• Aucun résultat trouvé

Les années cinéphiles: l'apprentissage transgressif du cinéma à l'ombre des pairs/pères du

CINÉMA À L’OMBRE DES PAIRS/PÈRES DU CINEMA

L’idée de la mort ou d’une fin du cinéma est au cœur de la filmographique et du discours de Godard ; elle émaille les entretiens du cinéaste et les phrases de ses films, que ces dernières soient dictées par la voix de l’acteur, et donc par le créateur Godard, ou citées à l’écran sous la forme d’intertitres, en surimpression des images en mouvement, produisant ainsi des rapprochements et des jeux de signifiants féconds. Cette « plainte godardienne déjà ancienne (elle commence avec Tout va bien en 1972)228 », comme le précise Jacques

225

Ibid., p. 13.

226

Jean-Luc Godard, « Grâce à Henri Langlois », Texte prononcé à la Cinémathèque française à l’occasion de la rétrospective Louis Lumière en janvier 1966, Le Nouvel Observateur n° 61, le 12 janvier 1966, dans Alain Bergala (éd.), Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, t. 1, op. cit., p. 283.

227 Ibid. 228

Jacques Aumont, « La mort de Dante », Cinémas. Revue d’études cinématographiques / Cinemas. Journal

Aumont, semble presque absente de la première filmographie godardienne, celle de la première moitié des années 1960, ainsi que des écrits du jeune cinéphile, futur cinéaste, critique de cinéma. Pourtant, se noue précocement une relation complexe au cinéma et à son historicité, dans le discours comme dans la filmographie de Godard. Il y aurait une forme d’antériorité de l’idée de fin qui habiterait le cinéma dans l’immédiat après-guerre et dont Godard sera l’un des porte-parole les plus lucides. Il en serait également l’un des acteurs principaux si l’on est attentif à son désir de dissidence, de transgression du cinéma.

Le récit de la première rencontre du cinéaste avec le cinéma, découverte paradoxale d’un art qui a déjà connu plusieurs transformations et qui entre, dès les années 1950, dans un processus de métamorphose, pose ainsi les fondements d’une image cinématographique en péril. L’« entretien-fleuve229 » de Jean-Luc Godard avec Serge Daney, réalisé et filmé à Rolle en décembre 1988, « pour les besoins éventuels d’un accompagnement pédagogique aux Histoire(s) du cinéma et de la télévision230 » est un moment clé de la formulation par Godard de la mort du cinéma. Godard présente alors sa première cinéphilie dans la filiation du musée — comme espace de rencontres des arts et non comme lieu de leur fixité historique. Dans l’héritage du musée imaginaire d’André Malraux, il s’agit de celui de la Cinémathèque française, fondée en 1936 par Jean Mitry, Georges Franju et, bien sûr, Henri Langlois,

premier citoyen du cinéma231, qui la dirige et donne au territoire méconnu du cinéma une histoire et une mémoire. Langlois, dont l’approche patrimoniale du cinéma révèle une cinéphilie soucieuse de sauver les œuvres oubliées, propose aux « Jeunes Turcs » de la future Nouvelle Vague une programmation abondante et éclectique. Cette dernière est le fruit d’un ample travail de sauvegarde et de restauration du passé cinématographique, sans équivalent, doublé d’un désir de partage et donc de projection permanente des trésors du cinéma mondial, que Langlois, avec l’aide de Georges Franju, achète, sauve et conserve, dès les années 1930. La passion du cinéma et la méthode cinéphile de Langlois se concrétiseront dans la réalisation de films de montage au début des années 1970, fidèles à la vertu programmatique des séances de projection de la Cinémathèque : découvrir dans un désordre savant la préhistoire du cinéma afin de « faire don de ce passé métamorphosé en présent232 ». Godard évoque ainsi avec Freddy Buache l’initiation symbolique à la table de montage, dont l’apprentissage imaginaire se forge à la Cinémathèque, par les surprises significatives que produit la sélection filmique de Langlois :

229

Lignes de présentation par Serge Daney de l’extrait de son entretien avec Jean-Luc Godard (« Godard fait des histoires », op. cit., p. 161).

