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De Frontex au corps européen de garde-frontières et garde-côtes : plus qu’une simple agence décentralisée

Les origines de Frontex remontent à un groupe de travail du Conseil relevant de l’article 74 du TFUE438. Après l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, cette même institution avait établi le Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (CSIFA)439. Depuis 1999, le Conseil européen Justice et affaires intérieures (JAI) avait pris plusieurs mesures pour renforcer davantage la coopération dans les domaines des migrations, de l'asile et de la sécurité. En ce qui concerne la gestion des frontières, cela a conduit à la création de l'unité commune de praticiens des frontières extérieures – un groupe composé de membres du Comité stratégique sur l'immigration, les frontières et l'asile (CSIFA) et des chefs des services de contrôle des frontières nationales. Mais la Commission proposa alors la création d’une instance opérationnelle permanente, et c’est ainsi qu’en 2007, l’agence Frontex voyait le jour.

Dans les lignes qui suivent nous montrerons l’évolution du mandat de Frontex de simple agence de coordination opérationnelle aux frontières extérieures de l’ELSJ (1) à la création de l’actuel corps européen de garde-frontières et garde-côtes, qui avec des pouvoirs d’initiative inédits arrive à se qualifier de véritable « agence de substitution » (2).

438 Merijn Chamon, « Les agences de l’Union européenne : origines, états des lieux et défis » [2015] 1 CDE 293‑318 à la p 298; sur l’agence Frontex, voir aussi Joanna Parkin, « EU Home Affairs Agencies and the Construction of EU Internal Security » [2012] CEPS paper à la p 12; H. Jorry, « Une agence originale de l’Union : L’agence Frontex », dans Joël Molinier, Les agences de l’Union

européenne, Bruxelles, Bruylant, 2011 aux pp 169‑181.

439 CONSEIL EUROPÉEN, Compétences des instances du Conseil dans le domaine de la justice et des

affaires intérieures après l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, 6166/2/99 REV 2, Bruxelles,

le 16 mars 1999, p. 3, en ligne :

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Les origines de Frontex : une simple agence de coordination opérationnelle

aux frontières extérieures de l’UE

Le Règlement 2007/2004440 du Conseil de l’Union européenne créa l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'UE, plus communément appelée Frontex. C’était le premier pas vers la mise en œuvre de la politique communautaire relative aux frontières extérieures de l’UE, véritable corollaire de la libre circulation des personnes dans l’ELSJ. L’objectif étant de « mettre en place une gestion intégrée garantissant un niveau élevé et uniforme de contrôle et de surveillance »441. À cette fin, il était prévu d'établir des règles communes relatives aux normes et aux procédures de contrôle aux frontières extérieures. L’agence, sise à Varsovie et dotée d’une personnalité juridique et d’un budget autonome, était conçue, dès son origine, comme « un organisme d'experts spécialisé chargé d'améliorer la coordination de la coopération opérationnelle entre États membres en matière de gestion des frontières extérieure »442. Son mandat consistait à faciliter l'application des mesures communautaires existantes ou futures relatives à la gestion des frontières extérieures en assurant la coordination des dispositions d'exécution prises par les États membres443.

Le règlement de 2004, dès ses considérants, indiquait clairement que la responsabilité du contrôle et de la surveillance des frontières extérieures demeurait dans la pleine compétence des États membres. Frontex ne pouvait intervenir qu’à la demande d’un État membre et ne pouvait, en aucun cas, se substituer à ce dernier444. Toutefois, la « culture

440 CE, Règlement (CE) N° 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant création d’une Agence

européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, [2004] JO, L 349/1.

441 Ibid, considérant 1. 442 Ibid, considérant 3. 443 Ibid, considérant 4.

444 Pour une analyse approfondie, voir Roberta MUNGIANU, Frontex and Non-Refoulement. The

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du secret »445 qui caractérisait ses opérations et l’ampleur des actions relevant de la gestion opérationnelle mise en œuvre par Frontex ont eu comme effet d’attirer sur l’agence l’étiquette de « bras armé »446 ou de « bras séculier »447 de l’UE, responsables de conduites peu respectueuses des droits fondamentaux448.

