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Le tort moral suite à la perte d'un proche? - le cas Anna Politkowskaja devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Le tort moral suite à la perte d'un proche? - le cas Anna Politkowskaja devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme

ETITINWO, Leah Homa

Abstract

Le 7 octobre 2006, Mme Anna Politkowskaja, journaliste d'investigation et ressortissante russe, a été assassinée en Russie. Après avoir saisi la Cour Européenne des Droits de l'Homme, ses proches obtiennent une indemnité pour le tort moral qu'ils ont subis, en vertu de l'article 2 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (droit à la vie). Comment donc expliquer qu'une telle indemnité soit accordée aux proches en se basant sur cette disposition, étant donné que la victime directe est déjà décédée? En se basant sur cette affaire et en analysant le droit comparé à ce sujet, ce mémoire tente de comprendre le raisonnement de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, en ce qui concerne le tort moral suite à la perte d'un proche.

ETITINWO, Leah Homa. Le tort moral suite à la perte d'un proche? - le cas Anna Politkowskaja devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Master : Univ.

Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:127600

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Université de Genève – Faculté de droit Mémoire de master

Semestre académique printemps 2019

Le tort moral suite à la perte d’un proche ? – le cas Anna Politkowskaja devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Travail rédigé sous la direction des Professeurs Thomas Kadner Graziano et Bénédict Winiger

Dans le cadre du séminaire « Questions d’actualité en droit comparé des obligations (contractuelles ou délictue lles) et en droit international privé »

Le 29 avril 2019

Leah Etitinw o

Leah.Etitinw o@etu.unige.ch

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Tables des matières

I. Introduction ... 1

II. L’affaire d’Anna Politkowskaja devant la CrEDH ... 2

III. Les des différentes dispositions de la CEDH ... 4

1. Les obligations découlant de l’article 2 CEDH (droit à la vie) ... 4

2. Comment les proches peuvent-ils donc déposé une requête devant la CEDH en cas de décès de la victime directe ? ... 5

3. Mais alors pourquoi l’article 2 CEDH (droit à la vie) et non l’article 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) ? ... 6

4. Présentation de l’article 13 de la CEDH (droit à un recours effectif) ... 8

5. L’article 41 de la CEDH (satisfaction équitable) ... 8

6. Quel est donc le raisonnement de la CrEDH lorsqu’elle accorde une indemnité en tort moral aux proches pour leur souffrance émotionnelle causée par le décès de la victime directe ? ... 9

IV. Comment est-ce que la CrEDH articule ce raisonnement face aux spécificités du droit national en cause ? L’approche de la CrEDH face au droit anglais ... 10

1. Le droit anglais ... 10

2. L’affaire Keenan ... 11

3. L’affaire Edwards ... 12

4. L’affaire Reynolds ... 13

5. En résumé ... 14

V. Affaires récentes devant la CrEDH sur le même sujet ... 15

VI. Le raisonnement de la CrEDH est-il justifié ? ... 19

1. Le droit anglais en la matière ... 19

2. Le droit allemand en la matière ... 20

3. Le droit suisse en la matière ... 20

4. Ainsi est-ce que le raisonnement de la CrEDH est justifié ? ... 22

VII. En conclusion ... 22

VIII. Annexe ... 25

IX. Bibliographie ... 26

Attestation de non-plagiat ... 30

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I. Introduction

Le 7 octobre 2006, Mme Anna Politkowskaja, journaliste d’investigation et ressortissante russe, a été assassinée en Russie1. Afin de rechercher les responsables de ce meurtre, sa famille a recouru devant plusieurs cours nationales en Russie2. À l’issue des enquêtes menées, certaines personnes ont été jugées coupables mais l’auteur moral de ce crime, soit la personne ayant financé le crime, n’a pas été identifiée3. Ainsi, la famille a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après la CrEDH) en 2015. Celle-ci a accordé à la famille une indemnité de 20 000 EUR pour le tort moral subi4, et ce en se fondant sur l’article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme5 (ci-après : CEDH) du 4 novembre 1950, qui protège le droit à la vie. Comment se fait-il que les proches de Mme Politkowskaja puissent obtenir une telle indemnité sur la base du droit à la vie, étant donné que la victime directe est décédée ? Quel a donc été le raisonnement de la CrEDH ? N’aurait-il pas été plus judicieux d’admettre une telle indemnité en se basant sur l’article 8 de la CEDH qui protège le droit à la famille ?

