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La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, appelée également Charte de Banjul, a été adoptée par les États Membres africains de l’Organisation de l’Unité africaine en 1981;

elle est entrée en vigueur cinq ans après. Il convient de souligner que, comparée aux autres instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, la Charte est novatrice en faisant valoir les droits des «peuples». Elle ne mentionne pas expressément les minorités, mais la protection des droits des peuples qu’elle assure a été assimilée par la Commission africaine à une protection accordée aux minorités, comme il est examiné ci-après. De plus, à l’instar d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, la Charte contient diverses dispositions qui s’appliquent tout particulièrement aux membres de groupes minoritaires.

99 L’acte constitutif de l’Union africaine adopté par les chefs d’État et de gouvernement des États Membres de l’Organisation de l’Union africaine en juillet 2000 est entré en vigueur le 26 mai 2001.

Les droits individuels et ceux des peuples relèvent des dispositions générales contenues dans les articles 1, 2 et 26.

L’article 1 dispose que «les États membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer».

L’article 2 dispose que «toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation».

L’article 26 dispose que «les États parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte».

Droits individuels

L’article 3 dispose que toutes les personnes bénéficient de l’égalité devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.

L’article 7 garantit le droit à un procès équitable. À cet égard, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu une décision portant sur la protection d’une minorité linguistique dans un État bilingue. La Commission a reconnu que «puisque tous les citoyens ne parlent pas couramment les deux langues, il incombe à l’État de s’assurer que, lorsqu’un procès se déroule dans une langue que l’accusé ne parle pas, celui-ci bénéficie de l’assistance d’un interprète. Ne pas le faire équivaut à une violation du droit à un procès équitable»100.

L’article 8 protège le droit de pratiquer la religion de son choix. La Commission a appliqué cette disposition pour protéger la minorité chrétienne au Soudan, constatant que l’État a violé le droit des auteurs de pratiquer leur religion au motif que les non-Musulmans n’ont pas le droit de prêcher ou de construire leurs églises et qu’ils sont harcelés, détenus arbitrairement et expulsés101.

L’article 12 garantit le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, le droit de quitter tout pays, y  compris le sien, et de revenir dans son pays et le droit de rechercher asile. Il interdit l’expulsion collective d’étrangers visant des «groupes nationaux, raciaux, ethniques ou religieux».

L’article 13.3 protège le droit d’user des biens et services dans la stricte égalité de tous.

L’article 17.2 dispose que «toute personne peut prendre part librement à la vie culturelle de la communauté» et l’article 17.3 que «la promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté constituent un devoir de l’État dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme». Pour interpréter cette disposition, la Commission a souligné que «la langue fait partie intégrante de la structure de la culture: elle en constitue en fait Ie support et Ie moyen d’expression par excellence. Son utilisation enrichit l’individu et lui permet de prendre une part active dans sa communauté et dans les activités de celle-ci. Priver un homme de cette participation équivaut à le priver de son identité»102.

100 Communication no 266/2003, Kevin Mgwanga Gunme et al. c. Cameroun (2009).

101 Communications nos 48/90, 50/91, 52/91 et 89/93 Amnesty International et autres c. Soudan (1999).

102 Communications nos 54/91, 61/91, 98/93, 164/97-196/97 et 210/98, Malawi African Association et autres c. Mauritanie (2000).

Les directives adoptées par la Commission pour aider les États à établir leurs rapports périodiques (examinés ci-après) demandent aux États des renseignements sur les mesures et les programmes visant à mieux faire connaître et apprécier le patrimoine culturel des groupes et minorités ethniques nationaux et des peuples autochtones103. Eu égard au droit à l’éducation consacré au paragraphe 1 de l’article 17 de la Charte, la directive 47 attire l’attention des États, en son alinéa e), sur l’obligation de rendre compte de la promotion de la compréhension, de la tolérance et de l’amitié entre tous les peuples et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux, ainsi que des mesures prises en faveur de certains groupes, y compris les enfants appartenant à des minorités linguistiques, raciales, religieuses ou autres et ceux appartenant aux peuples autochtones, selon le cas.

Les droits des peuples

La Charte africaine contient un ensemble de droits collectifs attribués aux «peuples». La Commission, comme il ressort de sa jurisprudence, considère que les «peuples» désignent des communautés ethniques identifiables et n’a jusqu’à présent fait aucune différence entre minorités et peuples autochtones dans aucune des affaires portant sur les droits des peuples.

L’article 19 dispose que «tous les peuples sont égaux; ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. Rien ne peut justifier la domination d’un peuple par un autre». Les directives précitées concernant l’article 19 invitent plus explicitement les États à informer du cadre constitutionnel et réglementaire qui vise à protéger les différentes franges de la communauté nationale et évoquent les précautions prises pour proscrire toute tendance de domination d’un peuple par un autre que laisse craindre ledit article. Face aux allégations de pratique discriminatoire à l’égard de certaines franges de la population minoritaire, la Commission a déclaré qu’«au coeur des abus allégués dans les différentes communications se trouve la question de la domination d’une frange de la population par une autre», affirmant partant que les «peuples» mentionnés dans la Charte comprennent différents groupes au sein d’un État. Sur le fond, la Commission a conclu qu’elle ne disposait pas d’informations suffisantes pour lui permettre d’établir une violation de l’article 19.

