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L’action de la Cour de justice de l’Union européenne pour la protection des droits fondamentaux face à la répression des migrations irrégulières

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Academic year: 2021

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Submitted on 18 Feb 2021

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L’action de la Cour de justice de l’Union européenne

pour la protection des droits fondamentaux face à la

répression des migrations irrégulières

Roberto Angrisani

To cite this version:

Roberto Angrisani. L’action de la Cour de justice de l’Union européenne pour la protection des droits fondamentaux face à la répression des migrations irrégulières. Droit. Université de Bordeaux; Université Laval (Québec, Canada). Faculté de droit, 2020. Français. �NNT : 2020BORD0318�. �tel-03145185�

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THÈSE EN COTUTELLE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE

L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ET DE L’UNIVERSITÉ LAVAL

École doctorale (ED.41)

Spécialité Droit Public

Par Roberto Antonio ANGRISANI

L’action de la Cour de justice de l’Union européenne

pour la protection des droits fondamentaux face à la

répression des migrations irrégulières

Sous la direction des Professeurs Sébastien Platon et Olivier Delas

Soutenance le 18 Décembre 2020

Présidente du jury : Madame Sylvie SAROLEA,

Professeur à l’Université Catholique de Louvain Membres du jury :

Monsieur François CRÉPEAU

Professeur à l’Université Mc Gill, rapporteur Monsieur Olivier DELAS, co- directeur de thèse Professeur à l’Université Laval

Monsieur Sébastien PLATON,

Professeur à l’Université de Bordeaux, co- directeur de thèse Monsieur Romain TINIÈRE, rapporteur

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iii

Résumé

L’étude défend la thèse selon laquelle la Cour de justice de l’Union européenne, avec son action interprétative, joue un rôle majeur dans la définition du niveau de protection des droits fondamentaux des migrants en condition irrégulière dans l’UE.

Les compétences limitées de l’UE en matière migratoire, partagées avec les États membres (article 4, § 2, lettre j TFUE ), n’ont pas empêché la Cour de justice d’affirmer des principes généraux de droit qui ont marqué l’évolution de l’activité législative européenne, au point de contrecarrer l’action répressive mise en exergue par les États membres et parfois par l’UE elle-même. Néanmoins, l’interprétation faite par la CJUE du droit primaire et dérivé à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’UE rencontre des limites majeures lorsqu’elle vise le contentieux pénal et administratif portant sur l’immigration irrégulière.

La première partie de l’étude est consacrée aux limites de l’action interprétative de la CJUE. La dimension territoriale étant le fil conducteur de la recherche, l’analyse montrera d’abord les obstacles qui s’opposent à une action efficace des juges de Luxembourg face à la répression « avant l’entrée » et « à la sortie » des migrants. En effet, tant les accords pris par l’UE ou par ses États membres avec des pays tiers pour empêcher les départs, que les accords de réadmission visant les retours des migrants en condition irrégulière vers leur pays d’origine ou vers des pays de transit se placent souvent à l’extérieur des compétences de la CJUE. La deuxième partie se concentre sur les pratiques de répression des migrations irrégulières sur le territoire de l’UE. L’importance du mécanisme du renvoi préjudiciel (article 267 TFUE) sera mise en exergue à partir du contentieux pénal sur la criminalisation des migrations et le contentieux administratif sur la répression du même phénomène. Si l’efficacité de l’action de la CJUE manifeste son ampleur dans la dimension interne de la répression des migrations, l’analyse de sa jurisprudence touchant la dimension externe de la répression permet de montrer le besoin d’harmonisation dont la politique migratoire de l’UE a besoin aujourd’hui.

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iv

Abstract

This research argues that the European Court of Justice, with its interpretative action, plays a major role in defining fundamental rights for irregular migrants in the EU.

The limited competences of the EU in migration matters, shared with the Member States (Article 4(2)(j) TFEU), have not prevented the Court of Justice from affirming general principles of law that have marked the development of European legislative activity, to the point of thwarting the law enforcement action highlighted by the Member States and sometimes by the EU itself. Nevertheless, the interpretation made by the CJEU of primary and secondary law in the light of the EU Charter of Fundamental Rights encounters major limitations when it comes to criminal and administrative litigation on illegal immigration.

The first part of the study is dedicated to the limits of the interpretative action of the CJEU. As the territorial dimension is the central thread of the research, the analysis of case law shows the obstacles to effective action by Luxembourg judges in the face of repression "before entry" and "on exit" of migrants. Indeed, both the agreements taken by the EU or by its Member States with third countries to prevent departures, and the readmission agreements aimed at the return of migrants in an irregular condition to their country of origin or to transit countries are often outside the competence of the CJEU. The second part focuses on the practices of repression of irregular migration on the territory of the EU. The importance of the preliminary ruling mechanism (Article 267 TFEU) will be highlighted from the criminal litigation on the criminalisation of migration and the administrative litigation on the repression of the same phenomenon. While the effectiveness of the action of the CJEU is obvious in the internal dimension of the repression of migration, the analysis of its case law on the external dimension of repression shows the need for harmonisation that EU migration policy needs today.

Key words: European Union law, fundamental rights, EU, migration policy, criminalisation of migration, outsourcing of migration control.

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v

Liste des abréviations

AAE Agence d’approvisionnement d’Euratom AEMF Autorité européenne des marchés financiers ASGI Association des juristes italiens

CDFUE Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne CEDEAO Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest CEDH Cour européenne des droits de l’homme

CFS Code frontières Schengen

CJUE Cour de Justice de l’Union européenne

Convention EDH Convention européenne des droits de l’homme COREPER Comité des représentants permanents

CSIFA Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile DG-JAI Direction générale du Conseil « Justice et Affaires intérieures » D. lgs. Decreto legislativo (décret législatif)

EASO Bureau européen d’appui en matière d’asile ELSJ Espace de liberté, de sécurité et de justice

eu-Lisa Agence européenne pour la gestion à large échelle de systèmes d’information dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice Europol Bureau de police européenne

Eurosur Système européen de surveillance des frontières FED Fonds européen de développement

FRA Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne Frontex Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes HRC Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés IAP Instrument d’aide de préadhésion

IEGE Institut européen pour l’égalité de genre JAI Conseil « Justice et Affaires intérieures »

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vi

LIBE Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures

MOU Memorandum of Understanding

OIM Organisation internationale pour les migrations PE

PICUM

Parlement européen

Plateform for International Cooperation on Undocumented Migrants

RABIT Équipes d’intervention rapide aux frontières RAEC Régime d’asile européen commun

SEAE Service européen pour l’action extérieure SIS II Systèmes d’information Schengen

TCE Traité instituant la Communauté européenne

TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne TIMEP Institut Tahrir pour les politiques au Moyen-Orient TUE Traité sur l’Union européenne

UA Union africaine

UE Union européenne

VIS Système d’information sur les visas

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À Gaetano et Antonella,

mes rocs inébranlables

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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent à mes deux directeurs de thèse. Je suis profondément reconnaissant au professeur Olivier Delas, pour sa confiance et sa direction indéfectibles tout au long de ce parcours qui marque une page fondamentale de ma formation professionnelle. Je suis extrêmement reconnaissant aussi au Professeur Sébastien Platon, qui a su, dans des moments décisifs, me guider avec des avis et des conseils essentiels pour l’avancement de ce travail.

