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Répression du terrorisme et protection des libertés individuelles: le Royaume-Uni devant la Cour européenne des droits de l'homme

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Répression du terrorisme et protection des libertés individuelles: le Royaume-Uni devant la Cour européenne des droits de l'homme

AUBERT, Gabriel

AUBERT, Gabriel. Répression du terrorisme et protection des libertés individuelles: le

Royaume-Uni devant la Cour européenne des droits de l'homme. Revue internationale de criminologie et de police technique , 1978, no. 4, p. 367-384

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12178

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(2)

Répression du terrorisme et protection des libertés individuelles:

le Royaume-Uni devant la Cour

européenne des droits de l'homme

par Gabriel AUBERT Diplômé d'études juridiques supérieures (Genève), Master of Comparative Law (Georgetown), Avocat au Barreau, Genève

1. Les èruptions récentes de terrorisme ont rappelé l'attention du public sur la nécessité de protéger l'Etat contre ceux qui, en usant de violence, s'efforcent de démanteler l'organisation politique de la société. Cette protection de l'Etat peut se heurter à des droits qui, eux aussi, connaissent un regain d'actualité: les droits de l'homme. Une nouvelle illustration d'un tel conflit vient d'être fournie dans le cadre du procès intenté contre le Royaume-Uni par la République d'Irlande devant la Cour européenne des droits de l'homme.

L'objet du présent article n'est pas de proposer des idées nouvelles. Il est, bien plutôt, de répandre l'illustration à laquelle on vient de faire allusion. En effet, outre qu'elle est de nature à nourrir le débat sur ce thème important, la procédure engagée par la République d'Irlande constitue un exemple particulièrement riche de la manière dont fonctionnent les insti- tutions créées sous l'égide du Conseil de l'Europe en vue d'assurer la garantie collective des droits de l'homme.

Cet exemple est riche en raison de la multipficité des problèmes qu'il soulève. Mais il est aussi exceptionnel. Car, en application de l'article 48, lettre c de la Convention, la République d'Irlande, après avoir saisi la Commission européenne des droits de l'homme, a porté ensuite le litige devant la Cour européenne des droits de l'homme. Pour la première fois,

(3)

une Haute Partie Contractante à l'origine de la procédure a fait comparaître devant la Cour européenne une autre partie contractante. Le plus souvent, c'est la Commission qui, saisie par un particulier, soumet le litige à la Cour en raison de l'importance des principes en jeu. Moins souvent, c'est une Haute Partie Contractante qui demande à la Cour de se prononcer, lorsque la victime d'une violàtion alléguée est son ressortissant ou qu'elle a été mise en cause (1).

Le rôle des mécanismes internationaux de protection des droits de l'homme dépend en grande partie de l'information du public, qui peut exercer des pressions efficaces. Il est, d'autre part, fonction de la mesure dans laquelle ces mécanismes sont familiers aux milieux spécialisés dans l'application du droit. C'est à un effort de publicité que nous souhaitons contribuer, en présentant ici l'essentiel d'une procédure qui couvre plus d'un millier de pages dactylographiées (2).

2. A la fin des années soixante, la tension entre les communautés catholique et protestante d'Irlande du Nord avait atteint un nouvel acmé. En 1970, l'IRA (Irish Repub/iean Army) lança une campagne de terrorisme qui conduisit, le 9 août 1971, à la mise en place de mesures extrajudiciaires de détention et d'internement contre les suspects de terrorisme. Ce jour-là, trois cent cinquante justiciables furent arrêtés et interrogés par la Police royale de l'Ulster (Roya/ Ulster Constabu/ary). Cent quatre personnes furent relâchées dans les quarante-huit heures, cependant que les autres demeu- rèrent détenues. Au moins douze d'entre elles furent transportées dans un ou des centres non identifiés, où elles furent interrogées en profondeur pendant plusieurs jours. Cette opération fut baptisée opération Demetrius (3).

D'autres arrestations eurent lieu par la suite. En outre, les dispositions concernant les pouvoirs spéciaux dont étaient munies les autorités pour combattre le terrorisme en Irlande du Nord furent modifiées au fil du temps.

Celles appliquées lors de l'opération Demetrius et dans les mois suivants

(1) Art. 48 de la Convention.

(2) Au moment où cet article est rédigé, le jugement de la Cour, la décision de la Commission sur la recevabilité, le rapport de celle-ci et les procès-verbaux des débats n'ont pas encore paru dans les Publications de la Cour européenne des droits de l'homme (séries A et Bl. Seuls la décision sur la recevabilité et des extraits du rapport de la Commission se trouvent dans l'Annuaire de la Convention européenne des droits de J'homme (voir Annuaire.

vol. 14 (1971). p. 100 SQQ.; vol. 1511972). p. 76 SQQ.; vol. 19 (1976). p. 512 SQQ.). On se référera au jugement en indiquant le numéro des paragraphes et au rapport de la Commission en indiquant la partie, le cas échéant le chapitre, puis les subdivisions. Dans la mesure du possible renvoi sera fait à l'Annuaire (abrégé Ann., avec indication de l'année). On s'est fondé sur la version anglaise de ces textes.

(3) Jugement. 34 SQQ.

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avaient été édictées en 1956 et 1957. Elles subirent des changements en 1972,1973 et 1975 (4).

