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Les enjeux esthétiques et politiques des métamorphoses de l'œuvre de Jean-Luc Godard

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Les enjeux esthétiques et politiques des métamorphoses

de l’œuvre de Jean-Luc Godard

Sophie Raimond

To cite this version:

Sophie Raimond. Les enjeux esthétiques et politiques des métamorphoses de l’œuvre de Jean-Luc Godard. Sciences de l’information et de la communication. Université Côte d’Azur, 2018. Français. �NNT : 2018AZUR2019�. �tel-02002438�

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Les enjeux esthétiques et politiques

des métamorphoses de l’œuvre de

Jean-Luc Godard

Jury

Présidente du jury

Marie-José Mondzain, Directrice de Recherche émérite, CNRS Rapporteurs

Anne Beyaert-Geslin, Professeure, Université Bordeaux Montaigne

Jean-Pierre Esquenazi, Professeur émérite, Université Jean Moulin Lyon 3

Examinateurs

Jean-Paul Aubert, Professeur, Université Nice Sophia Antipolis Nicolas Pélissier, Professeur, Université Nice Sophia Antipolis

Directeur de thèse

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Titre. Les enjeux esthétiques et politiques des métamorphoses de l’œuvre de Jean-Luc Godard

Résumé. Cette recherche est située aux frontières de l’Esthétique et Sciences de l’art et des Sciences de l’information et de la communication. Notre hypothèse de départ réside dans la contribution de l’œuvre de Godard à une recherche pluridisciplinaire. Cinéaste, critique, théoricien, vidéaste, archiviste et téléaste, Jean-Luc Godard est l’auteur d’une œuvre métamorphique qui redéfinit radicalement les frontières du cinéma. Condamnant l’ambition hégémonique des technologies actuelles, tout en les absorbant dans une pratique cinématographique expérimentale, Godard développe une pensée en actes filmiques qui n’a pas rompu avec l’actualité. Le montage, au fondement de la création de Godard comme de ses prises de paroles, aménage un espace où la rencontre contrariée de signes discursifs, visuels et sonores, issus aussi bien du vaste champ de la culture littéraire, philosophique, musicale, cinématographique, artistique, classique et moderne que de la production artefactuelle contemporaine, permet de rompre avec nos habitudes spectatorielles. Le montage de Godard interroge le devenir de la communication par l’image et la parole et offre une issue esthétique au règne du visuel. Notre développement s’appuie sur des analyses de discours et de l’image, avec une attention soutenue aux métrages produits par Godard en parallèle et à la suite de la conception des Histoire(s) du cinéma (1988-1998). De manière affirmée depuis les années 1990, la pratique cinématographique de Godard s’est convertie à une écriture essayiste et multimédiatique. Le principe du réemploi étant au fondement même des métrages de Godard, nous avons développé une analyse des fragments et citations du cinéaste, selon une approche comparatiste, qui nous a permis de croiser, dans une ouverture pluridisciplinaire, plusieurs théories de l’image, de l’œuvre d’art et du langage, comme autant de points de vue critiques pour penser les potentialités de communication de la création audiovisuelle. Godard, acteur paradoxal de la fin du cinéma, redéfinit le devoir-être du cinéma dont il s’agit de devoir faire les leçons théoriques, dans un court-circuitage des premières théories du cinéma (Epstein, Faure, de la phénoménologie merleaupontienne et de la pensée deleuzienne. Traditionnellement perçue comme consubstantielle au cinéma, la représentation du réel procède d’une dialectique du visible et de l’invisible, à l’œuvre dans les créations de Godard qui métamorphosent les enjeux esthétiques et politiques de l’image en mouvement. Dans la filiation des penseurs de l’École de Francfort (Adorno, Benjamin) et du poststructuralisme français (Baudrillard, Deleuze, Derrida, Foucault), les propositions esthétiques de Godard déploient une pensée qui redéfinit les conditions de l’émancipation politique et spectatorielle. Le cinéaste amène le spectateur-citoyen à une mise en cause radicale du semblant démocratique et lui propose, dans l’idée même de création et d’amour qui la génère, la possibilité de révéler les contours cachés du réel et de le modifier. Sarajevo, sujet central du cinéma tardif de Godard, permet d’ouvrir notre argumentaire aux possibilités d’action d’un montage éthique et politique pour dénoncer les formes plurielles d’aliénation qui s’établissent dans les politiques de disparition, la médiatisation des conflits et une communication qui agit à plusieurs niveaux. L’ambition de notre démonstration réside dans les possibilités de révolution contenues dans une forme que Godard appelle cinéma ou

montage : un art de l’immaîtrisé et une force dissensuelle qui permettent d’interroger les

relations entre esthétique et politique, dans le cadre d’une mutation généralisée des signes qui affecte le devenir anthropologique, économique et symbolique des sociétés.

Mots clés. Jean-Luc Godard – Théories de l’image – Esthétique du cinéma – Histoire du cinéma – Philosophie politique – Communication audiovisuelle – Arts d’archives et documentaires – Montage cinématographique – Critique des médias – Médiatisation des conflits – Langage et communication – Phénoménologie – École de Francfort – Poststructuralisme – Esthétique et politique – Sarajevo – Visible et invisible – Cinéma, Vidéo et Télévision.

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Title. The aesthetic and political issues of the metamorphoses of Jean-Luc Godard's work Abstract. This research is at the intersection of aesthetics, arts, and information and communication sciences. My initial hypothesis was based on the contribution of Godard's work to multidisciplinary research. As a filmmaker, critic, theoretician, video producer, archivist and television director, Jean-Luc Godard is the author of a metamorphic work, which radically redefined the boundaries of cinema. Godard challenged the hegemonic ambition of current technologies and, at the same time, integrated them in an experimental film practice. Thus, he has developed a pensée en actes filmiques, without breaking with current times. The montage at the foundation of Godard's creation, and also expressed in his discourses, has created a space in which the contrary confluence of discursive, visual and acoustic signs – stemming as much from the vast field of literary, philosophical, musical, cinematographic, classical and modern artistic culture as from contemporary artefact production – and leads the viewer to break with his habits. Godard’s montage has questioned the future of communication by image and word, and has offered an aesthetic concept to the domination of the visual. My thesis was based on discourse and image analysis, paying a close attention to the films produced by Godard during and following the conception of

Histoire(s) du cinema (1988-1998). Since the 1990s, Godard's film practice has become that

of an essayist and a writer of multimedia. The principle of re-use has been at the very foundation of Godard's films. By exploiting this, I analysed the filmmaker's fragments and quotes. I used a comparative and multidisciplinary approach which allowed me to embrace several picture, artwork and language theories, all of them being critical points of view to think about the potentials of communicating by audiovisual creation. Godard, as a paradoxical player of the end of cinema, redefined the film's devoir-être, i.e. an imperative short-circuiting of early film theory (Epstein, Faure), of Merleau-Ponty’s phenomenology and of Deleuze’s philosophy. Traditionally perceived as an inherent element of cinema, the representation of reality proceeded from a dialectic of the visible and the invisible, at work in the creations of Godard which has metamorphosed the aesthetic and political issues of the moving image. In the wake of the Frankfurt School (Adorno, Benjamin) and of French poststructuralism (Baudrillard, Deleuze, Derrida, Foucault), Godard's aesthetic propositions have deployed a thought that redefined the conditions of political and spectatorial emancipation. The filmmaker has encouraged the citizen-spectator to a radical questioning of the democratic facade and, in the very idea of creation and love, he has revealed the hidden contours of reality and the possibility of changing it. Sarajevo, the central subject of Godard's late cinema, opened up a debate on the possibilities of action of an ethical and political montage to denounce the plural forms of alienation in the policies of disappearance, the media coverage of conflicts and communication acting on several levels. The ambition of my demonstration lies in the possibilities of revolution contained in a form that Godard has called cinema or montage: an art of the uncontrolled and of dissent allowing to question anew the relations between aesthetics and politics, as part of widespread mutation of signs wich affects the anthropological, economic and symbolic future of societies.

