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La pédagogie par projet en éducation en vue d'un développement durable pour développer des compétences transdisciplinaires

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Academic year: 2021

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L’INTERDISCIPZLINARITÉ À L

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Quelle serait ton école idéale ? « Une école de rêve c’est une école où il y a tous nos rêves », lance un des enfants interrogés dans le cadre de notre enseignement interdisciplinaire sur la créativité en éducation. Comme l’enfant, tout enseignant et enseignante, tout responsable d’établissement scolaire, tout parent, chercheur ou chercheuse se met un jour à rêver d’une école idéale dans laquelle toutes les disciplines se déploient et communiquent entre elles de manière harmonieuse, en interdisciplina-rité. Ils sont de plus en plus nombreux non seulement à rêver une école en phase avec la complexité du monde, mais aussi à rendre l’impossible possible, à faire de l’interdisciplinarité une réalité éducative.

Ce livre montre la plus-value de l’interdisciplinarité à l’école, ses avancées et quelques succès institutionnels et pédagogiques. Le travail interdis-ciplinaire n’est néanmoins pas un chemin facile et tracé d’avance. Les résistances et les obstacles épistémologiques, organisationnels, didac-tiques, personnels et culturels freinent souvent la réalisation d’une interdisciplinarité ambitieuse. En réunissant une série de chercheurs et chercheuses parmi les meilleur.e.s spécialistes francophones des enjeux de l’interdisciplinarité scolaire, cette œuvre collective analyse et docu-mente les pratiques de convergence entre les disciplines. Les éducations à pour répondre à l’urgence du développement durable ou aux transfor-mations de l’exercice de la citoyenneté, les rapports complexes entre interdisciplinarité et didactique(s), ou encore la collaboration interdisci-plinaire dans une logique de projet et d’usage du numérique, sont des axes de réflexion centraux. Les regards croisés sur le dialogue entre les disciplines dessinent une cartographie nuancée de l’interdisciplinarité qui n’est pas une et indivisible mais réellement diversifiée dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage.

Destiné aux chercheurs et chercheuses, formateurs et formatrices, aux responsables éducatifs, aux conseillers et conseillères pédagogiques, aux directeurs et directrices d’établissement, aux enseignants et ensei-gnantes mais également aux spécialistes en sciences de l’éducation et dans toutes disciplines, cet ouvrage propose un regard théorique ainsi que des pistes de mise en œuvre des pratiques interdisciplinaires en éducation et formation.

FRÉDÉRIC DARBELLAY

MAUDE LOUVIOT

ZOE MOODY

(SOUS LA DIRECTION DE)

L’INTERDISCIPLINARITÉ À L’ÉCOLE

Succès, résistance, diversité

TRANS

MI SS IO N D ES S A V OIR S

Frédéric Darbellay est professeur associé à l’Université de Genève (Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation) et responsable de la Cellule Inter- et Transdisciplinarité au sein du Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (CIDE).

Maude Louviot est assistante-doctorante au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (CIDE). Sa thèse de doctorat porte sur les questions d’éducation aux droits de l’enfant dans le contexte scolaire primaire en Suisse romande.

Zoe Moody (PhD) est professeure à la Haute école pédagogique du Valais et collabora-trice de recherche au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (CIDE).

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L’interdisciplinarité à l’école

Succès, résistance, diversité

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2002 Neuchâtel 2 Suisse www.alphil.ch Alphil Diffusion commande@alphil.ch ISBN Papier 978-2-88930-288-8 ISBN PDF 978-2-88930-289-5 ISBN EPUB 978-2-88930-290-1 DOI : 10.33055/ALPHIL.03136

Publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.

Illustration de couverture : © alphaspirit. Ce livre est sous licence :

Ce texte est sous licence Creative Commons : elle vous oblige, si vous utilisez cet écrit, à en citer l’auteur, la source et l’éditeur original, sans modifications du texte ou de l’extrait et sans utilisation commerciale.

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Frédéric Darbellay (Université de Genève),

Maude Louviot (Université de Genève)

et Zoe Moody (Haute École pédagogique

du Valais et Université de Genève)

De l’interdisciplinarité

Les appels à l’interdisciplinarité résonnent pour ses représentants1 comme une nécessité épistémologique, scientifique et pratique face à la complexité du monde. Pour ses détracteurs, ils évoquent un éclectisme décousu, impertinent et menaçant l’édifice disciplinaire. Quant aux indécis, ils y distinguent certes une opportunité de changement et d’innovation, mais sans être prêts pour autant à reconsidérer leurs manières disciplinées de faire, de faire faire, de penser et d’être. Cette logique du « oui, mais », a priori ouverte à l’interdisciplinarité, se conclut aussitôt par l’invocation du manque de moyens et des obstacles organisationnels, financiers, épistémiques et méthodologiques. Elle

1 Dans le présent ouvrage, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique ;

ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin. Cette utilisation a été adoptée afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.

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tue dans l’œuf toute volonté et toutes perspectives de développement interdisciplinaire aussi bien dans le champ académique que dans le système scolaire. La logique des détracteurs de type « ou, ou » oppose le travail interdisciplinaire à l’excellence disciplinaire, faisant de celle-ci la voie d’investigation scientifique prioritaire, indépassable et exclusive, jetant l’interdisciplinarité aux oubliettes de l’histoire des sciences. Les promoteurs, les théoriciens et les praticiens de l’interdisciplinarité optent quant à eux pour une logique co-productive de type « et, et », soit un développement et un approfondissement complémentaires des pratiques d’enseignement et de recherche disciplinaires et interdisciplinaires. Cette logique du « et, et » ne se résume toutefois pas à une simple addition d’approches différentes ; elle vise une inclusion dialogique entre disciplinarité et interdisciplinarité.

Le présent ouvrage –  au-delà des nuances et des réappropriations différentielles de chaque contributeur  – renonce à la logique stérilisante du « ou, ou » et tente de dépasser les restrictions et les obstacles imposés par celle du « oui, mais ». Si cette œuvre collective est bien favorable à une défense et à une illustration des avancées et des succès de l’interdisciplinarité, elle n’épouse pas aveuglément les discours fervents de thuriféraires béats, mais propose un regard réflexif, critique et étayé qui doit permettre de renforcer les plus-values épistémiques, théoriques, méthodologiques, didactiques et pédagogiques de l’interdisciplinarité scolaire conçue dans sa diversité interculturelle2.

L’interdisciplinarité s’ancre aujourd’hui dans un mouvement national et international dont il convient de prendre toute la mesure, sans céder en cela à un simple effet de mode ou à la tentation de lancer des promesses intenables. Nous suivrons ici cet objectif en abordant les enjeux, les avancées et les discussions/débats en cours liés à un enseignement inter- et transdisciplinaire dans l’éducation et dans la formation. Pour ce faire, nous avons invité une série de chercheurs parmi les meilleurs spécialistes francophones de l’interdisciplinarité scolaire pour construire une réflexion individuelle et collective. Discussions théoriques, analyses critiques, retours d’expériences, exemples pratiques et recommandations se mêlent pour cartographier au mieux la diversité du travail interdisciplinaire, en laissant une libre expression à une variation de styles et de tons. Le public visé est donc constitué

2 Lemay Violaine, Darbellay Frédéric (éd.), L’interdisciplinarité racontée : Chercher hors frontières,

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autant de chercheurs avancés dans leurs réflexions et démarches en lien avec l’interdisciplinarité que de praticiens qui souhaitent découvrir ou renforcer leurs connaissances sur la collaboration entre des spécialistes de différentes disciplines dans le contexte scolaire. Cet ouvrage offre ainsi un regard transversal sur les questions relatives à l’interdisciplinarité dans l’enseignement, questions le plus souvent abordées sous des angles plus sectoriels, comme l’approche par compétences, les « Éducations  à » ou encore l’innovation scolaire. Les réflexions épistémologiques seront accompagnées d’exemples et d’expériences pratiques, soulignant les apports, les succès, sans négliger les résistances inhérentes à une telle approche. Si l’interdisciplinarité est encore dans l’enfance, en devenir quant à sa mise en œuvre dans les systèmes éducatifs traditionnels, il ne s’agit pas d’un thème nouveau dans la littérature scientifique. Sans viser à l’exhaustivité et pour se limiter à la sphère francophone, on peut dire que la thématique est explorée dans divers ouvrages qui l’étudient sous l’angle didactique3 ou plus théorico-pratique4, ou qui développent une réflexion portant sur le curriculum5, sur des compétences6 ou encore sur des enjeux plus spécifiques, comme le développement durable7 ou l’alimentation8, ou enfin sur certains degrés scolaires ciblés9.

