Données comportementales

Les multiples fonctions de l’OT décrites précédemment sur les comportements so- ciaux impactent nos actions dans les relations à autrui. De ce fait, l’OT faciliterait la cognition sociale et favoriserait la recherche de relations avec nos pairs. Nous allons aborder dans cette section, l’implication de l’OT dans les processus liés au traitement des émotions et des visages, que ce soit sur l’exploration visuelle ou sur des processus impliqués dans la reconnaissance.

Relation à autrui

Tout d’abord, quelques études ont abordé la relation entre l’OT et la confiance à autrui. Dans une expérience impliquant les participants dans un jeu économique avec des personnes fictives, l’effet de l’OT a été testée. Suite à une administration intra- nasale d’OT, la confiance portée au sein du groupe (in-group) et la coopération avec ces membres augmentent sous traitement. Néanmoins, ces effets positifs sont absents ou faibles lorsque les autres joueurs ou destinataires étaient membres de groupes ex- ternes [15]. Par conséquent l’OT améliore la confiance portée à autrui mais ces effets ne sont bénéfiques que pour des membres appartenant à notre groupe. Selon Baker- mans, comme dans l’évolution l’OT stimule les comportements parentaux à protéger leur progéniture contre les prédateurs, l’OT augmenterait les comportements agressifs vis à vis des membres d’un groupe externe [15]. Par conséquent, l’administration d’OT semble favoriser la confiance et la coopération avec les personnes considérées comme faisant partie du groupe (parce qu’elles sont connues, rencontrées ou décrites positive- ment) alors que ses effets sont plus faibles, absents ou mixtes lorsque le partenaire est inconnu, voire incite à la non-coopération lorsque le partenaire est perçu comme une menace potentielle [15].

Ainsi cette étude mentionne que l’OT améliore certains comportements de confiance et pourrait également agir sur la coopération entre individus [59]. D’autres études ont mentionné l’effet de l’OT sur la générosité envers une tierce personne et également sur la coopération [59]. En utilisant deux jeux économiques (l’Ultimatum game et le Dic- tator Game), Zak et al ont quantifié les effets d’une administration intranasale d’OT sur la générosité et l’altruisme d’individus sains [377]. Ils ont ainsi pu démontrer que

l’OT avait comme effet d’augmenter les dons d’environ 20% (dans le groupe contrôle les dons proposés étaient de 4$ alors que sous OT ils étaient de 4.9$). L’offre minimale qui est jugée acceptable est de 80% plus élevée sous OT, ce qui signifie que les partici- pants traités ont le sentiment qu’ils ne sont pas assez généreux et, par conséquent, qu’ils doivent donner plus s’ils veulent qu’une autre personne accepte l’offre (si cette dernière refuse, les gains sont perdus pour la personne qui offre et celle qui reçoit). L’élévation de la générosité pourrait être en lien avec une meilleure perception des émotions (dé- ception) de la personne qui reçoit [377]. En effet, si la personne qui reçoit refuse l’offre du donateur, car elle l’a jugée trop faible, alors les deux personnes perdent le montant proposé. L’OT pourrait alors améliorer la compréhension du donateur envers les états d’esprit et le ressenti des personnes qui reçoivent leurs offres [377] et ainsi augmenter le montant des donations.

Reconnaissance des émotions et exploration visuelle

Nous l’avons vu précédemment, l’OT module l’activité de l’amygdale, qui est impli- quée dans le traitement émotionnel. De ce fait, il est possible de considérer l’OT comme modulateur également de la reconnaissance des émotions. Certaines études ont montré que l’OT améliorait la reconnaissance de la joie ou de la peur [310], mais l’ensemble des travaux ne parviennent pas à établir de façon précise et claire l’effet systématique de l’OT sur les performances de reconnaissance. Une méta-analyse a spécifiquement traité de l’effet de l’OT sur la reconnaissance des émotions faciales en groupant l’ensemble de travaux menés sur le sujet.

