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Le 15 octobre 2015, la République de Turquie et l’UE ont convenu d’un plan d’action commun intitulé EU-Turkey Joint Action Plan, tendant à renforcer leur coopération en matière de soutien des ressortissants syriens bénéficiant d’une protection internationale temporaire et en matière de gestion migratoire, pour répondre à la crise créée par la situation en Syrie. Le Plan d’action commun prétendait répondre à la situation de crise en Syrie de trois manières, à savoir, premièrement, en traitant à la racine les causes conduisant à un exode massif de Syriens, deuxièmement, en apportant un soutien aux Syriens bénéficiant d’une protection internationale temporaire et à leurs communautés d’accueil en Turquie et, troisièmement, en renforçant la coopération en matière de prévention des flux de migration illégale en direction de l’Union.

Le 29 novembre 2015, les chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’Union se sont réunis avec leur homologue turc. À l’issue de cette rencontre, ils ont décidé d’activer le Plan d’action commun et, notamment, d’intensifier leur coopération active concernant les personnes migrantes qui n’avaient pas besoin d’une protection internationale. Le but de cette coopération était d’empêcher les personnes migrantes de se rendre dans les territoires de l’Union en passant par la Turquie. À cette fin, l’UE et la Turquie s’engageaient à appliquer les dispositions bilatérales qui avaient été établies en matière de réadmission, en renvoyant rapidement dans leurs pays d’origine les personnes migrantes qui n’avaient pas besoin d’une protection internationale.

331 CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NF c Conseil européen, affaire T-192/16 [non encore publié]; CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NG contre Conseil européen, affaire T-193/16 [non encore publié]; CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NM contre Conseil européen, affaire T-257/16, [non encore publié].

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Le 8 mars 2016, une déclaration des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union, publiée par les services conjoints du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne, indiquait que les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union s’étaient entretenus avec le premier ministre turc en ce qui concernait les relations entre l’Union et la République de Turquie et que des progrès avaient été réalisés dans la mise en œuvre du Plan

d’action commun. Lors de cette rencontre, qui a eu lieu le 7 mars 2016, ont été arrêtés les

points suivants :

Les chefs d’État ou de gouvernement se sont accordés à reconnaître que des mesures audacieuses devaient être prises pour fermer les routes empruntées par les passeurs, démanteler le modèle économique de ceux-ci, protéger [les] frontières extérieures [de l’Union] et mettre un terme à la crise migratoire en Europe. [Ils] se sont félicités vivement des propositions supplémentaires présentées ce jour par la [République de] Turquie pour remédier au problème migratoire. Ils ont convenu d’œuvrer sur la base des principes [suivants] :

– renvoyer tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques, les coûts encourus étant pris en charge par l’[Union] ; – procéder, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie au départ des îles grecques, à la réinstallation d’un autre Syrien de la Turquie vers les États membres de l’[Union], dans le cadre des engagements existants […];

Le président du Conseil européen approfondira ces propositions et en définira les modalités avec la [République de] Turquie avant le Conseil européen de mars […] Le présent document n’établit aucun nouvel engagement pour les États membres en matière de relocalisation et de réinstallation332.

Tel que présenté, le parcours qui a mené à l’adoption de la Déclaration

UE-Turquie nous permet déjà de voir que, sur le plan terminologique, il y a plusieurs ambiguïtés

remarquables. Ainsi, dans les textes qui précèdent la Déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, l’on lit clairement que les auteurs des négociations sont parfois indiqués comme « les chefs d’État et de gouvernement » et, d’autres fois, comme « les membres du Conseil européen », laissant dans l’incertitude le lecteur quant à la dynamique intergouvernementale ou communautaire souhaitée à la base de l’entente. Or, la déclaration du 18 mars 2016,

332 TribUE, Ordonnance, 28 fevrier 2017, NF c. Conseil européen, affaire T-192/16.Rec num, point 3.

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indique clairement que « l’UE et la Turquie ont décidé [...] de mettre fin à la migration irrégulière »333. Mais la question concernant l’auteur de l’acte, à savoir de déterminer s’il s’agit d’un acte de l’Union ou des États membres, est seulement l’un des nombreux points critiques de cette entente, amplement traitée, d’ailleurs, par le Tribunal.