3 Fourez  Gérard (dir.), Mainguin  Alain, Dufour  Barbara, Approches didactiques de

l’interdisciplinarité, Bruxelles : De Boeck, 2002.

De Keersmaecker Marie-Laurence, Detry Annick, Dufays Jean-Louis, Interdisciplinarité en sciences

humaines : Huit disciplines, cinq projets pédagogiques, Bruxelles : De Boeck, 2014.

Valzan Antonio, Interdisciplinarité & situations d’apprentissages, Paris : Hachette Éducation, 2009. Markwitz Olivier, Enseigner les EPI, 24 projets interdisciplinaires pour la classe, Paris : Belin, 2017.

4 Darbellay  Frédéric, Paulsen  Theres (éd.), Le défi de l’inter- et transdisciplinarité : concepts,

méthodes et pratiques innovantes dans l’enseignement et la recherche ; Herausforderung Inter- und Transdisziplinarität : Konzepte, Methoden und innovative Umsetzung in Lehre und Forshung, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2008.

5 Roegiers  Xavier, Curricula et apprentissages au primaire et au secondaire : La pédagogie de

l’intégration comme cadre de réflexion et d’action, Bruxelles : De Boeck, 2011.

6 Audigier  François, Tutiaux-Guillon  Nicole, Compétences et contenus : Les curriculums en

question, Bruxelles : De Boeck, 2008.

7 Diemer Arnaud, Marquat Christel, Éducation au développement durable : Enjeux et controverses,

Bruxelles : De Boeck, 2014.

8 Stengel  Kilien, Enseigner l’alimentation, un projet de société : les enseignements pratiques

interdisciplinaires, Paris : L’Harmattan, 2017.

9 De Kesel Myriam, Dufays Jean-Louis, Plumat Jim, Ricker Marie-Emilie, Vers l’interdisciplinarité :

Croiser les regards et collaborer dans l’enseignement secondaire, Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain, 2016.

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Le défi de la complexité et de la globalité

L’école, au-delà de ses buts de construction identitaire et citoyenne et d’acquisition de compétences10, s’organise au travers de traditions qui s’expriment dans différentes formes scolaires11. L’une de ces traditions dominantes consiste en un découpage des contenus d’enseignement et d’apprentissage dans un système disciplinaire relativement cloisonné et stable. Il en ressort que l’éducation et la formation s’organisent traditionnellement autour des disciplines scolaires et que le cursus des élèves se construit sur la base d’un curriculum relativement cloisonné entre différents domaines du savoir. Cette voie fragmentée de la disciplinarisation est contrebalancée par les appels à l’interdisciplinarité. La pertinence de la conception traditionnelle de l’enseignement, avec la vision de la connaissance qu’elle présuppose, peut être questionnée à l’aune des défis de la complexité et de la globalité des questions vives scientifiques, sociales, politiques, culturelles et économiques12.

Or, si l’on considère ces problématiques comme multidimensionnelles, globales, transnationales et planétaires, une approche monodisciplinaire se révèle rapidement insuffisante pour les traiter comme des ensembles fédérateurs. Un enseignement disciplinaire est certes nécessaire, mais il est trop limité pour s’attaquer aux besoins présents et futurs des élèves, de plus en plus confrontés non seulement à un monde professionnel sujet à des changements rapides, mais également à des problématiques sociales et environnementales complexes qui nécessitent un regard global, des pratiques intégratives et des actions négociées afin que puissent y être apportées des solutions robustes. Le développement durable, la migration, les droits de l’homme et la citoyenneté ne sont que quelques exemples de thématiques complexes qui ne peuvent être résolues par un traitement uniquement disciplinaire et qui appellent une approche dépassant les frontières disciplinaires.

10 Audigier François, « Éducations à… et préparation à la vie », in Audigier François, Sgard Anne,

Tutiaux-Guillon  Nicole (éd.), Sciences de la nature et de la société dans une école en mutation :

Fragmentations, recompositions, nouvelles alliances ?, Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, 2015, p. 25-35.

11 Vincent Guy, « La socialisation démocratique contre la forme scolaire », Éducation et francophonie,

n° 36, vol. 2, 2008, p. 47-62.

Vincent Guy, L’école primaire française : étude sociologique, Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1980.

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Face à cette demande sociale et depuis les années 2000, les curriculums s’organisent de plus en plus autour de compétences transversales et d’objectifs interdisciplinaires, en intégrant notamment les « Éducations à » dans une conception plus traditionnelle des contenus d’enseignement13. Ces transformations curriculaires réclament la mise en place de dispositifs qui s’appuient à la fois sur les disciplines tout en les articulant dans une perspective inter- et transdisciplinaire résolument intégratrice14. Les plans d’études actuels s’orientent vers la mise en place de tels dispositifs, visant non seulement l’acquisition de savoirs disciplinaires, mais également le développement de compétences et de thématiques transversales dans une perspective interdisciplinaire. En particulier, les « Éducations à » (éducation au développement durable, éducation à la citoyenneté, éducation aux droits de l’enfant, éducation à la paix, éducation à la santé, etc.) constituent un bon exemple de cette réorganisation des visées éducatives, qui favorise la construction de l’individu dans sa globalité et ses transformations identitaires15.

Des concepts stabilisés

L’interdisciplinarité comme phénomène polymorphe est le plus souvent définie dans ses rapports à une constellation plus ou moins délimitée de concepts connexes : la disciplinarité comme concept de base, mais aussi la multidisciplinarité, la transdisciplinarité, l’indisciplinarité ou encore la circumdisciplinarité, autant de termes qui innervent les contributions au présent ouvrage et qui sont en tout ou partie re-définis avec d’intéressantes micro-variations par plusieurs des contributeurs. Sans entrer ici dans le détail des subtilités définitionnelles et des exemplifications qui en découlent, il convient toutefois de présenter un cadrage conceptuel succinct des termes les plus usités et les plus consensuels dans la littérature qui touche aux études interdisciplinaires16.

13 Lenoir Yves, « Les “éducations à” pour quelles finalités ? », in Hasni Abdelkrim, Lebrun Johanne,

Lenoir Yves (dir.), Les disciplines scolaires et la vie hors de l’école : Le cas des « éducations à » au

Québec, Québec : Groupéditions, 2016, p. 141-172.

14 Morin Edgar, « Sur l’interdisciplinarité », Bulletin interactif du centre international de recherches et

études transdisciplinaires, vol. 2, 1994.