Les violations des droits fondamentaux commises dans le cadre d’opérations coordonnées ou organisées par Frontex furent à la base des modifications introduites avec la réforme de 2011449. Le nouveau règlement accordait une place incontournable à la CDFUE dans l’accomplissement de toutes les tâches de l’agence. Dans cette perspective, il fut aussi prescrit à Frontex de se doter d’une « stratégie en matière de droits fondamentaux »450 et

445 Fabienne GAZIN, « Peut-on mettre du vin nouveau dans de vieilles outres? », (2017) n. 3 RTD Eur. 497.

446 Collectif, Constance Chevallier-Govers et Romain Tinière, De Frontex à Frontex: Vers l’émergence d’un service européen des garde-côtes et garde-frontières, Bruylant Edition, 2019 à la p 89; Plusieurs organismes pour la protection des droits fondamentaux s'étaient déjà prononcé en ce sens, voir Human Rights Watch, The EU’s Dirty Hands Frontex Involvement in Ill-Treatment of Migrant Detainees in Greece, 2011; Frontexit, communiqué, Frontex 2.0 : le bras armé de l’Union européenne se renforce et demeure intouchable, 27 avril 2016, en ligne : <http://www.migreurop.org/article2685.html> (consulté le 26 février 2018); Caroline Intran et Anna Sibley, « Faire sombrer Frontex » (2014) 103:4 Plein droit 40.

447 En ce sens, voir, Claude BLUMANN, Les frontières de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 295; Dominique RITLENG, « La nouvelle Frontex: évolution plutot que révolution », (2017) 53-3 RTD Eur 437, 438.

448 Sara CASELLA COLOMBEAU, Marie CHARLES, Olivier CLOCHARD et Claire RODIER, Agence

Frontex: quelles garanties pour les droits de l’homme?, étude réalisé pour le groupe des Verts/ALE

du Parlement européen, 2010.

449 UE, Règlement (UE) 2011/1168 du Parlement européen et du Conseil du du 25 octobre 2011

modifiant le règlement (CE) n o 2007/2004 du Conseil portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, [2011] JO, L 304/1.

450 Ibid, art 1 (26) bis : « Stratégie en matière de droits fondamentaux 1. L'Agence conçoit, développe et met en œuvre sa stratégie en matière de droits fondamentaux. Elle met en place un mécanisme efficace pour contrôler le respect des droits fondamentaux dans toutes ses activités. ». Voir aussi :Author GDR ELSJ, « Frontex et la question des droits de l’homme dans son rapport d’analyse des risques de 2013 : omission ou dépréciation? », Groupe de Recherche - Espace Liberté Sécurité

<http://www.gdr-elsj.eu/2013/11/09/immigration/frontex-et-la-180

d’élaborer un « code de conduite »451 afin de garantir le respect de ceux-ci dans toutes les opérations dont elle assure la coordination. Un forum consultatif a été mis en place, permettant à des observateurs externes d’effectuer un suivi sur l’application dudit code dans l’élaboration des plans opérationnels. En outre, il a été octroyé au directeur exécutif le pouvoir de suspendre ou de mettre un terme aux opérations conjointes dans le cas où il estimerait que des violations des droits fondamentaux graves ou susceptibles de persister auraient été commises dans le cadre de celles-ci. En plus de l’obligation de dispenser des formations en matière de droits fondamentaux aux instructeurs des garde-frontières nationaux, la nouveauté probablement la plus visible a été la création d’un Officier aux droits fondamentaux452. Ce dernier est désigné par le Conseil d’administration, en accord avec le forum consultatif, et chargé de surveiller le respect des droits fondamentaux dans l’accomplissement des missions de Frontex. Cependant, la quasi-totalité des experts en matière de protection des droits des personnes migrantes a jugé ces mesures insuffisantes453.

question-des-droits-de-lhomme-dans-son-rapport-danalyse-des-risques-de-2013-omission-ou-depreciation/> (consulté le 26 février 2019).

451 UE, Règlement (UE) 2011/1168 du Parlement européen et du Conseil du du 25 octobre 2011

modifiant le règlement (CE) n o 2007/2004 du Conseil portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, [2011] JO, L 304/1, art 1(4). « L'Agence élabore et développe un code de

conduite applicable à toutes les opérations dont elle assure la coordination. Le code de conduite définit des procédures, applicables à toutes les personnes participant aux activités de l'Agence, dont l'objectif est de garantir le respect des principes de l'état de droit et des droits fondamentaux, en accordant une attention particulière aux mineurs non accompagnés et aux personnes vulnérables, ainsi qu'aux personnes en quête de protection internationale ».