L’importance de saisir les passages qui ont précédé la déclaration du 18 mars entre l’UE et la Turquie est confirmée par les liens que ces derniers ont avec les moyens soulevés par les requérants dans leurs recours en annulation présentés devant la CJUE. Les défenseurs de trois personnes migrantes, deux d’origine pakistanaise et une d’origine afghane, ont demandé au Juge de Luxembourg, dans trois procédures distinctes, l’annulation dudit « accord litigieux »334 en vertu de l’article 263 du TFUE. Nous allons donc analyser dans le détail les moyens proposés et les réponses offertes par la Cour de justice.

LA DÉCLARATION UE-TURQUIE À LÉPREUVE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

Le premier octobre 2014 a été signé un accord entre l’UE et la Turquie, qui réglemente la réadmission des personnes séjournant en condition irrégulière. Cet accord international a été négocié et conclu selon les procédures prévues par le titre V du TFUE et vise à suspendre les engagements en termes de réadmission, non seulement des citoyens des États membres de l’Union et des citoyens turcs, mais il contient aussi des dispositions – soumises à certaines conditions - pour la réadmission de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides qui ont transité par leurs territoires. La politique migratoire – tel qu’on l’a souvent

333 CONSEIL EUROPÉEN, COMMUNIQUÉ 144/16, Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016, en ligne : <http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/pdf> (consulté le 9 mars 2018).

334 CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NF c Conseil européen, affaire T-192/16 [non encore publié], point 14; CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NG contre Conseil européen, affaire T-193/16 [non encore publié], point 12; CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NM contre Conseil européen, affaire T-257/16, [non encore publié], point 14.

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rappelé – est une compétence partagée entre l’UE et ses États membres, et l’article 79 paragraphe 3 du TFUE octroie expressément à l’UE la faculté de conclure des accords avec les pays tiers en matière de réadmission de personnes séjournant en conditions irrégulières.

A. L’action timide de la CJUE dans affaire N.F. : occasion manquée pour la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes

À la fin du mois d’avril 2016, soit un mois à peine après la publication du

Communiqué de presse 144/16 par le Conseil de l’Union européenne, trois recours en

annulation ont été introduits devant le Tribunal de l’Union européenne. Les requêtes dans les affaires T-192/16 et T-257/16 indiquent qu'elles sont présentées au nom de personnes migrantes ressortissantes du Pakistan et résidant au « camp de réfugiés sans frontières », à Lesbos, en Grèce. La requête dans l'Affaire T-193/16 dispose qu'elle est présentée au nom d'un ressortissant afghan qui réside au « camp de réfugiés d’Onofiyta », à Athènes, en Grèce335.

Le raisonnement articulé de la CJUE n’aboutit pour autant à achever l’objectif que la plupart des citoyens européens attendait : trancher sur des questions juridiques fondamentales dont la solution aurait fait avancer à grands pas la création d’une véritable politique migratoire de l’UE. En fait, les juges de Luxembourg ont rejeté les recours en raison de l’incompétence du Tribunal à connaître l’acte attaqué. Cette décision a été ensuite confirmée lors du pourvoi devant la Cour de justice. Nombreuses questions d’importance capitale ont été abordées dans ces arrêts sans être néanmoins dénuées en profondeur, tel est la raison pour laquelle on parle d’occasion manquée par la CJUE de se prononcer fermement contre le recours aux pratiques de répression des migrations « avant l’entrée ».

335 Emilio DE CAPITANI, « Is the European Council responsible for the so-called “EU-Turkey Agreement” ? The issue is on the Court of Justice table… », European Area of Freedom Security &

Justice (7 juin 2016), en ligne :

<https://free-group.eu/2016/06/07/is-the-european-council-responsible-for-the-so-called-eu-turkey-agreement-the-issue-is-on-the-court-of-justice-table/> (consulté le 13 mars 2018).