Keywords. Jean-Luc Godard – Picture theories – Aesthetics of cinema – Cinema history - Political philosophy – Audiovisual communication – Archive and documentary arts – Cinematographic montage – Media criticism – Media coverage of conflicts – Language and communication – Phenomenology – the Frankfurt school – Poststructuralism – Aesthetic and politics – Sarajevo – the Visible and the Invisible – Cinema, Video and Television.

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Pour mon père. .

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REMERCIEMENTS

Travailler sous la direction et aux côtés de Norbert Hillaire est sans doute ce qui a fait de ma thèse une expérience si enrichissante. Je tiens à le remercier d’avoir porté un regard attentif et constructif sur son élaboration et son écriture. Je lui suis reconnaissante d’avoir continument entretenu un dialogue d’une grande rigueur intellectuelle, aux ramifications passionnantes et inattendues. Nos échanges toujours respectueux, jusque dans les rares désaccords, m’ont enrichie intellectuellement et humainement. Sans sa vision et l’intuition qu’il avait de mon sujet, rien de ce qui constitue ce travail de recherche n’aurait vu le jour.

L’œuvre et l’engagement de Marie-José Mondzain ont inspiré pour une grande part la problématique de cette recherche et son argumentaire. Je la remercie de me faire l’honneur de présider mon jury. Je tiens à l’assurer de mon profond respect et de ma haute considération.

Je remercie Anne Beyaert-Geslin et Jean-Pierre Esquenazi, dont les travaux ont nourri ma réflexion, d’avoir accepté d’être les rapporteurs de cette thèse. Leur présence dans mon jury et l’intérêt qu’ils portent à mon sujet de recherche sont gratifiants. Je souhaite les assurer de ma sincère gratitude et de l’estime que je leur porte.

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Nicolas Pélissier pour m’avoir accueillie au sein du laboratoire Sic.Lab Méditerranée de l’Université Côte d’Azur et toujours prodigué de justes conseils pour développer ma recherche dans le domaine des Sciences de l’information et de la communication. Je le remercie d’avoir accepté d’évaluer cette thèse en tant qu’examinateur.

Jean-Paul Aubert a toujours fait montre d’un vif intérêt à l’égard de mes travaux de recherche et de mes publications. Je lui en suis particulièrement reconnaissante et lui rappelle toute mon estime. Je le remercie chaleureusement d’avoir accepté avec spontanéité d’être examinateur de ma thèse.

Je remercie également les enseignants-chercheurs du département des Sciences de la communication de l’Université Nice Sophia Antipolis qui m’ont immédiatement intégrée dans leur équipe pédagogique, comme Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche, puis comme Professeure agrégée de Lettres modernes. Ils m’ont permis d’enrichir ma culture scientifique et d’acquérir une rigueur certaine dans la transmission d’un enseignement à la fois académique et innovant. La confiance qu’ils m’ont toujours manifestée m’a confortée dans le choix d’une recherche ambitieuse. Je remercie tout particulièrement Laurent Moretti, Sylvie Parrini-Alemanno et Christel Taillibert pour leur

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bonne humeur salutaire, la pertinence de leurs conseils et leur soutien.

Je remercie également les enseignants-chercheurs et les intervenants professionnels du Master Ingénierie de la Création Multimédia et Direction artistique de projets, dirigé par Norbert Hillaire, qui, chacun à leur façon, m’ont fait partager les acquis de leur expérience et des discussions riches de perspectives sur les questions relevant de l’image, des nouvelles technologies et des potentialités de l’art dans la sphère publique. Mon plein engagement dans l’offre pédagogique et scientifique de ce Master constitue l’une de mes plus stimulantes expériences. L’atmosphère de travail à laquelle tous ont contribué a créé des conditions propices à la construction d’une pensée personnelle. Je ne remercierai jamais assez Catherine Bellino de sa finesse psychologique et nos échanges fructueux, souvent dirigés vers mes travaux de recherche.

Je tiens également à remercier le personnel administratif de l’École doctorale Sociétés, Humanités, Arts et Lettres, du laboratoire Sic.Lab de l’Université Côte d’Azur et de l’UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines de l’Université Nice Sophia Antipolis. J’ai eu la chance d’être entourée de personnes de qualité, toujours disponibles et prévenantes.

Ce travail n’aurait pu aboutir sans les encouragements, l’humour et l’amitié de nombreuses personnes qui ont traversé cette longue période de recherche, souvent solitaire. Je n’oublie ni la « Bande Originale » des doctorants, ni le « Groupe des Haléviades » à Nice, ni les personnalités hors normes que j’ai rencontrées en Tunisie, ni les camarades de mes années d’étudiante et d’enseignante à Paris et à Créteil, tous devenus et restés mes amis. Je les remercie sincèrement de leur patience et de leur soutien indéfectible. Catherine Belokapov et Mathilde Lauxerois ont été, dans la dernière ligne droite, des interlocutrices pleinement disponibles, tout à la fois consciencieuses et attentionnées. Je leur en suis pour longtemps reconnaissante.

Je pense en achevant ce travail à ma famille.

À ma mère, dont l’amour et le soutien en toute circonstance forment un socle inestimable et qui m’a donné le goût de la rigueur, des études et de la vie.

À Catherine, ma sœur jumelle, ô combien unique. Les mots ne peuvent suffire pour exprimer l’amour et l’admiration que je lui porte. Je la remercie de toujours me guider avec intelligence et de m’entourer avec une attention sans faille, malgré la distance géographique qui nous sépare. Sans Benoît et elle, je n’aurais pas le bonheur de connaître Anna et Paul, ma nièce et mon neveu, qui attendent la fin de cette thèse avec une joie non dissimulée.

À Rabia, pour l’équilibre qu’elle m’offre et sa générosité sans borne.

Enfin, je ne peux terminer ces remerciements sans évoquer la pensée constante que j’ai pour mon père, personnalité en tout point exceptionnelle, dont le souvenir est perpétuellement présent. Complice de ma vie intellectuelle, de mes peines et de mes joies, il a su m’apporter les plus grands moments de bonheur et m’encourager, plus que quiconque, à poursuivre mes rêves dans une totale liberté. Il a pu être le témoin enthousiaste des premières pages de cette thèse que je lui dédie.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

PARTIE 1. GODARD ET L’INACTUEL : MORT ET RENAISSANCE DU CINÉMA PAR UN AUTEUR MODERNE-POSTMODERNE ... 27

Introduction à la partie 1 ... 29

CHAPITRE1 PROLÉGOMÈNES :LECINÉMAETGODARDENMIROIR FUNÈBRE ? ... 31

1.1 Le cinéma détrôné : mort de son ancien régime ... 32

1.1.1 La querelle sur les frontières du « cinéma » ... 32

1.1.2 Mort(s) du cinéma ... 35

1.1.3 Le mouvement et la transparence : propriétés du cinéma ? ... 38

1.1.4 Ironie de l’histoire : la mort du couple « Cinéma-Godard » ? ... 42

1.2 Réception ambivalente du cinéma de Godard ... 43

1.2.1 Réception des films de Godard (1) : Adieu au langage (2014) ... 44

1.2.2 Réception des films de Godard (2) : les années 1960-1970 ... 50

1.2.3 De La Chinoise (1967) à Tout va bien (1972) : exit Godard ? ... 52

1.2.4 Présence/absence de Godard sur la scène médiatique ... 57

1.2.5 Le retour en grâce de Godard dans la pensée critique du cinéma et le monde éditorial ... 61

1.3 Hypothèse provisoire : Godard et le post-cinéma ... 65

CHAPITRE2 RÉCIT D’UNE MORT ANNONCÉE : LE « COMPLEXE » DU CINÉMA, LA FIGUREAMBIVALENTEDESPAIRS/PÈRESETL’ANGEDEL’HISTOIRE ... 71

