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Les faits de l’affaire Jafari170, citée auparavant171, portent sur les vicissitudes de deux femmes afghanes qui ont quitté leur pays avec leurs enfants, puis qui ont voyagé à travers l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’ancienne République yougoslave de Macédoine et la Serbie. Elles ont, enfin, franchi la frontière externe de l’Union en Croatie en 2016. Les autorités croates ont organisé leur transport, en autobus, jusqu’à la frontière slovène. Ensuite, les autorités slovènes leur ont remis des documents de police indiquant que leur destination de voyage était, pour l’une d’entre elles, l’Allemagne et, pour l’autre, l’Autriche. Une fois en Autriche, les deux femmes ont introduit des demandes de protection internationale, pour elles-mêmes et pour leurs enfants.

Le refus des autorités autrichiennes à traiter ces demandes ainsi que leur décision de renvoyer les deux femmes et leurs enfants en Croatie172, en tant que pays

170 CJUE, 26 juillet 2017, affaire C-646/16, Jafari, Rec. Num. 171 Voy Supra, §56.

172 CJUE, 26 juillet 2017, affaire C-646/16, Jafari, Rec. Num, point 33.« Le 5 septembre 2016, l’office autrichien pour le droit des étrangers et le droit d’asile a déclaré les demandes de protection internationale introduites par Mmes Jafari irrecevables, a ordonné l’éloignement de celles-ci ainsi que de leurs enfants et a constaté que leur renvoi vers la Croatie était licite. Ces décisions étaient fondées sur le fait que les ressortissants de pays tiers concernés seraient entrés irrégulièrement en Grèce et en Croatie et que leur transfert vers la Grèce serait exclu en raison de défaillances systémiques dans la procédure d’asile dans cet État membre ». Cela est le fruit d’une jurisprudence consolidé, à la fois de la Cour européenne des droits de l’homme, avec l’arrêt MSS c Belgique et Grèce, I CEDH n° 30696/09, [2011].121., et de la CJUE avec la jurisprudence CJUE, 21 décembre 2011, NS c Secretary

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compétent à traiter ces demandes173, ont donné la possibilité à la CJUE de se prononcer en voie préjudicielle174 sur deux notions juridiques fondamentales : la notion de « visa » et celle de « franchissement des frontières ».

La notion de visa a été récemment clarifiée par la CJUE dans l’affaire

Jafari175. Pour le Juge de Luxembourg, il s’agit d’une « autorisation ou [d’]une décision d’un État membre » qui est « exigée en vue du transit ou de l’entrée sur le territoire de cet État membre ou de plusieurs États membres »176. Donc, au vu de l’ensemble de ces éléments, l’octroi d’un permis d’entrée qui légitime la présence temporaire sur le territoire d’un État membre, le cas échéant visant le simple transit sur le territoire de l’État membre concerné, ne constitue pas un « visa », au sens de l’article 12 du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 2, sous m), du même règlement177.

of State for the Home Department et ME et autres c Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, affaires jointes C-411/10 et C-493/10, [2011] Rec UE.I‑13905..

173 L’office fédéral autrichien pour le droit des étrangers et le droit d’asile a indiqué à ces dernières qu’en application de l’article 22, paragraphe 7, du règlement Dublin III (UE, Règlement (UE)

2013/604 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), JO L 180/31, 26.06.2013.), la responsabilité de l’examen des demandes de

protection internationale introduites par Mmes Jafari et leurs enfants incombait désormais à la République de Croatie.

174 La Cour de Justice de l’Union européenne a été saisie de deux renvois préjudiciels par le Vrohvno sodišče (Slovaquie) le 28.10.2016 et le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) le 3.02.2017.

175 Il s’agissait de comprendre si les documents de police délivrés par les autorité croates et slovè nes qui permettaient le transit sur leurs territoires respectifs étaient des visas au sens du règlement Dublin III.

176 CJUE, 26 juillet 2017, affaire C-646/16, Jafari, Rec. Num, point 48. : « (..)Il découle donc des termes mêmes employés par le législateur de l’Union que, d’une part, la notion de visa renvoie à un acte adopté formellement par une administration nationale, et non à une simple tolérance, et que, d’autre part, le visa ne se confond pas avec l’admission sur le territoire d’un État membre, puisque le visa est justement exigé en vue de permettre cette admission. ».

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La CJUE précise aussi que « la circonstance que l’admission sur le territoire de l’État membre considéré intervienne dans une situation caractérisée par l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale n’est pas de nature à modifier cette conclusion »178. La distinction est faite, donc, entre un « visa » au sens de l’article 12 du règlement Dublin III et un simple document de police, expression de la volonté de l’État membre de première entrée de tolérer le transit du migrant dans son territoire.

Saisir, sur le plan juridique, une telle distinction n’est pas un exercice facile, mais nous pouvons repérer comme clés de lecture la spécificité de la situation caractérisée par l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers souhaitant obtenir une protection internationale.

La distance entre barrières juridiques et frontières physiques existe alors aussi sur les territoires des États membres. Avant de nous pencher, dans les pages qui suivent, sur l’anticipation du contrôle dans une dimension extraterritoriale179, il s’agit ici de dénouer un, autre passage fondamental concernant la notion de « franchissement irrégulier ».

À la lumière des motivations de l’arrêt Jafari le « franchissement » des frontières de l’espace Schengen peut, en effet, être considéré comme « irrégulier » même lorsque les autorités d’un premier État membre « tolèrent » l’entrée d’un ressortissant, voire organisent son transfert vers le pays où la personne migrante souhaite introduire une demande de protection internationale.

La CJUE rappelle que la notion de « franchissement irrégulier » de la frontière d’un État membre n’est définie ni par le règlement Dublin III ni par le CFS180. Mais, eu égard au sens habituel de la notion de « franchissement irrégulier » d’une frontière, le non-respect

178 Ibidem, point 54.

179 Pour plus d’information sur les pratique d’externalisation du contrôle migratoire voir infra, Partie 1, Titre 2.

180 Jean-Marc PASTOR, « La CJUE définit le « franchissement irrégulier » d’une frontière », Dalloz

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des conditions exigées par la réglementation applicable dans l’État membre concerné oblige à considérer ce franchissement comme « irrégulier », au sens de l’article 13, paragraphe 1 du règlement Dublin III.

Il s’ensuit qu’un ressortissant d’un pays tiers admis sur le territoire d’un premier État membre, sans satisfaire aux conditions d’entrée en principe exigées dans cet État membre, en vue d’un transit vers un autre État membre pour y introduire une demande de protection internationale, doit être considéré comme ayant « franchi irrégulièrement » la frontière de ce premier État membre. Partant, le fait que « ce franchissement ait été toléré ou autorisé en violation des règles applicables ou qu’il ait été autorisé en invoquant des motifs humanitaires et en dérogeant aux conditions d’entrée en principe imposées aux ressortissants de pays tiers »181 n’exclut pas le caractère irrégulier du franchissement des frontières internes de l’espace Schengen.