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La reconnaissance de la Turquie comme « pays tiers sûr » (1), par exemple, n’est aucunement mise en discussion, alors que la notion d’« accord international » et l’identification de l’auteur de l’acte (2) font au contraire l’objet du raisonnement articulé de la CJUE sans que les conséquences attendues soient tirées. Enfin, parcourant les réflexions menées par les juges sur la « qualité des chefs d’État ou de gouvernement » lors des réunions dans les locaux du Conseil de l’Europe nous essayerons de retracer la véritable approche interprétative adoptée par la CJUE dans ces affaires (3).

La reconnaissance implicite de la Turquie comme « pays tiers sûr »

Sur le plan du droit international, il y a une question brûlante qui n’a pas été traitée par la Cour, mais qui continue à susciter les critiques les plus acerbes de la part des experts : il s’agit de la qualification – implicite – de la Turquie comme « pays tiers sûr »336. En effet, la jurisprudence européenne est amplement consolidée sur ce point. Les juges de Luxembourg ainsi que la Cour européenne de Strasbourg ont toujours exprimé, aussi par rapport à la Grèce, qu’il est impossible d’« ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de cette disposition »337.

336 Amnistie Internationale a déclaré : « Bien que les dirigeants européens entretiennent l’illusion que la Turquie est un pays sûr pour les réfugiés et les demandeurs d’asile, les tribunaux grecs ont toujours empêché jusqu’à présent le renvoi de demandeurs d’asile syriens en Turquie pour ce motif. », AMNESTY INTERNATIONAL, Accord UE-Turquie : la honte de l’Europe, 2017, en ligne : <https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/accord-ue-turquie--la-honte-de-leurope> (consulté le 9 mars 2018).

337 CJUE, Conclusions, 22 septembre 2011, Conclusions de l’Avocat Général Verica Trstenjak dans

l’affaire NS c Secretary of State for the Home Department et ME et autres c Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, affaires jointes 411/10 et

C-493/10, [2011] Rec UE.I‑13905. Ce passage des conclusions de l’Avocat général Trstenjak Verico, adopté intégralement dans l’arrêt rendu par la Grande Chambre le 21 décembre 2011, reprend la

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Cinq ans après ces décisions, à la suite des coupures dans les dépenses administratives dues aux mesures d’austérité imposées par Bruxelles au gouvernement d’Athènes et de la croissance exponentielle de la pression migratoire sur les frontières helléniques, rien ne pouvait laisser croire que les causes profondes des violations systémiques du droit d’asile se soient améliorées en Grèce. Pour cela, il a été reproché aux dirigeants européens d’avoir sous-estimé la portée réelle des enjeux juridiques liés à la déclaration du 18 mars 2016.

À ce propos, la principale pierre d’achoppement, remarquée aussi par le professeur Henri Labayle,

est de savoir comment interpréter la cinquième exigence de l’article 38 § 1er de la directive “procédures d’asile” 338 selon lequel les demandeurs d’asile concernés doivent, pour que le pays tiers en question puisse être considéré comme sûr, pouvoir, solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève339.

La Turquie, en effet, garde un statut sui generis à l’égard de la Convention de

Genève, en raison du fait qu’elle a posé des réserves d’ordre géographique à l’application des

garanties offertes aux réfugiés lors de la signature de ladite convention, les demandeurs d’asile non-européens ne pouvant réclamer qu’une protection temporaire aux autorités turques. La Commission européenne considère qu’une protection « équivalente » à la Convention de Genève suffit pour satisfaire à cette exigence. D’autres considèrent, au

décision de la Cour EDH dans MSS c Belgique et Grèce, I CEDH n° 30696/09, [2011].121, points 88-90.

338 UE, Directive (UE) 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des

normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, [2013] JO, L 180.

339 « L’accord Union européenne - Turquie : faux semblant ou marché de dupes ? », Groupe de

Recherche - Espace Liberté Sécurité Justice (23 mars 2016), en ligne :

<http://www.gdr-elsj.eu/2016/03/23/asile/laccord-union-europeenne-turquie-faux-semblant-ou-marche-de-dupes/> (consulté le 9 mars 2018).

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contraire, qu’une protection conforme à la Convention de Genève exige que ce soit bien le « statut » de réfugié, et tous les droits qui s’y rattachent, qui doivent être octroyés340.