3. Le 16 décembre 1971, la République d'Irlande déposa une requête auprès de la Commission européenne des droits de l'homme. Accusant le Royaume-Uni d'avoir violé la Convention, elle critiquait notamment la manière dont les personnes arrêtées furent traitées et mettait en doute la validité des dispositions autorisant leur détention. A cette requête fut jointe une seconde, en 1972 (5).

Le 1er octobre 1972, la Commission déclara recevable presque la totalité des deux requêtes. Ses investigations ne bénéficiérent pas d'une parlaite coopération de la part du gouvernement de Sa Majesté (6). Elle rendit son volumineux rapport le 25 janvier 1976. Le 10 mars 1976, le 90uvernement de la République d'Irlande saisit la Cour européenne des droits de l'homme, qui trancha le 18 janvier 1978.

4. Comme nous l'avons dit, les griefs formulés par la République d'Irlande visent principalement, d'une part, la manière dont les personnes détenues lors de l'opération Demetrius furent traitées et, d'autre part, la validité des dispositions autorisant la détention. Avant d'exposer ces deux points (IV et V), il nous faut examiner deux objections préliminaires soulevées par la Grande-Bretagne (II et III). Nous aborderons avant de conclure une question fondamentale touchant la portée des obligations souscrites par les Hautes Parties Contractantes (VI).

Il

1. Selon l'article 28 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Commission, une fois la requête déclarée recevable, est chargée d'établir les faits et de se placer à la disposition des parties en vue d'un règlement amiable. Si un tel règlement a lieu, la Commission rédige un rapport qui expose brièvement les faits et la solution trouvée (art. 30). Faute de règlement amiable, la Commission rédige un rapport qui expose les faits et son opinion quant au point de savoir si la Convention a été violée (art.

31). Lorsque l'Etat en cause a reconnu la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme, l'affaire peut être portée devant celle-ci (art. 47 et 48, cf.

supra,

l, 1).

(4) Rapport. Appendice B; Jugement. 78 sqq.

(5) Rapport, Annexes. II. Cf. Ann. 14 (1971), p. 100 sqq.; 15 (1972), p. 76 sq.

(6) Jugement, 148.

(5)

Dans une affaire antérieure (l'affaire de Chypre), le gouvernement défendeur révoqua certaines mesures contestées par le gouvernement requérant. Bien qu'aucun accord amiable ne fût intervenu, la Commission s'abstint de se prononcer sur la conformité des mesures révoquées, A ses yeux, vu son rôle conciliateur, il lui incombait seulement d'assurer le respect de la Convention, Si les mesures incriminées étaient révoquées, la question de leur conformité ne se posait plus (7),

2, Se fondant sur ce précédent, le gouvernement britannique soutint que le retrait des mesures contestées par le requérant devait être assimilé à un règlement amiable. La requête avait rempli son but en ceci qu'il avait été mis fin à la violation alléguée. De plus, une telle solution était de nature à encourager les gouvernements à bien faire. S'ils savent qu'ils s'exposent à une condamnation quand bien même ils suppriment les causes de la requête, ils risquent d'attendre cette condamnation pour modifier la situation litigieuse. Au contraire, s'ils peuvent éviter une décision flétris- sante en prenant des mesures rapides pour assurer un respect maximum des droits garantis par la Convention, ils seront enclins à donner prompte satisfaction au requérant (8).

3. La Commission rejeta ces arguments. Infléchissant sa jurisprudence, elle interpréta les articles 28 et 30 de la Convention comme signifiant qu'elle ne peut s'abstenir d'exprimer son avis que dans une affaire dans laquelle les motifs de plainte ont été supprimés à la satisfaction des deux parties et de la Commission (9). Faute de retrait de la plainte par le gouvernement requérant ou d'accord amiable, la Commission est tenue d'exprimer son avis quant au point de savoir si le droit a été violé.

Au cas particulier, la Commission insista sur le fait qu'on savait peu de chose quant aux mesures adoptées par les autorités pour empêcher que les cinq techniques d'interrogation soient utilisées à l'avenir. De plus, le gou- vernement défendeur avait indiqué qu'il n'y recourrait pas sans l'accord de la Chambre des Communes. Cela signifiait qu'il ne les avait pas entièrement abandonnées. Enfin, bien que les cinq techniques aient èté employées pendant un temps fort long (notamment dans les anciennes colonies), aucune autorité domestique n'avait jamais déclaré qu'elles fussent con- traires à la Convention. Cette importante question devait donc être exa- minée (10).

(7) Rapport, Il, Il, B, 2. Cf. Ann. 1976, p. 773 sqq.

(8) Rapport, ibid. et Il, l, A, 2, e.

(9) Rapport, Il, Il, B, 2. Cf. Ann. 1976, p. 779.

(10) Ibid. Cf. Ann. 1976, p. 781. Les cinq techniques sont décrites infra, IV, 2.

(6)

4. Le 8 février 1977, l'avocat général cdu Royaume-Uni prit devant la Cour européenne des droits de l'homme l'engagement absolu que les cinq techniques ne seraient plus réintroduites comme moyen d'interroga- tion (11). En outre, la Cour donna acte des mesures adoptées par le gouvernement défendeur pour empêcher que ne se reproduisent les événements critiqués. Cependant, elle estima que la Convention lui imposait' la responsabilité de se prononcer même sur des violations non contestées. Elle souligna que ses jugements ne servaient pas seulement à trancher les litiges portés devant elle, mais, plus généralement, contri- buaient au respect de la Convention en éclairant, en sauvegardant et en développant les régies établies par ce texte (12).

