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SECTION II : Plotin et les Catégories

4. Considérations sémantiques

4.2. Prédication

En abordant l’emploi du verbe κατηγορεῖν dans la section précédente, nous avons vu que la relation prédicative entre les genres et les espèces est similaire à ce que l’on retrouve chez Aristote et aussi dans l’Isagoge de Porphyre. Ceci n’est pas particulièrement surprenant, puisque le projet de Plotin est similaire à celui d’Aristote – ou du moins, à celui que Plotin impute à Aristote – c’est-à-dire de fournir une division exhaustive des genres de l’être sensible. Notre auteur ne remet pas en question la relation prédicative entre genre et espèce, puisqu’elle participe, selon lui, de l’héritage platonicien, la division étant une entreprise platonicienne. Les choses se compliquent cependant lorsque nous prenons la substance particulière comme sujet de la prédication. Il nous semble que la conception plotinienne – telle que présentée dans le traité

144 F. A. J. De Haas (2001), p. 518.

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VI, 3, à tout le moins – est incompatible avec la distinction entre prédication essentielle et prédication accidentelle qui se trouve dans les Catégories.

Un endroit où le langage de Plotin rappelle la prédication telle qu’elle se dégage des Catégories est le suivant :

Mais si nous disons que la substance c’est « ce qui n’est ni dans un substrat ni prédiqué d’un substrat », il faut ajouter « en tant que c’est d’un autre substrat » (μήτε ἐν ὑποκειμένῳ μήτε καθ' ὑποκειμένου, προσθετέον «ὡς ἄλλου») pour faire que l’humain aussi, lorsqu’il est prédiqué d’un être humain particulier (ὁ ἄνθρωπος λεγόμενος κατὰ τοῦ τινὸς ἀνθρώπου), puisse être inclus dans notre formule grâce à cet ajout « non prédiqué d’autre chose ». Car lorsque je dis que Socrate est un homme, je dis « homme » non pas dans le sens où je dis que ce morceau de bois est blanc, mais au sens où je dis que le blanc est blanc (τὸ λευκὸν λευκόν). Car en disant que Socrate est un homme, je veux dire que cet homme particulier est homme, en prédiquant « homme » de l’homme qui est en Socrate (κατὰ τοῦ ἐν τῷ Σωκράτει ἀνθρώπου τὸν ἄνθρωπον). Cela revient à dire que Socrate est Socrate, ou encore à prédiquer (κατηγορεῖν) « animal » de tel animal rationnel. (VI, 3, 5.14-23, trad. modifiée)

La manière dont la prédication d’une espèce à un individu de cette espèce est présentée fait sans aucun doute écho à la conception péripatéticienne. La prédication de quelque chose καθ' ὑποκειμένου, mais non comme dansautre chose – comme lorsque l’on prédique « humain » de cet homme (ὁ ἄνθρωπος λεγόμενος κατὰ τοῦ τινὸς ἀνθρώπου) –, est soigneusement distinguée de la prédication accidentelle – comme lorsque l’on prédique « blanc » de ce morceau de bois.

Plus encore, la prédication d’une espèce à un individu est vue comme une tautologie, comme si l’on prédiquait « Socrate » de Socrate145. La prédication de l’espèce à l’individu conçue comme le fait de signifier l’immanence d’une espèce dans un particulier fait sans conteste penser à la conception de la prédication que nous avons rencontrée chez Porphyre.

Cependant, comme on l’a vu, l’hylémorphisme qui sous-tend ces distinctions est récusé par Plotin au cours des chapitres suivants (VI, 3, 6-10). Dans le contexte historique de Plotin, ce passage (VI, 3, 5.14-23) se comprend sans doute mieux comme étant une exposition de la position péripatéticienne, et plus particulièrement la position d’Alexandre par opposition à celle de Boéthos de Sidon146 : c’est une étape préliminaire à la transformation radicale de la notion de substance sensible, transformation dont nous avons présenté les grandes lignes un peu plus haut.

À la fin de VI, 3, 15, non seulement le fait de prédiquer homme n’est plus conçu comme

145 « L’idée sous-jacente à tout cet argument est que l’espèce prédiquée est contenue analytiquement dans son sujet : c’est pourquoi quand on attribue un prédicat spécifique à un sujet substantiel, on ne fait pas autre chose que rendre explicite ce qui est déjà dans le sujet, car l’espèce détermine le sujet en tant qu’il est ce qu’il est et, sans l’espèce, le sujet perdrait son identité essentielle. » R. Chiaradonna (2008b), p. 388.