Je suis également très reconnaissant envers le juge Jean-Claude Bonichot, de m’avoir permis d’intégrer temporairement son cabinet à la Cour de justice de l’Union européenne. Cette expérience a grandement contribué à orienter cette étude dans la juste direction. Les échanges avec lui et son équipe de référendaires ont été des moments précieux.

Mes remerciements sincères, vont aussi au professeur Henri Labayle et au professeur François Crépeau, auxquels je dois énormément en termes d’inspiration. Leurs écrits ont souvent guidé mes réflexions, et les occasions d’échange lors de colloques et de conférences m’ont permis de mieux définir l’objectif de cette étude.

Je me dois de remercier mon ami et collègue, le professeur Mulry Mondelice, pour ses conseils toujours pertinents et sa bienveillance chaleureuse. Je tiens par ailleurs à remercier Pierre Desroches et Benoit Martel, amis sincères, pour leur soutien inébranlable, sans lequel cette recherche n’aurait probablement pas vu le jour.

À Mylène j’exprime toute ma reconnaissance pour la force tranquille et la patience avec lesquelles elle a su soutenir les longues journées de rédaction.

Je tiens finalement à adresser mon plus grand remerciement à Gaetano et Antonella, parents exceptionnels auxquels je dédie ces pages, au nom de l’amour et de la confiance avec lesquels ils ont su nourrir tous mes efforts. À Rosalba, Antonio et Rossella vont aussi mes pensées les plus sincères.

Cette recherche n’aurait pas pu aboutir sans le financement du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada (CRSH), qui m’a honoré de la prestigieuse Bourse Vanie

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Introduction Générale

Est-il désormais possible de distinguer l'immigration de la migration alors que la planète entière devient territoire de déplacements croisés ? Je crois que c'est possible : comme je l'ai dit, l'immigration est politiquement contrôlable, la migration ne l'est pas ; c'est comme les phénomènes naturels. Tant qu'il y a de l'immigration, on peut espérer maintenir les immigrés dans un ghetto pour qu'ils ne se mélangent pas aux autochtones. Lorsqu'il y a migration, il n'y a plus de ghettos, et le métissage est incontournable.

Les phénomènes que l'Europe tente encore de traiter comme des cas d'immigration sont des cas de migration. Le Tiers Monde frappe à la porte de l'Europe, et il y rentre même si l'Europe n'est pas d'accord.1

S

ECTION

1 :

L’

OBJET DE L

ÉTUDE

Il est difficile, voire quasi impossible, d’imaginer quelle politique migratoire existerait aujourd’hui en Europe si la Cour de justice de l’Union européenne (ci-dessous « CJUE » ou « Cour ») ne s’était pas saisie de cette question dans les limites de ses compétences. Les prémisses de cette étude se fondent alors sur un fait avéré : la jurisprudence produite par cette Cour a eu, et continue d’avoir, un impact marquant sur la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes en condition irrégulière dans l’Union européenne (ci-dessous « UE » ou « l’Union »).

Les principes dégagés par l’activité judiciaire de la CJUE dans ce domaine ont grandement participé au processus d’intégration européenne, produisant souvent des avancées remarquables et mettant en exergue, dans d’autres occasions, l’incertitude juridique, fruit de la fragilité de l’architecture encore inachevée de l’UE.

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Après avoir mis en lumière le lien qui arrime l’action de la CJUE aux migrations irrégulières (§1), il conviendra de parcourir les choix méthodologiques qui ont guidé cette recherche et les limites qui la caractérisent (§ 2), avant d’évoquer l’impact de la jurisprudence de la CJUE sur l’évolution du droit migratoire de l’UE et de ses pays membres (§3).

LA RÉPONSE JURIDIQUE AUX MIGRATIONS IRRÉGULIÈRES DANS L’UE

L’Union européenne, étant l’une des destinations principales des flux migratoires, reflète toute la complexité de la mise en place d’un système juridique de gestion de l’immigration efficace. La compétence partagée entre États membres et UE en matière migratoire produit des réponses asymétriques au sein de l’Union, pouvant mener jusqu’à la criminalisation des personnes migrantes.

La réponse juridique aux migrations irrégulières dans l’UE – et plus génériquement dans le Nord global – est caractérisée par trois éléments : (A) la minimisation du phénomène migratoire; (B) la quête de sécurisation des frontières et de l’accès au territoire national; (C) l’encadrement de la catégorie des personnes migrantes en condition irrégulière comme une menace. Ces trois composantes, parfois dangereusement confondues par la narration politique des événements internationaux, sont à la base de la répression des migrations irrégulières partout dans le monde.

A. La mécompréhension du phénomène migratoire

Dans son rapport sur l’état de la migration dans le monde, publié en juin 2020, l’Organisation internationale des migrations (OIM) estime à environ 272 millions les migrants internationaux dans le monde, dont plus de la moitié en Europe et en Amérique du

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3

Nord2. Depuis des dizaines d’années, les migrants représentent environ 3,5 % de la

population mondiale. Il est donc évident que ce chiffre ne correspond pas à l’image d’une invasion ingérable.

François Crepeau et J.-Y. Carlier affirment que le droit de l’immigration est « un droit en mouvement »3. Dès lors nous rajoutons que cette dynamique juridique, nécessaire pour

adapter la réponse du législateur aux mouvements de personnes, repose néanmoins sur une donnée statique, à savoir le fait que la migration demeure un phénomène ontologiquement lié à la condition humaine. Ainsi, la doctrine contemporaine est unanime à l’effet que « si l’intensité des mouvements migratoires est sujette à fluctuation, la migration demeure, plus que jamais, un phénomène social constant »4.

La mécompréhension du phénomène migratoire découle, alors, de sa minimisation. Les décideurs ‒ gouvernements nationaux et organisations internationales ‒ encadrent trop souvent l’immigration comme un épisode extraordinaire, imprévisible, limité dans le temps et dans ses causes. Ceci mène à l’adoption de mesures temporaires destinées à s’attaquer aux symptômes, et jamais aux causes, du phénomène migratoire. Or, il est avéré que l’histoire de l’humanité a été marquée par de grands déplacements et qu’il est impossible d’analyser la condition des hommes et des femmes qui quittent leur lieux d’origine en quête de sécurité et d’un avenir meilleur, sans considérer la nature d’« homo migrator »5 qui caractérise l’espèce

humaine.

Une autre composante de la mécompréhension du phénomène migratoire se cache dans la prétention du législateur de vouloir opérer à tout prix une « classification » statique

2 OIM, État de la migration dans le monde, 2020, p. 2‑3, en ligne : <https://publications.iom.int/system/files/pdf/wmr_2020_fr.pdf>.

3 Jean-Yves C

ARLIER et François CRÉPEAU, « Le droit européen des migrations : exemple d’un droit en mouvement ? », (2011) 57-1 Annuaire français de droit international 641‑674.

4 Jean Yves CARLIER et Luc LEBOEUF, « Chroniques de Droit européen des migrations », JDE 2020.3.132‑146, 132.

5 Guy S GOODWIN-GILL et Philippe WECKEL, Protection des migrants et des réfugiés au XXIe siècle :

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4

et irréfutable des migrants (migrants économiques, réfugiés climatiques, demandeurs d’asile, etc.). En revanche, la réalité des affaires portées à l’attention de la CJUE nous montre qu’il s’agit plutôt de catégories extrêmement perméables.