III

1. Aux termes de l'article 26 de la Convention, la Commission ne peut être saisie d'un litige qu'après que tous les recours internes ont été épuisés selon les principes généralement reconnus en droit international. A ce sujet, la jurisprudence de la Commission a développé la doctrine de la pratique administrative, qui a la portée suivante. Quand la violation de la Convention est faite d'actes qui sont répétés et officiellement tolérés, ces derniers forment une pratique administrative. Dans une telle hypothèse, les voies de recours internes seraient inefficaces. Il en résulte que la règle de l'épuisement des recours internes ne saurait s'appliquer (13). Sans doute, cette question se pose au stade de l'examen de la recevabilité. Toutefois, le requérant et le défendeur ont développé de nombreux arguments à ce sujet. Comme, ainsi qu'on le verra, la question de la pratique administrative touche aussi le fond, la Commission éprouva le besoin d'apporter quelques éclaircissements.

2. Le défendeur développa ses arguments par opposition à la première affaire grecque, dans laquelle le gouvernement en cause, bien que n'ayant pas expressément autorisé les mauvais traitements, n'avait donné aucune suite aux plaintes ni mis un terme aux infractions, qui étaient tolérées au niveau des hauts fonctionnaires, de l'armée et de la police (14).

(11) Jugement. 153.

(12) Ibid. et 154.

(13) Rapport, Il, Il, A, 3, a. CI. Ann.1976, p. 757.

(14) Rapport, Il, l, C, 2. b.

(7)

Dans la présente affaire, le gouvernement défendeur allégua qu'il avait fait de son mieux pour empêcher toute violation de la Convention et que des dommages-intérêts avaient été alloués chaque fois que la loi avait été violée. Un mécanisme d'enquête avait été établi. Des instructions appro- priées avaient été fournies. En somme, le probléme était celui de ses intentions. Lui-même et ses hauts fonctionnaires ayant, de bonne foi, pris toutes les mesures possibles, il ne pouvait être tenu pour responsable (15).

3. La Commission rejeta cette maniére de voir. Elle distingua entre la notion de responsabilité de l'Etat et celle de tolérance officielle.

Selon la Convention et les régies de droit international général, la responsabilité de l'Etat peut être engagée en vertu d'actes de tous ses organes, agents et fonctionnaires, quel que soit leur rang. Ces actes sont imputés à l'Etat. Il suit que les obligations de ce dernier peuvent être violées par toute personne exerçant une fonction officielle, même au niveau le plus bas et en dehors ou en dépit des instructions fournies. La responsabilité ne requiert aucune faute et ne suppose pas de tolérance à un niveau élevé.

S'agissant de la tolérance officielle, c'est un élément de la notion de pratique administrative, qui joue un rôle particulier dans l'application de la Convention (16).

4. La notion de pratique administrative comprend deux éléments:

a) la répétition d'actes;

b) comme nous venons de le dire, la tolérance officielle (17).

Selon la Commission, le trait essentiel de la répétition ( ... ) est que les actes incriminés forment un processus généralisé ou un systéme en ce sens qu'il existe un lien ou un rapport dans les conditions qui entourent ces actes particuliers, par exemple le moment et le lieu où ces actes se produisent et l'attitude des personnes qui y sont impliquées, et qu'il ne s'agit pas simplement de plusieurs actes isolés (18). Ces actes doivent être l'expression d'une situation générale (19).

(15) Rapport, Il. l, C. 2. e.

(16) Rapport, Il. Il, A, 3, b. Cf. Ann. 1976. p. 759, sqq.

(17) Rapport. Il. Il. A. 3. a. Cf. Ann. 1976, p. 755.

(18) Ibid. Cf. Ann. 1976, p. 757.

(19) Ibid. Cf. Ann. 1976, p. 755.

(8)

La tolérance officielle peut avoir lieu à différents niveaux. Les supé- rieurs des responsables immédiats, tenus au courant de tels actes, ne prennent aucune mesure pour les réprimer ou pour empêcher leur répétition. Ou une autorité plus élevée, confrontée à de nombreuses allégations, manifeste de l'indifférence en refusant toute enquête adéquate. Ou encore, dans les procédures judiciaires, les plaintes ne sont pas entendues équitablement (20).

Il va sans dire que lorsqu'une pratique a été autorisée par les organes compétents, elle constitue comme telle une pratique administrative (21 ).

5. La notion de pratique administrative remplit une double fonction.

Premiérement, au stade de l'examen de la recevabilité, elle sert à déterminer si la régie de l'épuisement des recours internes s'applique.

Lorsque la tolérance a lieu à un niveau élevé, il faut présumer que le plaignant ne peut obtenir satisfaction sur le plan interne. Lorsque la tolérance a lieu à un niveau inférieur, la Commission examinera dans chaque cas si les recours internes étaient efficaces et auraient dO être utilisés, parce que, dans une telle situation, il demeure possible de supposer que les tribunaux offrent une protection efficace.