La question de savoir si la Turquie est un pays tiers sûr reste encore ouverte. Si, d’un côté, les voix des juristes sont unanimes dans l’infirmation d’une telle reconnaissance, confortées par une jurisprudence internationale qui ne laisse pas de place à aucun doute raisonnable, d’autre part, les institutions européennes, la Commission en tête, restent de l’avis que le partenariat avec la Turquie est viable en vertu de la protection « équivalente » offerte par les autorités turques.

Toutefois, la CJUE, dans ses ordonnances, ne juge pas opportun de se pencher sur cet aspect, étant ceci un élément qui concerne le fond, et non la forme, de la question. En revanche, les juges du Tribunal abordent leur analyse à partir de la nature de l’acte : ils s’intéressent à comprendre s’il s’agit donc d’une simple déclaration de nature politique ou bien d’un véritable « accord de droit international » comme soutenu par les requérants.

La complexe identification de l’« auteur de l’acte »

À titre liminaire, le Tribunal est appelé à répondre à l’objection soulevée par le Conseil concernant son incompétence à connaître la validité de l’acte attaqué. Sur ce point, les juges, faisant référence à la jurisprudence consolidée de la Cour 341, dissipent tout doute

340 Ibid à la p 4 : « La différence de rédaction entre l’article 38 et l’article 39 [de la directive « procédures d’asile »] relatif aux pays tiers européens sûrs (communément qualifiés de pays « super sûrs ») qui exige littéralement la ratification de la Convention de Genève sans aucune limitation géographique et le respect de ses dispositions en pratique, accroît la difficulté d’interprétation ». 341 CJCE, Ordonnance, 13 janvier 1995, Olivier Roujansky c Conseil de l’Union européenne, affaire C-253/94 P, [1995] Rec CE.I‑00007, point 1; CJCE, Ordonnance, 13 janvier 1995, Jacques Bonnamy

c Conseil des Communautés européennes, affaire C-264/94 P, [1995] Rec CE.I‑00015, point 11;

CJUE, 27 novembre 2012, Thomas Pringle c Governement of Ireland e.a., affaire C‑370/12.Rec num, points 30-37.

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quant à la possibilité de connaître tout acte destiné à produire des effets juridiques342, « pour autant qu’il émane d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union »343. Tout de même, il ressort clairement de l’article 263 du TFUE que, advenant l’hypothèse où il s’agirait d’un acte des États membres, le juge de l’Union n’est pas compétent pour statuer sur la légalité d’un acte adopté par une autorité nationale344, ni d’un acte adopté par les représentants d’autorités nationales de plusieurs États membres agissant dans le cadre d’un comité prévu par un règlement de l’Union345, ni encore d’actes adoptés par les représentants des États membres, réunis physiquement dans l’enceinte de l’une des institutions de l’Union et agissant, non pas en qualité de membres du Conseil ou de membres du Conseil européen, mais en leur qualité de chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’UE346.

Quant à la nature de l’acte, le Conseil défend la position selon laquelle il s’agirait d’une simple « déclaration politique », un document non contraignant synthétisant les volontés des chefs d’États européens et turc s’étant rencontrés les 18 mars 2016 à Bruxelles. Les arguments avancés par les requérants nous semblent bien plus solides, se

342 « À cet égard, la circonstance que l’existence d’un acte destiné à produir des effets juridiques à l’égard des tiers ait été révélée par la voie d’un communiqué de presse ou qu’il ait pris la forme d’une déclaration ne fait pas obstacle à la possibilité de constater l’existence d’un tel acte, ni, partant, à la compétence du juge de l’Union pour contrôler la légalité d’un tel acte au titre de l’article 263 TFUE », TribUE, Ordonnance, 28 fevrier 2017, NF c. Conseil européen, affaire T-192/16.Rec num, point 42. 343 Voir, en ce sens, CJCE, 30 juin 1993, Parlement européen c Conseil des Communautés

européennes et Commission des Communautés européennes, affaires jointes C-181/91 et C-248/91,

[1993] Rec CE.I‑03685, point 14.