146 Chiaradonna (2008b), pp 380-389.

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tautologique dans le cas de la prédication d’« homme » à Socrate, mais même le fait de prédiquer

« Socrate » de Socrate est considéré comme une prédication homonymique. Nous avons déjà cité ce passage, mais son importance rend peut-être nécessaire de nous le remettre en mémoire :

Et la « raison », celle du feu par exemple, indique (σημαίνων) plutôt un « quelque chose », mais la forme qu’elle met en œuvre est plutôt une qualité.

Et la « raison », celle d’un homme, est « quelque chose », mais ce qui trouve son achèvement dans la nature d’un corps qui est l’image de cette « raison » est plutôt un « quelque chose de semblable ». C’est comme si, alors que Socrate est cet homme que l’on voit, on appelait Socrate son portrait, une image (εἴδωλον) de lui fabriquée de pigments colorés. De même donc, puisqu’il y a une « raison » qui fait que Socrate existe, le Socrate sensible ne peut à bon droit être appelé

« Socrate », et il faut plutôt dire que le Socrate sensible est fait de couleurs et de formes qui sont les images de ce qu’il y a dans la « raison », et que cette « raison », entretient d’ores et déjà le même rapport avec cette « raison » qui est la plus véritable, celle de l’homme. (VI, 3, 27-37).

Le logos qui est ce qui est réellement signifié par « Socrate » n’est pas dans la soi-disant substance sensible : donc en appliquant « Socrate » au Socrate sensible, on produit une prédication homonymique. Dans l’optique où la substance sensible est considérée comme un simple agrégat de qualités, où le Socrate sensible n’est qu’un amas de pigments colorés, toute prédication portant sur une soi-disant substance sensible n’est qu’accidentelle. En ce sens, « le rapport sujet / attribut coïnciderait avec la relation substrat / qualité147 » : on a une matière (le substrat) servant de support à des accidents (les qualités). Le principe essentiel de Socrate, sa

« raison », est extérieur au corps que l’on signifie lorsque l’on emploie le nom « Socrate » pour désigner le corps sensible que l’on perçoit devant nous. Il est certes vrai qu’en des endroits du corpus plotinien l’on retrouve des distinctions sémantiques analogues à celle que l’on retrouve chez Aristote, mais, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, nous nous intéressons ici d’abord et avant tout à ce qui est dit dans les traités VI, 1-3 et il semble bien qu’en des endroits de ces traités – comme celui que nous venons de citer – l’on voie poindre des relations sémantiques différentes de celle d’Aristote ; tout ceci n’a certainement rien d’étonnant étant donné que ces modifications sont solidaires de l’ontologie que nous avons dégagée dans la section précédente de notre étude. Nous disons seulement que nous voyons poindre ces différences, puisque Plotin ne confronte pas directement la conception de la substance sensible à laquelle il est parvenu (inspirée du Timée et de la Lettre VII) à celle à partir de laquelle il a commencé (reprise de l’aristotélisme) ; il prend encore moins la peine de systématiquement tirer

147 L. Lavaud (2008), p. 147.

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les conséquences sémantiques de sa conception et d’ensuite les comparer à celles découlant de la conception aristotélicienne.

5. Conclusion

Au fil des pages précédentes, plusieurs points de friction entre Plotin et Aristote ont été identifiés. Les passages sur lesquels nous nous sommes appuyé pourraient sans doute être interprétés de manières différentes et des passages que nous avons négligés pourraient certainement être employés pour contester certaines de nos conclusions ; la nature du texte de Plotin, qui oscille sans cesse entre des restitutions d’arguments péripatéticiens, des contre-arguments, des approbations, des rejets et des réappropriations, nous interdit de penser qu’aucune objection ne pourrait être levée contre nous. Nous croyons néanmoins être en position d’avancer un certain nombre de conclusions avec un degré de confiance élevé. D’abord, le propos des traités VI, 1-3 est proprement ontologique : ces traités proposent une division des mondes intelligible et sensible. Ensuite, bien que Plotin ne prenne même pas la peine d’étudier l’opinion des Anciens, il juge que les propos d’Aristote et des stoïciens méritent qu’on leur consacre de nombreuses pages, pages qui servent d’enquête préliminaire à ses propres divisions.