De plus, les chiffres fournis par l’OIM nous montrent clairement que la cause principale des migrations demeure la poursuite d’une activité économique et que « les travailleurs migrants représentant environ deux tiers de la population migrante »6. Sur cette

base, l’échec des systèmes de mobilité créés pour les travailleurs étrangers, et la quasi-absence de voies légales d’accès au territoire de l’UE, nous permettent d’identifier le principal paradoxe du droit de l’immigration, à savoir le fait que la migration pour motif économique « constitue la plus grande lacune du droit international contemporain »7.

Les auteurs J.-Y. Carlier et L. Leboeuf rappellent sur ce point que

[e]n Europe, les divisions sociétales sur la gestion de ce phénomène demeurent vives. Elles se manifestent de diverses manières en droit européen de l’asile, notamment au travers des désaccords politiques au sujet de la réforme du système européen commun d’asile, commencée en 2016, en réponse législative à la « crise des réfugiés » de l’été 2015 8.

Ces désaccords, ainsi que le manque de vision à long terme, trouvent une confirmation ultérieure dans le projet – très peu courageux – de réforme de l’ensemble des

6 Jean Yves C

ARLIER et Luc LEBOEUF, « Chroniques de Droit européen des migrations », JDE 2020.3.132‑146, 133. Les auteurs rappellent aussi que « [l]es conclusions d’un colloque organisé à Tampere à l’initiative du réseau Odysseus, qui a rassemblé divers acteurs du monde académique afin d’établir des recommandations concrètes à destination des décideurs politiques, en appellent à poursuivre la voie des réformes Elles constatent, toutefois, une certaine appréhension des décideurs, qui craignent que toute nouvelle initiative ait pour effet d’intensifier davantage encore les tensions autour de la question migratoire, laquelle focalise l’attention et polarise, au détriment des autres défis qui attendent l’Union, notamment en termes de digitalisation de son économie et de changement climatique ».

7 Vincent CHETAIL, International Migration Law, Oxford, New York, Oxford University Press, 2019, p. 401; Pour une perspective française au sujet, voir aussi Vincent TCHEN, Droit des étrangers, LexisNexis, 2020.

8 Jean Yves CARLIER et Luc LEBOEUF, « Chroniques de Droit européen des migrations », JDE 2020.3.132‑146, 133.

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5

mesures visant à régler l’immigration irrégulière dans l’UE, proposé par la Commission en septembre 20209.

Dès lors, compte tenu de la complexité entourant l’encadrement du phénomène migratoire, dans la présente étude nous aborderons la notion d’immigration irrégulière en adoptant l’approche large et inclusive définie par la CJUE dans sa jurisprudence10.

B. La quête de sécurisation

La première réponse aux migrations irrégulières est souvent une réponse sécuritaire. L’UE et ses États membres, d’abord avec la création de l’espace Schengen11, et ensuite avec

la consécration d’un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ)12 encore plus intégré,

ont adopté des mesures de « sécurisation »13, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur

territoire.

9 COMMISSION EUROPÉENNE, Communication de la Commission sur un nouveau pacte sur la

migration et l’asile, COM(2020) 609 final, Bruxelles, le 23.9.2020.

10 Pour la définition d’immigration irrégulière aux fins de cette étude, voir infra, Introduction générale, Section 1, § 4.

11 Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des

États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, JO L 239 du

22.9.2000, p. 19–62.

12 Bien que le traité de Rome de 1957 mentionnait déjà, dans son article 61, la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) à l'échelle de la Communauté européenne, sa création a été marquée par une série d’étapes dont : le Traité d’Amsterdam, le Conseil de Tampere de 1999, le programme de la Haye de 2004 et le programme de Stockholm de 2009, qui ont mené à son institutionnalisation définitive dans le traité de Lisbonne.

13 Ici, par le mot « sécurisation », nous faisons référence à l’ensemble de pratiques interdépendantes visant à protéger d’une menace, tel que décrit par Thierry Balzacq, Securitization theory : how security problems emerge and dissolve, Milton Park, Abingdon, Oxon, Routledge, 2011 à la p xiii : « securisation » is the « set of interrelated practices, and the processes of their production, diffusion and reception/translation that bring threats into being ».

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À l’échelle de l’UE, la quête de sécurisation, qui se traduit en lutte contre l’immigration irrégulière14, s’articule aujourd’hui autour d’une logique circulaire. La

première étape est constituée par les accords avec les États tiers15, visant à empêcher les

départs des migrants16. Ensuite, les agences de l’Union, notamment FRONTEX, assurent le

contrôle et l’impénétrabilité des frontières maritimes et terrestres de l’ELSJ17; une fois

franchies les frontières extérieures, les États membres déploient leur arsenal administratif et pénal visant à réprimer les tentatives d’entrée et de séjour irréguliers dans leur territoire et, enfin, grâce aux accords de réadmission, tout est mis en place pour favoriser les retours des étrangers dans leur pays d’origine ou dans des pays de transit considérés « sûrs »18.

La logique sous-jacente à une telle politique de répression des migrations irrégulières en UE dépasse le simple phénomène migratoire. Le professeur Didier Bigo, déjà au début des années 2000, affirmait que la sécurisation permet l’adoption de mesures répressives fondées sur la création d’un « continuum de menaces »19 à l’ordre public et à la paix,

auxquelles s’ajoute, depuis plusieurs décennies, la « menace » migratoire.

14 Sur ce point voir Idil Atak, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière et les

droits humains : une étude des politiques de renvois forcés en France, au Royaume-Uni et en Turquie,

Bruxelles, Bruylant, 2011; voir aussi Olivier Delas, « L’Union européenne et la crise des migrants : crise des migrants ou crise de la politique d’immigration de l’Union européenne? » dans par Mitch Robinson et al, Réciprocité et universalité: sources et régimes du droit international et des droits de

l’homme : mélanges en l’honneur du Professeur Emmanuel Decaux., Paris, Éditions Pedone, 2017.

15 Pour la nature juridique et la portée contraignante de ces accords, voir infra, Partie I, Titre 1, Chapitre 1, Section 3, §2, lettre B.

16 L’un des exemples plus éloquents de cette pratique est la Déclaration UE-Turquie de 2016, voir

infra, Partie I, Titre 2, Chapitre 2, Section1.

17 Sébastien Platon, « La coopération aux frontières de l’Europe et le respect des droits fondamentaux » La coopération, enjeu essentiel du droit des réfugiés, s d A-M Tournepiche, Paris, Pedone, 2015, p 49.

18 Pour une analyse approfondie des accords de réadmission, voir infra, Partie I, Titre 2, Chapitre 1, Section1.

19 Didier Bigo, « Security and Immigration: Toward a Critique of the Governmentality of Unease »: [2002] Alternatives à la p 64.

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C. L’équation entre la personne migrante en condition irrégulière et la menace pour la société

Le sociologue Salvatore Palidda, dans un célèbre article publié en 1999, affrontait la question suivante : « les migrants constituent-ils une menace effective pour la sécurité européenne, ou jouent-ils un rôle de bouc émissaire ? »20. L’auteur soutient la thèse selon

laquelle les politiques sécuritaires seraient l’arme privilégiée de la « guerre aux migrations » des nations plus puissantes. Son analyse permet de comprendre les origines des politiques de sécurisation envers les personnes migrantes.

Toute l’histoire des migrations, comme celle des classes subalternes, est marquée par des moments de criminalisation […].