Or, la CEDH ne contient pas de règles formelles sur la responsabilité civile6. Est-ce que la CrEDH se serait donc inspirée des droits internes des Etats Membres du Conseil de l’Europe pour admettre un tort moral aux proches lorsqu’il existe un décès de la victime directe ? Certains droit nationaux prévoient une telle indemnité dans leur système légal. Le tort moral pour les proches est parfois admis que pour certains proches prévus dans la loi ou la jurisprudence (comme c’est le cas en Allemagne7, en Suisse8 et au Royaume-Uni9). Parfois, cette indemnité est une somme fixe (comme c’est le cas dans le droit anglais10). Or, d’autres droits nationaux ne prévoient pas de telles compensations dans leurs lois (tel était le cas du droit néerlandais jusqu’en 201911). Ainsi, quelle est donc la position de la CrEDH face au droit national en cause ?

1 ACEDH Mazepa et autres c. Russie, 17 juillet 2018, requête n°1508/07, para. 6-7.

2 Voir ibid., para. 18ss et 31.

3 Ibid., para. §§37-39 et §45 ; voir aussi Notes d’information sur la jurisprudence Mazepa, p. 1.

4 ACEDH Mazepa et autres, para. 88 ; voir aussi Notes d’information sur la jurisprudence Mazepa, p. 2.

5 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH ; RS 0.101).

6 Voir VAN DAM Cees, p. 23 (traduction de l’anglais par l’auteure).

7 §884(3) du Code Civil allemand (le Bürgerliches Gesetzbuch).

8 Art. 47 du Code des Obligations suisse.

9 Art. 1A par. 2 de la loi de 1976 sur les accidents mortels (Fatal Accidents Act 1976).

10 Art. 1A par. 3 de la loi de 1976 sur les accidents mortels (Fatal Accidents Act 1976).

11 L’ancien article 6 :108 du Code Civil néerlandais (Burgerlijk Wetboek) ne prévoyait aucun tort moral accordé aux proches de la victime directe. Depuis janvier 2019, le Code Civil a été modifié pour inclure une indemnité pour deuil ; voir : https://www.government.nl/latest/news/2018/12/20/new-legislation-as-of-1-january-2019 (site du gouvernement néerlandais); voir aussi https://iclg.com/practice-areas/aviation-laws-and-

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En partant d’une analyse de l’affaire sur le meurtre de Mme Anna Politkowskaja, nous essayerons de comprendre le raisonnement adopté par la CrEDH. Ensuite, par un examen des affaires rendues contre le Royaume-Uni, nous observerons la position de la CrEDH face aux spécificités du droit anglais en la matière. Puis, en regardant la casuistique récente de la CrEDH sur cette question, nous constaterons qu’il existe des incohérences dans le raisonnement de la CrEDH. Enfin, par une critique des droits anglais, allemand et suisse en la matière, nous essayerons de déterminer si le raisonnement de la CrEDH est justifié ou non.

II. L’affaire d’Anna Politkowskaja devant la CrEDH

L’affaire Mazepa et autres c. Russie12 concerne l’enquête sur le meurtre de la journaliste Anna Politkowskaja. Mme Politkowskaja, de nationalité russe, a été tuée par balle le 7 octobre 2006 dans l’ascenseur de son immeuble où elle habitait à Moscou. Elle était une journaliste d’investigation renommée notamment pour ses enquêtes sur des allégations de violations des droits de l’homme en République tchétchène et pour ses vives critiques envers la politique du Président Vladimir Putin13. Les requérants devant la CrEDH sont des membres de la famille de Mme Anna Politkowskaja, à savoir : sa mère, sa sœur et ses enfants adultes14. En se basant sur l’article 2 (droit à la vie) de la CEDH, les requérants alléguaient que l’enquête menée par les autorités russes sur l’assassinat de la journaliste était ineffective, car l’enquête n’a pas pu identifier les personnes qui ont commissionné et financé le crime, ce qui était contraire à l’article 2 de la CEDH15.

Dans cette affaire, la CrEDH s’est d’abord penchée sur la question du statut de victime. En effet, le Gouvernement russe prétendait que les requérants n’avaient plus la qualité de victime, étant donné qu’une indemnité avait déjà été octroyée aux enfants d’Anna Politkowskaja lors des procédures internes16. Or, selon la CrEDH, la question centrale était celle du respect par l’État défendeur de son obligation de mener une enquête effective sur le meurtre commandité d’une journaliste d’investigation. Ainsi, l’argument du Gouvernement a été rejeté par la

regulations/compensation-for-non-pecuniary-losses-in-wrongful-death-cases-addressing-the-global- inconsistency.