2.1 Les années cinéphiles: l'apprentissage transgressif du cinéma à l'ombre des pairs/pères du cinéma ... 74

2.2 L’irruption de la « fin » du cinéma dans une œuvre « moderne » : Le Mépris (1963)... 85

2.2.1 La mort du Père redoublée : prise de pouvoir par deux coups d’état cinématographiques ... 87

2.2.2 Trahison(s) des Anciens : les différents âges de la création ... 90

2.2.3 Godard cinéaste classique-moderne ? la modernité entre mélancolie et fatalité, entre déférence et dissidence ... 93

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2.3 Résurgence de la mort du cinéma dans histoire(s) du cinéma (1988-1998) ... 101

2.3.1 L’enfance pervertie du cinéma : « Père, ne vois-tu pas que je brûle » (Freud) ? ... 103

2.3.2 Les neuf clignotements de l’« Ange de l’Histoire » (Benjamin) et du cinéma : analyse de l’épisode 1b d’Histoire(s) du cinéma (1988-1998) ... 111

CHAPITRE3 REDÉPLOYER LA MYSTIQUE DU CINÉMA DES ANNÉES 1930 : DE LA NOSTALGIE D’UNE TECHNIQUE SACRÉE À UNE PRAXIS FILMIQUE ET MILITANTE ... 127

3.1 « La paroisse morte » ou le cadavre mutilé et profané du cinema : d’une technique artistique à un art industriel ... 129

3.2 La mystique du cinéma et son héritage (1) : la rencontre de la pensée et du sensible, du cinéma et de l’usine, du cinéaste et de l’entrepreneur, de l’art et de la machine, sous l’égide de Numéro deux (1975) ... 135

3.2.1 L’homme-machine dans l’introduction de Numéro deux (1975) ... 136

3.2.2 Le cinéma : une petite usine communautaire ... 138

3.2.3 Le cinéma comme machine à penser et à observer le mouvement ... 141

3.2.4 Langage, choc et amour : le cinéma des corps ... 147

3.3 La mystique du cinéma et son héritage (2) : de la communauté spirituelle rêvée par le premier cinéma à la réconciliation des contraires (artisan/artiste, art/science, technique/esthétique). ... 150

3.3.1 « La mystique du cinéma » (Faure) : de l’art des cathédrales au temple cinématographique 150 3.3.2 Du déclin d’un art en commun à une réconciliation godardienne de la fonction technique et artistique du cinéma par un art de l’expérience ... 154

3.3.3 La réconciliation de l’art, de la technique et de l’imagination ... 163

3.4 La mystique du cinéma et son héritage (3) : secret et mystère de l’appareil cinématographique, vision de l’invisible ou la « fatale beauté » (Godard) du montage ... 175

3.4.1 Mystère du cinéma dans un univers déchristianisé : restaurer la croyance en sa puissance de vision et de démonstration du monde ... 175

3.4.2 La fatale beauté du montage : tendre à la vision de l’invisible au risque de la disparition de l’image ... 180

Conclusion de la partie 1 ... 185

PARTIE 2. MUTATIONS AUDIOVISUELLES : REDÉFINITION DES ENJEUX DU CINÉMA ET TRANSGRESSIONS CONTEMPORAINES ... 189

Introduction à la partie 2 ... 191

CHAPITRE1 CINÉMA ESSAYISTE ET DE « SECONDE MAIN » : L’HÉRITAGE DU ROMANTISMEETDELAMODERNITÉENTERRITOIREALLEMAND ... 195

1.1 Filiation du romantisme allemand : déterritorialisation du recit, écriture fragmentaire et puissance critique de l’œuvre ... 197

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1.1.1 Géographie et généalogie romantiques et modernes du dernier des arts dans le discours de

Godard à Francfort ... 198

1.1.2 Le cinéma par-delà la mimèsis et la narration : une écriture déchaînée ... 201

1.2 Allemagne 90 neuf zéro. solitudes, un état et des variations (1991) : un manifeste esthétique moderne et postmoderne ... 209

1.2.1 Contexte(s) ... 210

1.2.2 Le dispositif esthétique, géopolitique, historique et réflexif d’un film-essai ... 213

1.2.3 De la filiation du romantisme et des avant-gardes modernes à un cinéma contemporain : une poétique critique de la reprise et de la citation ... 223

1.2.4 Du cinéma essayiste au montage contemporain et multimédiaque ... 240

CHAPITRE2. QU’EST-CE QUE LE CINÉMA ? ÉPREUVE(S) ET ACTUALISATION(S) DU RÉEL :DUDOCUMENTÀL’IMAGEINTERDITE ... 245

2.1 Réalisme esthétique et épochè de l’imagination ... 246

2.1.1 Ontologie du cinéma : paradoxe du réalisme esthétique ... 248

2.1.2 Documents, signes sociaux, citations essayées : Pierrot le fou (1965), Une femme mariée (1964) et Alphaville (1965) ... 257

2.1.3 Une esthétique du plein et du vide ... 266

2.2 La dialectique du visible et de l’invisible dans le cinéma contemporain de Godard ... 272

2.2.1 Rembobinage : l’« origyne » dans Je vous salue, Marie (1985) ... 274

2.2.2 Hélas pour moi (1993) et Adieu au langage (2014) : histoire(s) de l’œil ... 280

2.3 L’exploration du sensible à l’épreuve des visions divisées : questions politiques ... 308

CHAPITRE3. RELECTURE DE LA POLITIQUE DES AUTEURS : DES MÉTAMORPHOSES AUCTORIALES AU DÉSIR COMME FORCE DYNAMIQUE DE CRÉATION ET D’ACTION POLITIQUE ... 313

3.1 La politique des auteurs revue et corrigée par Godard ... 314

3.1.1 1995 : œuvre et action dans le discours de Godard à Francfort ... 314

3.1.2 Effacement(s) de l’auteur et de ses « droits » ... 319

3.1.3 Le projet de film Moi Je (1973) : « je est un autre » ... 325

3.1.4 Entre théorie distanciée et objective du sujet et expression intime et romantique du « moi » ... 332

3.2 Division(s) de JLG ... 336

3.2.1 Autoportrait : l’égotisme godardien ... 336

3.2.2 Démocratie des images et partage du sensible : JLG/JLG - Autoportrait de décembre et Je vous salue Sarajevo (1993) ... 356

3.2.3 Éloge du cœur : Godard, lecteur de L’Anti-Œdipe (1972) de Deleuze et Guattari ... 377

3.2.4 Film Socialisme (2010) ou les flux contradictoires : circulation monétaire, désir socialiste et puissance de l’amour ... 389

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PARTIE 3.

« SARAJEVO » SUR ET SOUS LA COMMUNICATION : ACTUALITÉ, RÉSISTANCE ET RADICALITÉ DU MONTAGE « HISTORIEN » ET DE

L'IMAGE-PENSÉE ... 409

Introduction à la partie 3 ... 411

CHAPITRE1. « SARAJEVO »OULECINÉMAD’HISTOIRE: PUISSANCE DU NÉGATIF, ESTHÉTIQUE DU CONFLIT ET MONTAGE « CONTRARIÉ » DEVANTLESMEDIAS ... 415

1.1 Cinéma et histoire : puissances du négatif ... 417

1.1.1 L’histoire et le cinéma : le couple épistémique et technique de la Modernité emporté par la Déraison du XXe siècle ... 418

1.1.2 For Ever Mozart (1996) ou la passion du Négatif : impouvoir esthétique et inaction politique ... 424

1.2 Poétique et politique du cinéma « historien » de Godard ... 447

1.2.1 La poétique historiographique : entre esthétique de la rupture et communauté élégiaque des signes... 448

1.2.2 Leçon de cinéma dans Notre Musique (2004) : esthétique critique du champ-contrechamp en faveur d’un montage éthique ... 462

1.3 Le « cinéma » en résistance contre les médias de la modernité ou les nouveaux territoires de l’image-en-mouvement ... 487

