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L’interdisciplinarité comme modalité d’une nouvelle forme scolaire

9.2 Une socialisation fonctionnelle et civique

9.2.3  Développer des compétences sociales

Les dispositifs qui font appel à l’interdisciplinarité observent, on l’a dit plus haut, un rapport de dépendance plus ou moins ferme aux programmes scolaires ; en revanche, les disciplines restent un cadre de référence, même souple ou ouvert. Des acquisitions cognitives sont censées se réaliser ou s’activer en termes de savoirs et de compétences disciplinaires. Cependant, ces dispositifs constituent un temps où des compétences d’un autre type, non disciplinaires, sont également recherchées, sans que cela soit exclusif à ces enseignements. Elles ont un caractère général au sens où elles ne se rapportent pas à une discipline, mais à l’activité sociale.

Ces compétences dites « génériques » ou « générales » touchent à plusieurs dimensions de la personne. On peut relever au moins quatre catégories de compétences. Des compétences relationnelles (savoir travailler à plusieurs, diriger une équipe, respecter l’autre, accepter des critiques, etc.) couvrent le domaine des interactions sociales. Des compétences cognitives (poser des questions pertinentes, prendre des notes, collecter des informations, etc.) réfèrent aux activités intellectuelles indépendantes des disciplines, même si elles sont en réalité « transversales », terme qui qualifie également ces compétences dans les documents officiels ou autres. Des compétences communicationnelles sont également favorisées (utiliser les outils informatiques, présenter oralement, passer de l’écrit à la photo, etc.) ainsi que des compétences organisationnelles (planifier son travail, mener une recherche avec des documents, respecter des consignes, respecter les délais, etc.). Si ces compétences ne sont pas rapportées au programme scolaire,

elles ont un lien avec d’autres dispositions telles que le socle commun en France, qui établit l’ensemble des acquisitions visées pour tous les élèves à la sortie de l’école obligatoire. On peut ainsi observer un rapprochement formel entre ces dispositifs et des standards, un lien qui est également informel si l’on se réfère à l’usage que les enseignants disent faire de ces enseignements dans le cadre du socle commun et, plus particulièrement, des rubriques hors disciplines (exemples : « Compétences sociales et civiques » et « Autonomie et initiative »). Par ailleurs, des qualités et des compétences d’engagement sont souvent attendues et sollicitées (prendre une initiative, savoir s’impliquer, écouter activement, etc.). Finalement, l’interdisciplinarité se présente comme un cadre de socialisation ouvert, visant à former un individu essentiellement autonome et engagé.

Conclusion

L’interdisciplinarité est d’une certaine manière à la marge de l’école ordinaire, mais cette marge est grandissante avec la montée des dispositifs « alternatifs » ou « innovants ». Elle se développe auprès de publics ciblés, mais aussi avec le commun des élèves, à l’école primaire comme dans le secondaire et dans la formation professionnelle. Or, en régime d’interdisciplinarité, les acteurs évoluent selon une forme scolaire affranchie de la forme traditionnelle. Il n’est pas simplement question d’articuler des savoirs, il s’agit bien souvent de décloisonner l’espace, d’instaurer des relations symétriques entre les acteurs, d’établir des règles personnelles entre les professionnels, de former des élèves impliqués et autonomes. Les modalités pédagogiques diffèrent de la classe ordinaire au même titre que les dispositifs ont des visées spécifiques (compréhension systémique du savoir, formation d’un individu responsable, sociable et impliqué).

Mais ce qui fonde également la forme intégrative, c’est la recherche de l’articulation entre les oppositions (abstrait/concret, dedans/dehors, intellectuel/manuel, travail/jeu, effort/plaisir, collectif/individuel, etc.). Alors que l’enseignement traditionnel prend appui sur ces oppositions pour hiérarchiser les contenus, les pratiques et les acteurs, en régime d’interdisciplinarité c’est l’articulation des contraires qui tend à primer. L’avantage recherché officiellement, relayé souvent par les enseignants, est « l’intéressement » des élèves, mais plusieurs remarques doivent être formulées sur ce point. La première concerne la correspondance entre

les attentes du monde économique et les objectifs de ces dispositifs. En effet, la socialisation visant à former un élève compétent, engagé, autonome et sociable entre en rapport étroit avec les attendus des entreprises vis-à-vis des salariés, tout en les dépassant cependant. Par ailleurs, en favorisant le décloisonnement et la symétrie, le risque existe que les codes scolaires se brouillent chez les élèves les moins disposés à les comprendre. Enfin, l’activité scolaire est également dépendante des accords construits par les professionnels : elle est donc aléatoire et variable, source de disparités et d’inégalités. Dépendant des acteurs, des professionnels scolaires en premier lieu, les activités interdisciplinaires ne garantissent ni la permanence des dispositifs locaux, ni l’universalité des acquisitions.

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François  Baluteau est professeur des universités à l’Institut des

sciences et des pratiques d’éducation et de formation de l’Université Lumière-Lyon  2 (France). Il est membre de l’équipe d’accueil École,

Cultures et Politiques. Ses derniers ouvrages sont Enseignement au collège

et ségrégation sociale (2013) et L’école à l’épreuve du partenariat (2017).

Résumé

L’auteur décrit les modalités de fonctionnement et les modes de socialisation des dispositifs faisant appel à l’interdisciplinarité. Il cherche à souligner le caractère relativement cohérent et commun de ces dispositifs dans la manière d’orienter l’activité des élèves, d’organiser les savoirs, de développer des compétences et de faire travailler les enseignants. Ce faisant, il rapporte l’interdisciplinarité à une forme scolaire montante, appelée intégrative.

Abstract

The author describes the operating methods and modes of socialization of the devices calling for interdisciplinarity. It seeks to emphasize the relatively coherent and common nature of these devices in the way of orienting the activity of student pupils, to organize knowledge, to develop skills and to make teachers work. In doing so, he tries to show that interdisciplinarity is a new school form, called integrative.

interdisciplinaire, pédagogie