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Les entraves au contrôle de la CJUE sur le joint statement entre forces de police de l’Autriche et des pays des Balkans

Une lecture systématique de l’article 4, paragraphe 3 du TUE, impose de prendre en considération aussi la « clause de non-contradiction » prévue à l’article 351 du TFUE402.

400 Joint Statement of heads of polices forces meeting heads in Zagreb, Croatia , 18 février 2016, en ligne :https://www.mup.hr/UserDocsImages/topvijesti/2016/veljaca/migranti_sastanak/joint_statem ent.pdf

401 Ici nous faisons référence à la nature politique des ententes technique, car l’architecture sur laquelle est fondé tout contrôle judiciaire typique d’un État de droit se base sur le fait que la production des normes est l’émanation du pouvoir législatif.

402 Nous faisons, ici, référence aux deux premiers paragraphes de l’article 351 TFUE : Traité sur le

fonctionnement de l’Union européenne, (2012), JO, C 326, art 351, paras 1, 2. « Les droits et

obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les É tats adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d'une part, et un ou plusieurs États tiers, d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités.

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La jurisprudence de la CJUE403 a clarifié à plusieurs reprises que, sur le plan international, le droit de l’Union représente un « res inter alois acta »404 pour les pays tiers.

Ce même Juge a ainsi souligné l’importance d’éviter que le droit issu des traités européens puisse empêcher les pays membres de respecter les engagements pris avant leur entrée dans l’Union. Cependant, dans une phase plus récente, la jurisprudence de la CJUE a proposé une relecture du principe de non-contradiction, notamment dans ses décisions sur la compatibilité entre les disciplines en matière de libre circulation des capitaux et les accords bilatéraux d’investissement conclus par les États membres.

La Cour de justice a donc dégagé de la clause de « non-contradiction » une véritable obligation positive pour les États membres de mettre en œuvre « tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées entre les conventions conclues antérieurement à leur adhésion et le droit [de l’UE] » 405. La clause de non-contradiction consiste alors en l’engagement à privilégier les obligations de résultat que les traités (TFUE

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec les traités, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d'arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune ».

403 Entres autres, CJCE, 18 novembre 2003, Budějovický Budvar, národní podnik c Rudolf Ammersin

GmbH, affaire C-216/01, [2003] Rec CE.I‑13617. Sur ce point voir aussi Pietro MANZINI, « The Priority of Pre-Existing Treaties of EC Member States within the Framework of International Law »,

European journal of international law 2001.781 ss.

404 Federico CASOLARI, EU Loyalty after Lisbon: An Expectation Gap to Be Filled?, SSRN Scholarly Paper, ID 2823029, Rochester, NY, Social Science Research Network, 2014, p. 7, en ligne : <https://papers.ssrn.com/abstract=2823029> (consulté le 20 juin 2018).

405 CJCE, 3 mars 2009, Commission des Communautés européennes contre République d’Autriche, affaire C-205/06, [2009] Rec CE.I‑01301, point 34. « L’article 307, deuxième alinéa, CE [aujourd’hui 351 TFUE] oblige les États membres à recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées entre les conventions conclues antérieurement à leur adhésion et le droit communautaire. Selon cette disposition, en cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d’arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune. ».

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et TUE) imposent aux États membres406. Ce principe a été largement consolidé dans la jurisprudence européenne, à partir de la décision dans l’Affaire Open Skies :

L'article 5 du traité CE [aujourd’hui article 4 TUE] impose aux États membres de faciliter à la Communauté l'accomplissement de sa mission et de s'abstenir de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité.

Dans le domaine des relations extérieures, la Cour a jugé que la mission de la Communauté et les buts du traité seraient compromis si les États membres pouvaient conclure des engagements internationaux contenant des règles susceptibles d'affecter des règles adoptées par la Communauté ou d'en altérer la portée407.

À la lumière des éléments que nous venons d’analyser, la relation entre les obligations que les États membres peuvent maintenir ou contracter avec des sujets de droit international tiers par rapport à l’Union ne doit jamais entrer en conflit avec les obligations issues des traités. Ce principe, désormais consolidé par la jurisprudence de la Cour en matière d’accords sur la libre circulation des capitaux, devrait s’appliquer de façon tout aussi efficace en matière de protection des droits de la personne inscrits dans la Charte des droits

fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE). Si une telle extension du principe avait pu

soulever quelques perplexités avant 2009, le Traité de Lisbonne a, en ce sens, éliminé tout doute en élevant la Charte au rang de droit primaire de l’UE.

Toutefois, le paradigme que nous venons d’identifier trouve une application mitigée dans l’espace de liberté, sécurité et justice, notamment en référence aux accords en matière migratoire conclus par les États membres et par l’Union. Le principal facteur qui vient mitiger ce paradigme est le Protocole (n. 23) du TFUE. Ce protocole prévoit une discipline spécifique qui règle le principe du treaty-making power pour les États membres en matière de franchissement des frontières externes.