1.3.1 Le cinéma et « l’ère du visuel » (Serge Daney) : la crise de l’image ou le cinéma occupé par la télévision ... 489

1.3.2 Image-cinéma et image-télévision : entretiens Wenders/Godard (Room 666 – 1982) et Lyotard/Godard (Le Cercle de Minuit - 1996) ... 501

CHAPITRE2 « SARAJEVO »OULEMONTAGEÉTHIQUEETPOLITIQUE : SAUVER L’HONNEUR DU RÉEL ET AFFRONTER LES VISIBILITÉS CONTEMPORAINES ... 517

2.1 Sarajevo, « capitale de la douleur » : enchaînement du politique et de l’esthétique dans Notre musique (2004)... 519

2.1.1 L’Enfer dans Notre musique : montage catastrophiste, montage de l’excès du regard. ... 525

2.1.2 « Ouverture » du Purgatoire : trois fragments séquentiels ... 528

2.1.3 Filmer la reconstruction et la réparation : l’entre-deux ou l’exercice de la contrariété. ... 539

2.2 Des questions de communication de l’invisible au tournant ontologique du cinéma à l’ère du numerique ... 564

2.2.1 Du plus-de-Voir à la conquête de l’invu : quatre problématique soulevées par le montage godardien ... 565

2.2.2 Distinguer l’invisible au sein du visible : le devoir-faire et le devoir-être du post-cinéma .. 592

Conclusion de la partie 3 ... 610

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CORPUS ... 634

1. ŒUVRES DE JEAN-LUC GODARD ... 636

1.1 Films ... 636

1.2 Écrits ... 640

1.3 Montages textes/images ... 642

2. DIALOGUES AVEC JEAN-LUC GODARD ... 644

2.1 Entretiens publiés ... 644

2.2 Entretiens audiovisuels ... 647

3. SUR JEAN-LUC GODARD ... 650

3.1 Réception critique de deux ou trois films ... 650

3.2 Deux lettres et une plaidoirie ... 651

3.3 Rétrospectives des films « invisibles » ou militants ... 651

4. REMPLOIS DE JEAN-LUC GODARD ... 654

4.1. Liste des textes cités par Jean-Luc Godard ... 654

4.2 Liste des films cités par Jean-Luc Godard ... 665

4.3 Liste des photographies citées par Jean-Luc Godard ... 670

4.4 Liste des peintures citées par Jean-Luc Godard ... 673

4.5 Liste des musiques citées par Jean-Luc Godard ... 677

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ... 680

FILMS / DOCUMENTS AUDIOVISUELS HORS CORPUS ... 700

ŒUVRES D’ART / EXPOSITIONS HORS CORPUS ... 702

TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 704

INDEX DES NOMS ... 706

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Diffusion non autorisée

Photogramme 11

Extrait d’Adieu au langage (2014) de Jean-Luc Godard

« Les enjeux esthétiques et politiques des métamorphoses de l’œuvre de Jean-Luc Godard » : le titre retenu peut sembler ambitieux et énigmatique. Il permet cependant de convoquer dans les premières pages de cette introduction tout à la fois les difficultés de notre recherche et les enjeux théoriques qui l’ont motivée.

En premier lieu, prétendre soulever en 2018 les enjeux d’une œuvre extrêmement riche – plus de cent métrages réalisés par Godard – et toujours en production, dont le travail de montage filmique de plus en plus secret et exigeant peut décourager toute tentative d’en arrêter le sens, risque d’être perçu comme un défi difficile à tenir dans le cadre d’un travail de doctorat. Outre la densité de la production godardienne, les différentes recherches menées sur cette dernière peuvent donner le sentiment que tout a été déjà dit et que seul importe aujourd’hui un dialogue empathique ou dysphorique entre penseurs, cinéastes ou créateurs et des fragments de l’œuvre de Godard, miroir théorique et esthétique tendu à ceux qui font de la création du cinéaste le lieu d’une interrogation intime sur les devenirs de l’image cinématographique. Histoire(s) du cinéma2, grand œuvre de remploi et de collage de

1 Nous ferons usage en en-tête de parties, chapitres, introductions et conclusions, de photogrammes, extraits

de l’œuvre de Jean-Luc Godard.

2 Cette œuvre vidéographique comprend quatre chapitres ou épisodes, chaque chapitre comprenant à son tour

deux sous-chapitres, dont les deux premiers sont produits en 1988 : 1a. Toutes les histoires, 1b. Une histoire

seule, 2a. Seul le cinéma, 2b. Fatale beauté », 3a. La Monnaie de l’absolu, 3b. Une vague nouvelle », 4a. Le contrôle de l’univers, 4b. Les Signes parmi nous. Histoire(s) a été également publié dans la collection Blanche

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citations discursives et de fragments d’œuvres visuelles, auquel Godard se consacre dès le début des années 1980 et qu’il achève en 1998, a ainsi provoqué un sursaut éditorial et fait l’objet de nombreuses lectures, souvent personnelles et engagées. Nous pensons aussi bien à la plainte de Georges Didi-Huberman enjoignant Godard à renoncer aux montages politiques et fermés pour les convertir à une pensée généreuse et sans parti pris sur les traumas de l’histoire3 qu’au chant théorique et poétique de Jacques Aumont célébrant dans

Amnésies4 les puissances d’un montage mélancolique, hanté par un mouvement de disparition dont procède la création même des Histoire(s) du cinéma. De même, Jacques Rancière s’empare de l’exemplarité de la « phrase-image5 » godardienne des Histoire(s) pour développer une réflexion sur la coprésence symbolique des hétérogènes qui exécute au sein du montage les conditions esthétiques d’une salvation du sens au cœur des vastes disproportions de l’art contemporain. Nous pensons également à Alain Badiou exposant, dans un texte intitulé « Le plus-de-Voir6 », une pluralité d’interprétations possibles du collage godardien dont la densité sonore et visuelle oblitère et relance constamment l’élan d’interprétation du spectateur ou de l’exégète. Par ailleurs, les séquences filmiques montées par Godard proposent un matériau remployé et citationnel de plus en plus riche. D’où la malléabilité croissante d’une œuvre qui autorise une pluralité d’interprétations résistant à toute catégorisation définitive. Nous avons donc procédé à un long travail de choix de séquences filmiques les plus pertinentes et les moins « visitées » par la critique pour appuyer notre propos, en nous intéressant tout particulièrement aux longs et courts métrages produits en parallèle et à la suite des Histoire(s) comme autant de nouveaux territoires filmiques pour penser les métamorphoses du cinéma de Godard et les enjeux les plus contemporains d’une pensée qui sourd du montage même qu’expérimente le cinéaste.

En outre, la bibliographie des études godardiennes, d’une dimension importante, réunit différents champs disciplinaires, bien au-delà des seules études filmiques. Gilles Deleuze, quinze ans avant l’écriture de son œuvre en deux volumes Cinéma7, intronise Godard en philosophe dont la pensée se développe en actes cinématographiques. Il s’agit d’un entretien paru dans les Lettres françaises en 1968 :

3 Cf. Georges Didi-Huberman, L’Œil de l’histoire, t. 5, Passés cités par JLG, Paris, Minuit, 2015. 4

Jacques Aumont, Amnésies. Fictions du cinéma d’après Jean-Luc Godard, Paris, P.O.L, 1999.

5 Jacques Rancière, « La phrase, l’image, l’histoire », dans Le destin des images, Paris, La Fabrique, 2003,

p. 56 et suivantes.

6 Alain Badiou, « Le plus-de-Voir », Le Siècle de Jean-Luc Godard, Guide pour Histoire(s) du cinéma, Art Press +, Hors-série, n°1, novembre 1998, p. 86-90.