L’article 20 déclare que «tout peuple a droit à l’existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination. Il détermine librement son statut politique et assure son développement économique et social selon la voie qu’il a librement choisie». Selon le paragraphe 2 du même article, «les peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la communauté internationale».

Les directives concernant l’article 20 précisent que toutes les communautés peuvent pleinement participer aux activités politiques et bénéficient de l’égalité des chances dans les activités économiques du pays, selon les choix effectués en toute indépendance.

La Commission africaine a admis des affaires portées devant elle par certaines communautés qui font valoir leur droit à l’autodétermination. En 1992, le Congrès du peuple katangais a introduit une demande de reconnaissance de l’indépendance du Katanga, province de ce qui était alors le Zaïre. La Commission n’a constaté nulle violation d’aucun droit de la Charte, mais a, dans sa décision, reconnu la population katangaise en tant que peuple, définie comme un groupe au sein de l’État du Zaïre. La Commission a déclaré: «En l’absence de preuve tangible à l’appui des violations des droits de l’homme à tel point qu’il faille mettre en cause l’intégrité territoriale du

103 Directives de présentation des rapports périodiques nationaux, disponibles sur www.chr.up.ac.za/images/

files/documents/ahrdd/theme02/african_commission_resolution_13.pdf (site consulté le 13 décembre 2012).

La Commission africaine a adopté une version nettement simplifiée de ces directives initiales à sa 23e session ordinaire en avril 1998. Les liens entre les deux versions demeurant peu manifestes, on suppose que les directives simplifiées sont en vigueur.

Zaïre et en l’absence de toute preuve attestant le refus au peuple Katangais du droit de participer à la direction des affaires publiques, conformément à l’article 13 1) de la Charte africaine, la Commission maintient que le Katanga est tenu d’user d’une forme d’autodétermination qui soit compatible avec la souveraineté et l’intégrité territoriale du Zaïre.»104. La Commission a précisé ce qu’elle entendait par «peuple» dans une décision rendue en 2009 concernant une requête introduite par des Camerounais du Sud qui revendiquaient l’exercice de leur droit à l’autodétermination en tant que «peuple séparé et distinct». La Commission a estimé que «le peuple du Cameroun du Sud peut revendiquer être un «peuple». Outre les droits individuels dus aux Camerounais du Sud, ils ont une identité distincte qui leur confère des droits collectifs…. la Commission trouve que «le peuple du Cameroun du Sud» a le droit d’être considéré comme un

«peuple» en raison des nombreuses particularités et affinités, y compris une histoire commune, une tradition linguistique, une connexion territoriale, et une perspective politique. Chose plus importante, ils s’identifient comme un peuple avec une identité distincte. L’identité est une particularité interne du peuple. Il incombe aux autres peuples de reconnaître une telle existence, et non de la dénier.». Compte tenu de la décision relative au Katanga, la Commission a estimé qu’en l’absence de preuves de violations massives des droits de l’homme garantis dans la Charte, le peuple du Cameroun du Sud ne saurait recourir à la sécession, mais peut exercer l’autodétermination dans l’une des formes suivantes: fédéralisme, confédéralisme, administration locale, autonomie, en conformité avec les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale105. L’article 21 affirme le droit des peuples de disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. Dans une autre décision rendue en 2009, concernant le déplacement forcé de la communauté endorois de leurs terres ancestrales, la Commission a constaté des violations des articles 21 et 22 de la Charte. Elle a établi «qu’un peuple habitant une région donnée dans un État peut également exprimer une réclamation en vertu de l’article 21. Elle a convenu que les Endorois ont le droit de disposer librement de leur richesse et ressources naturelles en consultation avec l’État défendeur, qui a la responsabilité de créer des conditions favorables au développement des peuples.»106.

L’article 22 dispose que «tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité».

L’article 23 consacre le droit des peuples à la paix et la sécurité.

L’article 24 dispose que «tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement». Dans une affaire concernant la communauté ogoni au Nigéria, la Commission a décidé que «le droit à un environnement général satisfaisant … requiert de l’État de prendre des mesures raisonnables et d’autres mesures pour prévenir la pollution et la dégradation écologique, favoriser la préservation de l’environnement et garantir un développement écologiquement durable et l’utilisation des ressources naturelles, mais également des études sur l’impact social et environnemental avant tout développement industriel majeur;

d’entreprendre la surveillance appropriée et d’informer les communautés exposées aux activités et produits dangereux et d’offrir aux individus la possibilité d’être entendus et de participer aux décisions relatives au développement affectant leurs communautés.»107.

104 Communication no 75/92, Congrès du people katangais c. Zaïre (1995).

105 Communication no 266/2003, Kevin Mgwanga Gunme et al. c. Cameroun (2009).

106 Communication no 276/2003, Centre for Minority Rights Development (Kenya) et Minority Rights Group International on behalf of Endorois Welfare Council c. Kenya (2009).

107 Communication no 155/96, Social and Economic Rights Action Center et Center for Economic and Social Rights c. Nigéria (2001).

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