230 Ibid.

231 Nous utilisons la formule qui titre la biographie de Henri Langlois (George P. Langlois et Glenn Myrent, Henri Langlois, Premier citoyen du cinéma, Paris, Ramsay, 1996).

232

La Nouvelle Vague, c’était les enfants du musée, car nos parents, nos profs – on était de milieux intellectuels – nous parlaient de Rembrandt, de Mozart, ils ne nous avaient jamais parlé de Murnau ni de Flaherty. Chaplin, on ne savait pas qu’il faisait partie de ce musée. On connaissait Charlot, juste un peu, comme ça, de l’extérieur. […] [Langlois] savait très bien ce qu’il faisait dans ses projections « en désordre » et avec son musée bizarre. C’était plein de nuances, de sous-entendus. De comparaisons inattendues qui déclenchaient une véritable réflexion. […] Là, comme ailleurs, il aimait les surprises. Tu te souviens du côté aléatoire des programmes ? (Rires.) […] Le Tartuffe, par exemple, dans les boîtes de Naissance d’une nation parce qu’il devait le sauver des contrôleurs, des censeurs, de l’État. Alors il cachait les choses, il brouillait les cartes233.

Cette passion cinéphile est alors vécue sous le signe du foisonnement, du divers, de la mise en perspective d’une « fraternité des métaphores234 », mais également du renoncement à ce que constitueraient les arts nobles, inculqués par les « parents » et les « profs235 », ou encore la famille maternelle de Godard, les Monod, grands-parents que Godard considère comme des dieux236, qui voit dans le choix du cinéma une forme de fuite et de dérive.

C’est ainsi que plusieurs transgressions se font jour dans la découverte originelle du cinéma telle que la raconte Godard : (1) la première est celle d’un cinéma qui apparaît comme un dévoiement et un défi lancé à l’encontre des différents cercles qui environnent le très jeune Godard, notamment le cercle familial qui voit dans cet art industriel et populaire une menace contre l’intégrité et la valeur des arts des siècles précédents, dont l’authenticité et la grandeur semblent incontestées ; (2) la seconde est également propre à Godard et repose sur une réception du cinéma qui passe par le fragment, le signe, la partie, contre le tout, l’œuvre pleine et entière – ce qui prépare, dans une certaine mesure, une esthétique de la fragmentation, du choc, et un cinéma interrogé par le manque et la privation ; (3) la troisième transgression relève d’un cinéma que Godard rencontre dans l’activité de la critique cinéphile et qui a comme partie liée avec l’exercice de la pensée et de l’écriture critique.

(1) En effet, aux pères naturels, se substituent les figures symboliques d’Henri Langlois et de l’art du XXe siècle qu’est le cinéma, auquel les Jeunes Turcs vouent un véritable culte. Ces pairs/pères ne sont pas nécessairement ceux de la génération qui a précédé la Nouvelle Vague, que François Truffaut décriait, désireux d’en finir avec le « cinéma de papa », mais bien d’une génération antérieure qui permet à Godard de

233 « Préface – Entretien avec Jean-Luc Godard par Freddy Buache (conservateur du Musée du cinéma de

Lausanne) », dans Huguette Marquand Ferreux (dir.), Musée du cinéma. Henri Langlois, Maeght éditeur/Cinémathèque française, 1991, vol. 1, p. 4-5.

234

Jean-Luc Godard, 3b. Une vague nouvelle, op. cit., p. 149.

235 « Préface - Entretien entre Jean-Luc Godard et Freddy Buache », op. cit., p. 4. 236 Cf. Colin MacCabe, Godard. A Portrait of the Artist at Seventy, op. cit., p. 18.

recomposer une histoire de famille dont il reste encore, comme il le confie avec humour à Alain Bergala, « le petit Jean-Luc237 » :

Nos pères, on les a trouvés au musée. Il y en avait qui étaient vivants. Il y avait aussi des oncles, qui étaient le plus jeunes. Delannoy, Duvivier, c’était autre chose. Même Becker, qui était très charmant et très vivant était un aîné, mais pas un oncle comme Roger Leenhardt ou comme Jean Cocteau238.

