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Les créances privilégiées

B. La protection des créances du salarié

3. Les créances privilégiées

Selon l'art. 219 al. 4 LP, sont couvertes par le privilège: premiè-rement, les créances nées pendant le semestre précédant immédiatement l'ouverture de la faillite; deuxièmement, les créances résultant d'une ré-siliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l'employeur; troisièmement, les créances en recouvrement de sOretés48 .

a) Les créances nées dans le semestre précédant la faillite La première catégorie de créances du travailleur bénéficiant du privilège de première classe comprend toutes les créances que le salarié peut faire valoir en vertu du contrat de travail et qui sont nées dans les six mois précédant immédiatement l'ouverture de la faillit~9.

aussi SI 1964, p. 104); la Cour d'appel de Berne, RIB 1991, p. 145;

comparer Cour d'appel de Fribourg, BISchK 1989, p. 194. Voir aussi les opinions de BRUNI, p. 294-295; GROB-ANDERMACHER, p. 59-60; DAI.,.

LEVES/AMMANN, p. 36-38.

48. Le projet de révision de la loi fédérale sur la poursuite pour delles et la faillite ne modifie guère la position du salarié s'agissant du privilège.

Pour une proposition novatrice (institution d'une participation sans pour-suite préalable), cf. GILLIERON, p. 476.

49. Rappelons qu'en visant expressément toutes les créances résultant du contrat de travail, le législateur avait à l'esprit non seulement les créances de salaire (salaire au temps, aux pièces, à la tâche; gratification; provi-sion; participation au bénéfice ou au chiffre d'affaires), mais aussi ceUes en remboursement de frais (art. 327 ss CO).

124 Gabriel AUBERT La période de six mois se calcule rétroactivement à partir de la dé-claration de faillite. Ne sont pas couvertes par le privilège les créances nées antérieurement à cette période.

Pour la mise en oeuvre de la période privilégiée de six mois, il faut distinguer la naissance de la créance d'avec son exigibilité. Ainsi, par exemple, le droit au salaire nait au fur et à mesure de l'exécution du travail; toutefois, la rémunération n'est exigible qu'à la fin du mois (art.

323 al. 1 CO). De même, le droit à la provision naît dès que l'affaire a été valablement conclue avec le tiers; cependant, la provision n'est exi-gible qu'à la fin du mois; toutefois, lorsque l'exécution de certaines af-faires exige plus d'une année, l'échéance peut être différée par accord écrit (art. 323 al. 2 CO)50. Enfin, le droit à la participation au résultat de l'exploitation nait durant la période de décompte (en général l'année civile); néanmoins, si le résultat n'est pas constaté, la participation n'est exigible que six mois après la fin de l'exercice (art. 323 al.· 4 CO). Il peut donc se produire que le salarié ne puisse exiger la provision que plusieurs mois après que celle-ci est née.

En prenant pour critère la naissance de la créance et non pas son exigibilité, le législateur a voulu ne protéger la rémunération du salarié que dans la mesure où elle se rapporte au travail accompli dans les six mois précédant la faillite. S'il avait retenu comme critère l'exigibilité, les créances nées avant cette période, mais devenues exigibles durant celle-ci, eussent aussi bénéficié du privilège; or, comme, à la fin du contrat, toutes les créances deviennent exigibles (art. 339 al. 1 CO), le salarié payé à la provision aurait joui d'un avantage excessif: il aurait pu se réclamer du privilège non seulement à propos des créances résul-tant de la totalité du travail fourni durant la période de six mois, mais aussi à propos du travail exécuté avant cette période.

Dans certains domaines, il est difficile de déterminer l'étendue du privilège, car on voit mal à quel moment faire remonter la naissance de la créance.

Selon la jurisprudence, le droit au treizième mois de salaire 'lait du-rant l'année, même s'il ne devient exigible qu'à la fin de cette dernière.

Le privilège ne couvre donc que la part proportionnelle du treizième mois née dans le semestre précédant la faillite51 La même règle s'applique aux gratifications qui sont dues prorata temporis en cas de fin des rapports de travail durant l'année; en revanche, si le droit à la gratification nait exclusivement à une date déterminée pendant le se-50. ATF 90 III 113.

SI. B1SchK 1984, p. 221-222; BRUNI, p. 300.