D'autre part, la notion de pratique contraire à la Convention joue un rôle quant au fond. Lorsqu'une violation représente une pratique, elle est plus grave. Le niveau de la tolérance est aussi significatif, parce que plus il est élevé, plus l'infraction est répréhensible (22).

6. Au cas particulier, la Commission avait accepté, lors de l'examen de la recevabilité, de considérer la question si le traitement des détenus ou internés, en particulier les méthodes d'interrogatoire appliquées auxdits détenus ou internés, constitue une pratique administrative en violation de l'article 3 de la Convention (23). Ainsi, le probléme de l'épuisement des recours internes avait déjà été tranché. Restait seulement à décider quant au fond.

7. La Cour n'a pas repris le cheminement de la Commission. Abordant ce point briévement, elle souligne que le requérant ne dénonçait pas des violations prétendument souffertes par des individus qu'il aurait repré- sentés. Il dénonçait une pratique comme telle, sans demander à la Cour ou

(20) Ibid. Cf. Ann. 1976, p. 755.

(21) Rapport, Il,11, A, 3, c. Cf. Ann. 1976, p. 767.

(22) Ibid. Cf. Ann. 1976. p. 763 sqq.

(23) Rapport, Annexe li. Cf. Ann. 1972, p. 255.

(9)

à la Commission de rendre une décision sur chacun des cas présentés à titre d'illustration de la pratique. En conséquence, la régie de l'épuisement des recours internes ne s'appliquait pas (24).

IV

1. On se rappelle que l'une des accusations principales visait l'usage des cinq techniques d'interrogatoire et d'autres mauvais traitements violant, selon le requérant, l'article 3 de la Convention. Ce texte dispose:

Nul ne peut étre soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

2. Les cinq techniques furent utilisées dans quatorze cas. Elles sont décrites ainsi:

(a) Station debout contre un mur: contraindre les détenus à rester pendant des périodes de quelques heures dans une position de tension consistant, selon ceux qui y furent soumis, à faire le grand écart contre le mur, avec leurs doigts posés contre ce dernier, bien en dessus de la téte, les iambes écartées et les pieds retournés,

ce

qui les obligeait à

se

tenir sur

les orteils, le poids du corps portant essentiellement sur les doigts;

(b) Encapuchonnement: mettre un sac noir ou bleu marine sur la téte des détenus et, du moins au début, l'y laisser tout le temps sauf pendant l'interrogatoire;

(c) Soumission au bruit: avant les interrogatoires, placer les détenus dans une chambre où résonnait un bruit strident et continu;

(d) Privation de sommeil: avant les interrogatoires, priver les détenus de sommeil;

(e) Privation de nourriture et de boisson: soumettre les détenus à un régime réduit pendant leur séiour au centre et avant leurs interroga- toires (25).

Il n'a pas été possible de déterminer exactement la durée pendant laquelle ces personnes furent soumises aux cinq techniques. La Commis-

124) Jugement, 159.

125) Jugement, 96; Rapport, Il, Il, 8, 3 et4. Cf. Ann. 1976, p. 785.

(10)

sion était convaincue que T 6 et T 13 (dont les cas furent examinés en détail) furent interrogés de la sorte pendant quatre ou peut-être cinq jours.

T 6 et T 13 furent tenus contre le mur pendant différentes périodes d'un total de vingt à trente heures. Aucune lésion corporelle ne résulta de l'application des cinq techniques en tant que telles. Cependant, les témoins perdirent du poids et développérent des symptOmes psychiatriques aigus durant leurs interrogatoires (26).

T 13 et T 16 intentèrent une action civile en réparation du dommage causé par l'emprisonnement illicite et les voies de fait. Leurs demandes furent réglées par le versement de 15.000 et 14.000 livres. Les autres personnes victimes des cinq techniques reçurent des dommages-intèrêts allant de 10.000 à 25.000 livres (27).

3. La Commission cita les définitions de traitement inhumain, de torture et de traitement dégradant qu'elle posa dans la première affaire grecque. La notion de traitement inhumain couvre pour le moins un traitement qui provoque volontairement de graves souffrances mentales ou physiques et qui, en l'espèce, ne peut se justifier (28). Le mot torture est souvent utilisè pour décrire un traitement inhumain ayant pour but, par exemple, d'obtenir des informations et des aveux ou d'infliger une peine, et c'est génèralement une forme aggravée de traitement inhumain (29). Enfin, le traitement (ou la punition) d'un individu peut être qualifié de dégradant s'il l'humilie grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou sa conscience (30).

Se référant à l'histoire législative de la Convention, la Commission cita la déclaration d'un représentant du Royaume-Uni: Personne ne doit ( ... ) être soumis à un emprisonnement avec un excès de lumière, d'obscurité, de bruit ou de silence destiné à provoquer un état de souffrance mentale (31).

De plus, la Commission prit en compte les Conventions de Genève qui, indique+elle, constituent l'expression des principes généraux du droit international quant aux (procédures d'enquête) et au traitement des prisonniers ... (32). L'article 17 de la troisième Convention de Genève

(26) Jugement, 104, Rapport, ibid. CI. Ann. 1976, p. 787.

(27) Jugement, 107.

(28) Rapport, Il, Il, A, 2. Cf. Ann. 1976, p. 749.