Plotin situe la division aristotélicienne au niveau du sensible et la division du sensible qu’il présente comme la sienne dans le traité VI, 3 est différente de celle d’Aristote. On peut donc conclure qu’il présente une division rivale à celle d’Aristote. Ce remaniement des genres de l’être s’appuie sur la critique faite en VI, 1, où le manque d’unité des catégories avait été maintes fois souligné. De plus, la conception de la substance sensible qui se trouve en VI, 3 est radicalement différente de celle d’Aristote. Celle-ci se trouve en effet vidée de toute substantialité et est réduite à n’être qu’un amas d’accidents mélangé à de la matière. Dans ces conditions, les relations sémantiques entre ce qu’Aristote appelle la substance première, la substance seconde et les accidents se retrouvent complètement changées. Le Socrate sensible – la substance première d’Aristote, donc – ne peut même plus à bon droit recevoir le prédicat

« Socrate » ; on ne peut que lui prédiquer les différentes couleurs – les accidents – qui sont les pigments qui constituent l’image qu’est le Socrate sensible. On remarquera aussi que les considérations logico-sémantiques de Plotin ne sont pas entreprises pour elles-mêmes ; elles sont toujours subordonnées à la visée globale des traités VI, 1-3, qui est ontologique. Ces traités ne portent pas sur les êtres de manière secondaire parce qu’ils porteraient primordialement sur les

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mots qui signifient des êtres ; ils portent secondairement sur les mots parce qu’ils étudient les êtres. Ceci n’empêche pas que ces considérations aient une valeur importante aux yeux de Plotin, comme on peut l’observer dans la discussion sur le mouvement où les relations de prédications servent de tests pour vérifier que le mouvement est bel et bien un genre généralissime.

SECTION III

Comparaison entre Plotin et Porphyre

Après avoir fait ressortir les lignes directrices des interprétations des Catégories de Plotin et de Porphyre, il est maintenant temps de comparer les résultats auxquels nous sommes parvenu.

Certes, quelques points de discorde devraient d’ores et déjà être évidents pour le lecteur, mais ils apparaîtront beaucoup plus clairement si nous les confrontons directement et, surtout, si nous les mettons dans le contexte de débats au sujet des Catégories. Nous avons déjà fait allusion à certaines interprétations antérieures à Plotin et à Porphyre et il nous semble qu’interpréter correctement leurs différends ne peut se faire qu’à partir des débats qui existaient à l’époque.

Ainsi, il apparaîtra que des points qui peuvent sembler secondaires aux interprètes modernes avaient une importance capitale au sein des débats antiques et que, sur ces points, Plotin et Porphyre étaient en désaccord. Peut-être est-il utile de dire clairement que nous prenons ici une décision herméneutique importante : nous désirons, dans la mesure du possible, comprendre les accords et les désaccords de Porphyre et de Plotin à l’aune de ce qui pouvait être ressenti à leurs yeux comme un accord ou un désaccord important. Dans cette optique, nous reviendrons d’abord sur la visée qu’ils attribuent au traité d’Aristote. Ensuite, la restriction des Catégories au monde sensible sera examinée. Puis, nous nous pencherons sur le nombre des catégories, sur leur ordre ainsi que sur leurs implications ontologiques. Les conceptions de la substance que nous avons dégagées dans nos sections antérieures seront ensuite comparées. Finalement, c’est sur la sémantique que se portera notre attention. Avant de nous plonger dans notre comparaison, disons un mot sur la nature de cette section ainsi que sur sa structure. Cette section est, en quelque sorte, une conclusion, puisqu’elle reprend et résume les résultats auxquels nous sommes arrivé dans les pages précédentes. Il nous aurait donc paru redondant d’adjoindre une conclusion à cette section, puis de la faire suivre de la conclusion générale de notre mémoire. Ainsi, nous avons décidé de ne pas faire de conclusion pour cette section : la conclusion générale servira à la fois de conclusion à ce mémoire en entier et à cette section.