La relation entre police, migrations et problèmes de sécurité a une histoire assez longue. En effet, cette relation prend une importance considérable lorsque les migrations atteignent des dimensions massives, phénomène qui, en Europe, est étroitement lié à l’exode rural et au développement industriel. On peut donc dire que, depuis la fin du XVIIIe siècle, se constitue un « paradigme de la sécurité », voire de la cohésion et de l’intégration sociale, qui concerne en particulier l’inclusion des migrants dans le cadre du développement économique et social de l’Europe occidentale21.

L’auteur poursuit son discours en affirmant que, dans le contexte actuel, il semble y avoir une rupture avec cette logique d’inclusion. En effet, les services de police et de renseignement, ainsi que « l’opinion publique des pays d’immigration [ont] développé une tendance à considérer [les migrants] comme un problème de sécurité des plus sérieux, avec les trafics de la criminalité organisée transnationale et le terrorisme »22

.

D’ailleurs, de nombreux auteurs ont adressé d’âpres critiques à l’UE pour avoir adopté une telle approche sécuritaire mettant, notamment, en exergue les conséquences humaines et juridiques de ces politiques. Dans les écrits de Michel Foucault, nous retrouvons,

20 Salvatore P

ALIDDA, « La criminalisation des migrants », (1999) 129-1 Actes de la recherche en

sciences sociales 39‑49, 43.

21 Ibidem, p. 44. 22 Ibidem, p. 44.

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dès les années soixante-dix, la définition de « bio-politique » 23 utilisée pour indiquer la

tendance des gouvernements européens à considérer la souveraineté comme la capacité de dire qui peut vivre et qui doit mourir. Ce concept a ensuite subi une première transformation avec l’apparition de la notion de « thanatopolitique »24, qui présente une approche renversée

mettant l’accent sur le droit de mort exercé par l’ État sur tout individu soumis à sa juridiction. Enfin, suite aux événement tragiques dans la méditerranée centrale et orientale de 2013 et 2015, d’autres auteurs qualifient les choix – et l’inertie – de l’UE de « nécropolitique »25,

pour indiquer une politique européenne – tant de l’UE que de ses États membres ‒ qui n’hésite pas à rentrer dans des calculs macabres au détriment des droits fondamentaux afin de protéger ses propres frontières. « Sur cette frontière, sont tolérées des pertes humaines dans une forme de “nécropolitique” : on y pratique une politique du laisser mourir »26.

L’identification de la personne migrante en condition irrégulière avec une menace potentielle pour la paix et le bien-être est à la base de la pseudo légitimation de ces mesures. Au niveau national, cette répression se transforme en criminalisation27, une pratique

23 Roger MEHL, « Michel Foucault, Histoire de la Sexualité. 1. La Volonté de Savoir. Paris, Gallimard, 1976. (Bibliothèque des Histoires.) », (1978) 58-4 Revue d’Histoire et de Philosophie

religieuses 472‑473; Pour une analyse plus recente, voir aussi Katia GENEL, « Le biopouvoir chez Foucault et Agamben », Methodos. Savoirs et textes 2004.4, en ligne : <http://journals.openedition.org/methodos/131> (consulté le 11 octobre 2020).

24 Katia Genel, « Le biopouvoir chez Foucault et Agamben » [2004] 4 Methodos Savoirs et textes, en ligne : Methodos. Savoirs et textes <http://journals.openedition.org/methodos/131> (consulté le 11 octobre 2018); Saïd Chebili, « Corps et politique : Foucault et Agamben » (2009) Volume 85:1 L’information psychiatrique 63‑68.

25 Évelyne RITAINE, « Migrants morts, des fantômes en Méditerranée », Rhizome 2017.64.16‑17; Achille MBEMBE, « Nécropolitique », (2006) no 21-1 Raisons politiques 29‑60.

26 Évelyne RITAINE, « Migrants morts, des fantômes en Méditerranée », Rhizome 2017.64.16‑17, 16. 27 L’un des auteurs qui a consacré le plus ses recherche sur ce sujet est Valsamis Mitsilegas, The

criminalisation of migration in Europe : challenges for human rights and the rule of law, Cham,

Springer, 2015; Pour une mise en contexte exhaustive des recherches sur le sujet voir aussi Joanna Parkin et Belgium) Centre for European Policy Studies (Brussels, The criminalisation of migration

in Europe: a state-of-the-art of the academic literature and research, 2013, en ligne :

<https://www.ceps.eu/system/files/Criminalisation%20of%20Migration%20in%20Europe%20J%20 Parkin%20FIDUCIA%20final.pdf> (consulté le 23 avril 2017).

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législative qui prévoit la réponse pénale comme mesure proportionnelle et adaptée à la « menace » migratoire.

La présente étude vise, entre autres, à identifier la ou les réponses que la CJUE donne grâce à son action interprétative à la question complexe de la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes vis-à-vis des politiques répressives.

LE RÔLE DE LA CJUE DANS LE CONTEXTE DE LA RÉPRESSION DE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE DANS L’UE

La Cour de Justice de l’Union européenne joue désormais un rôle déterminant dans l’encadrement juridique du phénomène migratoire qui concerne, depuis la fin des années quatre-vingt-dix28, de façon importante les frontières extérieures de l’UE. Dans ce domaine,

l’action de la Cour ne se limite pas à la simple interprétation et application des normes européennes29 en matière d’immigration irrégulière (A), mais, à travers sa jurisprudence, elle

28 En 1995 entrait en vigueur la Convention de Schengen qui organisait l'ouverture des frontières internes entre les pays européens signataires (France Allemagne, Italie, Espagne Portugal et pays du Benelux : Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Si la première convention de Schengen date de 1985, l'espace Schengen a été institutionnalisé à l'échelle européenne par le traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997. L'espace Schengen comprend actuellement 26 États membres et trouve sa base légale dans l’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que dans l’art 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

29 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, articles 18 (droit d’asile), 19 (protection contre l’éloignement, expulsion ou d’extradition) et 47 (droit à un recours effectif et à un procès équitable); Convention d’application de l’accord de Schengen de 1985, 19 juin 1990; Code des visas, règlement n. 154/2012 du Parlement et du Conseil (modifiant le règlement (CE) n. 810/2009); Directive 2001/90/51/CE sur les sanctions pécuniaires aux transporteurs; Directive 2002/90/CE définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irrégulier; Règlement SIS II n. 2006/1987 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006, Décision nº 2007/533/JAI du Conseil du 12 juin 2007; Règlement EURODAC nº 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (modifiant le règlement nº 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000, Règlement nº 407/2002 du Conseil du 28 février 2002); Règlement VIS nº 767/2008 du Parlement européen et du Conseil du 9 juillet 2008 (modifiant la décision nº 2004/512/CE du Conseil du 8 juin 2004 et la décision nº 2008/633/JAI du Conseil du 23 juin 2008); Directive « retour » 2008/115/CE; Directive

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exprime aussi une tentative beaucoup plus large d’harmonisation du kaléidoscope complexe de dispositions nationales qui qualifient, de façon très hétérogène, l’entrée et les séjours irréguliers (B).