7 Gilles Deleuze, Cinéma, t. 1, L’Image-mouvement, Paris, Minuit, 1983 et Cinéma, t. 2, L’Image-temps, Paris,

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Godard a transformé le cinéma, il y a introduit la pensée. Il ne fait pas de la pensée sur le cinéma, il ne met pas une pensée plus ou moins bonne dans le cinéma, il fait que le cinéma pense – pour la première fois je crois. À la limite Godard serait capable de filmer Kant ou Spinoza, la Critique ou

L’Éthique, et ce ne serait pas du cinéma abstrait ni de l’application cinématographique. Il a su trouver

le nouveau moyen en même temps qu’une nouvelle « image » – ce qui, forcément, supposait un contenu révolutionnaire8.

Le propos de Gilles Deleuze fait écho au fameux texte d’Alexandre Astruc paru dans

L’Écran Français en 1948 où s’énonce déjà la naissance d’une nouvelle avant-garde, dont

l’outil est la caméra-stylo. Libéré des contraintes des langages préexistants, le cinéma est le

medium révolutionnaire et universel de toute pensée :

Descartes s'enfermerait dans sa chambre avec une caméra de 16 mm et de la pellicule et écrirait le discours de la méthode en film, car son Discours de la méthode serait tel aujourd'hui que seul le cinéma pourrait convenablement l'exprimer9.

Le cinéma, art du mouvement, est disposé à un langage dialectique, comme le rappelle Astruc dans deux autres textes datés de la même année, parus dans la revue Combat : « Dialectique et cinéma10 » et « Cinéma et dialectique11 ». Le cinéma autorise une métamorphose de ses modalités d’expression pour servir la pensée jusqu’à transformer les différents modes de pensée et d’organisation de la pensée : c’est ainsi que Deleuze fait de Godard, ployant la matière même du film sous l’exigence de l’abstraction du raisonnement, le premier cinéaste-philosophe annoncé par Astruc. Rappelons dès à présent que Deleuze inaugure deux idées fondamentales pour cette thèse. Il pose tout d’abord les prémisses de

L’Image-temps et de l’Image-mouvement et la potentialité de relance de la pensée par le biais

8 « Entretien avec Gilbert Deleuze [sic] », Propos de Gilles Deleuze recueillis par Jean-Noël Vuarnet, Lettres françaises, n° 1223, 28 février-5 mars 1968, titré par l’éditeur « Nietzsche et l’image de la pensée », repris

dans Gilles Deleuze, L’Île déserte, Textes et entretiens 1953-1974, Paris, Minuit, 2002, p. 195.

9

Alexandre Astruc, « Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo », L’Écran français, n° 144, 30 mars 1948, repris dans Du stylo à la caméra… et de la caméra au stylo, Écrits (1942-1984), Paris, L’Archipel, 1992, p. 325.

10

« C’est à cette constatation essentielle que doit revenir toute manifestation un peu réfléchie sur la nature du cinéma. Le cinéma est dialectique parce qu’il est l’art du mouvement. En saisissant le mouvement visuel et le temporel à travers le spatial, il révèle par l’intermédiaire de la réalité concrète immédiate qui s’offre sur l’écran l’élément abstrait qui l’organise, que ce soit celle d’une idée, d’une passion ou d’une obsession. Quelque réalité qu’il exprime, le cinéma ne peut la représenter que se développant, et donc se développant selon un ordre. Par essence, il lie. Il articuler le réel et raisonne sa matière tout comme le langage des mots plie l’organique à la logique et le marque du sceau de l’intelligible. Or, c’est ce mouvement qui permet au cinéma de devenir un moyen d’expression de la pensée, car c’est lui qui en fait fondamentalement un langage » (Alexandre Astruc, « Dialectique et cinéma », Combat, 1948 (?), repris dans Du stylo à la caméra… et de la caméra au stylo, op.

cit., p. 338).

11 Cf. Alexandre Astruc, « Dialectique et cinéma », Combat, 1948 (?), repris dans Du stylo à la caméra… et de la caméra au stylo, op. cit., p. 339-340.

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d’une image filmique qui exhorte à de nouvelles relations avec le monde filmé – les pages de L’Image-temps concernant l’automatisme spirituel sont centrales pour comprendre comment l’image cinématographique est opérante sur le plan philosophique12. Il convoque non seulement les possibilités de renouvellement formel de la philosophie mais présente aussi Godard comme le précurseur d’un certain devenir philosophique de l’image cinématographique, qui n’hésite pas à renoncer à la pureté du medium filmique pour expérimenter d’autres modalités de création révolutionnaires. C’est de cette ouverture disciplinaire que s’est également nourrie notre recherche, nous confortant dans le sentiment d’une place majeure occupée par la pensée élaborée par Godard et la nécessité d’en chercher la cohérence dialectique et la convergence avec les défis esthétiques, politiques et communicationnels du monde contemporain.

Du reste, le terme « métamorphoses » au pluriel choisi pour le titre de cette thèse ouvre à l’idée même de variation des formes, de labilité du sens, d’expansion de phénomènes dont la clôture significative semble interdite. Aux jeux de signifiants orchestrés par le montage godardien, la démonstration de cette thèse prendrait le risque de répondre en développant une pensée incertaine qui chercherait à arrêter le flottement interprétatif d’une œuvre dont le sens s’élève de manière provisoire et vulnérable. Telle le chant d’Orphée, surimposant un chant de vie à un chant de mort, l’œuvre de Godard, constamment menacée de disparition, soumise aux transformations plurielles tout comme le Cinéma, tendrait à l’exégète le piège d’une intranquillité permanente de l’interprétation réprouvant toute recherche exhaustive, comme tout regard distancié. Cette incertitude herméneutique est par ailleurs accentuée par notre recherche, que nous avons conduite avec une volontaire attention à l’œuvre contemporaine de Godard, à ses transformations récentes, en prenant en compte les œuvres et entretiens qui ont succédé à notre inscription en thèse, ainsi que les ouvrages ou revues en France ou à l’étranger parus ces dernières années.

Cependant, les « métamorphoses », par-delà l’équivocité suggérée par la lexie, permettent de parfaitement déployer l’objet de cette étude et ses enjeux contemporains. Les métamorphoses se logent aussi bien dans la pratique filmique de Godard, dans les formes diverses qu’elle adopte (longs et courts métrages, document et fiction, cinéma et télévision) et les techniques toujours renouvelées mises au service de la création filmique (35 mm, vidéo, numérique, 3D, iPhone), que dans une pensée du monde et du cinéma qui s’élabore selon une multiplicité de points de vue que le montage de Godard met en perspective. Les métamorphoses désignent également les différentes trajectoires empruntées par notre

12

Nous aborderons dans le troisième chapitre de la première partie les implications d’une pensée propre à l’image cinématographique, telle que la développe Gilles Deleuze.

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recherche. Notre thèse adopte ainsi la forme de l’accordéon, dont les divers déploiements et reploiements laissent progressivement s’installer le vertige de l’interprétation pour nourrir une réflexion sur le statut du cinéma aujourd’hui, sur son essentiel pouvoir de métamorphose, depuis son invention jusqu’à ses formes renouvelées. Avec – et parfois

contre – Godard, nous avons voulu extraire le cinéma du format imposé par son

industrialisation massive comme de sa forme primitive, préindustrielle, présentée par le cinéaste de la Nouvelle Vague comme un modèle indépassable et disparu précocement. Et d’interroger ainsi les formes éphémères des productions de l’image contemporaine et ses nouvelles techniques de création qui placent la création audiovisuelle et cinématographique dans une incertitude définitionnelle et une force métamorphique permanente. Penser la création contemporaine suppose de prendre en compte le nécessaire bouleversement des pratiques artistiques, bousculées et transformées par la « culture numérique ». « L’acte qui donne corps à l’œuvre culturelle trouve dans l’environnement numérique un espace élargi de possibles, un potentiel inédit et continu de métamorphoses13 », comme le soulignent Maud Pélissier et Nicolas Pélissier en préambule d’un ouvrage collectif présentant les reconfigurations de la création artistique à l’aune de la révolution numérique. Si Godard développe un discours offensif sur les nouvelles technologies et le numérique, il en fait non seulement usage pour proposer une forme singulière de communication de sa propre œuvre, mais les absorbe aussi dans sa propre pratique filmique, en expérimentant les possibilités offertes par le cinéma contemporain et anticipant, détournant et réinventant les effets de ses métamorphoses techniques et numériques14.

