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De la coercition souple à la coercition étendue

2. L’entreprise en mutation : approche méso sociologique

2.7. De la coercition souple à la coercition étendue

En même temps, les modalités de coercition au travail ont changé. On est passé à une

coercition stricte, concernant le mode institutionnel de gestion du contrat de travail, et à

une implication étendue, expression de l’implication contrainte278, concernant les modes d’implication au travail des salariés, et des cadres en particulier.

Relativement au mode institutionnel de gestion du contrat de travail, il faut rappeler que ce dernier, expression de la subordination salariale, constitue un dispositif de coercition et de sanction de la main d’œuvre. Il implique que le salarié s’oblige à être présent dans l’entreprise, respecte les horaires, obéit aux ordres, exécute correctement les tâches prescrites, et obtient les résultats escomptés. Cet ensemble d’obligations exclut à priori des comportements variants qui se situent aux marges des pratiques prescrites et, à fortiori, des conduites déviantes incompatibles avec le fonctionnement de l’entreprise. Pourtant, selon les entretiens que nous avons menés avec les plus anciens cadres que nous avons interrogés, ces prescriptions étaient plus ou moins respectées et chaque cadre disposait pour lui-même et pour ses subalternes, d’une marge d’interprétation et de manœuvre. Il en est ainsi du respect des horaires, de la manière d’organiser son travail, de l’exécuter, et des résultats obtenus. Autrement dit, la norme, comme résultat attendu de la pratique, intégrait souvent implicitement la variance, sous réserve que celle-ci ne soit pas systématique, au point de remettre en cause, sur le fond, les réciprocités de la relation salariale et donc la norme initiale. On peut parler à propos de cette situation d’une coercition souple définie comme une contrainte qui intègre de manière opportune la norme et sa périphérie : la variance.

Sous l’effet des contraintes financières, relayées par les cadres dirigeants, les relations sociales du travail se contractent et, peu à peu, la tolérance de la variance est contestée. On en vient à exiger des salariés un respect rigoureux des normes de la relation salariale. On passe tendanciellement d’une coercition souple à une coercition stricte qui exclut les comportements variants des salariés.

Dans cette perspective, le droit du travail en particulier n’a pas besoin de se transformer. Il suffit que ceux qui disposent de délégations d’autorité se mettent à sévir et cherchent dans les pratiques salariales toutes celles qui pourraient être de nature à perturber le fonctionnement et surtout les résultats de l’entreprise279. Ce qui témoigne le mieux de

278 Durand J-P., La chaîne invisible, Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire, op.cit, p 372 - 373

279 Pour illustrer le passage de la coercition souple à la coercition stricte, nous pouvons fournir deux exemples. Le premier concerne un témoin cité par Durieux et Jourdain : Le chef de projet sous sa responsabilité avait commis une faute grave sur un

cette situation est probablement l’augmentation significative des conflits prud’homaux, qui ne révèlent d’ailleurs pas tous les conflits existants, nombre de salariés préférant finalement laisser tomber, ou ayant pris le soin de négocier leur départ.

Parallèlement, l’implication attendue des salariés s’est aussi transformée. Dans le cadre du flux tendu, les contrats d’objectifs, les exigences de qualité, de délais et de coûts, les contraintes de procédures, se diffusent. Surtout, les injonctions à la mobilisation se multiplient. On attend désormais des salariés, et des cadres en particulier, non seulement qu’ils adhèrent à la culture et aux objectifs de l’entreprise, mais aussi qu’ils mobilisent tout leur être, toute leur subjectivité, qu’ils s’impliquent, qu’ils s’engagent, qu’ils soient totalement disponibles, physiquement, mentalement et affectivement.

Les injonctions à l’implication étendue s’ajoutent donc à la coercition stricte relative au respect du contrat de travail, pour obtenir des salariés non seulement « une conduite compatible avec le fonctionnement général de l’entreprise », mais aussi une implication de tout leur être et, finalement, des résultats conformes à ses préoccupations financières.

chantier (il s’était emporté). « Je me serais contenté de lui donner un avertissement, mais le DG exigeait son départ ». (Durieux A., Jourdain S. L’entreprise barbare, op.cit, p 173). Le second concerne un de nos témoins. Après plus de 23 ans de bons et loyaux services, celui-ci, a été licencié pour faute grave et sans prévis pour « s’être disputé avec un client ». A sa décharge, il venait de perdre successivement sa fille puis sa mère. On comprend dans l’entretien que cette situation a conditionné son comportement excessif. L’entreprise connaissait cette situation mais elle n’en a tenu aucun compte.

En tendance, et ainsi que le montre la figure ci-dessus, on passe progressivement de la

coercition souple à la coercition étendue, résultat d’une double sollicitation des

entreprises à l’adresse des salariés. La première sollicitation relève de l’institution qui agit sur les normes et les règles du contrat de travail et tend à exiger des salariés un strict respect des éléments implicites et explicites du contrat de travail. La deuxième sollicitation relève d’un mode de management qui sollicite leur mobilisation productive dans le cadre de l’implication étendue.

Evidemment, pour ceux qui transgressent les normes du contrat de travail ou/et qui ne s’impliquent pas suffisamment dans l’organisation, la défiance du côté de l’entreprise peut s’installer et mener à leur exclusion. Les effets de cette évolution progressive touchent particulièrement les cadres, au point de pouvoir leur signifier de plus en plus souvent leur insuffisance professionnelle ou leur inaptitude aux fonctions occupées.

La coercition au travail

Figure 2

Coercition souple Coercition stricte

Mode institutionnel de gestion du travail

Imp licatio n con train te au tr avail Coercition étendue Implication limitée Implication étendue Tendance Disponibilité physique Disponibilité mentale Disponibilité affective

Enfin, cette coercition étendue s’accompagne d’un climat de violence sociale où se multiplient les pratiques de harcèlement, l’usage de la violence verbale et symbolique et les menaces d’exclusion de toutes sortes.