12 ACEDH Mazepa et autres c. Russie, 17 juillet 2018, requête n°1508/07.

13 Ibid., para. 6-7.

14 Ibid., para. 5 et l’annexe de l’affaire.

15 Ibid., para. 3 et 41.

16 Ibid., para. 63 ; il est difficile de savoir si c’était une indemnité en tort moral, des dommages et intérêts, voire même une autre compensation. En tout état de cause, il semblerait que le droit russe ne comprenne pas de base légale octroyant un tort moral pour les proches (voir en annexe).

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CrEDH17. Ensuite, la CrEDH a certes admis que l’enquête menée par les autorités nationales avait abouti à des résultats tangibles puisque cinq personnes ont été reconnu coupables du meurtre de la journaliste. Toutefois, la CrEDH partait du principe que lorsqu’elles enquêtent sur un meurtre commandité, les autorités nationales doivent adopter des mesures d’enquête réelles et sérieuses afin d’identifier l’auteur moral de l’infraction, soit le ou les commanditaires de l’homicide18. Or, les enquêtes internes s’étaient simplement limitées à une seule piste, à savoir « un ancien homme politique russe connu résident à Londres »19 décédé en 201320. Par ailleurs, compte tenu du travail d’Anna Politkowskaja sur le conflit en Tchétchénie, les autorités d’enquête auraient dû examiner l’implication alléguée d’agents du service fédéral de sécurité ou de représentants de l’administration tchétchène21. Par conséquent, en vertu de l’article 41 de la CEDH, la CrEDH a retenu une violation de l’article 2 de la CEDH dans son volet procédural et ainsi accordé une indemnité de 20 000 EUR pour le tort moral subi par les requérants22.

Les opinions des juges ne seront pas examinées dans ce travail, étant donné qu’elles ne concernaient pas le statut de victime des requérants, ni l’octroi d’une indemnité du tort moral, ni même l’état du droit russe à l’époque des faits. Les opinions critiquaient essentiellement l’argumentation de la CrEDH en ce qui concerne l’effectivité ou l’ineffectivité de l’investigation menée par les autorités nationales23.

Dans cette affaire, pour admettre une telle indemnité, la CrEDH n’a pas fait un examen, ni même un constat du droit de la responsabilité civile russe. Elle a simplement mentionné qu’une compensation a été accordée aux deux enfants d’Anna Politkowskaja, dans le cadre de la procédure pénale. Or, à l’époque des faits, le tort moral accordé aux proches de la victime directe n’était pas prévu dans le droit russe24. Quelle a donc été l’approche adoptée par la CrEDH ?

17 ACEDH Mazepa et autres, para. 61-62 et 66-67.

18 Ibid., para. 81.

19 Ibid., para. 77.

20 Ibid.

21 Ibid., para. 75-79.

22 Ibid., para. 84.

23 Voir ACEDH Mazepa et autres, pp. 22-24.

24 Voir VON JEINSEN/KONERT, p. 338.

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III. Les des différentes dispositions de la CEDH

Afin de bien comprendre le raisonnement de la CrEDH, il est important d’avoir un aperçu de quelques dispositions prévues dans la CEDH. Dans cette partie du travail, nous procéderons à un examen des articles 2, 8, 13, 34 et 41 de la CEDH.

1. Les obligations découlant de l’article 2 CEDH (droit à la vie)

En vertu de l’article 2 paragraphe 1, première phrase de la CEDH, « [l]e droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ». Ce droit fait partie des dispositions les plus fondamentales de la CEDH25, car sans la protection du droit à la vie, la jouissance des autres droits prévus par la CEDH serait illusoire. Il est donc important que ce droit soit protégé de manière effective et concrète26. Dans cette perspective, l’article 2 de la CEDH contient plusieurs obligations matérielles et procédurales qui doivent être respectées par les Etats.

Les obligations matérielles contiennent à leur tour deux dimensions : la dimension négative et la dimension positive. En effet, l’Etat ne doit pas seulement s’abstenir de porter atteinte au droit à la vie, à moins qu’il existe un but justifiant le recours à la force (art. 2, par. 2 CEDH). Il doit également prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger ce droit27. Ainsi, l’Etat peut être condamné par la CrEDH s’il est établi que « les autorités [nationales] savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’un individu donné était menacé de manière réelle et immédiate dans sa vie du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures, qui d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié à ce risque »28.