344 CJCE, 12 novembre 1969, Erich Stauder contre Ville d’Ulm - Sozialamt., affaire C-29/69, [1969] Rec CE.I‑00419, point 9; CJCE, 15 décembre 1999, Kesko Oy c Commission des Communautés

européennes, affaire T-22/97, [1999] Rec CE.II‑03775, point 83.

345 Voir, en ce sens, CJUE, 17 septembre 2014, Liivimaa Lihaveis MTÜ c Eesti-Läti programmi

2007-2013 Seirekomitee, affaire C‑562/12.Rec num, point 51.

346 CJCE, 30 juin 1993, Parlement européen c Conseil des Communautés européennes et Commission

des Communautés européennes, affaires jointes C-181/91 et C-248/91, [1993] Rec CE.I‑03685, point

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basant, tout d’abord, sur l’analyse de la terminologie utilisée dans la Déclaration, « telle que diffusée au moyen du communiqué de presse n° 144/16 »347, notamment

la circonstance que celle-ci, d’une part, fait référence au fait que l’« UE » et la République de Turquie « se sont entendues » sur certains points d’action complémentaire, « ont décidé » et « reconfirmé » certains aspects et, d’autre part, énonce des obligations spécifiques acceptées par chacune des parties, ce qui corroborerait l’existence d’un accord juridiquement contraignant348.

Dans l’ordonnance dans l’Affaire T-257/16, le défenseur de la personne migrante d’origine pakistanaise pousse le raisonnement encore plus loin, misant sur le fait que le contexte dans lequel la déclaration a été faite était propice à son application grâce à une contribution active de la part de la Commission européenne :

Par ailleurs, s’agissant des explications de la Commission relatives à l’existence d’un cadre législatif et réglementaire permettant déjà le financement des opérations de retour, lequel constituait un point d’action complémentaire visé dans la déclaration UE-Turquie, le requérant estime que cela suggère que ce qu’il qualifie d’« accord litigieux » a été conclu dans un contexte permettant sa mise en œuvre, ce qui renforcerait la capacité dudit « accord litigieux » à produire des effets juridiques349.

Les requérants, dans les trois ordonnances, arrivent à affirmer que la participation active de la Commission et du Conseil européen témoignerait que l’acte attaqué (l’« accord litigieux ») « revêt en réalité la nature d’un traité international »350. Ils prennent aussi en compte la qualité des membres du Conseil en tant qu’auteurs de l’acte. Les requérants font ensuite valoir que les États membres de l’Union auraient agi collectivement

347 TribUE, Ordonnance, 28 fevrier 2017, NF c. Conseil européen, affaire T-192/16.Rec num, point 41.

348 Ibidem.

349 Concernant le recours en annulation contre la Déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016: CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NM contre Conseil européen, affaire T-257/16, [non encore publié], point 40.

350 Ibid, point 39. Les ordonnances T-25716 et T-193/16 indiquent que « l’emploi du terme anglais « agree » (qui signifierait « décidé ») permet de constater qu’il s’agit d’un accord destiné à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ». CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NM contre Conseil

européen, affaire T-257/16, [non encore publié], point 31; CJUE, Ordonnance, 28 février 2017, NG contre Conseil européen, affaire T-193/16 [non encore publié], point 30.

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à l’intérieur de ladite institution et qu’ils n’auraient pas exercé de compétences nationales en dehors du cadre institutionnel de l’Union. Et, en dernier, ils remarquent un point fondamental concernant le droit dérivé, contestant la position avancée par le Conseil, à savoir que « les membres de cette institution ont, en l’espèce, agi en leur qualité de représentants de leurs gouvernements ou États, et »351, qu’en même temps, « les États membres ont ainsi pu agir au nom de l’Union en la liant à un État tiers »352 avec un accord qui « serait contraire aux normes prévues dans le droit dérivé de l’Union applicable en matière d’asile »353.

Le Tribunal, en revanche, accueille la totalité des arguments avancés par le Conseil. Les juges soulignent, notamment, l’importance du fait qu’aux deux réunions qui ont précédé la rencontre du 18 mars 2016, « qui ont eu lieu, respectivement, le 29 novembre 2015 et le 7 mars 2016, les représentants des États membres ont participé à ces réunions en leur