15 Audigier François, « Éducations à… et préparation à la vie »…

16 Perrig-Chiello  Pasqualina, Darbellay  Frédéric, « Inter- et transdisciplinarité : Concepts et

méthodes », in Perrig-Chiello Pasqualina, Darbellay Frédéric, Qu’est-ce que l’interdisciplinarité ?

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La disciplinarité, comme principe premier, prévalent et fondateur, évoque le découpage standardisé des connaissances en disciplines autonomes et cloisonnées. Les disciplines sont fondées sur des concepts, des méthodes, des traditions de recherche et d’enseignement véhiculées par et dans des communautés scientifiques et scolaires qui leur sont propres. Chaque discipline délimite son propre objet de recherche et d’enseignement et le développe de manière approfondie, construisant ainsi un ensemble organisé et cohérent de savoirs disciplinaires, aboutissant à terme à une hyperspécialisation.

Dans la continuité de la logique disciplinaire, la multidisciplinarité implique la convocation d’au moins deux disciplines différentes autour d’un objet d’étude, a priori sans intention d’articulation ou d’intégration entre elles. Cette pratique additive entre savoirs et compétences disciplinaires présente l’avantage d’offrir une vision pluraliste d’une question théorique ou pratique, bien qu’elle se résume souvent dans les faits à une juxtaposition de points de vue sans interaction effective.

Quant à l’interdisciplinarité, elle s’appuie sur le pluralisme multidisciplinaire, tout en se fixant un objectif plus ambitieux de mise en dialogue, d’interaction et d’intégration entre différents points de vue disciplinaires. Cette collaboration, construite et négociée entre spécialistes, a pour but le dépassement du principe de juxtaposition afin de travailler à l’interface des disciplines. L’interdisciplinarité implique donc un partage des objectifs, des concepts et des méthodes entre spécialistes pour une intercompréhension et un apprentissage mutuels entre les différents champs et pratiques scolaires disciplinaires. Bien qu’ancré dans les disciplines, le travail interdisciplinaire consiste ainsi à tenter un dépassement des frontières et à créer un espace commun, spécifique à l’étude de l’objet complexe partagé. Cette tension dialectique entre centrage disciplinaire et ouvertures interdisciplinaires s’accroît dans la perspective transdisciplinaire.

La transdisciplinarité s’efforce d’atteindre un « au-travers » et un « au-delà » –  une transversalité et une transcendance des disciplines  – pour acquérir une compréhension globale, intégrative et transgressive qui réorganise les savoirs disciplinaires en un système total, sans frontières

Darbellay Frédéric, Interdisciplinarité et transdisciplinarité en analyse des discours : complexité des

textes, intertextualité et transtextualité, Genève : Slatkine, 2005.

Darbellay  Frédéric, « Rethinking inter- and transdisciplinarity: undisciplined knowledge and the emergence of a new thought style », Future, n° 65, 2015, p. 63-174.

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stables entre ces derniers17, et en les complétant au moyen de savoirs pratiques et professionnels. Cette exploration des confins des territoires, des paradigmes disciplinaires et des cultures scientifiques se mène non seulement au sein du champ académique, mais aussi avec la participation des actrices et des acteurs politiques, sociaux, économiques et des citoyens extrascientifiques.

Cette configuration terminologique laisse émerger différentes conceptions et sensibilités plus ou moins transgressives dans le rapport entre disciplinarité et inter- et/ou transdisciplinarité. Comment ces conceptions et ces sensibilités se rejouent-elles dans le système scolaire ? Quel degré d’acceptabilité et d’adaptation ce système a-t-il en lien avec cette nouvelle donne épistémologique, didactique et pédagogique ? Une interdisciplinarité scolaire est-elle possible ? Si non, pourquoi ? Si oui, quels en sont les avantages, les difficultés, les facteurs favorisant son développement, les obstacles à considérer et à franchir ?

Jouer collectif : place à la diversité

Cet ouvrage est organisé en trois parties.

La première (L’interdisciplinarité scolaire : convergence entre disciplines et enjeux des « Éducations  à ») situe l’interdisciplinarité dans le contexte scolaire et met en évidence la convergence et la transversalité qui s’observent aujourd’hui entre les disciplines. Le champ des « Éducations  à » sert de terrain d’exploration privilégié des tensions et des co-productions qui s’établissent entre les disciplines scolaires. Dans le premier chapitre (De l’interdisciplinarité scientifique à l’interdisciplinarité

scolaire), Yves  Lenoir montre comment l’interdisciplinarité s’inscrit dans des perspectives scientifique, scolaire, professionnelle ou pratique. Ces champs d’opérationnalisation de l’interdisciplinarité mettent en tension des finalités différentes et complémentaires du point de vue de la recherche académique et des applications en contexte scolaire. Le recours à l’interdisciplinarité et à la transdisciplinarité dans le champ éducatif est fortement motivé par la nécessité d’analyser et de comprendre les défis globaux, dont la complexité demeure irréductible à une approche

17 Piaget  Jean, « L’épistémologie des relations interdisciplinaires », Bulletin Uni-information, n°  31,

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monodisciplinaire. Roderick  J.  Lawrence en fait la démonstration dans le chapitre  2 (Convergence : défis disciplinaires et réponses transdisciplinaires) au travers de l’usage du concept de convergence dans des perspectives écologiques et systémiques pour le traitement de la santé planétaire. Dans le chapitre 3 (De l’interdisciplinarité à la transversalité :

pour un projet politico-pédagogique, résolument écologique), Lucie Sauvé développe une vision écologique du développement humain. Contre le morcellement de l’éducation contemporaine face à la complexité du monde, l’auteure explique comment l’émergence des « Éducations  à » prend place dans les curriculums en favorisant l’intégration de dimensions transversales. Les postures épistémologiques et pédagogiques inhérentes à l’inter- et la transdisciplinarité sont au cœur de ce processus d’intégration qui mobilise la multiplicité des acteurs de la communauté éducative dans une dynamique collaborative. La prise en considération de l’importance croissance des « Éducations  à » invite également à repenser les objectifs des enseignements disciplinaires. Cette tension dynamique entre disciplines scolaires et interdisciplinarité est étudiée par Denise  Orange-Ravachol dans le chapitre  4 (« Éducations  à » et disciplines scolaires :

vers de l’interdisciplinarité ou vers une dé-disciplinarisation ?). En s’appuyant sur des études de cas menées à l’école primaire dans le domaine des sciences de la nature, elle lie le travail interdisciplinaire à une tendance à la dé-disciplinarisation qui en appelle inversement à de nouvelles disciplinarisations. Au travers de l’interdisciplinarité scolaire telle qu’elle s’exprime dans les « Éducations  à », l’école tente de répondre aux nombreuses demandes sociales et politiques. Elles sont particulièrement fortes dans le cas du développement durable comme le présente François  Audigier dans le chapitre  5 (L’éducation en vue du

développement durable aux prises avec la diversité disciplinaire. Exemple des disciplines scolaires du monde social – histoire, géographie, éducation à la citoyenneté). Les disciplines ne sont pas de simples reflets de la réalité, elles construisent au contraire des rapports singuliers au monde qui sont fondés sur des concepts et des catégories en tant qu’outils de pensée et d’action qu’il convient de questionner sur le plan épistémologique.