Ensuite, sous l’angle des obligations procédurales, il incombe à l’Etat de prévoir la possibilité d’engager une action civile ou pénale lorsque le droit à la vie est violé ou gravement menacé29. De plus, lorsqu’il existe une allégation d’une violation de l’article 2, l’Etat doit mener une enquête effective capable de conduire à l’identification et à la punition des responsables30.

25 Voir ACEDH Kennan c. Royaume-Uni, 3 avril 2001, requête n°27229/95, para. 130 ; ACEDH Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, 14 mars 2002, requête n°46477/99, para. 96.

26 CONSEIL DE L’EUROPE, Guides bonnes pratiques en matière de voies de recours internes, p. 33 ; voir ACEDH McCann et autres c. UK, 27 septembre 2009, requête n°18984/91, para. 146-147.

27 SCHABAS, Art. 2, p. 122.

28 ACEDH Keenan c. Royaume-Uni, 3 avril 2001, requête n°27229/95, para. 90 ; voir ACEDH Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, 14 mars 2002, requête n°46477/99, para. 55.

29 GONIN/BIGLER, Art. 2, N. 217, p. 82.

30 SCHABAS, Art. 2, p. 134.

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Selon la CrEDH, pour qu’une enquête soit effective, celle-ci doit tout d’abord être adéquate, c’est-à-dire apte à conduire à l’établissements des faits et à l’identification et au châtiment des responsables31. Ensuite, elle doit permettre au public et aux proches de participer à l’enquête32. Elle doit également être menée de manière indépendante et impartiale33. Enfin, elle doit être menée dans un délai raisonnable, ce qui suppose que l’examen de l’affaire doit être prompt et sans retard inutile34.

L’obligation procédurale se distingue des obligations matérielles. C’est-à-dire que l’obligation procédurale existe de manière indépendante35. De ce fait, le préjudice subi par les proches de la victime directe est donc que l’enquête menée sur le décès était ineffective, ce qui est une violation de l’article 2 de la CEDH sous son volet procédural. En effet, dans l’affaire Mazepa et autres, la CrEDH attribue une indemnité en tort moral pour les proches, car elle reconnaît que les requérants ont subi une souffrance ou détresse émotionnelle en raison de l’enquête ineffective menée sur le meurtre de Mme Anna Politkowskaja36.

2. Comment les proches peuvent-ils donc déposé une requête devant la CEDH en cas de décès de la victime directe ?

En vertu de l’article 34 de la CEDH (requêtes individuelles), « [l]a Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles ». En effet, la CrEDH a déjà relevé que l’article 34 de la CEDH « est l’un des piliers essentiels pour l’efficacité du système de la Convention »37.

Il est évident qu’une personne décédée ne puisse pas déposer une requête devant la CrEDH, même à travers un représentant légal38. Ainsi, dans le souci de s’assurer une protection effective des droits les plus fondamentaux garantis par la Convention39, « la Cour reconnaît la qualité de victime (locus standi) aux proches parents d’une personne décédée, lorsqu’il est allégué que

31 GONIN/BIGLER, Art 2, N. 247, p. 92.

32 Ibid., N. 268, p. 99.

33 Ibid., N. 277, p. 101.

34 Ibid., N. 287-288, pp. 104-105.

35 Ibid., N. 222, p. 84.

36 ACEDH Mazepa et autres, para. 82 et 88.

37 Voir ACEDH Mamatkulov et Askarov c. Turkey, requêtes n°. 46827/99 et 46951/99, para. 100.

38 ICHIM, p. 157.

39 Voir ACEDH Edwards, para. 97 ; ACEDH Keenan, para. 130.

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son décès engage la responsabilité d’un État partie » 40. En effet, la victime directe ne peut plus se plaindre elle-même d’une violation du droit à la vie. Pour ces raisons, la Convention admet aux proches de la personne décédée la qualité de victime41. A ce titre, les proches peuvent réclamer, en leur nom, une indemnité pour tort moral, sur la base de l’article 41 de la CEDH42. Selon la jurisprudence de la CrEDH, les proches sont le conjoint, les enfants (adultes ou mineurs), les parents ainsi que les frères et sœurs, demi-frères ou demi-sœurs de la victime43.

