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2. CRITIQUE POSITIVE DE L’HISTORIOGRAPHIE

2.1 La réception de la psychanalyse selon le récit soustractif

2.1.1 Sur la réception initiale de la psychanalyse

2.1.1.1 Description de la réception initiale de la psychanalyse

Dans un premier temps, selon Freud, la psychanalyse était peu connue, elle rencontrait l’hostilité. Elle aurait rencontré si souvent des « réactions de récusation indignées » que celles- ci devinrent pour lui « familières »262.

Cette hostilité prenait différentes formes. Elle s’exprimait tout d’abord dans le silence et l’ostracisme que rencontraient ses adeptes : le « silence » qui suivait les interventions de Freud et « le vide » qui se faisait autour de lui263, « le désintérêt et la récusation de ses

contemporains »264. C’est la célèbre « splendid isolation » de Freud aux débuts de la

psychanalyse265. Elle s’exprimait ensuite dans les attitudes biaisées à l’égard de l’analyse. Par

262 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 254. 263 Ibid., p. 264.

264 Ibid., p. 266. 265 Ibid., p. 264.

exemple, les exigences irréalistes envers lui : on « lui fait un reproche de chaque problème non résolu, de chaque incertitude non reconnue »266. Enfin, l’opposition ouverte, proclamée : les

« injures » et les « reproches » essuyés par Freud267. La « récusation aux accents le plus

souvent passionnés », récurrente268.

En somme, pour le public, l’analyse « est un embarras, elle ferait mieux de ne pas exister »269. Le « destin inévitable » de la psychanalyse est d’« exciter les hommes à la

contradiction et de les exaspérer »270. Elle « fait apparaître ce qu’il y a de plus mauvais chez

tout un chacun »271. La psychanalyse aurait rencontré une « attitude négative »272, voire une

« révolte générale »273.

En raison de ces résistances, la réception de la psychanalyse est un phénomène marginal : « Il y a tellement plus de gens qui croient aux miracles de la Sainte Vierge qu’à l’existence de l’inconscient »274. La théorie analytique « n’est ni connue ni appréciée en

dehors des cercles analytiques. »275

Elle rencontre notamment la réprobation des milieux scientifiques. Freud souligne « la récusation qui est le fait de représentants officiels de la science »276, voire « l’anathème jeté

sur la psychanalyse » par la science officielle277. Cette attitude hostile s’exprimait de

différentes manières. Par exemple, les écrits de Freud « ne faisaient l’objet d’aucun compte rendu dans la littérature spécialisée » et « si exceptionnellement cela se produisait, ils étaient

266 Freud, Nouvelles conférences, p. 11.

267 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 250. 268 Ibid., p. 270.

269 Sigmund Freud, La question de l’analyse profane, Paris : Gallimard, 1985, p. 136. 270 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 250. 271 Ibid., p. 284.

272 Ibid., p. 295.

273 Freud, Leçons d’introduction à la psychanalyse, p. 295. 274 Freud, Nouvelles conférences, p. 204.

275 Freud, La question de l’analyse profane, p. 39.

276 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 279. 277 Ibid., p. 286.

repoussés avec une condescendance railleuse ou compatissante ». On disait par exemple que son travail était « alambiqué, excessif, très bizarre »278. De cette manière, plusieurs

scientifiques tentaient d’« intimider » les psychanalystes279.

La psychanalyse rencontrait aussi la réprobation des milieux médicaux : « L’École de médecine »280 ne reconnaissait pas les instituts d’enseignement analytiques. Le corps médical

réagissait à l’analyse avec une « absence de bienveillance », voire avec un « rejet haineux »281.

« La participation des autorités [au développement de la psychanalyse] se réduit, pour le moment, à créer maintes difficultés à cette jeune entreprise. »282

*

Nonobstant cette « levée générale de boucliers », Freud fut tout de même amené à admettre que la psychanalyse se répandait, qu’elle était de plus en plus acceptée. En 1909, il écrit que le nombre de gens qui ont acquis la conviction de la vérité de la psychanalyse « se trouve en accroissement croissant »283. En 1912, il remarque qu’il existe une « troupe non

négligeable de chercheurs » qui s’appuient sur la psychanalyse284. En 1914, il écrit que le

« mouvement » psychanalytique « continue de progresser en silence, irrésistiblement, recrute toujours de nouveaux adeptes parmi les psychiatres comme parmi les profanes, amène à la littérature psychanalytique un nombre croissant de lecteurs et par là même force les adversaires à des tentatives de défense de plus en plus véhémentes »285. En 1917, il souligne

« l’affluence venue des quatre coins du monde » dans les années précédant la Première Guerre mondiale286. Différents phénomènes (la « constante diffusion des doctrines analytiques,

278 Ibid., p. 265.

279 Freud, Leçons d’introduction à la psychanalyse, p. 85. 280 Freud, La question de l’analyse profane, p. 110. 281 Ibid., p. 145.

282 Ibid., p. 102.

283 Sigmund Freud, Cinq psychanalyses, Paris : Presses universitaires de France, 2008, p. 246. 284 Freud, Totem et tabou, p. 195.

285 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 279. 286 Freud, Leçons d’introduction à la psychanalyse, p. 478.

l’augmentation du nombre de médecins pratiquant l’analyse dans bien des pays ») semblent attester d’un réel affaiblissement du « préjugé contre la thérapie psychanalytique »287. Dans les

années 1930, Freud, se rappelant « l’époque où dans les sociétés savantes d’Allemagne on faisait solennellement le procès de la psychanalyse », concéde : « aujourd’hui cela s’est sensiblement calmé »288. Il écrit même ailleurs qu’il est possible de rendre la psychanalyse

« tout à fait accessible à un large public »289, d’obtenir qu’un malade saisisse « certains

éléments du savoir analytique », et même de parvenir à ce « qu’il les manie comme son bien propre »290.

Freud va assez loin dans la reconnaissance de cette diffusion, lorsqu’il attire l’attention sur le fait que :

[…] la psychanalyse prit cet extraordinaire essor sous le signe duquel elle se trouve encore aujourd’hui et qui est aussi sûrement attesté par la diffusion des écrits qui la servent et l’augmentation du nombre de médecins qui l’exercent ou veulent l’apprendre que par l’accumulation des attaques dirigées contre elle dans les congrès et les sociétés savantes. Elle essaima dans les pays les plus lointains, partout elle fit non seulement sursauter d’effroi les psychiatres, mais dresser l’oreille aux profanes cultivés et aux travailleurs d’autres domaines scientifiques.291

Notons que dans ce passage, Freud voit même dans les critiques adressées à la psychanalyse un indice de sa progression : c’est parce que la psychanalyse était reçue favorablement par certains que d’autres sentaient le besoin de prendre le temps de lui adresser des critiques292. Ailleurs encore, il remarque de même que c’est un « éveil de l’intérêt pour la

psychanalyse » qui a provoqué l’expression d’une « récusation aux accents le plus souvent passionnés »293, que c’est seulement lorsqu’« il ne fut plus possible de la négliger »294 qu’elle

suscita des réactions violentes.

287 Ibid., p. 479.

288 Freud, La question de l’analyse profane, p. 67.

289 Freud, La psychopathologie de la vie quotidienne, p. 432.

290 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 295, italiques ajoutées. 291 Ibid., p. 273, italiques ajoutées.

292 J. Demos relève la même logique : Demos, “Œdipus in America,” p. 75, nº 2. 293 Freud, « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », p. 270.

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