A. L’apport de la CJUE à l’encadrement juridique des migrations irrégulières

En effet, afin de parvenir à des solutions structurelles et durables, la compréhension et l’encadrement juridiques des migrations sont, à l’heure actuelle, des défis incontournables pour l’UE. L’étude des dynamiques migratoires qui concernent aujourd’hui l’Union ne peut donc se passer de l’analyse de la pratique répandue dans les États membres qui, dans leurs législations internes, prévoient une réponse répressive à l’entrée et au séjour irréguliers des personnes migrantes.

La répression de l’immigration irrégulière, que certains appellent « criminalisation des migrations », pour reprendre les mots de Valsamis Mitsilegas, consiste en « l’importation des logiques contraignantes du droit pénal dans le domaine du contrôle migratoire »30. Le

Commissaire aux droits de l’Homme, dans un document thématique publié en 2010, avait déjà défini cette tendance comme « le recours à des sanctions pénales ou à des sanctions administratives qui équivalent à des sanctions pénales (comme la rétention administrative) en matière de contrôle des frontières et de maîtrise de l’immigration » 31. Dans ce même

rapport, l’auteur soulignait que ce sujet, en raison de ses implications en termes de droits

« qualifications » 2011/95/UE; Directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte). La présente n’est pas une liste exhaustive de toutes les normes européennes en matière migratoire.

30 Valsamis MITSILEGAS, The criminalisation of migration in Europe : challenges for human rights

and the rule of law, Cham, Springer, 2015, p. 1.

31 Commissaire aux Droits de l’Homme - La criminalisation des migrations en Europe : quelles

incidences pour les droits de l’homme ? Document thématique par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, en ligne : <https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?p=&id=1579823&direct=true> (consulté le 23 avril 2017).

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fondamentaux, devenait depuis quelque temps une source de préoccupation supplémentaire dans la doctrine32.

Au long de cette étude, nous mettrons aussi en exergue le fait que les mesures répressives adoptées dans la plupart des États membres de l’UE en réponse aux migrations sont en contraste avec les valeurs européennes et les principes généraux de droit33 dégagés

par la CJUE en la matière. En effet, la superposition de la matière pénale au droit de l’immigration est source de nombreuses inquiétudes dans la doctrine.

Le professeur Olivier Delas, dans l’un de ses articles, affirme sur ce point que les réponses fragmentées et symptomatiques de l’Union européenne aux questions liées aux migrations irrégulières donnent vie à « une politique d'immigration se résumant à une politique de lutte contre l'immigration irrégulière » 34. Cela est dû, premièrement à

l’assimilation simpliste qui peut être faite entre le ressortissant d’un pays tiers et le criminel potentiel35. En ce sens, la sémantique de la terminologie utilisée dans les textes de loi est

déterminante36. En deuxième lieu, l’approche répressive aux migrations pose un problème

quant au respect des droits fondamentaux des ressortissants des pays tiers, qui risquent d’être

32 Lee M, « Human trade and the criminalization of irregular migration », (2005) 33-1 Int. J. Sociol.

Law 1‑15, 33; Elspeth GUILD et Paul MINDERHOU, « Immigration and Criminal Law in the European Union: The Legal Measures and Social Consequences of Criminal Law in Member States on Trafficking and Smuggling in Human Beings », (2007) 19-4 Int J Refugee Law 771‑776, DOI : 10.1093/ijrl/eem062; Anneliese BALDACCINI, Elspeth GUILD et Helen TONER, « Whose Freedom, Security and Justice? », Bloomsbury Publishing, p. 301‑336, en ligne : <http://www.bloomsbury.com/au/whose-freedom-security-and-justice-9781841136844/> (consulté le 23 avril 2017).

33 Voir infra, Titre 2, Chapitre 1.

34 Olivier DELAS, « L’Union européenne et la crise des migrants : crise des migrants ou crise de la politique d’immigration de l’Union européenne? », dans Mitch ROBINSON et al., Réciprocité et

universalité: sources et régimes du droit international et des droits de l’homme : mélanges en l’honneur du Professeur Emmanuel Decaux., Paris, Éditions Pedone, 2017 à la page 814.

35 Supra, Introduction générale, Section 1, §1, lettre C.

36 Idil ATAK, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière et les droits humains : une

étude des politiques de renvois forcés en France, au Royaume-Uni et en Turquie, Bruxelles, Bruylant,

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fortement limités par les dispositions répressives à caractère pénal. Enfin, cette pratique répressive se concilie difficilement avec les exigences d’ouverture et d’impartialité envers les requêtes de protection internationale des demandeurs d’asile.

Nous pouvons, dès maintenant, identifier trois raisons pour lesquelles l’action de la CJUE est au centre de cette étude : i) depuis le Traité d’Amsterdam et après le Traité de Lisbonne, la Cour a pleine compétence pour se prononcer sur les matières de l’ancien troisième pilier (JAI), ainsi qu’en matière d’immigration, d’asile et de gestion des frontières; ii) Le mécanisme du renvoi préjudiciel, renforcé par la procédure d’urgence prévue par l’article 23-bis du statut de la Cour, permet une liaison directe entre juridictions nationales et européennes, relais fondamental pour l’application des droits fondamentaux; iii) Grâce à son action, la Cour joue un rôle prépondérant dans la création de l’ordre juridique européen37.

B. L’importance du dialogue entre CJUE et juges nationaux

Grâce au mécanisme du renvoi préjudiciel, prévu par le Traité sur le fonctionnement

de l’Union européenne (ci-après TFUE), à l’article 26738, la Cour de justice de l’UE est saisie

en validité ou en interprétation par les juges nationaux afin d’interpréter le droit de l’Union et, indirectement, pour vérifier la compatibilité du droit national applicable au cas d’espèce

37 C

OURT OF JUSTICE OF THE EUROPEAN UNION (dir.), The Court of Justice and the Construction of

Europe: Analyses and Perspectives on Sixty Years of Case-law - La Cour de Justice et la Construction de l’Europe: Analyses et Perspectives de Soixante Ans de Jurisprudence, The Hague, The

Netherlands, T. M. C. Asser Press, 2013, p. 3.

38 Article 267 TFUE (ex-article 234 TCE) : « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel: a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais ».

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avec les traités, ou encore, avec les directives ou les règlements de l’UE. À travers ce dialogue entre juridictions, basé sur le contentieux en matière d’immigration - qui passe souvent par les biais des procès pénaux (ou administratifs) nationaux -, les niveaux des garanties assurés aux ressortissants de pays tiers sont souvent rétablis à la hausse par la Cour. Parfois, nous assistons à une véritable opération d’harmonisation des réponses juridiques offertes en matière d’immigration, qui se réalise par la voie prétorienne, au fil de la jurisprudence de la CJUE.

Cette recherche vise donc à offrir une analyse d’impact de l’action de la Cour de justice de l’Union européenne dans les systèmes nationaux de justice répressive en matière d’immigration irrégulière, en regardant, notamment, les interactions entre l’ordre juridique européen et les systèmes nationaux. En effet, depuis le Traité de Lisbonne, l’immigration et l’asile figurent parmi les compétences partagées entre l’UE et ses pays membres, et la matière migratoire représente un chaînon fondamental pour la construction d’une mosaïque européenne harmonieuse et cohérente.

