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Des visions hétérogènes des gouvernements nationaux

Section 2. La préparation du TUE, une fenêtre d’opportunité

B. L’intégration européenne, enjeu de controverse central du traité de Maastricht

B. 1. Des visions hétérogènes des gouvernements nationaux

Nous avons précédemment expliqué l’absence de la coopération policière des objectifs initiaux de la CIG sur l’Union politique pour préparer le TUE. Le Conseil européen de Rome des 14 et 15 juin 1990, qui a prévu l’organisation de deux CIG, s’est interrogé uniquement sur le fait de savoir « si et comment les activités actuellement poursuivies dans un cadre intergou- vernemental pourraient être transférées dans le champ d’application de l’Union »448. Cepen-

dant, si les chefs d’État et de gouvernement ont accepté finalement la mise en place d’une coo- pération JAI lors de cette CIG, sa nature et son degré d’intégration ont suscité de nombreux débats. Afin de trouver un compromis entre les délégations nationales, deux solutions ont été adoptées que nous analysons successivement. Premièrement, la structure générale de la Com- munauté européenne a été modifiée. A été créée l’UE composée de trois piliers. Cette structure permet de marquer la différence entre le domaine communautaire d’une part et d’autre part les enjeux relatifs aux domaines de la sécurité extérieure et de la sécurité intérieure, eux-mêmes objets d’une différenciation (§1). Puis, nous étudions de manière plus spécifique les disposi- tions relatives au troisième pilier, dédié à la coopération en matière JAI, afin de mettre en exergue l’ensemble des dérogations à l’intégration prévues (§2).

448 Conclusions du Conseil européen de Rome des 14 et 15 juin 1990, disponibles sur http://www.consilium.eu-

B.1. §1. Une architecture institutionnelle innovante

Des débats essentiels sur le statut des enjeux JAI ont eu lieu au sein de la CIG sur l’Union politique. Chaque position nationale est le résultat de discussions dans le forum domestique de communauté de politique publique449. Certaines délégations ont souhaité que les questions JAI soient pleinement communautarisées, comme les États du Benelux. D’autres ont demandé qu’une partie seulement soit communautarisée, comme la France ou l’Allemagne. Enfin, un ensemble de représentants nationaux ont désiré très clairement conserver la dimension inter- gouvernementale, à l’instar du Royaume-Uni et de l’Irlande. Certains ont même exclu que cette coopération soit intégrée dans le traité, comme le Danemark450.

Ces différents positionnements font écho à ceux évoqués supra concernant le cas spéci- fique d’Europol et semblent surtout liés à des représentations sociales divergentes de l’UE et de ce qu’elle devrait devenir. Les délégations défendant un approfondissement de la construc- tion européenne, voire des idéaux fédéralistes, ont créé une association discursive entre l’inté- gration européenne et la supranationalisation d’un domaine régalien, comme la sécurité inté- rieure. En revanche, les représentants des États membres plus réticents à la communautarisation semblent ne pas avoir pas perçu l’intégration européenne des enjeux JAI comme une consoli- dation de l’UE. Ils ont adopté une vision plus pragmatique de renforcement de mécanismes opérationnels en raison de la reconnaissance du diagnostic porté par l’élite programmatique, bénéficiant de multiples ressources. Ces délégations nationales n’ont pas voulu que cette coo- pération implique une perte de contrôle et une diminution de la souveraineté nationale. Dès lors, si une convergence sur les enjeux opérationnels est visible, les discussions ont surtout porté sur les dimensions organisationnelles.

Face à ces divergences sur la place de la coopération JAI et l’organisation de l’UE qui découle à la fois de l’arrivée de ces enjeux et de ceux relatifs à la PESC, l’option de commu- nautarisation complète a été exclue dès le début des négociations451. Les discussions dans le fo- rum de communauté de politique publique ont été à ce titre concentrées sur la création d’un cadre

449 H. Kassim, B. G. Peters et V. Wright (eds.), The National Co-ordination of EU Policy: The Domestic Level,

Oxford ; New York, Oxford University Press, 2000.

450 J. Monar, « Justice and Home Affairs: The Treaty of Maastricht as a Decisive Intergovernmental Gate Opener »,

Journal of European Integration, 2012, 34, 7, p. 722.

propre aux questions PESC et JAI dans la structure de l’UE. La solution concrète adoptée est finalement celle de la présidence luxembourgeoise. Celle-ci propose une structure européenne en piliers en reprenant l’image d’un temple grec qui serait composé de trois colonnes, dont le Conseil serait le fronton. Le premier pilier serait le domaine communautaire, régi par la méthode commu- nautaire452. Le deuxième pilier, la PESC, et le troisième pilier, les enjeux JAI, seraient, quant à eux soumis, à des clauses spécifiques, permettant un maintien de la dimension intergouverne- mentale. En mobilisant simultanément les processus d’intégration et de coopération, cette archi- tecture est en rupture par rapport au fonctionnalisme préconisé par les fondateurs de l’Europe, Jean Monnet et Robert Schuman453. Pour autant, cette innovation semble être la seule manière de concilier les visions politiques distinctes de la construction européenne454. À ce titre également, afin de satisfaire les gouvernements des États membres favorables à la communautarisation totale des matières JAI, sans pour autant contrarier ceux qui résistaient à cette dynamique, un compro- mis a été formulé à l’article K.9 du titre VI. Ce dernier prévoit la possibilité de créer une procédure passerelle de certains enjeux JAI, pouvant être transférés dans le premier pilier et donc dans le domaine communautaire455. Néanmoins, la décision d’une telle transformation doit être prise à l’unanimité, ce qui rend alors peu probable l’activation de ce mécanisme.