452 Ibid, art 1 (26) § 3. « Le conseil d'administration désigne un officier aux droits fondamentaux. […] Il est indépendant dans l'accomplissement de ses missions en tant qu'officier aux droits fondamentaux et rend directement compte au conseil d'administration et au forum consultatif. Il fait régulièrement rapport ».

453 Pour tout voir, Idil ATAK et François CRÉPEAU, Managing Migrations at the External Borders of

the European Union: Meeting the Human Rights Challenges (La gestion des frontières extérieures de l’Union européenne: relever le défi des droits de l’homme), SSRN Scholarly Paper, ID 2781638,

Rochester, NY, Social Science Research Network, 2014, en ligne : <https://papers.ssrn.com/abstract=2781638> (consulté le 26 février 2019).

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Aux accusations des activistes, qui dénonçaient les modifications apportées par le règlement de 2011 comme des changements « de façade » qui ne touchaient pas le fond de l’action de l’agence, se sont rajoutées les critiques, bien plus structurées sur le plan juridique, du Médiateur européen454, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe455

et du PE456.

Le Règlement 1624/2016457, créant le corps européen de garde-frontières et garde-côtes 458, a profondément modifié l’agence Frontex pour tenter de la rendre conforme à ces impératifs de respect concret des droits fondamentaux réclamés, entre autres, par le Médiateur européen. La principale avancée, sur ce plan, a été la création d’un mécanisme de traitement de plaintes pour violations des droits fondamentaux, rendu indispensable au vu des nouveaux « pouvoirs de substitution » que le règlement de 2016 octroie à l’agence. En effet, face aux reproches d’atteinte aux droits fondamentaux, l’agence avait toujours avancé l’argument selon lequel la responsabilité incombait aux États hôtes des opérations ou à l’État d’origine des agents détachés, et non à elle-même qui se bornait à un simple rôle de coordination.

454 Mediateur européen, Rapport spécial du Médiateur européen dans l’enquête d’initiative OI/5/2012/BEH-MHZ relative à Frontex, 7 novembre 2013, Strasbourg.

455 CONSEIL EUROPÉEN,AP, Résolution 1932 (2013) Version finale - Frontex: responsabilités en

matière de droits de l’homme, 25 avril 2013.

456 CONSEIL EUROPÉEN,AP, Résolution du Parlement européen du 2 décembre 2015 sur le rapport

spécial du Médiateur européen dans l’enquête d’initiative OI/5/2012/BEH-MHZ relative à Frontex,

P8_TA(2015)0422, Bruxelles, le 2 décembre 2015.

457 UE, Règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 rela tif

au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, modifiant le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (CE) n° 863/2007 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil et la décision 2005/267/CE du Conseil, JO L 251/1, 16.09.2016.

458 Ibid, art 6, para 1. « L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (ci-après dénommée “Agence”) est le nouveau nom de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, créée par le règlement (CE) no 2007/2004. Ses activités sont fondées sur le présent règlement ».

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Le corps européen de garde-frontières et garde-côtes : une « Agence de

substitution »

L’article 19 du règlement de 2016 provoque un changement de paradigme et rend les arguments à défense de l’absence de responsabilité de l’agence – et la prétendue responsabilité totale des États membres - encore plus fragile (voire inadmissible). Il s’agit du pouvoir d’intervention directe du corps européen de garde-côtes et garde-frontières dans une situation « nécessitant une action urgente » sur le territoire d’un État membre, mais en l’absence de demande de ce dernier, dans l’hypothèse où « le contrôle aux frontières est rendu à ce point inefficace que le fonctionnement de l’espace Schengen risque d’être compromis »459. Ce pouvoir de substitution fait de Frontex plus qu’une simple agence décentralisée et pose des questions assez complexes sur le plan de la justiciabilité et, notamment, du contrôle que la Cour de justice de l’UE peut exercer sur ses actions.