L’accent sera mis sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et sur les impulsions de changement que ses arrêts produisent dans les systèmes nationaux, grâce aux réponses offertes aux questions préjudicielles et, parfois, dans le même ordre juridique européen, par le biais du recours en annulation prévu à l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

S

ECTION

2 :

L

ES LIMITES ET LA MÉTHODE DE LA RECHERCHE

La protection des droits fondamentaux des personnes migrantes en condition irrégulière en Europe soulève un nombre toujours croissant de questions, qui font d’ailleurs l’objet d’études remarquables tant sociologiques que juridiques. La présente recherche, qui se veut pleinement fondée en droit, est encadrée par des choix méthodologiques précis et affirme sa validité tout en étant consciente des limites qui la caractérisent. Avant d’aborder plus en détail la méthode qui guide cette étude (§3) et le cadre théorique de référence (§2), il

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est opportun d’orienter le regard critique du lecteur en mettant en exergue les aspects qui resteront nécessairement en dehors du champ d’analyse de cette recherche, n’étant pas en lien direct avec l’objet d’étude (§1).

LES ÉLÉMENTS QUI DÉFINISSENT L’ÉTENDUE DE L’ÉTUDE

La validité d’une étude se mesure, en bonne partie, par la prise en compte des limites qui la caractérisent. Le nombre de questions qui peuvent être abordées de façon approfondie et exhaustive est forcément limité et la pertinence de ces dernières est en lien avec l’étendue de l’analyse. Nous pouvons, ainsi, identifier trois limites qui aident à définir cette recherche : la première est une limite d’ordre géographique et politique (A), la deuxième touche la distance avec la technique du droit comparé (B), et la troisième concerne le dynamisme de l’évolution du sujet et son impact sur l’exhaustivité de l’étude (C).

A. Limites géographiques

La dimension globale du phénomène migratoire pourrait facilement mener à la conclusion selon laquelle une réflexion tout aussi « globale » et omni-compréhensive s’impose à chaque fois que ce sujet est abordé. Cependant, la péculiarité du raisonnement analytique est celle de fractionner une problématique complexe pour mieux en aborder chaque composante, la considérer individuellement et dans le respect de ses spécificités.

Suivant cette méthode analytique, nous avons choisi de nous concentrer sur l’action de la CJUE en matière de protection des droits fondamentaux des personnes migrantes en condition irrégulière. Dès lors, l’UE représente la zone géographique sur laquelle se concentre majoritairement cette étude, le territoire de l’Union étant la zone sur laquelle la Cour exerce sa juridiction.

L’UE est une union politique dont les « frontières » dépassent la simple somme des territoires de ses États membres. La CJUE exerce donc sa juridiction, aussi, sur les pays qui,

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n’étant pas membres de l’UE, font néanmoins partie de l’ELSJ, et les impacts de sa juridiction peuvent avoir une résonance parfois extraterritoriale.

Les limites géographiques de la présente étude calquent ainsi les limites de l’action de la CJUE, ces dernières gardant des contours parfois flous tout en étant majoritairement concentrées sur le territoire de l’UE. Pourtant, toutes les questions touchant la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes auxquelles le droit de l’UE ne peut s’appliquer de façon directe ou indirecte resteront exclues de l’analyse dans les prochaines pages.

L’action externe de l’UE et sa capacité à conclure des accords avec des pays tiers en matière migratoire seront prises en compte, notamment dans la première partie de ce travail, ce qui nous permettra de mettre en relief aussi les limites de l’action de la CJUE dans la protection des droits fondamentaux des migrants dues parfois aux incongruences du droit de l’UE et de l’initiative des États membres.

B. La nature non comparative de la recherche

Le sujet choisi sera abordé à partir d’une perspective qu’autrefois nous aurions pu définir de « communautaire ». En d’autres termes, la perspective de l’UE demeure le point de vue privilégié duquel seront analysés les enjeux liés à la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes.

Une autre façon d’apprécier la mesure de l’action de la CJUE dans ce domaine aurait été celle d’une analyse de l’impact de sa jurisprudence dans chacun des ordres juridiques nationaux qui composent l’UE. Tout en reconnaissant la validité d’une telle approche, nous ne pouvons que constater qu’elle ne nous permettrait pas d’atteindre les objectifs que ce travail vise. Il est donc opportun de clarifier qu’il ne s’agira pas d’un travail comparatif, le but étant de montrer les points de force et les faiblesses de l’action de la CJUE en relation à l’application du droit de l’UE.

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Des références à des situations internes aux pays membres seront faites seulement dans la mesure où ces dernières ont fait l’objet d’arrêts ou d’ordonnances de la Cour. L’intérêt poursuivi sera donc toujours celui de montrer la contribution de la jurisprudence de la CJUE à l’évolution - ou à l’inertie - du droit de l’UE en matière de protection des droits fondamentaux des personnes migrantes en condition irrégulière.

C. Limites chronologiques

Le contentieux en matière de répression des migrations devant la CJUE est en croissance continue. Il s’agit d’un domaine très dynamique, dans lequel la production jurisprudentielle de la Cour est constante et très abondante.

Ceci nous force à fixer une limite chronologique à notre recherche : seront pris en compte les principaux arrêts ou ordonnances de la CJUE publiés avant le 20 juillet 2020.

Si, d’un côté, cette dernière limite a un impact sur l’actualité de la recherche, de l’autre, elle représente un barème fondamental pour le lecteur capable d’en mitiger les attentes. La validité des réflexions et des analyses développées tout au long de cette étude ne sera ainsi pas remise en discussion, car il ne s’agit pas ici d’une chronique de la jurisprudence récente de la CJUE, mais d’une recherche ayant un horizon large et un regard profond sur la place de l’action interprétative de la Cour face à la répression des migrations dans l’UE.

LE CADRE CONCEPTUEL

Afin de permettre la compréhension du choix d’un sujet aussi spécifique, il est opportun de définir la portée des notions qui sauront fonder et orienter notre analyse tout au long de cette étude.

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A. Crise migratoire, crise de la politique migratoire européenne et pas « crise des migrants »

Les chiffres des dernières années concernant l’immigration et, plus largement, la gestion des frontières extérieures de l’UE sont assez éloquents. L’année 2015 est entrée dans l’histoire pour ses tristes records : plus de 50 millions de ressortissants de pays tiers ont traversé les frontières de l’Union et, outre ce flux de voyageurs réguliers, « le conflit en Syrie et les crises en d’autres endroits ont entrainé 1,8 millions de franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Europe » 39 .

La « déclaration » entre l’Union Européenne et la Turquie, signée le 18 mars 201640,

a déterminé une réduction significative des flux en provenance de la route de la Méditerranée orientale (environ 98%)41. Cependant, bien qu’au niveau quantitatif les résultats puissent

nous sembler encourageants, cette mesure, qui cible aveuglément les symptômes de la crise, n’a pas touché aux causes profondes, entraînant donc une réorientation des flux de migrants vers la Méditerranée centrale.

Les naufrages hélas récurrents de bateaux, toujours plus petits et plus bondés de migrants, et les abus souvent mortels des passeurs nous convertissent en tristes témoins de la dangerosité de cette voie qui vise notamment les côtes italiennes à partir de la Libye. L’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), à travers son portail en ligne constamment mis à jour, nous informe que 2 655 migrants ont perdu la vie en 2017 dans la

39 Commission européenne, « Discussion sur le futur cadre en faveur de systèmes d’information plus robustes et intelligentes au service de la gestion des frontières extérieures et de la sécurité intérieure », communiqué de presse n° P/16/1248 2016, Bruxelles, le 6 avril 2016.