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mestre protégé (et non pas progressivement durant l'année), il est entiè-rement couvert par le privilèg~2.

Le salaire des vacances allouées durant la période de protection bénéficie entièrement du privilège. Peu importe que ces vacances aient été méritées antérieurement. En effet, le salaire des vacances est insépa-rable de la prise effective de ces dernières. Si, au moment de la faillite, l'employeur n'a pas accordé au travailleur le plein de ses vacances, ce-lui-ci peut prétendre à une indemnité indépendante de la prise effective des vacances. Liée à la résiliation anticipée du contrat pour cause de faillite, elle bénéficie entièrement du privilège de la première classe53

Le cas de l'indemnité à raison de longs rapports de travail est également problématique. Avec l'opinion dominante, il faut admettre que le droit à cette indemnité ne naît pas simplement à partir du moment où le salarié atteint cinquante ans d'âge et vingt ans d'ancienneté dans l'entreprise; encore faut-il que les rapports de travail cessent (art. 339b al. 1 CO). Ainsi, dans la mesure où ces rapports ont pris fin moins de six mois avant l'ouverture de la faillite, l'indemnité bénéficie du privi-lège de première classe54.

Les privilèges de la première classe ont souvent pour conséquence que les créanciers colloqués dans les classes suivantes ne peuvent point ou guère être désintéressés. Aussi la commission d'experts préparant la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite a-t-elle proposé de diminuer les privilèges du salarié. Selon a-t-elle, ne de-vraient plus être couvertes par le privilège de la première classe les créances portant sur des indemnités à raison de longs rapports de tra-vail, même si elles sont nées dans le semestre précédant la déclaration de faillite; ces créances seraient colloquées en deuxième classe55. Vu les résultats de la procédure de consultation, cependant, le Conseil fédé-rai n'a pas repris cette idée. Selon son projet, l'indemnité à fédé-raison de longs rapports de travail demeurerait colloquée en première classe si le contrat a pris fin durant la période de protection.

Comme la procédure tendant à la déclaration de faillite ne suspend pas l'écoulement du délai, le temps rendu nécessaire par l'ouverture

52. BRUNI, p. 300-301.

53. BRUNI, p. 301-302.

54. BRUNI, p. 303; KREN, p. 62, n. 214; GROB-ANoERMACHER, p. 13 ss;

contra: BRÔNNIMANN, p. 103. A noter que la faillite de l'employeur ne conslitue pas un motif de réduclion de l'indemnité selon l'art. 339c al. 3 CO: BJM 1919, p. 129.

55. BRUNI, p. 305; GROB-ANDERMACHER, p. 15.

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d'une poursuite ou d'une action en libération, voire en reconnaissance de dette, diminue d'autant la protection du travailieurS6; lorsque la pro-cédure dépasse six mois (ce qui sera très souvent le cas), le privilège se trouvera anéanti, s'agissant de tout le travail accompli avant la faillite.

Le législateur laisse subsister depuis longtemps cette situation visible-ment anormale. Le projet de révision de la loi fédérale sur la poursuite apporterait toutefois un remède, puisqu'il prévoit qu'un procès relatif à la créance n'est pas compté dans le délai de six moisS7 . Cependant, le Conseil fédéral refuse expressément de suspendre le délai durant le temps nécessaire à la procédure de poursuite proprement dite, au motif que ce temps serait courtS8. En réalité, lors même qu'aucun procès ne survient, il faut souvent attendre plusieurs semaines, voire deux ou trois mois entre la réquisition de poursuite et la déclaration de faillite, c'est-à-dire le tiers ou la moitié de la période privilégiée. C'est dire que l'optimisme officiel (dont la naïveté saute aux yeux) prive' largement d'effet la protection voulue.

En cas de sursis concordataire, le grivilège se calcule rétroactive-ment à compter du prononcé du sursisS . Lorsque le salarié a travaillé durant la période de sursis concordataire et que ce sursis a été suivi d'une faillite, le privilège couvre non s~ulement les créances nées dans le semestre précédant le prononcé du sursis, mais aussi celles nées du-rant le sursis. De ce point de vue, on peut dire que la durée du privilège est prolongée60. Le projet de révision confirme cette pratique. Il dis-pose, en outre, qu'une telle suspension se produit également en cas d'ajournement de la faillite61 .