Rappelons également la richesse du motif baroque de la métamorphose, dont l’archéologie sémantique et génétique trouve un point d’appui éminemment littéraire dans le mythe ovidien, et dont les puissances à l’œuvre en font un principe esthétique clé de la modernité où création et autoréflexion célèbrent leur alliance dans des œuvres qui mettent au jour les procédés inhérents à leurs modifications formelles au XXe siècle. Le long métrage

Hélas pour moi, est un exemple frappant dans l’œuvre de Godard de la puissance

significative des « métamorphoses ». Réécriture du mythe grec d’Amphitryon hantée par le

13 Maud Pélissier et Nicolas Pélissier, « Introduction générale », dans Maud Pélissier et Nicolas Pélissier (dir.), Métamorphoses numériques. Art, culture et communication, Paris, L’Harmattan, 2017, p.17.

14

Alors que nous achevons cette thèse, le jury de la 71e édition du Festival de Cannes a souhaité créer un prix inédit, la « palme d’or spéciale », pour récompenser l’œuvre transgressive du cinéaste. Le lendemain de la projection festivalière du Livre d’images, long métrage dont le montage l’a occupé depuis quatre ans, Jean-Luc Godard propose une conférence numérique sur un écran miniature d’iPhone, provoquant ainsi un défilé de journalistes confrontés à un tête-à-tête tout à la fois spectaculaire et modeste avec un cinéaste répondant depuis sa solitude suisse aux sollicitations de la presse et des critiques. Cette situation souligne combien Godard joue des nouveaux dispositifs d’information et de communication pour rendre audible et visible un film qui dit « ce qui ne se fait pas. » La réponse volontairement exceptionnelle du jury rappelle également que l’effet médiatique des prises de parole scénarisées du cinéaste dépasse la réception de ses films et nous invite à enfreindre nos habitudes spectatorielles pour accueillir une voix invariablement dissidente.

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thème néotestamentaire de l’Incarnation, le film de Godard interroge en 1993 les possibilités de représentation de la rencontre du terrestre et du divin, du jour et de la nuit, du visible et de l’invisible, de la mort et de la vie, de l’icône et du Verbe, de la légende et de l’Histoire, du document et de la fiction. Les modifications formelles, célébrées dans une œuvre réflexive et critique qui interroge les limites même de la création cinématographique, questionnent également le langage par-delà les arts visuels. Ainsi, les jeux de signifiants accomplissent les métamorphoses du corps au sein même de la langue, comme le rappelle significativement le patronyme anagrammatique de Simon Donnadieu choisi pour désigner l’ultime variation du personnage légendaire d’Amphitryon dans le corps de l’acteur Gérard Depardieu. À travers cet exemple, les métamorphoses sont célébrées comme matière narrative, matière langagière, procédé d’écriture filmique qui s’éprouvent dans une forme audiovisuelle dont les transgressions sont induites par le principe poétique et politique du montage comme opérateur de toutes les transformations : modifications de la pensée, métamorphoses de la vision, travail de figuration/défiguration, collage d’éléments disjonctifs. Ces phénomènes s’inscrivent dans une dimension temporelle inhérente au procès métamorphique, qui autorise l’actualisation filmique de l’événement, selon le déploiement de la métaphore en métamorphose, le glissement de la représentation fictionnelle de l’homme et du monde pour penser le rapport qui s’instaure entre l’homme et le monde, le renoncement à la fermeture du sens pour en éprouver la versatilité et l’expansion au risque à tout moment de verser dans la contradiction – celle-là même que l’œuvre godardienne érige comme puissance d’exécution de la pensée en mouvement.

Les métamorphoses désignent ainsi le procès inquiété des images contemporaines dont l’équivocité, les différents seuils et la réflexivité continuent de mettre en question la relation entre l’être et un réel tapi sous ses perceptions, à découvrir et transformer. Interroger l’image suppose de passer outre la seule question de l’icône visuelle pour aborder la tension iconique qui s’instaure dans le procès même de l’imagination dont l’opération consiste à se tenir entre la présence et l’absence. Imager revient présenter ce qui est en fuite. Notre titre de thèse désigne ainsi le symptôme qui s’élève d’une œuvre qui invite à une pensée des images et de leur pouvoir dans une remise en cause permanente de la forme filmique, du sujet spectateur et créateur et du rapport au monde qui nous environne de manière immédiate et/ou médiatique. Les métamorphoses désignent ainsi les nombreuses transgressions qui animent l’œuvre de Godard et qui en forgent, selon nous, la puissance politique comme mise

en cause permanente de ce qui fait consensus au sein de la collectivité : subversion de la

notion de personnage, de la perspective narrative, de la chronologie, de la catégorie de l’auteur, de l’événement narratif, historique et médiatique, du monde lui-même dans une

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œuvre qui brouille la distinction entre fiction et document pour faire advenir un cinéma engagé qui déploie les expériences limites de l’image et de la langue dans un mouvement paradoxal de déconstructions/reconstructions formelles pour convoquer les possibilités en devenir d’une transformation du réel. Ainsi, la question des formes interroge également le temps, l’histoire, la mémoire et l’avenir dans une œuvre volontairement intertextuelle qui repose sur la citation ou le remploi comme force salvatrice et critique du passé dans le présent et puissance d’invention d’un devenir commun. Les métamorphoses engagent un cinéma politique qui tente de mettre au jour ce qui pourrait devenir autre. En 2014, Adieu

au langage invite ainsi à se défaire d’un langage pour inventer un outil d’expression et de

communication qui restaurerait une relation au monde, à la cité, à la démocratie, à l’image et dont la puissance performative soit enfin opérante – ce que Film Socialisme convoque en 2010 comme possibilité d’une Europe pourtant entrée en déréliction politique et esthétique (abandon de l’Afrique, renoncement à l’amour, flux monétaire arrêtant toute émancipation démocratique, oubli de la beauté fauve de la peinture, appauvrissement des formes visuelles, etc.).

La métamorphose semble ainsi régir l’ensemble de l’œuvre d’un auteur aux plusieurs masques. En effet, Godard est tout à la fois acteur, critique et théoricien du cinéma. Tout d’abord, Jean-Luc Godard est un acteur essentiel de la création d’images, comme réalisateur de cinéma, comme vidéaste et archiviste également, puisqu’une grande partie de ses travaux sont élaborés depuis vingt ans sous la forme de films-essais, selon une orchestration savante de traces documentaires du XXe siècle, de reproductions fragmentées d’œuvres d’art et de citations d’un matériau filmique conservé et collectionné. La pratique filmique de Godard s’est ainsi pliée aux métamorphoses du cinéma très vite concurrencé par la télévision et son médium, la vidéo, et aujourd’hui par une pratique transformée du tournage/montage numérique. Godard est encore un critique, celui de la famille rassemblée en cinéphilie de la Nouvelle Vague et des Cahiers du cinéma, quand la conscience critique et la passion cinéphile précédaient essentiellement la réalisation cinématographique, mais aussi un lecteur des grands classiques de la critique de la modernité, tout particulièrement Walter Benjamin. Se dessine alors la figure d’un Godard théoricien, contempteur parfois erratique, souvent désabusé, de la médiasphère actuelle, avec laquelle il entretient une relation ambivalente. Traçant les frontières d’un dehors critique, Godard choisit une stratégie de retrait pour énoncer un discours dissensuel, mais sait également participer et jouer du pouvoir de la communication médiatique pour mieux la contredire – ultime métamorphose. Ce phénomène n’est pas nouveau : nous pensons à l’époque où il emprunte la posture du téléaste et réalise en 1976 et 1979 avec Anne-Marie Miéville deux séries télévisées commandées par Antenne

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2, Six fois deux (sur et sous la communication) et France tour détour deux enfants, dont l’objet même est la crise de l’image, son statut indécidable et son déclin à l’ère d’une certaine « pornographie de l’information et de la communication15. » Enfin, cette démarche critique et théorique imprègne nécessairement l’œuvre filmique de Godard dont la propension discursive abreuve le film même, jusqu’à en être parfois la matière première. Les Histoire(s)

du cinéma sont alors la parfaite réconciliation d’une théorie et d’une pratique de l’image en

une forme seule qui tend vers la textualité de l’essai. C’est pourquoi cette œuvre-somme opère, selon nombre de critiques, une césure dans la chronologie des œuvres de Godard, inaugurant l’ère du « quatrième âge de Godard16 », le Godard actuel, théoricien et cinéaste-essayiste, par-delà le cinéaste, critique et cinéphile, de la Nouvelle Vague et l’auteur militant de l’aventure politique des années 1970.