La deuxième partie de l’ouvrage (Interdisciplinarité, didactique(s) et

forme scolaire) met en relation l’interdisciplinarité et la(les) didactique(s) en problématisant les enjeux, les potentialités et les limites d’une possible didactique de l’interdisciplinarité. Elle se conclut par une réflexion sur les dispositifs faisant appel à l’interdisciplinarité comme forme scolaire montante et intégrative. Dans le chapitre  6 (Didactiques, disciplines et

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interdisciplinarité), Yves  Reuter aborde la question de la méfiance des didactiques disciplinaires face au développement de projets pluri- ou interdisciplinaires dans la mesure où ils peuvent faire bouger les lignes entre les disciplines voire les mettre en cause dans leur prévalence et légitimité. Sans contrarier fondamentalement l’importance des disciplines mais en questionnant la notion de discipline elle-même, l’auteur opte pour une approche plus complexe qui explicite la structure interdisciplinaire des didactiques et leurs liens avec la pédagogie. La question frontale de l’existence d’une didactique de l’interdisciplinarité est posée par Ghislain  Samson dans le chapitre  7 (Existe-t-il une didactique de

l’interdisciplinarité ?…). En se basant sur des expériences d’enseignement interdisciplinaire à partir de problématiques environnementales, les plus-values de l’interdisciplinarité en termes de collaboration entre les disciplines scolaires et de développement de comportements positifs par rapport à la protection de l’environnement ressortent clairement. L’auteur ne conclut toutefois pas à ce jour sur l’existence officielle d’une didactique spécifique de l’interdisciplinarité, mais plutôt sur la reconnaissance d’une attitude interdisciplinaire qui va au-delà de la simple maîtrise de contenus disciplinaires. Comme l’expose à son tour Marie-Laurence De  Keersmaecker dans le chapitre  8 (Didactique et

interdisciplinarité), une démarche didactique peut parfaitement prendre en compte l’interdisciplinarité en mobilisant une série de disciplines et en construisant leurs interrelations. Il s’agit alors de construire une séquence d’apprentissage interdisciplinaire qui puisse traiter des problématiques complexes dans et par l’enseignement. Les modalités de fonctionnement et de socialisation des dispositifs d’enseignement-apprentissage qui s’appuient sur l’interdisciplinarité sont relativement cohérentes dans la manière d’articuler les savoirs disciplinaires, de développer des compétences et de favoriser le travail collaboratif entre les enseignants. Comme le démontre en effet François Baluteau dans le chapitre 9 (L’interdisciplinarité comme

modalité d’une nouvelle forme scolaire), les pratiques interdisciplinaires dans leur diversité tendent à converger dans une forme scolaire intégrative et de plus en plus éprouvée et visible dans le champ éducatif.

La troisième partie (Collaboration interdisciplinaire, pédagogie par

projet et usages du numérique) aborde l’interdisciplinarité scolaire sous l’angle de la collaboration et dans une logique de pédagogie par projet. Les usages co-créatifs du numérique en éducation sont également étudiés au travers de leurs liens dynamiques avec l’interdisciplinarité. Pour finir, les débats, les défis et les obstacles inhérents aux pratiques interdisciplinaires

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sont discutés et mis en perspective. Dans le chapitre 10 (Interdisciplinarité

et projets collectifs : vers une nouvelle professionnalité enseignante ?), Catherine  Reverdy présente les pratiques interdisciplinaires sous le double angle de l’innovation qu’elles incarnent et des difficultés qu’elles rencontrent dans leur mise en place. Les cas des nouveaux enseignements pratiques interdisciplinaires en France sont pris comme exemples de dispositifs impliquant un travail collaboratif et le développement de communautés d’apprentissage professionnel. Myriam  De  Kesel poursuit dans la même veine (Chapitre  11 : L’interdisciplinarité : croiser les

regards) en documentant et en analysant l’initiation à l’interdisciplinarité en formation initiale et en formation continue des enseignants au travers de modules de formation spécifiques. L’interdisciplinarité a pour objectif final de permettre à tout élève de traiter une problématique complexe en apprenant à faire des liens entre des concepts et des pratiques séparés. Comme le mettent en évidence Francine  Pellaud, Marilyne  Bassin, Gilles  Blandenier et Philippe  Massiot dans le chapitre  12 (La pédagogie

par projet en éducation en vue d’un développement durable pour développer des compétences transdisciplinaires), l’interdisciplinarité fait en effet sens dans une pédagogie par projet qui favorise le développement de compétences du xxie  siècle, tout en promouvant des pratiques d’évaluation en phase avec une perspective non cumulative d’acquisition des connaissances disciplinaires. L’interdisciplinarité entre également en forte résonance avec les enjeux du numérique dans le champ éducatif. Margarida  Romero et David  Belhassein tissent ce lien dynamique dans le chapitre  13 (Interdisciplinarité et usages co-créatifs du numérique en

éducation), en explicitant et en illustrant le potentiel interdisciplinaire des projets éducatifs qui font un usage co-créatif du numérique. Le pluralisme épistémologique inhérent au travail interdisciplinaire est présenté comme une condition de succès pour la collaboration entre les élèves autour d’un projet commun, débouchant sur le développement de compétences transversales pour la résolution de problèmes. Dans une vision synthétique, Barbara  Dufour conclut l’ouvrage dans le dernier chapitre (Interdisciplinarité : des défis, des obstacles). En rappelant les défis de la formation des nouvelles générations face à la mondialisation, au numérique, à la démocratie, etc., l’auteure plaide en faveur de l’interdisciplinarité comme une voie prometteuse sans négliger les freins à sa mise en œuvre sur les plans structurels et méthodologiques. Les perspectives de changement sont toutefois en cours de réalisation : pensons aux savoirs théoriques et méthodologiques désormais disponibles sur l’approche interdisciplinaire,

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les objectifs plus transversaux des programmes de formation, l’adaptation de l’espace/temps scolaire et les nouvelles visions du métier d’enseignant.

Les lecteurs sont invités à découvrir l’ensemble des chapitres dans leur succession ou de manière plus aléatoire. Dégageons ici, en guise de fil rouge, quelques lignes de force non linéaires qui traversent l’ouvrage.

Il ressort tout d’abord que l’interdisciplinarité n’est pas une mais multiple : il existe une diversité de conceptions et de pratiques interdisciplinaires selon les questions théoriques ou les problèmes à résoudre. Chaque situation concrète réclame une interdisciplinarité différente et sur mesure qui rend peu pertinentes l’application d’un modèle unique et les transpositions sauvages d’un contexte à l’autre. L’interdisciplinarité est un moyen de traiter des situations spécifiques, non une fin en soi. Les buts de l’interdisciplinarité scolaire consistent à construire et à diffuser des savoirs entre et au-delà des limites disciplinaires et à former des acteurs sociaux confrontés à la complexité. Le travail interdisciplinaire devrait permettre aux élèves de développer à la fois des compétences transversales et leur esprit créatif et critique, d’intégrer différents points de vue tout en approfondissant et en contextualisant leurs apprentissages disciplinaires autour de thématiques complexes, de donner du sens aux apprentissages en tissant des liens ou encore d’améliorer le climat de la classe. Ces objectifs peuvent être atteints via la mobilisation des acquis disciplinaires et des connaissances préalables des élèves et par le développement de méthodes et de pédagogies adaptées. L’approche par la résolution de problèmes, la pédagogie par projet, les pratiques collaboratives et les usages du numérique contribuent à la mise en œuvre de l’interdisciplinarité scolaire.