C’est donc grâce à l’article 34 de la CEDH que les requérants ont pu déposer une requête devant la CrEDH pour ainsi obtenir une compensation pour leur tort moral en raison de la violation du droit à la vie de Mme Anna Politkowskaja44, dans l’affaire Mazepa et autres.

3. Mais alors pourquoi l’article 2 CEDH (droit à la vie) et non l’article 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) ?

L’article 8 paragraphe 1 de la CEDH prévoit que « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Il paraît donc plus évident et il serait peut-être plus cohérent que, sur la base de l’article 8 de la CEDH, les requérants puissent prétendre à un tort moral en raison de leur souffrance émotionnelle causée par la perte d’un proche (soit la mort de la victime directe). L’idée étant que la mort de la victime directe entrave ou même détruit les liens familiaux, ce qui violerait donc leur droit au respect de la vie privée et familiale45.

En tout état de cause, la CrEDH détient une interprétation large de la notion du droit au respect de la vie privée et familiale. Ce droit couvre un domaine très étendu et il s’ensuit que la délimitation exacte du champ d’application matériel de l’article 8 de la CEDH constitue un défi manifeste46. En effet, il n’existe aucune définition définitive de la « vie privée », de la « vie familiale » ni « du droit au respect de la vie privée » a fortiori47. Sous cette disposition, les mesures entravant la jouissance des liens familiaux sont considérées comme des ingérences.

Toutefois, les décisions rendues par la CrEDH concernent le plus souvent les droits de garde

40 GONIN/BIGLER, Art. 2 N. 16, p. 27-28.

41 Voir LEWIS, p. 86.

42 Octavian ICHIM, p. 157.

43 GONIN/BIGLER, Art. 2 N. 16 et 24, pp. 27-28 et p. 30.

44 ACEDH Mazepa et autres, para. 1.

45 VON JEINSEN/KONERT, p. 340.

46 GONIN/BIGLER, Art. 8, N. 3 et 4, p. 474.

47 Ibid., N. 19 p. 476.

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ou de visite, la protection de l’enfant, la famille dans le contexte de l’immigration ou de l’asile ainsi que les questions liées à l’adoption48.

Or, il est important de soulevé que dans plusieurs affaires, telle que l’affaire Edwards49 (qui sera examinée plus tard dans ce travail), les requérants se plaignent non seulement d’une violation de l’article 2 mais aussi d’une violation de l’article 8 de la CEDH. Dans l’affaire Edwards, les requérants reprochaient aux autorités nationales de n'avoir pas protégé la vie de leur fils tué par un codétenu alors qu'il séjournait en détention provisoire. La CrEDH a certes retenu une violation l’article 2 de la CEDH, mais en ce qui concerne l’article 8 de la CEDH, la CrEDH a considéré que « [d]ans leur requête, M. et Mme Edwards soutenaient (…) que l'absence d'un mécanisme d'enquête indépendant et l'impossibilité pour eux, parents d'un fils décédé, de saisir un tribunal traduisaient un non-respect de leur vie familiale. Ils n'ont pas formulé d'observations complémentaires pour étayer leur thèse »50. En conséquence, la CrEDH a tout simplement écarté l’article 8 de la CEDH et a examiné les griefs au regard de l’article 13 de la CEDH51.

Par ailleurs, dans l’affaire Pannullo et Forte52, la fille des requérants était décédée après une hospitalisation d’urgence à la suite d’un contrôle postopératoire dans un hôpital en France. Les requérants alléguaient en particulier la violation du droit au respect de leur vie privée et familiale en raison de la restitution tardive, par les autorités françaises, du corps de leur fille décédée53. Deux enquêtes ont été menées par les autorités nationales. Selon la CrEDH, la première enquête impliquait que le corps de la fille des requérants soit retenu par les autorités pour procéder à une autopsie. Toutefois, en ce qui concerne la seconde enquête, la CrEDH a estimé qu’il y avait une ingérence dans la vie privée et familiale des requérants. Ainsi, la CrEDH a considéré, « que compte tenu des circonstances dramatiques du décès de leur enfant et de la longue période qui s’est écoulée avant qu’ils se voient restituer son corps, les requérants ont subi des souffrances morales indéniables qu’un constat de violation ne suffit pas à réparer.

Statuant en équité comme le veut l’article 41 [de la CEDH], la Cour [a alloué] à chacun des requérants une somme de 100 000 FRF à ce titre »54.