406 Sur ce point voir aussi Federico CASOLARI, EU Loyalty after Lisbon: An Expectation Gap to Be

Filled?, SSRN Scholarly Paper, ID 2823029, Rochester, NY, Social Science Research Network,

2014, p. 7‑8, en ligne : <https://papers.ssrn.com/abstract=2823029> (consulté le 20 juin 2018). 407 CJCE, 5 novembre 2002, Commission des Communautés européennes contre Royaume de

Belgique, affaire C-471/98, [2002] Rec CE.I‑09681, points 124-125; dans le même passage, la Cour

fait aussi référence à la jurisprudence CJCE, 31 mars 1971, Commission des Communautés

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Les dispositions sur les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures prévues à l'article 77, paragraphe 2), point b), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne préjugent pas la compétence des États membres de négocier ou de conclure des accords avec des pays tiers, pour autant que lesdits accords respectent le droit de l'Union et les autres accords internationaux pertinents408.

Il s’agit d’une disposition qui complète le texte des traités dans le sens d’exclure que l’Union puisse imposer sa compétence exclusive face aux fonctions régaliennes de l’État, comme le maintien de l’ordre public et de la sécurité nationale409. De plus, cette norme semblerait octroyer aux pays membres une véritable « autorisation » à conclure des accords en matière de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ), même en présence d’accords de l’UE dans la même matière, arrivant, en partie, à reconsidérer l’application du principe de coopération loyale, dont nous avons parlé plus haut en faisant référence à la jurisprudence Open Skies. Néanmoins des limites persistent, notamment quant au respect du droit de l’UE. Dans le cas du Joint Statement entre pays des Balkans, nous avons clairement montré les manquements aux droits de l’Union que ce texte provoque. De surcroît, si, en principe, une déclaration conjointe entre forces de polices de plusieurs États - européens et tiers - dans ladite matière n’est pas à exclure, le problème se pose lorsque son contenu est en conflit avec le droit primaire ou dérivé de l’UE.

Nous pouvons parvenir à la conclusion que, dans le cas d’un traité international ou d’un acte législatif traditionnel (accord), qui auraient la même portée juridique que le Joint Statement en question, l’État ou les États membres contractants pourraient voir plus facilement attaqués ce genre d’actes devant la Cour de justice par la

408 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JO, C 326, 2012 [TFUE], Protocole (no 23)

sur les relations extérieures des États membres en ce qui concerne le franchissement des frontières extérieures.

409 En ce sens, voir « Compatibilité avec le droit communautaire originaire des accords bilatéraux conclus par les États membres avant leur adhésion à l’Union. - Commentaire par Denys SIMON - Europe » à la p 9, en ligne :<http://www.enseignants.lexisnexis.fr/droit-document/article/europe/05-2009/177_PS_EUR_EUR0905CM00177.htm#.Wy6dt6dKjZs> (consulté le 23 juin 2018); Klamert MARCUS, The Principle of Loyalty in EU Law, coll. Oxford Studies in European Law, Oxford, New York, Oxford University Press, 2014, p. 330; Federico CASOLARI, EU Loyalty after Lisbon: An

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Commission (article 258 du TFUE) – ou, plus difficilement, par un autre État membre (article 259 TFUE) –, selon la procédure du recours en manquement.

En vertu de l’article 258 du TFUE, la Commission, en tant que gardienne des traités, peut poursuivre en justice un État membre qui manque aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l'Union, après avoir épuisé la phase administrative (dite « procédure d’infraction »).

Dans les faits, l’action de la Cour de justice est limitée par la nature même des dispositions de la déclaration conjointe. Il s’agit d’un acte administratif, de portée internationale et avec des effets juridiques contraignants ayant un impact direct et négatif sur les droits fondamentaux des personnes migrantes. Cependant, ces ententes non conventionnelles restent souvent secrètes et, jusqu’à présent, la Cour de justice n’a jamais pu se prononcer sur ce genre d’actes.

Toutefois, selon une jurisprudence consolidée, tout acte ou comportement mis en cause, pouvant consister en « des actes de portée générale ou individuelle, de force obligatoire ou non, pris par les autorités publiques de toute nature, mais aussi des pratiques présentant un certain degré de constance et de généralité »410 est imputable aux États membres. Ces actes pourront consister aussi en l'adoption ou en le maintien d'une mesure contraire au droit de l'UE, telle que le Joint Statement en question. Il s’agira donc de « comportements mis en cause consistant en des carences au regard d'obligations de faire ou de ne pas faire »411 issues du droit de l’UE.

410 CJCE, 10 septembre 2009, Commission des Communautés européennes c République hellénique, affaire C-416/07, [2009] Rec CE.I‑07883, point 24; CJCE, 12 mai 2005, Commission des

Communautés européennes contre République italienne, affaire C-278/03, [2005] Rec CE.I‑03747,

point 13; CJCE, 26 avril 2007, Commission des Communautés européennes contre République

italienne, affaire C-135/05, [2007] Rec CE.I‑03475, point 21.

411 Fabrice PICOD et Azédine LAMAMRA, La Pratique du contentieux européen. Recours judiciaires

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B. Vers un possible dépassement des limites à l’action de la CJUE via l’application du