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Pendant longtemps, la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après « Cour EDH ») a été, dans la pensée collective des Européens, juristes et citoyens communs, la seule et véritable institution dédiée à la défense des droits et libertés fondamentaux. En effet, il y a deux arguments principaux qui soutiennent cette interprétation. Tout d’abord, l’élément chronologique : formée en 1959, elle a rendu son premier arrêt en 196072 quand les communautés européennes (CECA, CEE, EURATOM), dans leurs traités fondateurs, étaient encore loin d’englober les questions inhérentes aux droits de l’Homme. Deuxièmement, l’ampleur de sa juridiction : elle touche aujourd’hui les quarante-sept pays qui ont ratifié la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Cette vocation paneuropéenne, qui caractérise tous les actes du Conseil de l’Europe73, étend le respect des droits humains bien au-delà des frontières de l’Union européenne et, au fil des années, grâce à l’activité interprétative de la Cour européenne des droits de l’Homme, a fait en sorte que la Convention européenne des droits de l’Homme soit reconnue au rang de « droit commun des droits fondamentaux en Europe »74.

72 CEDH, 14 novembre 1960, Lawless c. Irlande (no. 1), n° 332/57 [1960].

73 La plupart des conventions du Conseil de l’Europe sont en effet des instruments conventionnels ouverts à la participation de tout État, même au-delà du continent européen.

74 Françoise TULKENS et Johan CALLEWAERT, « La Cour de justice, la Cour européenne des droits de l’homme et la protection des droits fondamentaux », dans L’avenir du système juridictionnel de

l’Union européenne, Université de Bruxelles, Institut d’études européennes, 2002 à la page 178. Les

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L’intégration des principes dégagés par la Cour de Strasbourg a toujours été faite par la voie prétorienne, et les impacts de sa jurisprudence ont été sans aucun doute remarquables à tous les niveaux, y compris dans le complexe domaine répressif, notamment par le biais des articles 6 et 7 CEDH. L’une des décisions, parmi les plus célèbres75, qui ont touché au domaine pénal, a été l’arrêt Cantoni c. France76 du 15 novembre 1996, dans laquelle

la Cour Européenne des Droits de l’Homme a examiné la compatibilité avec la CEDH d’une disposition pénale française directement issue d’une directive communautaire, estimant que l’origine communautaire de la disposition attaquée ne la soustrayait pas à l’empire de l’article 7 de la CEDH77

Dans une jurisprudence plus récente, en matière de lutte à l’immigration, un arrêt tout à fait remarquable a été rendu dans l’affaire Hirsi, Jamaa et autre c. Italie78, qui a vu la condamnation de l’Italie à la suite d’une opération des autorités italiennes d’interception et de refoulement de migrants en haute mer79.

Malgré l’importance incontournable de la jurisprudence de la Cour EDH dans le développement de la protection des droits de l’Homme en Europe, le mécanisme de requête individuelle réglé par l’article 34 CEDH80 prévoit l’épuisement des voies internes de recours

75 Il faut préciser que la Cour de Strasbourg suit une approche fonctionnelle dans l’application des droits contenus dans la Convention, et non une approche formaliste, ne s’arrêtant pas aux classifications (entre droit pénal, sanction disciplinaire ou droit administratif) faites par les États. Elle l’a clairement énoncé dans sa jurisprudence: « La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ». CEDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, n° 6289/73 [1979], n°32, § 24.

76 CEDH, 15 novembre 1996, Affaire Cantoni c. France, n° 17862/91, [1996].

77 Françoise Tulkens, « L’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme », journées d’études de Strasbourg, « Le projet de Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », 16-17 juin 2000; RUDH, 15 septembre 2000, vol. 12, n° 1-2, p. 50 ss.

78 Hirsi Jamaa et autres c Italie, CourEDH n° 27765/09, [2012].1.

79 Violation des articles : 3 CEDH, article 4 protocole n. 4 CEDH et article 13 combiné avec l’article 4 protocole n. 4.

80 « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. […] ». Conseil

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et offre donc une protection ex post par rapport aux juridictions nationales81. En outre, le caractère déclaratoire des actes du Conseil de l’Europe fait en sorte que le constat d’incompatibilité entre la CEDH et un acte national laisse une grande marge aux États quant au choix des moyens et des temps de réponse suite à une condamnation provenant de Strasbourg.

Les raisons que nous venons d’énumérer justifient le choix de concentrer cette étude sur la Cour de justice de l’Union européenne et sur l’impact que sa jurisprudence (notamment celle en matière de répression des migrations) a dans la création d’un système de garanties de plus en plus harmonisé à l’intérieur de l’Union. Cependant, l’interconnexion qui existe entre la jurisprudence de l’UE et celle du Conseil de l’Europe fait en sorte que certaines références croisées seront nécessaires pour une analyse complète et approfondie du sujet.

D’ailleurs, plusieurs juges de la CJUE ont souligné l’importance de la perméabilité entre les systèmes du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, justifiée par le partage des mêmes principes. Pour reprendre les mots du juge Bonichot :

La Cour de justice protège les droits fondamentaux, et fait application de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il n’est pas excessif de dire que le contenu matériel de la convention européenne des droits de l’Homme, tel qu’interprété par la Cour Européenne, est purement et simplement introduit dans le droit communautaire. Sur l’essentiel en effet, les jurisprudences luxembourgeoise et

de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme, Guide pratique sur la recevabilité, Strasbourg, 2014, p. 12 : « L’article 34 instituant le droit de recours individuel recèle un véritable droit d’action de l’individu au plan international, il constitue en outre l’un des piliers essentiels de l’efficacité du système de la Convention ; il fait partie « des clefs de voûte du mécanisme » de sauvegarde des droits de l’homme (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC]1 , §§ 100 et 122 ; Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), § 70) ».

81 « Le principe de subsidiarité inhérent au système de la Convention impose que la Cour de Strasbourg puisse être saisie après l'épuisement des voies de recours internes ». Antonio Tizzano,

Quelques réflexions sur les rapports entre les cours européennes dans la perspective de l'adhésion de l'Union à la Convention EDH , Revue trimestrielle de droit européen, no. 1, 2011, p. 9.

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strasbourgeoise n’ont jamais été divergentes, la Cour de justice s’efforçant de suivre celle de la Cour européenne82.