La brièveté de la période de protection incitera le travailleur im-payé (ou im-payé seulement en partie) à entamer le plus vite possible les démarches nécessaires pour provoquer la faillite de son employeur. On peut se demander si c'est vraiment son rÔle, compte tenu des

consé-56. Art. 219 al. 4 LP; ATF 97 1319; DALLEVES/AMMANN, p. 21.

57. Cf. le projet d'al. 5 de l'art. 219 LP accompagnant le message du Conseil fédéral concernant la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 8 mai 1991, FF 1991 1II 19, 160-161 et 281.

58. FF 199111119.

59. ATF 97 1 318.

60. ATF 76 II 282; BRAND Ernest, Computation des délais pour le maintien du privilège de première classe, ancienne FJS 998a (1951); DAL-LEVES/AMMANN, p. 21.

61. Cf. le projet d·al. 5 de l'art. 219 LP; FF 19911II 19, 160-161 et 281.

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quences inéluctables de la faillite (perte de l'emploi) et des coOts liés à la procédure62.

b) Les créances résultant d'une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite

Lorsque l'administration de la masse, refusant de continuer le contrat, n'occupe pas le salarié, les rapports de travail prennent fin prématurément. L'insolvabilité de l'employeur ne constituant pas un juste motif de licenciement immédiat, le salarié .conserve son droit au salaire, sans être tenu d'accomplir son travail; il doit imputer sur sa créance les gains obtenus ailleurs. Cette créance, qui résulte d'une

"résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l'employeur" ("vorzeitige Autlôsung des Arbeitsverhiiltnisses"), est privilégiée selon l'art. 219 al. 1 Lp63.

Il Y a aussi résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite de l'employeur lorsque le salarié démissionne avec effet immé-diat, selon l'article 337a CO, parce que l'employeur ne lui a pas fourni les sOretés destinées à garantir ses prétentions. Les droits du salarié sont ceux prévus à l'article 337b CO.

Selon l'ancien droit, la question de savoir si le privilège couvrait les créances résultant d'une résiliation anticipée du contrat de travail pour cause de faillite faisait l'objet de controverses. Ces dernières n'ont été dissipées par le lééjslateur qu'en 1964, lors de l'adoption de la loi fédérale sur le travail . Bien que la question soit, aujourd'hui, réglée clairement, les commentateurs persistent parfois à citer, sur ce sujet, des arrêts dépassés65 .

c) Les créances en recouvrement de sûretés

L'art. 219 al. 1 LP prévoit la collocation en première classe des créances en recouvrement de sûretés remises à l'employeur par le

tra-62. Cf. les critiques importantes de GILLIERON, p. 478.

63. Sous l'ancien droit: ATF 48 III 161.

64. FF 1960 II 991-992.

65. Cf. les deux arrêts résumés par FRITZSCHEIWALDER-BoHNER, t. II, p.

190 en baut (arrêts zuricbois du 13 mai 1955 et bâlois du 7 août 1958).

Voir aussi BRÜGGER Erwin, Die Schweizerische Gerichtspraxis im Scbuldbetreibungs- und Konkursrecht 1946-1984, Adligenswil 1985, p.

729-730 (nos 13, 15 16 et 18). Exacts: BRUNt, p. 298; KREN, P . 73.

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vailleur, pour assurer l'exécution de ses obligations (cf. l'art. 330 al. 1 CO). Cependant, d'après l'art. 330 al. 4 CO, dans la faillite de l'employeur, le travailleur peut réclamer la sûreté que l'employeur a te-nue hors de son patrimoine.

L'art. 219 LP, sur ce point, date de 1964. L'art. 330 al. 4 CO, adopté en 1971, constitue une règle postérieure et spéciale, qui y dé-roge.

L'on distinguera, en conséquence, selon que les sûretés ont été ou non tenues hors de son patrimoine par l'employeur. Dans le premier cas, en application de l'art. 330 al. 4 CO, le salarié sera désintéressé, avant tous les autres; sa position sera donc assimilable à celle d'un créancier muni d'un gage; peu lui importera le privilège. Dans le se-cond cas, en application de l'art. 219 LP, sa créance concourra avec celle des autres créanciers privilégiés de première classe, que le droit à la restitution des sûretés soit ou non né dans la période de six· mois pré-cédant immédiatement la faillite66.

4. Le cas des employeurs non soumis à la procédure de faillite