(29) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976, p. 749.

(30) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976, p. 749.

(31) Rapport, Il, Il, 6,4. Cf. Ann.1976, p. 791.

(32) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976, p. 791.

(11)

prévoit: Les prisonniers qui refuseront de répondre ne pourront être ni menacés, ni insultés, ni exposés à des désagréments ou désavantages de quelque nature que ce soit (33). Selon l'article 89 de la quatriéme Convention, les internés civils doivent recevoir une nourriture suffisante qui les conserve en bonne santé. Et selon l'article 118 de ce même texte, l'emprisonnement sans lumière naturelle est interdit (34).

4. Se fondant sur ces principes, la Commission considéra l'application combinée des cinq techniques (35). Pour elle, la tension causée par ces techniques n'est pas seulement différente, en fait de degré, du traitement inhumain tel que défini plus haut. Les cinq techniques appliquées ensemble brisent, voire suppriment la volonté même des personnes les plus résis- tantes, en empêchant l'usage des sens (36). Elles affectent directement, sur les plans physique et mental, la personnalité de ceux qui y sont soumis (37).

De plus, elles sont appliquées de manière systématique afin d'induire les victimes à fournir des informations (38). Ainsi, à l'unanimité, la Commission vit en elles non seulement une forme de traitement inhumain et dégradant, mais un système moderne de torture (39). Comme leur usage était répété et autorisé, il s'agissait d'une pratique (40).

5. Bien que cette manière de voir n'ait pas été contestée par le gouvernement défendeur, la Cour ne suivit pas la Commission. A ses yeux, l'intention des rédacteurs de la Convention était de distinguer entre la torture et le traitement inhumain afin d'attacher un stigmate particulier à un traitement inhumain délibéré causant des souffrances très graves et cruelles. Le critère principal réside dans l'intensité de la souffrance (41). La Cour s'appuya sur une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies qui déclare que la torture constitue une forme aggravée et délibérée de traitement cruel, inhumain et dégradant (42). En conséquence, elle décida, par un vote de treize contre quatre, que la souffrance infligée par l'usage des cinq techniques n'était pas assez vive pour atteindre le degré de la torture. Il s'agissait bien plutôt d'un traitement inhumain et dégra-

(33) Rapport. ibid. Cf. Ann. 1976, p.793.

(34) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976. p. 793.

(35) Rapport. ibid. Cf. Ann. 1976, p. 793.

(36) Rapport, ibid, Cf. Ann. 1976, p. 793.

(37) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976, p. 793.

(38) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976, p. 795.

(39) Rapport, ibid. Cf. Ann. '1976, p. 795.

(40) Rapport, ibid. Cf. Ann. 1976, p. 789.

(41) Jugement,167.

(42) Jugement, ibid.

(12)

dant (43). Les juges minoritaires relevèrent que les dèfinitions de la Cour et de la Commission n'étaient pas très différentes. De plus, la Commission, qui avait examiné les faits de très près, était dans une meilleure position pour les évaluer et pour mesurer l'intensité de la souffrance (44).

6. On ne s'attardera guère sur les autres plaintes touchant les violations de l'article 3. Afin de montrer Que la Commission étudia minutieusement les allégations de mauvais traitements formulées devant elle et qu'elle appliqua soigneusement les critères exposés ci-dessus, retenons ceci.

S'agissant des faits, la Commission, avant d'indiquer ses propres conclusions, reprend longuement les expertises médicales, examine toutes les explications possibles autres que celles invoquées par le requérant, présente les témoignages des forces de sécurité et le pOint de vue des victimes (45). Bien que les forces de sécurité aient choisi de nier absolument les accusations portées contre elles, leur version fut rejetée dans une très large mesure.

La Commission établit qu'en un lieu nommé Palace Barracks certaines personnes furent battues sévèrement par des membres des forces de sécurité pendant leurs interrogatoires. Les coups avaient pour but de faire parler les détenus. Selon la Commission, bien que révélant un degré considérable de violence, le procédé ne revêtait pas le caractère de la torture, mais du traitement inhumain (46). Elle le tint au surplus pour une pratique (47). Dans trois autres cas, la Commission parvint à la conclusion que les violences en cause étaient une forme de traitement inhumain et dégradant, mais ne constituaient pas une pratique (48). Enfin, elle décida que les exercices pénibles auxquels d'autres prisonniers furent soumis en un lieu dit Ballykinler ne pouvaient pas être regardés comme un traitement inhumain ou dégradant, même si l'on admettait que le traitement était rigoureux. délibéré. voire illégal (49).

La Cour, qui fut sollicitée par le requérant de compléter les conclusions de la Commission, refusa de les modifier (50).

(43) Jugement, 168.

(44) Cf. les opinions séparées des juges Zekia, Q'Oonoghue, Evrigenis et Matscher.

(45) Rapport. Il. Il. C. 2. Cf. Ann. 1976, p. 809.

(46) Rapport. Il,11, C, 3. b, i. Cf. Ann. 1976. p. 913 sqq.

(47) Rapport. ibid. Cf. Ann. 1976, p. 913 sqq.

(48) Rapport, Il, Il, C, 3, b. ii. Cf. Ann. 1976. p. 923 sqq.