Cette passion cinéphile est alors vécue sous le signe du dévoiement et de la trahison d’un univers familial pour une famille recomposée en territoire cinéphile, puisque Godard s’émancipe délibérément de l’héritage d’une culture classique, livresque et picturale, celle des Monod, qui voit dans le choix du cinéma une forme de renoncement et de dérive. La transgression préside alors à des gestes contradictoires : Godard, cinéphile, futur cinéaste, transgresse l’interdit familial, puis poursuit ce mouvement de profanation en quittant les

Cahiers du cinéma dont il vole la caisse et les recettes pour tenter une aventure

cinématographique à Zurich en 1952.

Après l’univers maternel, c’est donc la famille cinématographique des Cahiers que Godard trahit à son tour, se plaçant de nouveau dans la posture de celui dont l’acte fondateur de toute création est pensé comme un geste parricide. Les premiers pas de Godard comme cinéaste, avec la réalisation en 1955 d’Opération béton, moyen métrage documentaire sur le barrage de la Grande-Dixence et en 1956 d’Une femme coquette, court métrage qui ne sera pas distribué, n’interdisent pas un retour vers l’activité critique de celui qui ne cesse d’approfondir son attachement contradictoire au cinéma. Si l'infériorité décrétée de l’art cinématographique par la famille Monod est résolument mise en échec par le cinéphile Godard, elle ne compte pas pour rien cependant dans l’élaboration de son œuvre filmique. Martelant l'idée que l’image précède le texte, Godard semble pourtant tenté de rabattre la littérature sur le cinéma, en construisant une filmographie où la citation livresque, celle qui tisse les dialogues des personnages de son cinéma de fiction, comme celle qu’énonce sa propre voix dans des créations plus discursives, oblitère le pouvoir d’énonciation de la seule image et entretient une philosophie de la reprise comme fondement de toute création. Lorsque l’on sait que la première activité critique de Godard est vécue sous le signe du littéraire et du désir de l’écriture romanesque239, la création du cinéaste apparaît hantée par

237 « Une boucle bouclée », Entretien avec Jean-Luc Godard réalisé par Alain Bergala, op. cit., p. 26. 238 Ibid.

239 Dans un entretien avec Alain Bergala, Godard rappelle la culture littéraire et l’ambition romanesque qui ont

nourri la Nouvelle Vague : « À l’époque mon ambition était de publier un roman chez Gallimard. J’admirais Astruc parce qu’il l’avait fait » (Jean-Luc Godard, « L’art à partir de la vie », op. cit., p. 9). Ou encore : « pour nous, écrire aux Cahiers c’était une activité littéraire à part entière. […] C’était mon plaisir de création à moi

une trahison de l’héritage familial mais aussi par un manque : le désir de cinéma s’inscrit

dans le double héritage d’une cinéphilie passionnée et d’une vocation manquée. Cette

vocation manquée est nourrie dans un premier temps par les « milieux cultivés » qui convoquent auprès de Godard enfant les figures « de Rembrandt, de Mozart240 » et qui lui ont inculqué le goût du dessin et le talent d’un peintre qui marqueront sa pratique cinématographique. Le cinéma est en effet un retour au territoire de l’enfance qu’était la peinture, comme le confie Godard à Alain Jaubert :

J’ai fait un peu de peinture quand j’étais tout jeune. Et j’en ai surtout beaucoup vu. Donc le cinéma, c’est un retour. Un retour non pas à l’enfance mais au territoire de l’enfance241.

Le cinéma de Godard rappelle plus que tout autre combien la peinture est certainement le premier des arts à avoir fécondé intensément le cinéma, en tant que « vision du monde242. » Le cinéma est héritier des arts antérieurs, notamment la peinture, la musique et la littérature. Cet aspect a peut-être une place seconde dans l’élaboration d’un cinéma qui éprouve son propre deuil, mais centrale dans la place des arts dans le cinéma godardien qui propose une mise à l’épreuve du comparatisme créatif des arts dans une œuvre cinématographique à la puissance synthétisante.