Le professeur Loïc Grard, dans un article de 2012 460 , propose une classification des agences en fonction de l’ampleur de l’autonomie et des pouvoirs de régulation octroyés à ces organes de l’UE. Suivant ce raisonnement, il y aurait des agences de première, de deuxième, de troisième et de quatrième génération. À la lumière des modifications apportées par le règlement de 2016, nous pouvons étendre davantage cette classification en affirmant que l’agence Frontex représente désormais une catégorie sui

generis, qu’elle serait la première d’une cinquième génération d’agences opérationnelles,

459 Ibid, art 19. Sur ce point, voir aussi Anne-Marie TOURNEPICHE, « L’elargissement du mandat de l’agence Frontex », Journal d’Actualité des Droits Européens (JADE) (30 novembre 2016), en ligne : <https://revue-jade.eu/article/view/1649> (consulté le 3 novembre 2017). L’auteur rappelle que, dans le projet initial de la Commission, c’était à cette dernière qu’il revenait de décider d’une intervention dans un pays ne demandant pas d’assistance. Cette disposition ayant entraîné de vifs débats relatifs à la remise en cause de la souveraineté des Étas en la matière, c’est désormais au Conseil (sur proposition de la Commission) qu’il revient d’adopter les actes définissant les mesures devant être prises par Frontex dans l’hypothèse d’une intervention d’urgence.

460 Loic GRARD, « Le controle des actes des agences de régulation : analyse comparée », dans La

légistique dans le système de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 137‑159 à la

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caractérisée par des pouvoirs de substitution renforcés qui permettent des actions autonomes sur le territoire d’un État membre et sans le consentement préventif de l’État concerné461.

L’article 42 du Règlement 2019/1896 reprend intégralement le contenu de l’article 19 du règlement de 2016 en détaillent et renforçant encore plus les pouvoirs de substitutions de l’agence. L’action du corps européen de garde-frontières et garde-côtes se substitue à celle des autorités des États membres, en application d’une décision prise par le Conseil sur proposition de la Commission laquelle consulte au préalable l’Agence462. Les États membres sont tenus de coopérer avec Frontex et faciliter l’action des agents statutaires et des réserves d’intervention rapide, en cas contraire la Commission peut enclencher la procédure prévue à l’article 29 du Règlement 2016/399 portant sur le régime de franchissement des frontières extérieures, qui prévoit le rétablissement des frontières d’un État membre pour préserver la tenue de l’Espace Schengen463.

Parallèlement, Frontex devient aussi la plateforme privilégiée d’échange d’informations sensibles et classifiées.

[L]’Agence met en place un réseau de communication et en assure le fonctionnement, afin de fournir des outils de communication et d’analyse et de permettre l’échange d’informations sensibles non classifiées et d’informations classifiées, de manière sécurisée et en temps quasi réel, avec les centres nationaux de coordination et entre ces derniers464.

461 La référence est encore à UE, Règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil

du 14 septembre 2016 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, modifiant le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (CE) n° 863/2007 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil et la décision 2005/267/CE du Conseil, JO L 251/1, 16.09.2016, art 19. Ces pouvoirs ont une nature

néammoins différente des pouvoirs de régulation otroyés, par exemple, à l’Agence de Coopération pour les Régulateurs de l’Énergie (ACER).

462 Règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019, du 13

novembre 2019 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant les règlements (UE) no 1052/2013 et (UE) 2016/1624, [2019] JO, L 295 paragraphe 1.

463 Ibidem, article 42, paragraphe 10. 464 Ibidem, article 14, paragraphe 1.

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En plus, le fait que le règlement de 2019 prévoit que l’Agence se réserve la possibilité de prendre « toutes les mesures nécessaires pour faciliter l’échange d’informations utiles à l’exécution de ses tâches avec le Parlement européen, le Conseil, la Commission, les États membres et, le cas échéant, d’autres institutions de l’Union et les organes et organismes de l’Union »465 démontre à quel point son champ opérationnel est destiné à s’élargir. Cela confirme que la capacité de substitution de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes se mesure aussi sur le plan – moins visible, mais d’importance vitale – de la gestion et de l’échange d’information. Un tel système, permettant une communication intégrée entre autorités de Pays membres, institutions de l’UE et agence ne connais pas de précédents et une fois rentré à plein régime de fonctionnement ne pourra pas être remplacé par aucune initiative nationale d’envergure similaire.