(49) Rapport. Il. Il. C. 3, b. iii. Cf. Ann. 1976, p. 927 sqq.

(50) Jugement, 173 sqq.

(13)

v

1. Le gouvernement requérant critiqua les dispositions relatives à la privation extrajudiciaire de liberté telles qu'elles furent appliquées en Irlande du Nord d'août 1971 à mars 1975. Nous n'examinerons ici que deux questions: premièrement, celle de la conformité de ces dispositions à l'article 5 de la Convention (51); en second lieu, celle du droitde dérogation en cas de guerre ou d'autre danger public menaçant la vie de la nation, ancré dans l'article 15 (52).

2. Selon l'article 5, alinéa 1, lettre c de la Convention, peut être privé de sa liberté en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente celui qu'il y a des raisons plausibles de soupçonner d'avoir commis une infraction.

Le règlement No 10 donnait à tout officier de la Police royale de l'Ulster le pouvoir d'arrêter ou de détenir un justiciable pendant vingt-quatre heures afin de l'interroger, dans la mesure où l'officier était d'avis que l'arrestation avait lieu «en vue du maintien de la paix et de l'ordre». Il n'était pas nécessaire que le justiciable fût soupçonné d'une infraction. En fait des arrestations furent parfois ordonnées afin d'interroger une personne sur les activités d'autrui. Ainsi, l'élément de suspicion renfermé dans l'article 5, alinéa l, lettre c n'était pas respecté (53).

3. Selon l'article 5, alinéa 2 de la Convention, toute personne arrêtée doit être informée dans le plus court délai des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

Les réglements No 10 et 11, ainsi que la loi sur les mesures d'urgence ne prévoyaient pas que les personnes arrêtées dussent recevoir une telle information. En réalité, selon les instructions délivrées par la police militaire, ces personnes n'étaient pas informées des motifs de leur arresta- tion. En conséquence, l'article 5, alinéa 2 de la Convention était enfreint (54).

(51) Rapport, 1. ch. 1, Il, C, 1. Cf. Ann. 1976, p. 569 sqq. Voir, sur ces questions, D. Poncet, La protection de l'accusé par la Convention européenne des droits de l'homme. Genève, 1977.

(52) Rapport, l, ch. 1, Il, C, 3. Cf. Ann. 1976, p. 585.

(53) Jugement. 194 sqq. Pour une description des règles en vigueur pendant la période considérée, voir Jugement, 80 sqq.; Rapport, 1. ch. 1, Il, B, 2. Cf. Ann.1976, p. 551 sqq.

(54) Jugement, 198.

(14)

4. Selon l'article 5, alinéa 3 de la Convention, toute personne arrêtée ou détenue aux fins de l'article 5, alinéa 1, lettre c jouit de deux droits.

Premiérement, elle doit être aussitOt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Seconde- ment, elle a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure.

Le règlement No 11 (2) ne prévoyait pas que les personnes arrêtées dussent être traduites devant un tribunal, bien que, en fait, elles l'aient parfois été. Le règlement No 12 (1) ètablissait une commission consultative composée d'un juge et de deux laïcs, qui examinait la situation de tous les internès et qui pouvait recommander, mais non pas ordonner, la mise en liberté. Comme, selon l'article 5, alinéa 3, la comparution devant un tribunal de toute personne arrêtée ou détenue est obligatoire et que l'autorité judiciaire mentionnée dans ce texte doit être compétente pour ordonner la mise en liberté, ces règlements n'étaient pas conformes à la Convention.

Bien que l'ordonnance sur les terroristes et, plus tard, la loi sur les mesures d'urgence investissent la commission précitée du pouvoir d'ordonner la mise en liberté, la comparution pouvait être repoussée jusqu'à vingt jours après l'arrestation. En conséquence, les détenus n'étaient pas traduits aussit6t devant un juge.

En ce qui concerne le droit au procès, il sied de noter que la détention selon ces règlements avait précisément lieu parce que, de l'avis des autoritès, les circonstances règnant à l'époque rendaient trop difficile la mise en oeuvre des procèdures régulières. A cet égard encore, les garanties de l'article 5 faisaient défaut (55).

5. Selon l'article 5, alinéa 4 de la Convention, quiconque est privè de sa liberté ensuite d'arrestation ou de détention a le droit de recourir devant un tribunal afin que ce dernier examine à bref délai la légalité de sa dètention et ordonne sa libèration si la détention est illégale.

Les règlements 10, 11 (1) et 11 (2) ne prévoyaient pas un tel droit. De plus, comme nous l'avons vu, la commission ètablie par le règlement 12 (1) n'avait pas compètence pour ordonner la mise en libertè. Enfin, d'après l'ordonnance sur les terroristes et, par la suite, la loi sur les mesures d'urgence, seul le chef de la police et, dans certaines circonstances, le secrètaire d'Etat étaient habilités à déférer devant le commissaire le cas

(55) Jugement, 199.

(15)

d'une personne soumise à un ordre de détention provisoire. Derechef, les garanties de l'article 5 étaient éludées (56).

En résumé, la Commission et la Cour déclarérent que de nombreux textes édictés afin de réprimer le terrorisme étaient incompatibles avec l'article 5 de la Convention. La question se posait alors de savoir si l'article 15 de la Convention ne permettait pas de justifier ces écarts.