Notre thèse s’appuie donc sur l’ample commentaire du cinéaste, qui accompagne son œuvre et ne cesse de s’élaborer dans une démarche critique par l’art du fragment, de la formule, de l’annotation, des écrits à l’écran, de la citation, de la réitération dissonante, de la correction, de la reprise, du dialogue par jeu de rebonds verbaux et déplacements métonymiques des termes selon leur invocation sonore. Cette méthode de l’incertitude d’une pensée fragmentaire vient progressivement ouvrir la possibilité d’une pensée totalisante, depuis les premiers textes critiques du futur cinéaste jusqu’aux entretiens qu’il accorde aujourd’hui. En contrepoint de ce Godard théorique, aux accents parfois réactionnaires, souvent ironiques, nous avons également interrogé un « Godard » en pratique, ou ce que l’on pourrait nommer un Godard réel, celui qui poursuit une expérience de la création filmique jusque dans ses limites transgressives, tout en ayant progressivement coupé les ponts avec le grand public. Le Godard théorique et le Godard réel, comme deux versants d’une figure artistique en proie aux métamorphoses, connaissent un dialogue parfois contradictoire. Le premier élabore une relation a priori déférente au cinéma de la première moitié du XXème siècle, dans une profusion de textes critiques, ceux d’une première époque cinéphile des années 1950, pensée discursive qui ne s’est jamais interrompue et se poursuit non seulement dans les différents écrits produits à l’ombre des médias et au rythme de la création de longs et de courts métrages, mais également dans les entretiens dont le cinéaste surveille le traitement médiatique, en autorisant quelques interlocuteurs fidèles à poursuivre un dialogue

15 Jean Baudrillard, Les Stratégies fatales, Pais, Grasset, 1983, p. 94. 16

Dans l’« Envoi » placé en ouverture du numéro de CinémAction consacré à Godard en 2003, René Prédal distingue plusieurs âges de la création de Godard : « Il y a dix ans, nous parlions de trois âges de Godard. Aux phases décennales que nous distinguions, placées successivement sous les signes de l’expression (années 60), de l’information (années 70) et de la communication (années 80), nous proposons par conséquent d’ajouter un quatrième, visiblement liée à l’art, ce qui achève ainsi la prospection systématique de toutes les formes qui concourent à la création » (« Envoi », René Prédal (dir.), Où en est le God-art ?, CinémAction, n°109, 4e trimestre 2003, p. 9).

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discontinu et conflictuel, parfois interrompu, avec la sphère médiatique depuis la fin des années 1990. Le second, l’auteur d’une pratique cinématographique, s’est converti depuis les années 1970 à la pratique de l’essai expérimental qui est devenu progressivement son paradigme créatif. Godard continue d’inventer des formes filmiques en usant des techniques les plus contemporaines et opte pour une prise de pouvoir dissidente dans le champ d’un cinéma converti à l’expérience.

Tout en les réprouvant dans un discours que l’on peut volontiers caractériser de conservateur, Godard fait usage des médias émergents et des technologies de son époque dans une véritable mise au défi du cinéma. Il affronte ainsi le monde contemporain, ses mutations technologiques, sociologiques, esthétiques, politiques et humaines, en usant de ses technologies, régulièrement révolutionnées depuis l’après-guerre, sans que l’on puisse aisément distinguer le remède du mal dans le travail théorique et pratique d’un cinéaste qui joue d’un paradoxe assumé en faisant usage des formes visuelles et des techniques mêmes qu’il condamne. Or, en tant qu’ « artiste d’installations multimédias17 », pour reprendre le titre d’un article de Michael Witt qui rappelle la contradiction heureuse d’un cinéaste qui « poursuit un projet critique multiface avec une égale intensité – qu’il s’agisse de son œuvre audiovisuelle, de ses écrits ou de ses entretiens et interventions dans les médias18 », Godard nous apparaît comme emporté par une propension métamorphique. Non seulement le cinéaste développe un discours critique sur les nouveaux territoires de l’image et ses formes médiatiques, mais il met également en question les nouveaux territoires de la pensée par une expérience révolutionnée du montage des images et des mots. C’est pourquoi notre recherche rejoint l’un des enjeux fondamentaux des Sciences de l’information et de la communication aujourd’hui : « Penser les sciences de l’information et de la communication au risque de la création artistique, c’est se donner les moyens de lire des processus créatifs à l’aune de l’interdisciplinarité, plus exactement de faire du dialogue interdisciplinaire le moyen de soupeser l’essence d’une pratique qui s’étend généralement sur des temps longs19. »

Notre recherche a donc supposé de nous conformer à plusieurs exigences liées à la densité du montage godardien et à la richesse des lectures qui en sont proposées. Il a fallu tout d’abord mener à bien une longue et minutieuse étude de l’œuvre godardienne, en nous attachant à contribuer au travail de référencement des citations et des images remployées

17 Michael Witt, « Godard, artiste d’installations multimédias », trad. par Cécile Wajbrost, Trafic, n° 58, été

2006, p. 29-42 [article original, « Shapeshifter. Godard as Multimedia Installation Artist », New Left Review, n°29, septembre-octobre 2004].

18

Ibid., p. 38.

19

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dans un montage qui emprunte à la forme du musée imaginaire, tout en prenant connaissance des différentes lectures dont l’œuvre du cinéaste a été l’objet. Il a fallu également nourrir notre recherche des rapports étroits entre plusieurs champs disciplinaires et la pensée élaborée par Godard dans la compulsion des citations que propose son montage. Il s’agit de l’un des enjeux principaux de cette thèse : nourrir une réflexion originale sur les enjeux esthétiques et politiques des images en mouvement à partir de la grille de lecture proposée par Godard au sein de plusieurs fragments séquentiels de longs et courts métrages. Laisser opérer les métamorphoses d’une pensée qui s’élabore dans un montage savant qui fait se rencontrer philosophes, penseurs, créateurs, poètes, romanciers, peintres et fragments anonymes d’une culture visuelle et discursive issue de la circulation médiatique.

Nous nous autorisons dans cette introduction à convoquer également le contexte même du choix de notre sujet qui vient éclairer les enjeux d’une thèse que nous avons menée avec la conviction que l’œuvre de Godard apporte au spectateur contemporain des clés d’interprétation et de création, en contrariant la logique implacable des images médiatiques contemporaines, ces dernières démontrant le monde dans une assurance souvent inquiétante, échappant progressivement au pouvoir critique de la pensée. Notre thèse ré-ouvre ainsi une longue histoire du soupçon à l’égard des formes visuelles et de leur pouvoir, au risque d’un basculement constant de l’iconophilie à l’iconoclasme, ou ce que l’on pourrait appeler un

iconoclasme anarchique et paradoxal propre à Godard qui puise dans sa défiance à l’égard

des langages visuels et discursifs les forces d’une création esthétique sans cesse renouvelée et une croyance en la puissance émancipatrice de l’image.