Les éléments novateurs de la réforme de Frontex sont à la fois très visibles, comme le déploiement du personnel statutaire aux frontières sans le consentement préalable de l’État intéressé, que discrets, comme l’échange d’informations et le rôle accru de EUROSUR, ils touchent aussi bien l’action aux frontières extérieures que le contrôle accru des « mouvement secondaire » à l’intérieur de l’ELSJ. Pourtant, dans le vide de l’impuissance des États membres et de l’immobilisme des institutions centrales de l’UE dans la gestion des frontières, l’agence Frontex trouve une place sui generis et renforcée.

L’ÉVOLUTION DES POUVOIRS RÉPRESSIFS DE LAGENCE

FRONTEX

La nature des changements apportés par les réformes les plus récentes -à partir de 2016 - est profonde et concerne directement la base légale. Le Règlement 2007/2004 créant l’agence Frontex, ainsi que le Règlement 1168/2011, étaient basés sur l’article 74 du TFUE (ex-article 66 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE)), qui fait référence aux

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mécanismes de coopération administrative, et sur l’article 77 du TFUE (ex-article 62 du TCE paragraphe 2, sous b et d). Le règlement de 2016, quant à lui, fixe ses bases légales dans les articles 77 et 79, paragraphe 2, sous c) du TFUE, qui portent sur la politique de l’immigration et, plus précisément, sur les mesures à prendre face à « l'immigration clandestine et le séjour irrégulier, y compris l'éloignement et le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ». L’agence sort ainsi définitivement de toute ambiguïté relative à son rôle de protection des droits fondamentaux : elle est, d’abord et avant tout, un organisme de répression du phénomène de l’immigration irrégulière et de contrôle des frontières. Son âme répressive est clairement affirmée par la base légale du Règlement 1624/2016. Les nouvelles mesures de protection des droits fondamentaux, telles que l’officier aux droits fondamentaux, le comité consultatif et la possibilité de présenter des plaintes individuelles, ont la fonction de garantir l’applicabilité des droits inscrits dans la CDFUE466, mais n’ont aucun impact sur la nature de l’agence, qui demeure répressive.

Dans le même socle s’inscrit le Règlement 2019/1896, lui aussi ayant pour base légale les articles 77 et 79, paragraphe 2, sous c) du TFUE. Avec la nouvelle réforme,

466 Selon un rapport de l’Agence pour les Droits Fondamentaux de l’UE, FRA, The revised European

Border and Coast Guard Regulation and its fundamental rights implications Opinion of the European Union Agency for Fundamental Rights, FRA Opinion – 5/2018 [EBCG], Vienne, le 27 novembre

2018, en ligne : <https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2018-opinion-ebcg-05-2018_en.pdf> (consulté le 5 avril 2019); concernant le projet de réforme du réglement 1624/2016 presentée par la Commission européenne, COMMISSION EUROPÉENNE, Proposition de Règlement du

Parlement européen et du Conseil relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant l’action commune 98/700/JAI du Conseil, le règlement (UE) no 1052/2013 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil Contribution de la Commission européenne à la réunion des dirigeants à Salzbourg les 19 et 20 septembre 2018, COM(2018) 631 final, Bruxelles, le 12.09.2018., les droits fondamentaux touchés

par ladite réglementation sont les suivants : droit à la dignité humaine (art 1 CDFUE), droit à l’integrité de la personne (art 3 CDFUE); interdiction de la torture et des peine ou traitements inhumains et dégradants (art 4 CDFUE); interdiction du trafic d’etres humains (art 5 §3 CDFUE); droit à la liberté et sécurité (art 6 CDFUE); droit au respect de la vie privée et familiale (art 7 CDFUE); droit à la protection des données à caractere personnel (art 8 CDFUE); protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition (art 19 CDFUE); égalité en droit (art 20 CDFUE); non-discrimination (art 21 CDFUE); droits de l’enfant (art 24 CDFUE); droit à une bonne administration (art 41 CDFUE); droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial (art 47 CDFUE). Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, JO 2000/C 364/01, (entrée en vigueur : 12 décembre 2007).

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la nature répressive de Frontex est confirmée et son rôle évolue grandement. La centralisation