6. Selon ce texte, en cas de guerre ou d'autre danger publie menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie Contractante est autorisée à prendre des dispositions dérogeant à ses obligations dans la mesure strictement requise par la situation. Une telle dérogation est exclue s'agissant de l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. En revanche, elle est admise s'agissant de la privation de liberté.

Le gouvernement requérant ne mettait pas en question l'existence du cas de danger public. Cependant, il affirmait que la mesure strictement requise avait été outrepassée par le défendeur.

La Cour rappela qu'à son avis les autorités nationales ont une large marge d'appréciation quand il s'agit de déterminer s'il y a cas de danger public et quelles dispositions s'imposent pour y faire face. Néanmoins, la Cour et la Commission ont le pouvoir de dire si les Etats sont allés au-delà de la mesure strictement nécessaire. Comme l'exprime la Cour: la marge d'appréciation, sur le plan national, est accompagnée d'un contr61e sur le plan européen (57).

En ce qui concerne la privation extrajudiciaire de liberté, en dérogation de l'article 5, alinéa 1, la Cour les estima justifiées selon l'article 15. Même la détention de témoins fut admise, mais la Cour souligna que c'était seulement en raison du caractére exceptionnel de la situation.

Au requérant qui protestait que la privation extrajudiciaire de liberté avait été inefficace et avait augmenté plutOt que diminué les manifestations de terrorisme, la Cour répondit qu'il ne lui appartenait pas d'établir quelle eût été la meilleure méthode pour combattre ce fléau (58).

Les dérogations à l'article 5, alinéas 2 à 4 furent aussi tenues pour admissibles. La Cour estima que l'application de mesures étendues était

(56) Jugement, 200.

(57) Jugement, 207.

(58) Jugement, 212 sqq.

(16)

justifiée, même si certains individus ont été détenus pendant quelques années, comme ce fut le cas sous l'empire du réglement 12 (1), de l'ordonnance sur les terroristes et de la loi sur les mesures d'urgence. Elle releva que la législation et la pratique incriminées avait été modifiées plusieurs fois et qu'elles avaient montré un respect croissant pour la liberté individuelle (59).

VI

1. Avant de conclure, nous voudrions examiner une question importante soulevée par le gouvernement requérant s'agissant de l'article 1 er de la Convention. La République d'Irlande affirma que, faute d'avoir garanti les droits de l'homme en cause, le Royaume-Uni avait violé une obligation interétatique créée par cet article, qui dispose: Les Hautes Parties Contrac- tantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au Titre 1 de la présente Convention. Cette violation serait indépendante des violations commises au détriment des individus. Le Royaume-Uni aurait dO prendre des mesures préventives ou curatives contre ces violations. En particulier, il aurait dO édicter des régies afin de les empêcher de se produire (60).

2. Voici comment la Cour décrit les obligations découlant de la Conven- tion:

Contrairement aux traités internationaux de style classique, la Conven- tion contient plus que des engagements réciproques des Etats contrac- tants. Elle crée, outre un réseau de promesses individuelles et bilatérales, des obligations objectives qui, selon les termes du préambule, bénéficient d'une garantie collective (61).

A la lumiére des explications de la Commission et de la Cour, la garantie collective de ces obligations objectives se subdivise en deux points. D'une part, qui peut exiger l'observation des engagements pris? D'autre part, quels actes ou omissions peuvent-ils être attaqués dans le cadre de la Convention? (62).

(59) Jugement, 215 sqq .. 220.

(60) Rapport, III, l, A.

(61) Jugement, 239.

(62) Jugement. ibid.

(17)

3. La réponse à la première question se trouve dans les articles 24 et 25 de ce textè (63). On a souvent insisté sur le fait que l'un des traits les plus intéressants de la Convention est qu'elle donne non seulement aux parties contractantes, mais aussi aux individus, le droit de demander le respect de ses dispositions.

4. Bien qu'elle se trouve dans les mêmes articles, la réponse à la deuxième question est plus délicate. Il faut examiner séparément les violations dénoncées par les Etats et celles dénoncées par les individus.

a) S'agissant des Etats, il résulte directement du texte de la Convention que tout Etat peut saisir la Commission de tout prèjudice subi, ensuite d'une violation, par tout individu, Que ce dernier soit, ou non, un de ses nationaux.

De plus, tout Etat peut s'en prendre à la simple existence d'une loi qui introduit, commande ou autorise des mesures incompatibles avec la Convention. Cependant, les termes de la loi critiquée doivent être suffisam- ment clairs pour rendre la violation immédiatement apparente (64).

Au cas particulier, la Commission, se concentrant sur l'article 1er (comme l'y invitait le requérant), estima qu'une violation, au détriment des individus, de droits garantis par la Convention, n'entraine pas une violation séparée de cette disposition (65). La Cour, concentrant son attention sur l'article 24, posa le probléme de manière différente. Elle s'interrogea si, outre la violation in concreto des droits d'individus déterminés, il y avait une autre violation résultant de l'existence d'une loi qui, in abstracto, était contraire à la Convention. Elle parvint à la conclusion que, in abstracto, et compte tenu du droit de dérogation ancré dans l'article 15, les lois et règlements incriminés ne violaient pas la Convention (66).