1. La visée des Catégories

Pour ce qui est de Porphyre, nous avons déjà parlé longuement de la visée qu’il impute aux Catégories. Ce traité porte sur les mots simples en tant qu’ils signifient des êtres. Ceci implique

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certainement que le traité d’Aristote porte incidemment sur les êtres et la manière dont il faut les diviser. Cependant, c’est bien vers les mots significatifs que l’enquête d’Aristote est principalement orientée.

Les choses se compliquent lorsque l’on aborde Plotin. En effet, comme nous l’avons dit, les traités VI, 1-3 s’intéressent aux genres de l’être et à la division adéquate de ces êtres. Toutefois, ceci ne nous informe guère sur la visée qu’il impute aux Catégories. Étant donné la nature des traités de Plotin, qui est entièrement différente de celle du commentaire de Porphyre, l’on ne peut que faire des conjectures à ce sujet. Dans cette optique, trois considérations sont essentielles.

(1) L’emploi du mot κατηγορία chez Plotin est certes parfois opposé au mot genre en un sens péjoratif lorsque Plotin relève le manque d’unité des genres identifiés par Aristote dans les Catégories, mais on retrouve aussi un emploi neutre, purement descriptif, servant simplement à les désigner. Le mot κατηγορία lui-même (et surtout dans son emploi neutre, où κατηγορία ne serait pas seulement utilisé pour dire que les Catégories traitent de simples prédicats dénués d’ancrage dans le réel) oriente l’interprétation vers la sémantique.

(2) Cependant, le fait que Plotin discute de ce traité alors qu’il veut établir une division adéquate du monde sensible indique qu’il croyait que les Catégories contiennent une doctrine des genres de l’être méritant considération. Ceci n’a rien d’étonnant. Par exemple, le passage suivant d’Alexandre d’Aphrodise – un commentateur important aux yeux de Plotin – parle des catégories comme une division des genres de l’être :

Si nous commencions notre discours sur l’âme par la division de l’être en genres premiers (ἀπὸ τῆς τοῦ ὄντος εἰς τὰ πρῶτα γένη διαιρέσεως) et si nous rendions clair sous quel genre se trouve l’âme, peut-être, une fois ceci établi, serions-nous également en mesure de saisir la substance entière de l’âme. Puisque l’être se divise en dix genres premiers et suprêmes (διαιρουμένου τοίνυν τοῦ ὄντος εἰς τὰ πρῶτα καὶ ἀνωτάτω γένη δέκα), nous affirmons que l’un d’eux est celui de la substance, laquelle, disons-nous, comprend la substance composée et les substances à partir desquelles le composé existe. (Mantissa, 101.11-17, traduction par R. Dufour)148

Dans un autre passage, Alexandre d’Aphrodise affirme explicitement que la division des genres de l’être a été faite dans les Catégories : « […] la division de l’être, qu’il [scil. Aristote] a faite dans les Catégories (ἡ εἰς τὰ γένη τοῦ ὄντος διαίρεσις, ὃ πεποίηκεν αὐτὸς ἐν ταῖς Κατηγορίαις) […] » (in Mét., 245.34-35). Ces passages ont pu encourager Plotin à voir dans la division catégoriale une division de l’être, et donc, à se confronter à celle-ci lors de ses traités VI, 1-3.

148 On retrouve aussi l’affirmation comme quoi les catégories sont une division des genres de l’être chez Alenxandre d’Aphrodise, in A.Pr., 366.23-24.

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(3) Lorsque Porphyre présente son interprétation générale des Catégories, il fait une doxographie présentant quatre interprétations concurrentes de ce traité. Rappelons-les rapidement : (i) les Catégories seraient une introduction aux Topiques, (ii) les Catégories seraient un traité sur les genres de l’être, (iii) les Catégories portent sur les mots en tant qu’ils signifient des êtres et (iv) les Catégories portent sur les mots en tant qu’ils signifient d’autres mots. Clairement, l’interprétation de Plotin ne correspond ni à (i) ni à (iv). À l’interprétation (ii) sont liés les titres « Des genres de l’être ou Des dix genres » (56, 31-32) : le premier de ces deux titres correspond au titre de la série de traités plotiniens que nous avons étudiée (VI, 1-3).

Cependant, on ne peut pas en tirer la conclusion que Plotin attribuait ce titre (et la visée correspondante) aux Catégories puisque (a) le titre des traités plotiniens indique la visée des traités plotiniens, celle non pas des œuvres inspectées au cours de ces traités et (b) les titres des traités composant les Ennéades ne sont pas du fait de Plotin149.