Sur 7 études, ils ont pu calculer une taille d’effet globale pour la reconnaissance de la colère, de la joie, de la tristesse et de la peur (ils ont aussi comptabilisé la recon- naissance dans sa globalité) [310]. Shahrestani et ses collègues ont alors démontré que l’OT agissait favorablement sur la reconnaissance de la joie et de la peur. De plus, ils rapportent que les effets sont toutefois bien réduits lorsque les images de visages sont présentées plus longtemps que 300 ms, présageant d’un effet plafond. Cependant, ces effets restent de taille assez modeste (g=0.29) dans la population saine.

Cette influence de l’OT sur le traitement des expressions faciales pourrait, selon certains auteurs, provenir de l’exploration visuelle des visages. C’est pour cela que Guastella et son équipe ont enregistré les déplacements oculaires d’hommes volontaires sains après avoir reçu une dose de 24UI d’OT [160]. Dans un paradigme de regard passif, ils ont montré aux participants des images de visages 45 minutes post-administration. Les hommes qui ont reçu l’OT ont davantage regardé la zone des yeux, marqué par un nombre accru de fixations au sein de cette zone et par un temps de visite également plus long [160]. Néanmoins dans cette étude, les images présentées étaient des visages neutres, qui n’exprimaient aucune expression faciale. L’expression portée par un visage modifie notre exploration visuelle des visages [306]. Ainsi la modulation de l’attirance du regard par l’OT vers la zone des yeux pourrait aussi dépendre de l’émotion portée

Figure 4.5 – Méta-analyse des études sur l’efficacité de l’ocytocine sur les performances de recon- naissance des émotions. Les résultats sont exprimés en taille d’effet avec les intervalles de confiance à 95%. Pour la peur et la joie, l’ocytocine améliorerait les performances de façon significative. Figure issue des travaux de Shahrestani et al [310].

par le visage. Dans une autre étude de Domes et collaborateurs, l’attention visuelle a été mesurée durant la présentation de séquences dynamiques présentant des visages exprimant une émotion (la joie ou la colère) [102]. Les séquences pouvaient se diviser en deux parties, la première qui dure deux secondes durant laquelle ne figurait qu’un visage neutre ; la seconde qui était un morphing du visage neutre vers l’émotion considérée. Durant la phase d’exposition (seulement le visage neutre), l’OT augmente la durée de fixation au niveau de la zone des yeux. Durant la phase de reconnaissance, l’émotion portée par le visage va influencer les conséquences d’une administration d’OT. Lors- qu’il s’agit de la joie, l’OT induit une proportion de fixations oculaires plus élevée sur les yeux. Cependant, lorsqu’il s’agit de la colère, l’OT diminue l’attention portée sur la zone des yeux [102]. Cet effet différentiel en fonction de l’émotion perçue pourrait favoriser les comportements sociaux, en accentuant la perception de la joie, tout en diminuant celle liée à la colère. Néanmoins, dans cette étude de Domes, l’OT n’avait aucune influence sur les performances de reconnaissance.

Lors d’une tâche de détection suivant un paradigme de recherche visuelle (visual search paradigm), Guastella et son équipe ont testé les performances des participants dans la reconnaissance des émotions [158]. Dans ce paradigme, le participant doit indi- quer parmi 8 visages schématiques, lequel est différent des 7 autres (Figure 4.6). Dans cette étude, les auteurs ont séparé leur expérience en trois conditions : tous les visages sont identiques, tous les visages expriment la joie et un seul exprime la colère et inver-

sement, et tous les visages sont neutres, un seul exprime la joie ou la colère comme ce qui est présenté en Figure 4.6 [158]. Durant la réalisation de cette tâche, les auteurs ont enregistré les temps de réaction ainsi que l’exploration visuelle des stimuli [158]. En condition placébo, les participants étaient plus rapides et plus précis lorsqu’ils détec- taient un visage en colère parmi des visages heureux ou neutres. Les participants ont également regardé plus longtemps et plus fréquemment vers le visage en colère lorsque celui-ci était incongruent, confirmant que ces visages bénéficient d’une attention plus prononcée que les visages heureux [158]. Dans cette configuration, Guastella et al ne rapportent pas d’effet de l’OT ni sur les temps de réaction, ni sur l’exploration visuelle, les résultats des participants après une dose d’OT sont restés inchangés [158]. Selon ces auteurs, l’OT n’agirait pas à un stade précoce du traitement de l’information, mais sur des mécanismes plus complexes de la cognition sociale ce qui pourrait expliquer l’absence de résultats dans cette étude (pas d’effet sur la détection).