(63) Article 24: Toute Partie Contractante peut saisir la Commission, par l'intermédiaire du Secrétaire Général du ConseU de l'Europe, de tout manquement aux dispositions de la présente Convention qu'elle croira pOUVOir être imputé à une autre Partie Contractante. ' Article 25: La Commission peut être saisie d'une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une violation par J'une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la présente Convention, dans le cas où la Haute Partie Contractante mise en cause a déclaré reconnaitre la compétence de la Commission dans cette matiere.

(641 Jugement, 240.

(651 Rapport III, Il, 1. CI. Ann. 1976, p. 935 sqq. Voir aussi le mémoire final déposé le 22 avril 1977 par le principal délégué de la Commission sur l'article 1er de la Convention.

(661 Jugement. 240 sqq.

(18)

b) S'agissant des individus, il résulte de l'article 25 que tout individu peut demander la réparation d'une violation dont il prétend être la victime (67). Sans aucun doute, cette règle s'applique au cas dans lequel l'individu a personnellement souffert un préjudice.

Mais un individu peut-il attaquer une loi contraire à la Convention même si elle n'a pas encore èté appliquée à son détriment? La Commission déclara que, dans de telles circonstances, l'individu peut souvent prétendre être une victime aux fins de l'article 25 (l'existence d'une loi violant la Convention le prive d'un droit garanti par cette dernière) (68). La Cour n'a pas expressément relevé cette possibilité.

VII

Comme nous l'avions annoncé, notre ambition s'est limitée à présenter l'essentiel du litige opposant la République d'Irlande au Royaume-Uni.

Rassemblons quelques traits saillants.

D'abord, la Commission a légèrement modifié l'idée qu'elle se fait de son rOle. Sa fonction conciliatrice ne vise pas seulement à obtenir que le défendeur renonce, en fait, au comportement incriminé. Les principes eux-

mêmes doivent être sauvegardés. Et la partie poursuivie n'échappe à la sanction que si elle reconnait expressément leur portée. Ainsi l'a, d'ailleurs, confirmé la Cour. On remarquera cependant que, sur le plan pratique, la proCédure antérieure au jugement a eu d'importants effets. Alors même qu'elle n'admettait pas que l'usage des cinq techniques violait la Conven- tion, la Grande-Bretagne a promis solennellement, avant droit jugé, de ne plus recourir à cette méthode d'interrogation.

Encore que, comme l'a déclaré la Cour, la règle de l'épuisement des voies de droit internes ne s'applique pas dans une procédure entre Etats, l'affaire d'Irlande a fourni à la Commission l'occasion de préciser cette exigence. En clarifiant la notion de pratique administrative, la Commission facilite l'accès des justiciables à la protection européenne. Lorsque la pratique en violation de la Convention est tolérée à un haut niveau, l'Etat encourt une sanction sur le plan international même si ses tribunaux ont pu allouer une réparation aux victimes. Ces dernières bénéficient des procé- dures d'investigation de la Commission toutes les fois que l'existence d'une pratique suscite des doutes quant à l'efficacité des recours domestiques.

(67) Dans l'hypothèse, bien sûr, où la compétence de la Commission a été reconnue.

(68) Rapport, 111.11, 1. Cf. Ann.1976, p. 937.

(19)

On aura été frappé par le fait que, bien que le gouvernement défendeur ne contestât pas les conclusions de la Commission, la Cour ait rejeté le point de vue de cette dernière quant à la question de savoir si les cinq techniques devaient être qualifiées de torture. Il est évident que l'usage combiné de ces techniques, pendant un laps de temps relativement long, provoque des souffrances extrêmement vives sur les plans tant psychique que physique. Est-il heureux d'avoir placé si haut le seuil d'intensité de la souffrance, alors que les textes applicables ne l'imposaient point? Les pays où sévissent des méthodes comparables à celles employées en Irlande du Nord ne tireront-ils pas un parti sinistre de ce jugement pour échapper à l'accusation de torture?

La présente affaire illustre bien la distinction entre deux classes de droits: ceux auxquels l'Etat ne peut porter atteinte en aucune hypothése (sauf cas de guerre) et, d'autre part, ceux qui le cèdent à la protection de l'Etat lui-même lorsque son existence est en danger. La prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants l'emporte sur la sauvegarde de l'Etat. Mais cette dernière ne s'efface pas devant les garanties de la liberté.

Le systéme établi par la Convention a vu tourner, pour la première fois, un rouage important: celui de l'action d'un Etat contre un autre Etat devant la Cour européenne des droits de l'homme. A cette occasion, des questions nouvelles ont surgi quant à la nature des atteintes que les parties se sont interdites: des actes concrets, mais aussi le maintien ou l'adoption de lois enfreignant la Convention.

Enfin, dans ce procés, seul un aspect de la situation tragique déchirant l'Irlande du Nord fut examiné. Ainsi qI/elle le note, la Cour n'a pas eu à se prononcer sur les activités des terroristes, qui ont violé les droits de l'homme de manière flagrante (69). Malgré les infractions commises, le Royaume-Uni, en signant la Convention, puis en se soumettant aux procédures prévues par cette dernière, a reconnu par l'exemple la primauté des droits de l'homme, lesquels protègent ceux même qui les renient.

(69) Rapport, 149.

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