40 Conseil européen, « Déclaration UE-Turquie », communiqué de presse n°144/16, le 18 mars 2016. 41 Commission européenne, « Taking action on the Central Mediterranean route. Managing flows, saving lives », document de synthèse du Sommet de Malte du 3 février 2017 : « Les arrivées sont passées de 10.000 par jour en octobre 2015 à environ 80 par jour jusqu’à out 2016. Cependant les flux se sont réorientés vers le centre de la méditerranée, notamment vers l’Italie qui est donc devenue la voie principale d’accès au continent européen pour les migrants dont on enregistre une augmentation du 15% des passages en 2016 (181.000 personnes) par rapport à l’année précédente (154.000 personnes en 2015) ».

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périlleuse traversée de la mer Méditerranée, 1962 personnes sont mortes en 2018 dans la même tentative, et encore 1264 en 2019, puis 600 de janvier à octobre 202042.

Forts de ces constats, nous réfutons l’emploi de l’expression « crise des migrants » pour un double ordre de motifs. Premièrement, car le mot « crise » est un mot inapproprié à la situation actuelle qui, loin d’être apparue de façon soudaine et inattendue, est en revanche la conséquence logique d’évènements prévisibles aux impacts atténuables. Deuxièmement, pour le lien indissociable, rappelé plus haut43, entre la nature humaine et le phénomène

migratoire. L’être humain est un être migrant de par sa nature. Toute civilisation s’est développée grâce au courage (parfois la folie) d’hommes et de femmes qui ont osé quitter leurs lieux d’origine – par choix ou par nécessité - en recherche de quelque chose de diffèrent, quelque chose de meilleur pour eux-mêmes et pour leurs enfants44.

Par conséquent, nous partons du postulat selon lequel le mot « crise » - souvent abusé dans le langage journalistique – ne peut pas se référer aux migrants. S’il y a une crise, c’est bien la « crise de la politique migratoire européenne ». Aujourd’hui encore, il est difficile d’identifier une véritable « politique migratoire » de l’UE. Cette grande absente est enfin apparue très récemment - et dans des formes hybrides - dans les agendas du Conseil et de la Commission européenne.

42 Organisation internationale pour les Migrations (OIM), « Missing Migrants », en ligne : <https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean/> (consulté le 12 octobre 2020).

43 Voir supra, Introduction générale, Section 1, § 1, lettre A.

44 Cette étude est le fruit de recherches faites en collaboration entre deux universités situées des deux côtés de l’Atlantique, ceci rend légitime de « banaliser » pour un instant et volontairement les enjeux liés à la migration, et de s’interroger ainsi sur la question suivante : qu’en serait-il de l’art, de la musique, de la gastronomie, des sciences, si quelqu’un - gendarme ou organisation internationale - aurait empêché Christophe Colomb de quitter l’Espagne ou les tomates américaines de rentrer en Italie?

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B. Le statut juridique du migrant en condition irrégulière

La vue d’ensemble sur le droit de l’Union européenne et les compétences partagées en matière d’immigration nous aident à mieux comprendre que le statut juridique du migrant en condition irrégulière est le fruit d’une discipline normative complexe. Les lacunes encore très présentes, tant au niveau européen qu’au niveau international, peuvent aisément ouvrir la voie à l’adoption d’actes inspirés plus par la quête de sécurité que par le respect des droits fondamentaux.

Autour du mot « migrant », il y a, dans le discours juridique et politique, une constellation de définitions les plus différentes les unes des autres. L’OIM affirme clairement que : « [a]u niveau international, il n'existe pas de définition universellement acceptée du terme “migrant ”car en effet chaque définition est accompagnée par un jugement de valeur qui en définit les contours selon le contexte dans lequel il est utilisé » 45.

Dans les documents officiels de l’Union Européenne, les actes législatifs, les arrêts de la Cour ou les communiqués de presse, le terme le plus utilisé est celui de « ressortissant de pays tiers » et, selon le glossaire de l’UE présent dans le portail européen sur l’immigration, le mot « migrant » est un « terme plus large que celui d'immigrant ou

45 L’ OIM, dans son Glossaire de la migration, Glossaire de la migration, Droit international de la migration, Genève, 2007, no. 9, p. 45, nous fournit une définition partielle en disant que : « ce terme s’applique habituellement lorsque la décision d’émigrer est prise librement par l’individu concerné, pour des raisons “de convenance personnelle” et sans intervention d’un facteur contraignant externe. Ce terme s’applique donc aux personnes se déplaçant vers un autre pays ou une autre région aux fins d’améliorer leurs conditions matérielles et sociales, leurs perspectives d’avenir ou celles de leur famille ». Il est intéressant de faire la lecture de ce même terme tel que défini par le Conseil Canadien pour les réfugiés (dans son document À propos des réfugiés et des immigrants : Un glossaire terminologique, disponible en ligne : <http://ccrweb.ca/sites/ccrweb.ca/files/static-files/glossaire.PDF>) qui, en complément de la définition de l’OIM, affirme que «l’on applique le plus souvent [le terme migrant] à ceux qui se trouvent au bas de l’échelle sur le plan économique. Par exemple, c’est rare que l’on entende parler d’un homme d’affaires migrant ». Il faut aussi remarquer qu’au niveau du Conseil de l’Europe, l’unique encadrement juridique du statut du migrant a une portée économique et l’on retrouve dans la convention STCE 93 du 24.11.1977 Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant.

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d'émigrant qui font référence à une personne qui se déplace d'un pays ou d'une région à un(e) autre pour s'y établir » 46.

Aux fins de l’étude en objet, le choix est d’adopter le niveau sémantique le plus simple de ce mot. Au vu de la grammaire, « migrant » est avant tout un adjectif qui qualifie un nom (parfois sous-entendu, voire oublié) : la personne humaine. La personne migrante est donc le véritable sujet, aussi sur le plan juridique, des droits et des obligations nationales et internationales. Elle est le véritable destinataire à la fois des garanties fondamentales et des normes criminalisantes qui feront l’objet de cette thèse.

Naturellement, ayant pour objet les mesures prises envers les personnes qui rentrent ou séjournent sur le territoire européen à l’extérieur du cadre légal, nous ajouterons à cette définition générique de migrants la connotation « irréguliers » et, dans cette direction, nous rejoignons la position de Jean Yves Carlier, selon qui « un étranger, qui ne remplit pas les conditions nécessaires à l’une de ces formes d’immigration de droit que sont l’asile, le regroupement familial, le statut d’étudiant ou aux formes d’immigration économiques autorisées par un État, sera un migrant irrégulier»47.

Ainsi, nous considérons la condition du migrant comme celui, dépourvu d’un titre de séjour valide, qui arrive matériellement à franchir les frontières de l’UE, que ce soit pour y demander une protection internationale ou pour des raisons familiales ou, tout simplement, dans le but d’améliorer ses conditions de vie.

Au niveau philosophique, les migrations représentent un phénomène dans l’acception kantienne. Elles se présentent à nous comme une manifestation de la réalité, un fait qui existe

46 Commission européenne, « Glossaire de l’UE », en ligne : <http://ec.europa.eu/immigration/glossaire_fr#glosM>.

47 Jean Yves CARLIER, Les conditions des personnes dans l’Union européenne, Larcier, Bruxelles, 2012, p. 174; Jean Yves CARLIER, « Quelles Europes et quel(s) droit(s) pour quels migrants irréguliers », dans Stéphane Leclerc (dir), Europe(s), Droit(s)et migrant irrégulier, Bruylant, Bruxelles, 2012 à la page Introduction générale.