(2) Seconde transgression qui nourrit la relation que Godard entretient avec le cinéma, essentielle pour comprendre l’élaboration des futurs longs métrages du cinéaste : la découverte du cinéma sur le mode du fragment et de la citation. En effet, Godard s'installe dans une posture éloignée des jeunes cinéphiles de son temps, tout en ralliant une communauté de goût qui trouvera sa traduction dans l’écriture critique des Cahiers du

Cinéma. C’est tout naturellement que ce cinéma absent de la culture familiale, voire rejeté,

devient l’objet d’une découverte avide, sous le signe du contretemps et du retard. Godard nourrit une passion du cinéma qui prend une forme compulsive et rattrape le temps perdu. Truffaut dresse ainsi le portrait d’un amoureux du cinéma qui manque constamment la plénitude de l’objet désiré :

Ce qui me frappait le plus à ce moment-là chez Godard, c’était sa boulimie dans la façon d’aborder les livres ou les films. Si on était chez des amis, dans une soirée, il ouvrait facilement quarante livres et il regardait toujours la première et la dernière page. Il était très impatient et très nerveux. Il aimait

d’écrire plutôt comme un romancier… » (ibid., p. 11)

240 « Préface - Entretien entre Jean-Luc Godard et Freddy Buache », op. cit., p. 4. 241

« Jean-Luc Godard », Entretien avec Jean-Luc Godard réalisé par Alain Jaubert, Peinture et cinéma, MAE communication, 1992, p. 192.

le cinéma autant que nous, mais il était capable d’aller voir un quart d’heure de cinq films différents dans le même après-midi243.

La pratique godardienne de la réception du cinéma privilégie alors une vision fractionnée qui inaugure la singularité d'un regard, anticipant les pratiques de visionnage qu’autorisent aujourd’hui les nouvelles techniques de diffusion des films. La découverte du cinéma par le jeune Godard se mue alors très vite en une dévoration intime dont l'arbitraire singularité résulte du démembrement de l'œuvre arrachée à sa globalité. Procédant à une technique d’arrêts sur image, à un découpage/dépeçage en chapitres, Godard se crée des morceaux choisis de cinéma à usage personnel. Cette réception/production solitaire qu'une Mary Shelley n'aurait pas reniée, prolongement démiurgique du réassemblage visuel du film, trouvera son plein aboutissement dans la technique du visionnage et du montage vidéo de l’auteur des Histoire(s) du cinéma. Se dessine dès cette entrée en cinéphilie la figure donjuanesque d’un ogre-spectateur, dont ce n’est pas tant « la qualité des objets qui fait la jouissance, mais l’énergie de l’appétit244 ». Appréhendant l’objet de son désir sous le signe du foisonnement, collectionnant ses conquêtes filmiques au détriment peut-être d’une possession pleine et entière de l’œuvre, en quête d’une paradoxale satisfaction de la totalité, Godard ou Hans Lucas245, avant d’être cinéaste, élabore déjà une stratégie de com-

préhension du cinéma dont la possession fragmentaire, toujours inachevée, induit la vanité

de l’appropriation d’un tout, constamment différée. La prééminence de la partie sur le tout provoque une diffraction du sens. La boulimie godardienne, comme l’urgence qui la caractérise, rapproche la figure du cinéphile de celle du collectionneur, avide de posséder, dont le désir de maîtrise finit parfois par l’emporter sur la jouissance de l’objet-cinéma246. Le sentiment de maîtrise et de contrôle, généré par la possession d’un cinéma virtuellement utilisable et analysable, l’emporte presque sur la jouissance du film et son appréhension dans son intégralité. Ainsi, la compulsion cinéphile du jeune Godard, présente par la suite dans l’ensemble de sa cinématographie, porte déjà les fondements d’un discours prophétisant la

243

Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat, Godard simple comme bonjour, op. cit., p. 239.

244 Charles Baudelaire, « La Fin de Don Juan. Projet de drame » (1853), dans Œuvres complètes, t. 1, Paris,

Gallimard, 1975, p.627.

245

Hans-Lucas, Jean-Luc en allemand, est le pseudonyme que Godard utilise pour signer ses premiers articles.