B.1. §2. Les ambiguïtés du Titre VI du TUE

Une quête de compromis entre les délégations nationales est perceptible également au titre VI du TUE consacré aux « dispositions sur la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures ». L’utilisation du terme de « coopération » illustre clairement l’absence d’intégration de ces domaines. De même, l’article K.1 évoque ces domaines comme des « ques- tions d’intérêt commun », sous-entendant qu’il n’existe pas de transfert de compétence au profit

452 Nous rappelons ici que la méthode communautaire consiste en l’attribution à la Commission européenne d’un

droit d’initiative exclusif, l’octroi d’un statut de co-législateur au Parlement européen, le vote à la majorité quali- fiée au sein du Conseil, l’interprétation uniforme du droit communautaire par la CJUE. Cette méthode commu- nautaire est généralement opposée à la méthode intergouvernementale caractérisée par un vote à l’unanimité au sein du Conseil, un Parlement européen marginalisé et au mieux simplement consulté ou informé, l’absence de monopole de la Commission en matière d’initiative législative (A. Schout et S. Wolff, « The « Paradox of Lis- bon » », art. cit., p. 24).

453 C. Chevallier-Govers, De la coopération à l’intégration policière dans l’Union européenne, op. cit., p. 56. 454 J. Monar, « Justice and Home Affairs », art. cit., p. 722.

455« Le Conseil, statuant à l'unanimité à l'initiative de la Commission ou d'un État membre, peut décider de rendre

applicable l'article 100 C du traité instituant la Communauté européenne à des actions relevant de domaines visés à l'article K.1, points 1 à 6, en déterminant les conditions de vote qui s'y rattachent ».

du législateur européen. Cet article K.1 vise plutôt à dresser une sorte de catalogue des matières soumises à une procédure législative spécifique, liée aux objectifs communautaires. En effet, il est précisé à ce même article que la coopération en matière de JAI répond à l’achèvement des objectifs de l’Union, notamment de la libre circulation. L’idée de mesures compensatoires de- meure présente et reflète le récit de politiques publiques porté par l’élite programmatique456.

Les questions d’intérêt commun ont été au nombre de neuf et décrites sous des termes flous et larges, permettant aux gouvernements nationaux de conserver une marge d’interprétation sur les composantes de chacune d’entre elle. De plus, ces neuf questions d’intérêt commun ont re- groupé toutes les coopérations intergouvernementales existant à douze, déjà prises en charge par des groupes informels répondant à des logiques politiques et administratives propres : la politique d'asile ; les règles régissant le franchissement des frontières extérieures des États membres et le contrôle de ce dernier ; la politique d’immigration et la politique à l'égard des ressortissants des pays tiers457 ; la lutte contre l'immigration, le séjour et le travail irréguliers ; la lutte contre la toxicomanie ; la lutte contre la fraude internationale ; la coopération judiciaire en matière civile ; la coopération judiciaire en matière pénale ; la coopération douanière ; enfin, « la coopération policière en vue de la prévention et de la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de drogue et d'autres formes graves de criminalité internationale, y compris, si nécessaire, certains aspects de coopération douanière, en liaison avec l'organisation à l'échelle de l'Union d'un système d'échanges d'informations au sein d'un office européen de police (Europol) ».

Cette évocation d’Europol au sein de la mention d’une question d’intérêt commun structu- rée autour de la coopération policière est la seule référence faite à l’organisation dans le TUE. En outre, les termes utilisés pour décrire Europol sont restés volontairement larges, que ce soit con- cernant sa mission – « un système d’échanges d’informations » – ou son fonctionnement – « en liaison ». Ce cadrage minimal représente une forme de contrainte pour le design d’Europol qui, lorsqu’il sera discuté dans des enceintes parallèles, devra respecter son rôle de plateforme des

456 D. Bigo, Polices en réseaux, op. cit. ; M. Den Boer, « Crime et immigration dans l’Union européenne », art.

cit. ; M. Elvins, Anti-Drugs Policies of the European Union, op. cit.

457 Ces trois premières questions d’intérêt commun renvoient directement à la coopération mise en place au sein

de l’espace Schengen et l’absence d’intégration également de ces dispositions est grandement liée à l’opposition britannique et irlandaise. Les gouvernements de ces deux États ont en effet refusé l’immixtion des institutions supranationales et le risque de se voir imposer des décisions notamment quant à la libre circulation des ressortis- sants des États tiers sur leur territoire (W. de Lobkowicz, L’Europe et la sécurité intérieure : une élaboration par

échanges d’informations et la nature intergouvernementale de la coopération policière. Ces élé- ments représentent donc des limites essentielles pour l’autonomie formelle d’Europol et sont di- rectement corrélés à des représentations sociales distinctes de la construction européenne.