Figure 4.6 –Exemple de présentations lors de la tâche en recherche visuelle. Les affichages de visage différents ont été contrebalancés de manière à ce que le visage "divergent" soit présenté un nombre égal de fois dans chaque position possible du cercle. Figure issue des travaux de Guastella et al [158].

Dans le but de clarifier à la fois l’influence de l’OT sur la reconnaissance des expres- sions faciales et l’exploration des visages, Hubble et al ont proposé à leurs participants une tâche de reconnaissance en eye tracking [181]. Il s’agissait d’un test simple de recon- naissance des émotions faciales à partir d’images de visages, avec différentes intensités expressives. Par la suite le participant devait indiquer sur une échelle de Likert son degré de certitude quant à sa réponse. Grâce à ce design expérimental, Hubble et son équipe ont mis en évidence que l’OT augmentait la rapidité à donner une réponse alors que les performances en soi n’étaient pas améliorées [181], comme dans l’étude de Domes et

al [101]. Ils mettent également en évidence que l’exploration des visages est inchangée

sous OT et quelque soit l’émotion faciale. Malgré la volonté d’apporter des éclaircisse- ments sur l’action de l’OT, les résultats en exploration faciale ne semblent pas tendre vers une conclusion consensuelle. Certains travaux ne démontrent pas de modulation

de l’OT sur les explorations faciales alors que d’autres avancent un effet dépendant de l’émotion. Quoi qu’il en soit, d’autres travaux sont probablement nécessaires afin de comprendre dans quels mécanismes de l’exploration des visages l’OT est impliquée.

Un autre aspect de l’oculométrie est de ne plus considérer l’aspect macroscopique de l’exploration (temps de fixation et aire d’intérêt) mais de s’intéresser à la microstructure des changements oculaires, comme par exemple la dilatation pupillaire. Elle serait le re- flet de notre charge cognitive et de l’attention que nous portons à un stimulus [269]. Lors d’un exercice d’empan mnésique le diamètre de la pupille s’accroît proportionnellement à mesure que le nombre de chiffres à conserver en mémoire à court terme augmente. Le diamètre de la pupille augmente alors jusqu’à ce que les individus atteignent leur limite de ressources cognitives disponibles. Prehn et son équipe ont mis au point une expérience de reconnaissance des émotions faciales suivant une évolution graduelle de l’intensité de l’émotion. Ainsi les visages (féminins ou masculins) passaient de neutres à exprimant une émotion (joie, tristesse, colère et peur). Le participant devait presser un bouton réponse dès qu’il avait reconnu l’émotion, sachant que l’évolution de neutre à 100% "d’émotion" s’effectuait par pas de 5%. Une fois le bouton réponse pressé, alors, le participant devait choisir parmi 4 items l’émotion véhiculée par le visage. Parallèle- ment, durant cette tâche, ils ont mesuré la dilatation pupillaire des participants.

Les résultats de cette étude révèlent que les participants qui ont reçu 24 UI d’OT avant l’expérience ont reconnu des expressions émotionnelles à des niveaux d’inten- sité plus faibles, quelle que soit l’émotion représentée. Les niveaux d’expressivité de l’émotion faciale nécessitent donc d’être moins élevés pour que les participants puissent identifier correctement l’émotion. Couplée à cette amélioration de la rapidité de recon- naissance, Prehn et al détectent que la taille des pupilles a augmenté dans toutes les conditions de la tâche de reconnaissance des émotions (après un rétrécissement initial causé par l’apparition de la première image de chaque essai et le changement corres- pondant des conditions d’éclairage) [269]. Cette augmentation du diamètre pupillaire est plus importante dans le groupe OT que dans le groupe placébo. Selon ces auteurs, la dilatation subséquente (à la présentation des stimuli) indique qu’une meilleure per- formance comportementale dans la tâche de reconnaissance des émotions était associée à une plus grande allocation des ressources attentionnelles. L’OT agirait alors davan- tage sur les systèmes attentionnels que sur les processus liés au traitement des émotions. Toutes ces études qui ont été présentées dans cette section, semblent converger vers un effet bénéfique de l’OT sur les processus de traitement et de reconnaissance des émotions (à des niveaux variables entre les émotions de base). Néanmoins, les méca- nismes qui sous-tendent cette amélioration restent aujourd’hui encore, sujet à débats. Elle pourrait provenir d’une exploration faciale plus fine et adaptée à l’émotion. L’OT module l’exploration faciale lors de tâche de reconnaissance, mais les différentes études ne parviennent pas à un consensus. La seconde hypothèse est que l’OT permet une redistribution de l’allocation des ressources attentionnelles, révélée par l’étude sur la