Un autre point saillant concerne les rapports complexes et renouvelés entre les disciplines scolaires et les pratiques interdisciplinaires. Si l’interdisciplinarité et son développement sont pertinents au regard des défis actuels et des besoins des élèves, il n’en reste pas moins que les savoirs disciplinaires et spécifiques demeurent fondamentaux dans toute démarche interdisciplinaire. L’approche interdisciplinaire ne plaide pas pour un effacement des disciplines, mais plutôt pour une reconnaissance réciproque des besoins et des apports des approches disciplinaire et interdisciplinaire. Il faut toutefois également prendre en considération le fait que l’interdisciplinarité correspond à une manière différente de concevoir le processus d’enseignement-apprentissage par rapport à un enseignement disciplinaire et que la forme scolaire traditionnelle tend à se transformer pour évoluer vers plus d’intégration. Bien que les disciplines

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scolaires tiennent toujours un rôle central dans ce processus, elles sont amenées à assouplir leurs frontières pour permettre l’échange inter- et transdisciplinaire et la construction de savoirs, de faire et de savoir-être liés.

À ce titre, les dispositions, les attitudes et les compétences des enseignants sont particulièrement importantes. Le rôle de ces derniers ne se résume pas à une transmission de savoirs disciplinaires ; il consiste aussi à guider les élèves dans la mise en place de la démarche interdisciplinaire, dans l’acquisition de connaissances transversales et dans la mise en lien des savoirs disciplinaires. L’apprenant est situé au centre du processus et l’enseignant n’est pas un simple détenteur de savoirs à transmettre : il renouvelle son positionnement en acceptant la complexité et l’incertitude face à des pratiques qui se trouvent hors de son champ disciplinaire d’origine. L’enseignant s’ouvre à la multiplicité des méthodes et s’engage dans des processus collaboratifs. La reconnaissance de l’identité académique et professionnelle des enseignants découlant de leur(s) appartenance(s) disciplinaire(s), l’engagement dans une démarche résolument interdisciplinaire ne va pas sans une certaine prise de risque, sans compter les efforts personnels, le temps consacré et le besoin de se former à l’interdisciplinarité. Les institutions scolaires et de formation devraient dès lors soutenir de manière plus visible et plus efficiente le travail des enseignants qui développent des dispositifs interdisciplinaires. Toute institution scolaire doit questionner son organisation avant tout disciplinaire, ses hiérarchies et les relations de pouvoir entre les disciplines ainsi que ce qui peut favoriser ou obstruer l’interdisciplinarité scolaire. L’interdisciplinarité est, en fin de compte, une invitation, aussi bien pour les enseignants et les élèves que pour l’institution qui les encadre, à repenser les postures, les approches et les pratiques dans une logique d’adaptation et de transformation cognitive, identitaire et structurelle.

Bibliographie

Audigier François, Tutiaux-Guillon Nicole, Compétences et contenus :

Les curriculums en question, Bruxelles : De Boeck, 2008.

Audigier  François, « Éducations à… et préparation à la vie », in Audigier  François, Sgard  Anne, Tutiaux-Guillon  Nicole (éd.),

(19)

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Frédéric  Darbellay est professeur associé à l’Université de Genève

(Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation) et responsable de la Cellule inter- et transdisciplinarité au sein du Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (CIDE). Il conduit des recherches et des enseignements sur l’interdisciplinarité dans ses dimensions épistémologique, méthodologique et institutionnelle. Ses travaux portent sur l’étude de la complexité des questions théoriques et pratiques auxquelles se confrontent aujourd’hui les chercheurs et les enseignants qui travaillent à partir, entre et au-delà des frontières disciplinaires dans une perspective de créativité, d’innovation et de découverte. Ses terrains de recherche se situent aussi bien dans le champ des sciences humaines et sociales et des sciences de l’éducation que dans celui des sciences de la nature, de la vie et des techniques, ainsi qu’au croisement dialogique entre ces différentes cultures scientifiques.

Maude  Louviot travaille en tant qu’assistante-doctorante à la Cellule

inter- et transdisciplinarité du Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (CIDE). Sa thèse de doctorat porte sur les questions

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d’éducation aux droits de l’enfant dans le contexte scolaire primaire en Suisse romande. En s’appuyant sur une approche interdisciplinaire, elle souligne notamment la place centrale de l’interdisciplinarité et des approches pédagogiques centrées sur les élèves en leur accordant un espace dans la construction de leur propre savoir comme un moyen central non seulement pour l’enseignement formel, mais également pour l’enseignement informel lié aux droits de l’enfant.

Zoe  Moody (PhD) est professeure à la Haute École pédagogique du

Valais et collaboratrice de recherche à la Cellule inter- et transdisciplinarité du Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève (CIDE). Ses activités de recherche et d’enseignement se situent à l’intersection entre les sciences de l’éducation et le domaine des droits de l’enfant, mobilisant des perspectives interdisciplinaires (sciences de l’éducation, sociologie, psychologie, droit). Ses activités de recherche et d’enseignement portent à la fois sur des approches pédagogiques, telles que les « Éducations  à » (aux droits de l’enfant, à l’interculturalité, à la citoyenneté, etc.), sur l’interdisciplinarité scolaire, sur la créativité à l’école ainsi que sur les contextes et les environnements éducatifs (droits de l’enfant à l’école, climat et violences scolaires) et les cadres d’analyse qui y sont liés (éthique, justice sociale, etc.).

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(23)

scolaire : convergence

entre disciplines

(24)
(25)

De l’interdisciplinarité scientifique

à l’interdisciplinarité scolaire

Yves Lenoir, Université de Sherbrooke

Introduction

S’il existe de nombreuses interprétations de l’interdisciplinarité et de sa mise en œuvre, qui découlent, entre autres, des contextes sociaux et culturels distincts –  ainsi que nous l’avons mis en évidence à plusieurs reprises et sous différents angles1  –, il importe également de distinguer au moins quatre angles opérationnels (ou angles d’approche) de l’interdisciplinarité : celle-ci peut s’inscrire dans une perspective scientifique, scolaire, professionnelle ou pratique, chacune d’entre elles

1 Voir les publications suivantes :

–  Lenoir  Yves, Hasni  Abdelkrim, Froelich  Alexandra, « Curricular and didactic conceptions of interdisciplinarity in the field of education: A socio-historical perspective », Issues in Interdisciplinary

Studies, nº 33, 2015, p. 39-93.

– Lenoir Yves, Klein Julie (dir.), « Interdisciplinarity in Schools: A Comparative View of National Perspectives », Issues in Integrative Studies, nº 28, 2010, p. 1-331.

– Lenoir Yves, « Les réformes actuelles de la formation à l’enseignement en France et aux États-Unis : éléments de mise en perspective socio-historique à partir du concept d’éducation », Revue suisse des

sciences de l’éducation, vol. 24, nº 1, 2002, p. 91-126.

–  Lenoir  Yves, « L’interdisciplinarité dans la formation à l’enseignement : des lectures distinctes en fonction de cultures distinctes », in Lenoir Yves, Rey Bernard, Fazenda Ivani (éd.), Les fondements de

(26)

pouvant être traitée des points de vue de la recherche, de l’enseignement ou de son application dans la vie de tous les jours (figure 1).

Ces modalités opératoires sont également fortement influencées par la dimension organisationnelle. Pour Hermerén2, les questions organisationnelles influent directement sur l’enseignement et sur la recherche. Toute activité interdisciplinaire, qu’il s’agisse de recherche, d’enseignement ou de pratique autre, est confrontée à la question ardue de son organisation sous de multiples facettes, institutionnelle, interpersonnelle, structurelle, cognitive, etc. Une recension critique de nombreuses études3, essentiellement américaines, qui se sont penchées sur

2 Hermerén  Göran, « Interdisciplinarity Revisited – Promises and Problems », in Levin  Lennart,

Lind Ingemar (ed.), Interdisciplinarity Revisited: Re-assessing the Concept in the Light of Institutional

Experience, Stockholm: OECD/CERI, Swedish National Board of Universities and Colleges, Linköping University, 1985, p. 15-25.

