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Convergence : défis disciplinaires et réponses transdisciplinaires

2.2  Comprendre et agir face aux défis planétaires

Face aux défis planétaires, les évolutions bio-géo-chimiques et physiques des écosystèmes, y compris l’habitat humain construit, doivent se comprendre au travers de leurs interactions avec l’évolution des modèles économiques, avec le système de valeurs qui leur est propre et avec les transformations sociétales qui donnent naissance à de nouveaux modèles

21 Girod Roger, « Grand public et savoir scientifique : le mur », Revue française de pédagogie, n° 76,

1986, p. 49-56.

22 Lawrence  Roderick, « Advances in transdisciplinarity: Epistemologies, methodologies and

processes », Futures, vol. 1, n° 65, 2015, p. 1-9.

23 Ison Ray, « Methodological challenges of trans-disciplinary research: Some systemic reflections »,

Natures Sciences Societes, vol. 3, n° 16, 2008, p. 241-251.

24 Nowotny Helga, Scott Peter, Gibbons Michael, Re-thinking Science: Knowledge and the Public in

an Age of Uncertainty, London: Polity Press, 2001.

25 Frickel  Scott, Mathieu  Albert, Prainsack  Barbara (eds.), Investigating Interdisciplinary

de gouvernance26. Accepter et intégrer la complexité de ces interrelations permet de fournir une clé de lecture pour une meilleure compréhension des implications et des causes des crises à résoudre. Nous avons déjà montré qu’une nouvelle lecture de la complexité peut se construire sur le fondement d’un certain nombre de composantes : les échelles de temps –  anthropologique et culturelle, écologique et biologique  – et d’espaces, les systèmes de valeurs économiques, les évolutions des normes sociétales, les interactions croissantes entre acteurs et les outils et les instruments mis en œuvre pour répondre aux situations problématiques27.

De nos jours, l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité sont de plus en plus sollicitées par les agences de financement de la recherche et par les organisations internationales pour comprendre et pour résoudre les situations et les sujets complexes, en particulier ceux qui nécessitent de relier les systèmes naturels aux systèmes sociaux. Soulignons encore que l’acceptation de l’interdisciplinarité et de la transdisciplinarité implique l’admission de plusieurs principes, et notamment :

– l’acceptation de la complexité et de l’incertitude ;

– la multiplicité des méthodes (quantitatives et qualitatives) ;

– le contexte local comme point de départ dans la définition des problèmes (le problème ne peut être abstrait, il est défini par une situation réelle, ancrée dans la société ; l’objet n’est pas imposé par le chercheur) ;

– la prise en compte de toutes les sphères de la société (environnement, institutions, système économique, règles juridiques, par exemple) ; – la pratique du monitoring/feedback, qui permet de vérifier la

conformité des résultats obtenus aux objectifs fixés ;

– la mise en œuvre de connaissances propositionnelles (know-that) et de savoir-faire (know-how) par la communication et par le partage de connaissances entre les parties prenantes.

Pour promouvoir une vision d’ensemble et réflexive des défis actuels majeurs, la mise en œuvre de contributions transdisciplinaires impose un travail collectif entre des personnes s’appuyant sur des cadres théoriques et conceptuels (notamment les multiples interprétations de l’environnement)

26 Nowotny Helga, Scott Peter, Gibbons Michael, Re-thinking Science…

27 Lawrence  Roderick, Forbat  Julien, Naef  Patrick, Lambert  Cédric, Plagnat  Pauline,

et sur des approches méthodologiques (par exemple, les analyses quantitatives et qualitatives) différents. Nous nous référons à la contribution d’Edgar  Morin, l’un des principaux auteurs ayant présenté le plaidoyer en faveur d’une reconnaissance de l’inter- et de la transdisciplinarité, et nous réinterprétons ici le concept de convergence, soutenu par la National Academy of Sciences aux États-Unis28, pour améliorer la collaboration entre les chercheurs de disciplines différentes afin d’aborder des sujets complexes, y compris la santé publique. Nous montrerons ensuite la mise en œuvre de ce concept pour la formulation et pour l’application du concept innovateur de santé planétaire.

2.3 Convergence

Le concept de convergence est utilisé dans de nombreuses disciplines des sciences naturelles, comme par exemple la biologie, la géologie, la mathématique et la physique. Paul  Routledge a, pour sa part, proposé la notion de « lieu de convergence » (convergence space) comme un espace pour le déroulement de mouvements sociaux, et notamment ceux qui s’opposent au néolibéralisme29. Nous redéfinirons le concept de convergence dans ce chapitre en tant que concept voyageur qui dénote le sens d’une orientation intentionnelle des chercheurs, professionnels, élus et citoyens vers un même sujet et vers un même but. Il s’agit de la mise en relation et de la collaboration par une démarche inclusive qui prend en compte le contexte de la problématique à traiter, sa complexité et son caractère multidimensionnel et dynamique ainsi que l’intégration des connaissances non scientifiques et des savoir-faire divers de tous les participants. Cette démarche est indispensable pour comprendre le contexte et la complexité du sujet. Selon Edgar Morin :

« la connaissance pertinente doit affronter la complexité. […]. En

effet, il y a complexité lorsque sont inséparables les éléments différents constituant un tout (comme l’économique, le politique, le sociologique, le psychologique, l’affectif, le mythologique) et qu’il y a tissu interdépendant,

28 National Academy of Sciences, Convergence: Facilitating Transdisciplinary Integration of Life

Sciences, Physical Sciences, Engineering, and Beyond, Washington DC: National Academy of Sciences, 2014.

29 Routledge Paul, « Convergences space: process geographies of grassroots globalization networks »,

interactif et inter-rétroactif entre l’objet de connaissance et son contexte, les parties et le tout. Le tout et les parties, les parties entre elles. »30

Nous avons déjà expliqué que l’écologie humaine appelle une approche interdisciplinaire, holistique et systémique, fondée sur une vision co-évolutionnaire des relations entre les populations humaines et les mondes biophysique, chimique et géologique31. Par ailleurs, Edgar Morin souligne que le « global » est « l’ensemble contenant des parties diverses qui sont liées de

façon inter-rétroactive ou organisationnelle »32. En outre, « la connaissance

des informations ou données isolées est insuffisante. Il faut situer informations et données dans leur contexte pour qu’elles prennent sens »33. Cette démarche admet aussi la nature différente des changements globaux et leurs divers impacts dans les localités et les situations spécifiques. Dans les paragraphes suivants, nous soulignons que la convergence et la collaboration sont nécessaires entre les scientifiques de plusieurs disciplines et d’autres représentants de la société pour traiter les problématiques majeures telles que la santé planétaire, ce qui oblige les chercheurs à associer des définitions, des concepts et des méthodes de recherche différents, mais complémentaires, car la définition biomédicale de la santé est revue et élargie selon une démarche cognitive et réflexive. La distinction entre les modèles conceptuels biomédicaux et les interprétations écologiques de la santé est fondamentale34.