Il appert que l’objectif que se donne Plotin dans les traités VI, 1-3 fait en sorte qu’il est inutile pour lui de se prononcer à savoir si les Catégories ont une visée correspondant à (ii) ou à (iii).

Comme le note Porphyre, ces deux interprétations sont étroitement liées : celui qui interprète les Catégories comme portant sur les mots en tant que signifiant les êtres doit concéder que, d’une certaine façon, les titres Des genres de l’être et Des dix genres sont adéquats, puisque, pour accomplir sa fonction sémantique, la division des mots doit être le reflet d’une division réelle des êtres. Étant donné que Plotin veut établir sa propre division des genres de l’être, il lui est complètement égal de déterminer si les Catégories portent directement sur les êtres ou si elles portent sur les mots en tant qu’ils signifient des êtres. En d’autres mots, que la division des êtres soit le propos primordial des Catégories – comme le prétend l’interprétation (ii) – ou que celle-ci ne soit présente que de manière incidente – ceci correspond à la position de Porphyre, adhérant à l’interprétation (iii) – n’importe point au propos de Plotin : l’important c’est qu’une telle division soit présente et que, de là, celle-ci puisse être considérée comme une rivale ou une alliée pour l’élaboration de sa propre division150.

La présence d’interprétations alternatives chez Porphyre montre que le débat sur le propos des Catégories n’était pas complètement clos. Or, sur la base de nos observations, il est possible

149 Porphyre, lorsqu’il fournit la liste des traités de Plotin, écrit en effet : « Mais voici quels étaient ces écrits qui, faute d’un titre donné par Plotin, en recevaient chacun un différent » Vie de Plotin, 4, 17-18.

150 Nous nous positionnons ainsi en opposition avec C. Evangeliou (1988), p. 165-166 qui rigidifie la distinction entre l’interprétation de Porphyre et celle de Plotin.

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d’affirmer que, parmi les quatre interprétations recensées chez Porphyre, Plotin adhérait à l’une des deux qui ont été jugées acceptables par le philosophe de Tyr – sans toutefois que l’on puisse déterminer exactement laquelle, entre ces options (ii) et (iii), correspond véritablement à celle adoptée par Plotin.

2. La restriction des Catégories au monde sensible

Nous avons établi dans nos deux sections précédentes que, pour Porphyre autant que pour Plotin, les Catégories ne traitent que du monde sensible151.

On peut situer cette interprétation dans un cadre historique plus large. Plusieurs interprétations étendaient la portée des Catégories aux intelligibles. Par exemple, Plutarque attribue à Platon la découverte des dix catégories dans le cadre d’une exégèse du Timée. Or, le passage qu’il commente alors (Timée, 37a-c) parle de l’appréhension par l’âme des objets sensibles et intelligibles. Il est donc naturel de conclure que, pour Plutarque, les dix catégories recouvrent ces deux types d’objets152. En disant ceci, nous nous plaçons en direct opposition avec J. Barnes qui affirme que limiter la portée des Catégories au monde d’ici-bas était la « position de tout platoniste, avant Plotin, qui voulait annexer les catégories à Platon.153 » Or, Plutarque est bel et bien un platonicien et le contexte dans lequel il annexe les catégories à Platon semble bien montrer qu’il pensait que les catégories s’appliquent au sensible et à l’intelligible. On ne peut pas savoir ce que J. Barnes répondrait à cette objection, puisqu’il n’évoque pas Plutarque : pour appuyer sa thèse, il cite le passage suivant du Pseudo-Archytas :

L’Homme lui-même… n’est pas [1] qualifié ni d’une certaine [2] quantité, il n’a aucune [3]

relation vers autre chose, il ne [4] fait rien, il ne [5] subit rien, il n’a aucune [6] possession ni [7]

position, il n’est pas en [8] espace ni en [9] temps ; car toutes ces choses-là, elles sont des accidents de la nature corporelle et non pas de la nature intelligible et sans changement et, en outre, sans

position, il n’est pas en [8] espace ni en [9] temps ; car toutes ces choses-là, elles sont des accidents de la nature corporelle et non pas de la nature intelligible et sans changement et, en outre, sans