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en tant qu’objet de la connaissance48. Elles sont visibles à tous, et chacun ne peut les

comprendre qu’à travers ses propres références culturelles49. Avant de courir le risque de

tomber dans le relativisme gnoséologique, il faut tout simplement se pencher sur la nature des migrations qui consiste en le déplacement d’une personne, groupe ou peuple, d’un pays (ou région) vers un autre.

Dans le cadre de cette étude, nous inclurons au terme « migration » le concept de franchissement de frontières. Nous irons notamment regarder les hypothèses de migration vers les territoires de l’UE et, plus largement, vers l’espace de liberté, de sécurité et de justice; les frontières en question seront donc les frontières de l’espace Schengen.

C. « Répression » et « criminalisation » des migrations

Conscients de l’importance que le choix linguistique occupe dans une étude juridique, nous avons choisi d’utiliser dans le titre le terme « répression » plutôt que « criminalisation » des migrations irrégulières. Ceci est dû au fait que cette dernière expression évoque directement la matière pénale et, donc, se prête mal à une analyse exhaustive du phénomène. En fait, les actes ayant nature de sanction pénale tout court sont, dans la pratique, assez rares en matière migratoire, alors que les législateurs nationaux privilégient des mesures ayant une portée répressive au sens large, souvent de nature administrative.

Dès lors, ce choix nous permet d’élargir le champ d’analyse et d’aller bien au-delà des mesures qui intègrent tous les éléments constitutifs de l’infraction pénale, arrivant à toucher aussi bien les actes administratifs que les décisions des autorités compétentes des

48 Selon Emmanuel KANT, Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, 1990. La lecture de cet illustre philosophe nous rappelle que, généralement, l’objet de connaissance, manifesté comme au travers du phénomène, est en réalité différent de l’objet en soi. Il nécessite donc un effort intellectuel complémentaire afin d’atteindre une pleine compréhension.

49 Les différents propos avancés par les politiques, parfois extrémistes dans un sens comme dans l’autre, en sont un témoignage.

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États membres qui participent au contentieux en matière de répression des migrations devant la Cour de justice de l’Union Européenne.

Néanmoins, le titre 2 de la deuxième partie de ce travail sera consacré plus spécifiquement à la dimension interne de la répression des migrations, entraînant ainsi des considérations et des analyses sur la pratique de la « criminalisation des migrations »50.

D. La place des droits fondamentaux

La discipline multi-niveaux qui caractérise les droits fondamentaux au niveau européen trouve sa place, en bonne partie, dans l’espace normatif où les compétences de l’UE et des États membres se chevauchent. Dans cet espace rempli de vide, la Charte des droits

fondamentaux de l’UE joue un rôle très important, renforcé par l’interprétation de la CJUE51.

50 Voir, infra, Partie II, Titre 2, Chapitre 2.

51 La doctrine s’est largement penchée sur la portée novatrice de certaines décisions réce ntes, notamment à propos des arrêts Melloni C-399/11 et Akerberg Franssons C-617/10 CJUE. Antoine BAILLEUX, « Entre droits fondamentaux et intégration européenne, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne face à son destin », Revue trimestrielle des droits de l’Homme 2014.97, 235: « La Cour [de justice de l’Union européenne] semble y marquer sa préférence pour une lecture constitutionnelle, plutôt qu’intergouvernementale ou conventionnelle, du Bill of Rights de l’Union européenne ». L’auteur, dans cet article, et plus largement dans l’ouvrage Antoine BAILLEUX et Hugues DUMONT, Le pacte constitutionnel européen, 1, Bruxelles, 2015 soutienne la thèse d’une Union européenne fédération plurinationale fondée sur un pacte constitutionnel. À cette approche modérée quant au champ d’application des droits fondamentaux au niveau national, d’autres auteurs s’associent, voir: Sébastien PLATON, L’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne aux États membres. Retour sur l’arrêt Fransson de la Cour de justice du 26 février 2013,

coll. Mélanges en l’honneur de François Hervouet, Poitiers, Presses de l’Université de Poitiers, 2015, p. 402« [La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne] n’en deviendrait pas pour autant un standard fédéral, puisque le champ d’application du droit de l’Union, et donc celui de la Charte, est encore loin de recouvrir exactement, du point de vue matériel, le champ d’application de l’ensemble des droits nationaux. Plus que fonctionnelle, mais moins que fédérale, la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne reflète donc la nature fondamentalement ambivalente de l’ Union européenne ».

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Une partie de la doctrine52 arrive à reconnaître un ordre hiérarchique des normes pour

dénouer les questions liées à l’applicabilité des droits fondamentaux, en utilisant le concept de multilevel constitutionalism53, très cher aux auteurs qui prônaient le projet de constitution

européenne qui a échoué en 2004, suite aux référendums français et néerlandais. Ce projet a plus récemment été repris dans le cadre de la réflexion concernant la polycrise54 que l’Union

se trouve à gérer depuis quelques années.

Dans un contexte si problématique de crise sociale évidente, la question migratoire et la répression des migrants en condition irrégulière mettent en exergue, sur le plan juridique, des enjeux d’importance capitale, et parfois de sens opposés. La quête de sécurité et de stabilité intérieure pour les citoyens européens se heurte alors à la nécessité de protection des droits fondamentaux des personnes migrantes en situation irrégulière.

Aux fins de cette étude, l’expression « droits fondamentaux » ne se limite pas aux droits protégés par les instruments conventionnels de droit international. Notre regard se posera sur les droits et les garanties particulièrement menacés par la pratique de la répression des migrations au niveau de l’UE et de ses pays membres.

52 Alessandra S

ILVEIRA, Mariana CANOTILHO et Pedro Madeira FROUFE, Citizenship and solidarity

in the European Union : from the charter of fundamental rights to the crisis, the state of the art,

Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2013, en ligne : <http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=a2345782>; Matej AVBELJ et Jan KOMÁREK, Constitutional Pluralism in the

European Union and Beyond, Hart Publishing, Oxford, 2012; Ingolf PERNICE, « Multilevel Constitutionalism and the Crisis of Democracy in Europe », (2015) 11-3 European Constitutional

Law Review 541‑562.

53 Andrea PATRONI GRIFFI, « Europa e migranti », (2011) 2 Rassegna di diritto pubblico europeo, 3: « Lo statuto giuridico dei migranti é il frutto di una disciplina multilivello, espressione di quel più generale multilevel constitutionalism, che tocca un nervo assai sensibile degli stati di d emocrazia pluralista »; Ingolf PERNICE, « Multilevel Constitutionalism and the Crisis of Democracy in Europe », (2015) 11-3 European Constitutional Law Review 541‑562.

54 Jean-Claude JUNCKER, Speech by President Jean-Claude Juncker – EP Plenary session –

Conclusions of the European Council meeting of 17 and 18 December 2015, discours du président de

la Commission européenne prononcé le 19 janvier 2016 devant le Parlement européen, en ligne : <http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-16-112_en.htm,> (consulté le 12 mars 2017).

Figure

Figure 1 - source: Jean-Pierre Cassarino et Mariagiulia Giuffré, « Finding Its Place In Africa: Why has the EU  opted for flexible arrangements on readmission? » (2017) N

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