3 Hasni Abdelkrim, Lenoir Yves, « La place de la dimension organisationnelle dans l’interdisciplinarité :

les facteurs influençant les pratiques de recherche et d’enseignement », in Lenoir Yves, Rey Bernard, Fazenda  Ivani (éd.), Les fondements de l’interdisciplinarité dans la formation à l’enseignement, Sherbrooke : Éditions du CRP, 2001, p. 179-204.

Figure  1 - Les champs d’opérationnalisation de l’interdisciplinarité et ses angles d’approche

scientifique scolaire professionnelle pratique

Organisation Recherche Enseignement Application

Interdisciplinarité

FI NA LIT ÉS M O DA LIT ÉS

(27)

cette dimension problématique de la gestion de l’interdisciplinarité, surtout au niveau de la recherche, mais aussi en ce qui concerne l’enseignement, montre que ce sont les questions d’ordre socio-idéologique et surtout les problèmes organisationnels qui constituent les principaux obstacles au recours à l’interdisciplinarité dans la recherche et dans l’enseignement. Bref, la dimension organisationnelle joue un rôle majeur dans le processus collaboratif qui est généralement nécessaire, et se révèle fréquemment le maillon faible pour diverses raisons4.

Dans le cadre de ce chapitre, nous porterons avant tout attention aux différences existant entre les approches scientifique et scolaire, tout en caractérisant brièvement les perspectives pratique et professionnelle. Sur le plan éducatif scolaire, nous nous situons aux ordres d’enseignement primaire et secondaire, c’est-à-dire en présence d’élèves âgés de  6 à 17 ans.

1.1 L’interdisciplinarité pratique

L’interdisciplinarité pratique renvoie aux savoirs pratiques, techniques ou procéduraux utilisés dans la vie de tous les jours, mais aussi à ceux des personnes œuvrant dans les métiers relationnels, comme les infirmières, les médecins, les enseignants, les travailleurs sociaux, etc.5. Elle se démarque nettement des autres champs d’opérationnalisation de l’interdisciplinarité en ce qu’elle est essentiellement fondée sur l’expérience acquise ou qui s’acquiert par les individus (savoirs d’expérience) dans différents domaines ou situations du quotidien. Elle se distingue aussi par son caractère

4 Voir aussi, entre autres, les publications suivantes, les différents obstacles et problèmes rencontrés

n’étant pas présentés ici :

– Barth Richard T., Steck Rudy (éd.), Interdisciplinary Research Groups: Their Management and

Organization, Vancouver: Interdisciplinary Research Group on Interdisciplinary Programs, 1979. – Birnbaum-More Phillip H., Rossini Frederick A., Baldwin Donald R. (ed.), International Research

Management. Studies in interdisciplinary Methods from Business, Government, and Academia, Oxford: Oxford University Press, 1990.

– Thompson Klein Julie, Interdisciplinarity. History, Theory and Practice, Detroit, IL: Wayne State University Press, 1990.

–  Salter  Liora, Hearn  Alison, Outside the lines. Issues in interdisciplinary research, Montreal & Kingston: McGill University Press & Queen’s University Press, 1997.

5 L’interdisciplinarité pratique a été particulièrement bien étudiée au Québec par Yves Couturier qui s’est

penché sur les activités professionnelles des infirmières et des travailleurs sociaux : Couturier Yves,

La collaboration entre travailleuses sociales et infirmières. Éléments d’une théorie de l’intervention interdisciplinaire, Paris : L’Harmattan, 2005.

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instrumental appliqué à la résolution de problèmes et à des situations qui surviennent dans la gestion de la vie courante.

L’interdisciplinarité semble dès lors aussi naturelle que la prose de monsieur Jourdain, relève Fourez : « en bricolant ou en faisant des choix

d’hygiène, par exemple, nous articulons sans cesse des éléments des sciences naturelles, des questions d’économie ou d’écologie, et des choix éthiques »6. Faire de la mayonnaise requiert un jaune d’œuf, du sel, de la moutarde, de l’huile d’olive et un fouet. La personne qui prépare une mayonnaise n’a pas besoin de connaître la chimie ; la mayonnaise sera réussie si elle prend, c’est-à-dire si s’opèrent les réactions chimiques appropriées grâce au tour de main du cuisinier. De même, le mécanicien qui répare une automobile, la ménagère qui entretient la maison, le spéculateur qui « joue » en bourse ou encore le chauffeur d’autobus qui conduit un véhicule de transport public recourent tous à des savoirs procéduraux, à des savoirs d’expérience et à des pratiques plus ou moins routinières et réfléchies provenant de divers horizons, disciplinaires, techniques et professionnels inclus.

1.2 L’interdisciplinarité professionnelle

Dans tous les métiers relationnels à prestation de services, du médecin et de l’ingénieur à l’avocat et à l’enseignant, en passant par les travailleurs sociaux ou les gestionnaires de personnel, la formation et son usage s’inscrivent (ou devraient s’inscrire) dans un rapport complexe et interrelié aux savoirs à la fois scientifiques et empiriques. L’interdisciplinarité professionnelle renvoie à l’intégration de démarches et du savoir (scientifique et pratique) et au développement des compétences requises par la profession en cause. Elle requiert par là un dépassement de la conception classique de l’interdisciplinarité qui, au sens strict, désigne les interactions effectives tissées entre deux ou plusieurs disciplines portant sur leurs concepts, leurs démarches méthodologiques, leurs techniques, etc. Elle n’est donc pas compatible avec une perspective cumulative, quelle qu’elle soit, car elle impose des interactions réelles et repose sur un ensemble de principes : de complexité disciplinaire, d’égalité, de complémentarité, de nécessité, de relationalité.

6 Fourez Gérard, Alphabétisation scientifique et technique. Essai sur les finalités de l’enseignement des

(29)

Ainsi, le processus de professionnalisation dans le cadre d’une formation initiale et continue se distingue de la stricte perspective interdisciplinaire par la finalité poursuivie :

– il recourt à une logique de l’action et non à une logique disciplinaire, strictement cognitive ;

– il vise la perspective intégrative comme finalité (la mise en œuvre de compétences en tant que mobilisation dans la pratique de démarches et de savoirs divers) ;

– il se distingue également de l’interdisciplinarité stricto sensu par l’intégration des pratiques d’intervention fondées sur l’usage en tant que composante à part entière du processus de formation.

La finalité de la formation étant bien la maîtrise de l’acte professionnel, il ne suffit pas de pouvoir tisser des liens entre des disciplines scientifiques. Comme l’illustrent, par exemple, les travaux de la didactique professionnelle7, il importe de se placer à un autre niveau qui dépasse les formations disciplinaire et interdisciplinaire en les intégrant :

– le niveau du projet d’action professionnelle qui fonde la formation et lui donne sa légitimité ;

– le niveau du développement des compétences professionnelles requises et issues de la pratique.