246 Dans l’analyse du pouvoir pathogène de l’argent, Georg Simmel rappelle ce processus où l’avoir l’emporte

sur la jouissance pleine et entière de l’objet désiré et offre un éclairage intéressant à toutes les formes de possession, dont celle qui anime Godard. L’argent, à la fois frontière et affranchissement des limites que nous impose le désir même, est alors considéré comme une finalité absolue dont la puissance d’actualisation sans cesse repoussée octroie à son détenteur un sentiment de pouvoir. Dans Philosophie de l’argent, « le réflexe subjectif de l’avoir, qui d’habitude pousse à acquérir et à posséder » n’est plus « ce qui porte ici la valeur ». Bien au contraire « le simple fait, strictement objectif et sans autre conséquence personnelle, que ces choses sont justement en [sa] possession » suffit à contenter le collectionneur (trad. par S. Cornille et P. Ivernel, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 284).

mort du cinéma ainsi que la dimension sacrificielle d’une œuvre en quête de rédemption, depuis une vingtaine d’années. En proie à une passion cinéphile et à une forme de dévoration

iconique, Godard continue de convoquer toutes les autres histoires, toutes les autres fictions,

et participe singulièrement de la mise à mort d’un certain cinéma dont il recherche, dans un même mouvement, la salvation. Par-delà ces premiers indices d’une relation complexe au cinéma, les ciné-clubs parisiens des années 1950 et le renouveau cinéphile qu’ils engagent inaugurent un cinéma au sein duquel les œuvres du passé s'inscrivent dans les œuvres futures à la manière d'un palimpseste, et dans lequel l’allusion cinéphile opère dans le présent du film. La cinéphilie nourrit ainsi un cinéma qui est le produit d’un regard savant : « Écrire, c’était déjà faire du cinéma, car, entre écrire et tourner, il y a une différence quantitative et non qualitative247. » Le rôle de la critique cinématographique est ainsi fondamental dans la création d’une génération qui ne sépare pas conscience critique et création

cinématographique. Le cinéma de la Nouvelle Vague, cinéma de la jeunesse et de la

modernité, naît du classicisme des œuvres postulé par la revue des Cahiers du Cinéma qui reconnaît celles-ci comme des modèles. D’une certaine manière, André Bazin, autre Père symbolique de la Nouvelle Vague, « cinéaste qui ne faisait pas des films mais qui faisait du cinéma en parlant248 », dont le discours vaut l’acte créatif, hante la création godardienne et sa propension discursive et critique.

(3) Ainsi, l’activité critique transcende la création filmique, troisième transgression ou geste d’émancipation d’un cinéma qui ne s’envisage plus comme seule production d’un récit, mais également comme un art de la pensée et de la métaphore, nouant ainsi une relation intéressante avec l’état de l’art contemporain, où le principe premier de l’œuvre, son idée, l’emporte sur la matérialité de l’objet créé, mais également avec une poétique postromantique. Pour l’instant, retenons que le cinéma entretient une relation singulière avec l’exercice de la citation et avec la rencontre réflexive que les fragments cités produisent, par- delà ou en-deçà de toute dimension narrative. Depuis Jean Seberg proposant la revue des

Cahiers à Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle en 1960, en passant par Angela

demandant à Jeanne Moreau des nouvelles de Jules et Jim dans Une femme est une femme en 1961, ou par les plans de Méditerranée(1963)de Jean-Daniel Pollet qui habitent Film

Socialisme en 2010 de leur évocation d’une antiquité sacrée, Godard ne cesse de multiplier

les allusions à un cinéma assimilé tout au long de ses années de critique aux Cahiers, mais

247 « Les Cahiers rencontrent Godard après ses quatre premiers films », Entretien avec Jean-Luc Godard par

Jean Collet, Michel Delahaye, Jean-André Fieschi, André S. Labarthe et Bertrand Tavernier, Spécial

« Nouvelle Vague », Cahiers du cinéma, n° 138, décembre 1962, dans Alain Bergala (éd.), Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, t. 1, op. cit., p. 215.

248

également découvert à la Cinémathèque. Les films de Godard convoquent aussi bien les premiers auteurs du cinéma, que les metteurs en scène qui poursuivent leur pratique