Plusieurs « événements » personnels sont venus forger ce désir de thèse et en expliquent les hypothèses de départ. Et notamment une recherche permanente d’une relation salvatrice entre l’esthétique et le politique, la puissance de création et de réception de créations audiovisuelles métamorphosées dans leur pratique et la mise en mouvement d’une pensée dissidente dont dépend la puissance de rénovation de la Cité, du commun et du collectif. Cette vigilance à l’encontre des démocraties, dont les productions visuelles et discursives peuvent à tout moment en ébranler les fondements mêmes, suppose une extrême attention critique à l’égard d’un pouvoir qui peut émousser la puissance de pensée qui se loge dans le regard du spectateur, un regard étendu, mais aussi menacé, par les productions visuelles contemporaines.

Le long métrage Notre musique tient une place singulière dans l’archéologie de notre recherche. Ce métrage a relancé notre intérêt pour le cinéma de Jean-Luc Godard en 2004 et provoqué un plaisir aigu de spectatrice devant une forme cinématographique mixte. Cette

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dernière hésite volontairement entre le document et la fiction, propose la rencontre de figures intellectuelles rares (Pierre Bergounioux, Jean-Paul Curnier, Mahmoud Darwich, Juan Goytisolo), pour produire une pensée complexe de l’engagement de l’artiste, de la guerre civile et de la réparation à Sarajevo, capitale européenne symbolique des conflits du XXe siècle, ouvrant aux interrogations du XXIe siècle sur la fragilité de la démocratie, les conditions nouvelles de l’émancipation politique et le bouleversement de l’ordre mondial. Autre fait marquant et prévisible : le sentiment d’assister à un film sans spectateur. Quatre ans après, alors que nous étions en poste en Tunisie, les associations des cinéphiles tunisiens ont répondu d’une voix à la question qui leur était posée par l’Institut français de coopération. Quel serait le premier cinéaste francophone qu’ils souhaiteraient rencontrer à Tunis ? Jean-Luc Godard. Le contraste entre la solitude spectatorielle en 2004 et l’importance des spectateurs tunisois en 2008, lors d’une large rétrospective du cinéma de Godard20, en présence du principal exégète de son œuvre, Alain Bergala, souscrivait à notre hypothèse d’une persistance du « mythe » godardien et d’une permanence d’un dialogue entre Godard et ses spectateurs et admirateurs. Dans le cadre de cette rétrospective, Alain Bergala présentait aux étudiants en classes préparatoires scientifiques à l’I.P.E.S.T.21, dont le programme de français-philosophie s’intitulait « Penser l’histoire », un cinéma converti progressivement aux mouvements historiques. Le désir de saisie de l’air du temps l’a d’abord emporté dans les premières œuvres d’un cinéaste à l’engagement politique très discret. La dimension historique est alors marginale, comme un fond sur lequel se détache une forme soucieuse de donner à entendre le Zeitgeist d’une époque, saisi par la caméra dans les rues du Paris d’À bout de souffle tourné en 1959. Il faut attendre les Histoire(s) du cinéma pour que l’événement historique devienne le sujet même du cinéma, art converti à la saisie des temporalités plurielles : celle de l’événement passé, celle des inventions révolutionnaires en devenir, celle du procès même du film dont le déroulé s’inscrit dans le présent du spectateur. Les discussions qui ont suivi les projections tunisoises démontraient spontanément la richesse des propositions esthétiques et théoriques de Godard et la puissance d’interprétation que soulevaient les fragments de ses œuvres projetées. C’est ce souci de conquête de l’actuel qui nous est apparu dans la persistance de la réception godardienne en Tunisie et dans les enjeux soulevés par Notre musique, dont la double ambition, réforme esthétique reposant sur

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« Jean-Luc Godard. L’invention de Godard au moment de la Nouvelle Vague », Projections et débats organisés par l’Institut Français de Coopération, CinemAfricart, Cinéfils El Hamra, Médiathèque Charles de Gaulle, I.P.E.S.T., Tunis, La Marsa, 8 -15 février 2008.

21 L’Institut Préparatoire aux Études Scientifiques et Techniques (I.P.E.S.T.) à La Marsa en Tunisie accueille

en classes préparatoires scientifiques (Mathématiques spéciales et Mathématiques supérieures) les meilleurs bacheliers tunisiens et les présente aux concours d’entrée aux grandes écoles scientifiques en France : École Normale Supérieure, École Polytechnique, Concours commun Mines Ponts, Groupe Concours Polytechniques.

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une séquence portant sur la technique du champ-contrechamp et réforme politique dans une réflexion sur le commun et les possibilités d’une vitalité collective, proposait au spectateur une pensée de l’événement passé et présent et une réponse dirigée vers les forces d’invention et reconstruction de l’avenir.

Dans une Tunisie qui s’interrogeait déjà sur les possibilités d’émergence d’une démocratie, la force du cinéma et du nom de Godard nous a semblé évidente. Godard serait ainsi un contemporain paradoxal, dont l’œuvre singulière et variée s’inscrirait dans une époque à déclore. Figure qui peut sembler « anachronique », dont l’œuvre a été en grande partie reçue et reconnue dans le contexte de la Nouvelle Vague, Godard poursuit son œuvre cinématographique tout en rappelant le caractère historique d’un cinéma qui se serait consumé pendant la Seconde Guerre mondiale et pour lequel il élève le monument des

Histoire(s) du cinéma. Préservant une relation intime avec une imagerie singulière et

personnelle, le cinéaste contribue cependant à produire un « effet Godard22 » qui déborde son apparente retraite de la sphère médiatique, interrompue ces dernières années à l’occasion des sélections officielles du Festival de Cannes, et participe aux conditions de naissance d’une image outre-moderne, en projet, issue d’une révolution du regard spectatoriel. La vision godardienne est certes aimantée par le passé, parfois arrêtée par une posture contemplative et immobile, un regard orphique qui met en péril les images contemporaines pour leur préférer celles qui ont été comme délivrées de la compromission médiatique et économique que le cinéaste dénonce. Godard rencontre toutefois dans un même élan le postmodernisme, qu’il critique et traverse, par un art constamment renouvelé de

l’image-pensée23, une écriture filmique souvent expérimentale, celle de « l’après Godard24 », pour reprendre la formule de Fredric Jameson, et une esthétique de l’inachèvement et du questionnement critique qui caractérise ses œuvres les plus récentes. Cet art du fragment et de l’incomplétude trouve son pendant discursif dans le phrasé du cinéaste, un volontaire chuchotement, le brouillage de la voix et une hésitation qui scande l’énoncé. Godard

22 Il s’agit du titre de l’ouvrage de Carole Desbarats et Jean-Paul Gorce. Cette enquête sur la réception de

Godard et sa communication s’ouvre sur cette question : « La force de Jean-Luc Godard, sans cesse renouvelée depuis trente ans, a-t-elle un impact sur cette société qu’il met en question ? » (Carole Desbarats et Jean-Paul Gorce, L’Effet Godard, Toulouse, Milan, 1989, p. 10).

23 Nous reprenons l’expression forgée par Gilles Deleuze pour l’intitulé de son cours sur le cinéma de l’année

1984-1985 à l’Université de Vincennes (Paris 8). Les cours de Gilles Deleuze, dispensés de 1979 à 1987 à l’Université Paris 8 sont consultables dans leur intégralité (enregistrement audio et transcirption) sur la page « la voix de Gilles Deleuze » du site de l’université ([En ligne], http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/). Six heures, parmi les centaines d’heures de cours – toutes n’étant pas exclusivement dédiées à l’image cinématographique – ont été choisies par Claire Parnet et Richard Pinhas pour leur diffusion sous la forme de CD (Gilles Deleuze, Cinéma, livre audio, 6 CD, Paris, Gallimard, 2006).

24 Fredric Jameson, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, ENSBA, 2007,

p. 33. Jameson désigne ainsi les œuvres relevant du « cinéma expérimental et [de] la vidéo » produites par Godard après les années 1960, dans une volonté de rupture avec une première cinématographie inscrite dans l’élan moderniste.

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