Le processus de formation professionnelle ne peut donc en rester au niveau interdisciplinaire (celui de l’interrelation entre des savoirs). Il nécessite le recours à des savoirs que l’on peut qualifier d’« adisciplinaires », c’est-à-dire à des pratiques sociales de référence8 dégagées des actes professionnels (à la source éventuellement d’un référentiel professionnel), qui interagissent avec les savoirs théoriques de façon dynamique, non linéaire et non hiérarchisée, pour finaliser l’acte professionnel donné. La formation professionnelle se réfère alors non seulement à des savoirs disciplinaires, à d’autres savoirs homologués, mais aussi à des pratiques sociales de référence,

7 Par exemple : Pastré  Pierre, La didactique professionnelle. Approche anthropologique du

développement chez les adultes, Paris : Presses universitaires de France, 2011. Les travaux de la didactique professionnelle sur les conducteurs de trains ou de centrales nucléaires, sur les activités du rembourreur de fauteuils, sur celles des enseignants et d’autres métiers, montrent bien l’importance de ces savoirs d’expérience dans les pratiques quotidiennes : des routines, des compétences incorporées, des trucs, des raccourcis, etc.

(30)

constituées de compétences explicites et implicites (incorporées), bref, à ce que nous appelons une approche intégrative circumdisciplinaire9.

1.3 L’interdisciplinarité scientifique et scolaire

Nous allons maintenant considérer en parallèle les interdisciplinarités scientifique et scolaire afin de bien mettre en exergue leurs éléments distinctifs en prenant en compte leurs finalités, leur système référentiel et leurs objets d’étude ainsi que leurs modalités d’application. Nous aborderons en conclusion les conséquences qui en découlent sur le plan épistémologique. Recourir à l’interdisciplinarité dans le contexte scolaire nécessite des ajustements majeurs par rapport à l’interdisciplinarité scientifique. Trop de tentatives n’ont été que des transplantations directes du domaine scientifique au domaine scolaire. Comme c’est le cas pour beaucoup de concepts nomades10, la migration vers d’autres domaines d’application suscite des réinterprétations de sens et des modifications de contenu et de portée dont il faut tenir compte quand on traite d’interdisciplinarité. C’est pourquoi, tout comme des distinctions s’imposent entre discipline scolaire et discipline scientifique, il importe de différencier, de façon similaire, interdisciplinarité scientifique et interdisciplinarité scolaire.

1.3.1 Les finalités

Deux grands courants prédominent quand il est question des finalités de l’approche interdisciplinaire aussi bien sur les plans scientifique que scolaire : l’un promeut la constitution à la limite d’une super-science qui substituerait un paradigme universalisant aux paradigmes scientifiques propres à chaque champ disciplinaire (les matrices disciplinaires à l’œuvre) ; l’autre propose la mise en œuvre de négociations multidisciplinaires face à des situations problématiques en relation avec des questions sociales11.

9 Circumdisciplinarité vient du latin circum, « autour », accusatif adverbial de circus, « cercle ». Voir

le développement de la notion dans Lenoir Yves, Larose François, Dirand Jean-Marie, « Formation professionnelle et interdisciplinarité : quelle place pour les savoirs disciplinaires ? », in Fraysse Bernard (éd.), Professionnalisation des élèves ingénieurs, Paris : L’Harmattan, 2006, p. 13-35.

10 Stengers Isabelle (éd.), D’une science à l’autre. Des concepts nomades, Paris : Seuil, 1987.

11 Apostel Leo, Vanlandschoot Jaak, « Interdisciplinarity: The Construction of Worldviews and the

(31)

Cependant, ces deux  courants s’expriment différemment en sciences et en éducation. Par ailleurs, quelle que soit la conception retenue, l’interdisciplinarité est de l’ordre du moyen, non de la finalité poursuivie par son usage ainsi que nous allons le voir.

Sur le plan scientifique, la dichotomisation de la fonction sociale de l’érudit en deux types distincts de systèmes sociaux –  dichotomisation qui s’opère à partir du xviiie  siècle entre le domaine des disciplines scientifiques et celui des professions, « rendant ainsi obsolète l’érudition

conçue comme forme commune du savoir »12, va entraîner une quasi-rupture entre la formation et la recherche scientifique, dorénavant aux mains des détenteurs universitaires d’un savoir de plus en plus théorisé, et la pratique, laissée à la responsabilité du praticien professionnel qui ne peut intégrer cette surcharge théorique aux exigences et aux contraintes de l’activité quotidienne. Cette rupture annonce le développement d’une double conception des sciences : les unes deviennent les « sciences

fondamentales », les autres les « sciences orientées vers des projets »13, aussi appelées les « sciences de terrain »14. Mais de cette séparation découle une double appréhension de l’interdisciplinarité, l’une académique, centrée sur la recherche d’une synthèse conceptuelle, l’autre instrumentale, ou mieux, fonctionnelle, centrée sur la pratique et l’activité sur le terrain. Il en résulte, d’un côté, une interdisciplinarité réflexive et critique à la recherche du sens épistémique – où le rapport au savoir est omniprésent – que suscite une structuration interdisciplinaire plus ou moins unificatrice qui peut conduire, à la limite, à la recherche d’une métathéorie ou d’une métadiscipline, historiquement plutôt le propre de la recherche européenne francophone. D’un autre côté s’est développée une interdisciplinarité instrumentale, de projets, particulièrement aux États-Unis, centrée sur la recherche fonctionnelle de réponses opérationnelles (how  to  do) à des questions posées au sein de la société15.

La construction des sciences. Les logiques des interventions scientifiques. Introduction à la philosophie et à l’éthique des sciences (2e éd.), Bruxelles : De Boeck Université, 1992 (1re éd. 1988) ; Levin Lennart,

Lind Ingemar (ed.), Interdisciplinarity Revisited: Re-assessing the Concept in the Light of Institutional

Experience, Stockholm: OECD/CERI, Swedish National Board of Universities and Colleges, Linköping University, 1985.

12 Stichweh Rudolf, Études sur la genèse du système scientifique moderne (Trad. F. Blaise), Lille :

Presses universitaires de Lille, 1991, p. 40.

13 Fourez Gérard, Alphabétisation scientifique et technique…

14 Stengers Isabelle, L’invention des sciences modernes, Paris : La Découverte, 1993.

15 Dans certains discours interdisciplinaires, ce n’est ni le savoir ni le savoir-faire qui priment, mais bien

une certaine forme de savoir-être centré sur les dimensions phénoménologiques, affectives, esthétiques et peut-être même ludiques (une interdisciplinarité introspective centrée sur la recherche de soi), ce

(32)

Ainsi l’interdisciplinarité a-t-elle été sollicitée sur le plan scientifique, à la fois par une exigence épistémologique –  la production de nouveaux savoirs  – et par une exigence sociale –  la réponse à des besoins sociaux. D’une part, elle a ainsi pour raison d’être de chercher à combler le vide cognitif constaté entre deux ou plusieurs disciplines scientifiques, ce qui a pour effet l’apparition de nouvelles disciplines scientifiques. Comme le remarque Resweber16, si « toute discipline s’inscrit dans un écart

épistémologique situé entre deux ou plusieurs autres disciplines, cependant, elle ne comble pas l’écart existant, mais le matérialise en quelque sorte, se présentant comme un écart générateur d’écarts, surgissant lui-même entre des écarts déjà banalisés ». Fourez17 parle de production d’îlots de rationalité dans une mer d’ignorance. Ainsi, dans le cas de nombreuses disciplines récemment constituées18, deux ou plusieurs disciplines mères sont sollicitées pour établir le domaine de ces nouveaux savoirs. D’autre part, ces nouvelles disciplines, qualifiées d’hybrides par Dogan et Pahre19 et par Klein20, sont nées de la nécessité de répondre à des problèmes pratiques de la société. Les disciplines traditionnelles ne possédant pas –  ou plus  – les moyens requis pour y faire face de manière isolée ou, encore, n’ayant tout simplement pas pour objet d’étude des questions nouvelles socialement, de nouvelles disciplines ont été constituées qui ont pour raison d’être de combler les « vides » constatés. À titre illustratif, l’écologie, la géophysique, l’endocrinologie, la sociolinguistique, la physique nucléaire, la psychologie sociale, la sexologie font partie de ces disciplines qui détiennent un caractère nettement interdisciplinaire. Mais, comme le montrent par exemple Lemaine, Macleod, Mulkay et Weingart21, Serres22 et Stichweh23, toutes les disciplines scientifiques sont interdisciplinaires à leur naissance.

dont témoignent les publications brésiliennes de Fazenda. Voir par exemple : Fazenda  Ivani  C.A.,

Interdisciplinaridade : história, teoria e pesquisa, Campinas : Papirus Editora, 1994; Fazenda Ivani C.A. (ed.), O que é interdisciplinaridade ?, São Paulo: Cortez Editora, 2008.