dilatation pupillaire. Il n’est pas à exclure une action de l’OT à plusieurs niveaux de traitement de l’information du niveau perceptif au niveau cognitif puis intégratif.

Effets sur les mécanismes de la théorie de l’esprit

La théorie de l’esprit et les mécanismes de mentalisation font partie intégrante des capacités humaines qui permettent l’établissement et le maintien des interactions so- ciales. Au vu des actions décrites précédemment, L’OT agit-elle sur ces processus ? Domes et ses collègues ont tenté de répondre à cette question. Ils ont pris comme hy- pothèse que par les yeux nous sommes capables d’inférer les états mentaux d’autrui, comme ce qu’a pu être défini par les travaux de Baron-Cohen [20], encore appelé em- pathie émotionnelle [101]. En proposant le classique test du "Reading the Mind in the Eyes Test", Domes et son équipe ont comparé les performances de participants avant et après délivrance intranasale d’OT [101]. Les sujets, lorsqu’ils recevaient l’OT voyaient leurs performances à ce test s’accroître. Une analyse plus fine révèle que l’améliora- tion s’observe uniquement pour les items les plus compliqués (un effet plafond empêche probablement de recenser un effet sur les items les plus simples). L’OT semble donc améliorer les capacités à comprendre les indices sociaux localisés dans les yeux. De part cette action, l’OT favorise l’accès aux états mentaux d’autrui, et réduit l’ambiguïté qu’il peut y avoir lors d’interactions sociales complexes [101].

Une étude de Rodrigues et collaborateurs s’est intéressée au polymorphisme de l’OTR. Chez l’Homme, un variant SNP (single-nucleotide polymorphism) a été associée à des troubles du spectre de l’autisme et aux habiletés empathiques des parents vis-à-vis de leurs progénitures [285]. Ce SNP nommé rs53576, est situé dans le 3ième intron du

gène de l’OTR [285]. Par conséquent, soit un individu est homozygote GG (les deux allèle portent une guanine), soit il a une ou deux copies de l’allèle adénine A (AA ou AG).

Dans cette étude, les auteurs ont examiné les réponses d’empathie et les réponses au stress chez des participants sains en fonction du génotype. Pour ce faire, ils ont demandé aux participants d’effectuer la tâche du "Reading the Mind in the Eyes Task" (RMET), développée par Baron-Cohen [22]. De plus, ils ont enregistré le rythme cardiaque des sujets lors d’une tâche auditive de réactivité au stress (le principe était de faire sursauter les participants avec un bruit puissant et bref à des intervalles de temps fluctuants). Ces auteurs ont pu démontrer un lien entre les génotypes des participants et les résultats aux deux tâches. Ainsi, les individus homozygotes GG obtiennent de meilleures perfor- mances au test RMET que les individus AG ou AA. Les scores d’empathie sont ainsi améliorés de près de 23% pour les individus GG (qui commettent moins d’erreurs). De plus, les rythmes cardiaques, suite à une situation stressante, sont moins élevés pour les individus homozygotes GG que pour les individus AA ou AG [285].

Ces résultats démontrent que les individus homozygotes pour l’allèle G, comparés à ceux avec une ou deux copies de l’allèle A, semblent être plus adaptés à inférer des états mentaux à autrui et sont rapportés comme ayant des niveaux d’empathie plus

élevés. Il semblerait donc, que les variations géniques naturelles au sein de l’OTR aient des conséquences sur les traitements neuraux et physiologiques qui impactent à la fois les réseaux sociaux et émotionnels [285]. Cette étude valide les effets de l’OT, et plus largement du système OT/OTR sur les processus d’empathie et de théorie de l’esprit.

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