16 Resweber Jean-Paul, La méthode interdisciplinaire, Paris : Presses universitaires de France, 1981, p. 42.

17 Fourez  Gérard, Alphabétisation scientifique et technique… ; Fourez  Gérard, « Interdisciplinarité

et îlots de rationalité », Revue canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques et des

technologies, vol. 1, nº 3, 2001, p. 341-348.

18 Messer-Davidow  Ellen, Shumway  David  R., Sylvan  David  J., Knowledges: Historical and

Critical Studies in Disciplinarity, Charlottesville, VA: University Press of Virginia, 1993.

19 Dogan  Mattei, Pahre  Robert, L’innovation dans les sciences sociales. La marginalité créatrice,

Paris : Presses universitaires de France, 1991.

20 Thompson Klein Julie, Interdisciplinarity. History…

21 Lemaine  Gerard, Macleod  Roy, Mulkay  Michael, Weingart  Peter (ed.), Perspectives on the

Emergence of Scientific Disciplines, The Hague: Mouton & Aldine, 1976.

22 Serres Michel (éd.), Éléments d’histoire des sciences, Paris : Bordas, 1999.

23 Stichweh Rudolf, Études sur la genèse… ; Stichweh Rudolf, « La structure des disciplines dans les

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L’interdisciplinarité en éducation scolaire est aussi confrontée à la tension existant entre deux grands enjeux sociaux, celui du sens, de la réflexion épistémologique et de la recherche de compréhension, et celui des questions sociales empiriques, de la fonctionnalité, de l’activité instrumentale (tableau 1).

Cependant, une différence majeure par rapport à la perspective scientifique porte sur la finalité poursuivie qui consiste non à produire de nouveaux savoirs ou à répondre à des besoins sociaux, mais à diffuser le savoir et à former des acteurs sociaux par la mise en place des conditions les plus appropriées pour susciter et pour soutenir le développement des processus intégrateurs et l’appropriation des savoirs en tant que produits cognitifs chez les élèves, ce qui requiert un aménagement des savoirs scolaires sur les plans curriculaire, didactique et pédagogique. En conséquence, l’interdisciplinarité scolaire a pour objectifs un accroissement de la compréhension cognitive de la part des élèves par le recours à une interaction de savoirs d’origine disciplinaire différente et/ou une meilleure appréhension de l’utilité fonctionnelle des savoirs à acquérir.

La raison d’être finale de l’interdisciplinarité scolaire réside dès lors dans l’intégration des processus d’apprentissage (les démarches d’apprentissage) et l’intégration des savoirs qui en résultent. Elle a pour but de promouvoir la mobilisation des processus cognitifs et des

Tableau 1 - Des finalités de l’interdisciplinarité en tension

Perspective de recherche d’une synthèse conceptuelle

(académique)

Perspective instrumentale

– Quête de l’unité du savoir – Recherche d’une super-science –  Préoccupations fondamentalement

d’ordres philosophique et épistémologique (sens)

–  Objectif : la constitution d’un cadre conceptuel global qui pourrait, dans une optique d’intégration, unifier tout le savoir scientifique

–  Recours à un savoir directement utile (fonctionnel) et utilisable

pour répondre à des questions et à des problèmes sociaux contemporains, à des attentes de la société

–  Pratique singulière en vue de résoudre des problèmes de l’existence quotidienne

(34)

savoirs pour assurer la réalisation de l’action et sa réussite, c’est-à-dire de favoriser et de faciliter chez les étudiants l’intégration des processus d’apprentissage (les integrating processes) et l’intégration des savoirs (l’integrated knowledge), ainsi que leur mobilisation et leur application dans des situations réelles de vie24.

Cette distinction entre sens et fonctionnalité est capitale, car elle permet de cristalliser deux tendances qui constituent les pôles d’un continuum et qui rejoignent deux orientations, celle de la recherche d’une synthèse conceptuelle et celle de l’approche instrumentale. Ces deux visions, qui semblent antithétiques au premier abord, doivent être toutes deux préservées et maintenues et, surtout, il importe d’y recourir de manière complémentaire, car elles « ne sont pas mutuellement exclusives »25, et tout en se préservant cependant de la tentation de substituer la pluridisciplinarité à l’interdisciplinarité. La question du sens ne doit jamais être écartée ou négligée, car « l’interdisciplinarité trahit une caractéristique de notre

époque : l’intégration sociale du savoir, élément désormais constitutif du pouvoir, et le pouvoir s’intéressent essentiellement au savoir applicable, le seul capable de le guider dans la formulation des programmes qui articulent son exercice »26.

Cette double finalité, que nous considérons être complémentaire, met tout particulièrement en lumière la nécessité de poser et de construire un problème (la perspective cognitive, la recherche du sens) avant de chercher à le résoudre (la perspective pragmatique, la recherche de fonctionnalité) ou, plus généralement, avant de le traiter, car tout problème en éducation n’a pas à être résolu, mais il doit être étudié et analysé. Autrement dit, la conceptualisation précède la résolution de problèmes : il faut connaître pour pouvoir agir ensuite consciemment et rationnellement. Ces deux temps (construire et poser le problème, le

24 Beane James A., Curriculum Integration. Designing the Core of Democratic Education, New York,

NY: Teachers College, 1997. Henry Nelson B. (ed.), The Integration of Educational Experiences: The

Fifty-seventy Yearbook of the National Society for the Study of Education, Chicago, IL: The University of Chicago Press, 1958. Hopkins Levi Thomas, Integration: Its Meaning and Application, New York, NY: Appleton-Century, 1937.

25 Lynton Ernest A., « Interdisciplinarity: Rationales and Criteria of Assessment », in Levin Lennart,

Lind Ingemar (ed.), Interdisciplinarity Revisited: Re-assessing the Concept in the Light of Institutional

Experience, Stockholm: OECD/CERI, Swedish National Board of Universities and Colleges, Linköping University, 1985, p. 141.

26 Sinacœur  Mohammed  A., « Qu’est-ce que l’interdisciplinarité ? », in Apostel  Léo,

Benoist  Jean-Marie, Bottomore  Tom  B., Boulding  Kenneth, Dufrenne  Mikel et  al.,

Figure

Figure  1 - Les champs d’opérationnalisation de l’interdisciplinarité et ses  angles d’approche
Figure 2 - Principales conceptions des disciplines scolaires.
Tableau  2 - Trois conceptions épistémologiques de la fonction de  l’interdisciplinarité scientifique
Figure 1 - Une convergence nécessaire entre la recherche interdisciplinaire,  la recherche-action et la recherche participative pour une contribution  transdisciplinaire.
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