48 Voir GRABENWARTER, Art. 8 N. 33-36, pp. 200-201.

49 ACEDH Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, 14 mars 2002, requête n°46477/99.

50 ACEDH Edwards, para. 89 (ajout personnel des italiques).

51 Voir ACEDH Edwards para. 90.

52 ACEDH Pannullo et Forte c. France, 30 octobre 2001, requête n°37794/97.

53 Ibid., para. 3-8.

54 Ibid., para. 46 et voir para. 39 (ajout personnel des italiques).

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Ainsi, on remarque qu’il est difficile de trouver la délimitation entre les articles 2 et 8 de la CEDH. Il est possible que la CrEDH ne souhaitait pas étendre la notion de « droit à la vie familiale ». Car si les proches se plaignent d’une violation de leur droit à la vie familiale causée par la mort de la victime directe, cela reviendrait à admettre que la protection du droit à la vie familiale inclue aussi une protection contre la mort d’un membre de la famille, ce qui élargirait le champ d’application matériel de l’article 8 de la CEDH.

4. Présentation de l’article 13 de la CEDH (droit à un recours effectif)

Il est important de mentionner l’article 13 de la CEDH à ce stade du travail. Il est vrai que cette disposition n’a pas été traitée dans l’affaire Mazepa et autres. Toutefois, dans d’autres affaires55, qui seront examinées plus tard, la CrEDH retient une violation de l’article 2 en conjonction avec l’article 13 de la CEDH. En vertu de l’article 13 de la CEDH, « [t]oute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ». Les autorités nationales doivent donc s’assurer qu’il existe des moyens de recours interne effectif et capable de rendre une réparation adéquate lorsqu’un droit a été violé56. Ainsi, étant donné que l’article 2 de la CEDH fait partie des droits les plus fondamentaux de la Convention, la CrEDH estime

« qu’une réparation du dommage moral découlant de la violation doit en principe figurer au nombre des recours possible »57. De ce fait, lorsque la CrEDH constate qu’il y a eu une violation du droit à la vie sous son aspect procédural, elle examine ensuite si les autorités nationales ont offert un recours effectif permettant aux requérants d’obtenir une réparation pour le tort moral subi en raison de la mort de la victime directe58. Si tel n’est pas le cas alors, l’Etat viole l’article 13 de la CEDH.

5. L’article 41 de la CEDH (satisfaction équitable)

À la teneur de l’article 41 de la CEDH, « [s]i la Cour [Européenne des droits de l’Homme]

déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable ». En effet, la

55 ACEDH Edwards, ACEDH Keenan, ACEDH Reynolds c. Royaume-Uni, 13 mars 2012, requête n°2695/08.

56 SCHABAS, Art. 13, p. 550.

57 ACEDH Keenan, para. 130 ; ACEDH Reynolds, para. 67 ; voir GRABENWARTER, Art. 13 N. 5, p. 329.

58 GONIN/BIGLER, Art. 13 N. 30, p. 694 ; voir ACEDH Reynolds, para. 67.

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CrEDH utilise cette notion de « satisfaction équitable » (en anglais just satisfaction) pour indiquer la compensation ou la réparation. L’idée est que si un requérant a subi un préjudice en raison d’une violation d’un droit prévu dans la CEDH, alors la CrEDH accorde une indemnisation pour réparer cette violation59. Bien qu’il n’existe pas une référence expresse au tort moral dans cette disposition, la CrEDH accorde tout de même une indemnité en tort moral aux proches de la victime directe, étant donné qu’ils ont subi une souffrance émotionnelle causée par ce décès60.

6. Quel est donc le raisonnement de la CrEDH lorsqu’elle accorde une indemnité en tort moral aux proches pour leur souffrance émotionnelle causée par le décès de la victime directe ?

Après ce qui a été établi ci-dessus, on comprend que la CrEDH accorde la qualité de victime aux requérants, en vertu de l’article 34 de la CEDH. À ce titre, les proches de la victime directe peuvent déposer une requête devant la CrEDH. De ce fait, sur la base de l’article 2 de la CEDH sous son aspect procédural, et parfois en conjonction avec l’article 13 de la CEDH, ils peuvent obtenir une réparation en tort moral pour leur souffrance morale causée par la mort de la victime directe. Néanmoins, il semblerait que la CrEDH ne souhaite pas répondre à ces allégations sous l’angle du droit à la vie familiale (art. 8 CEDH), peut-être afin de ne pas élargir cette notion. À cet égard, il est important de soulever que dans l’affaire Pannullo et autres, les requérants se plaignaient d’une souffrance émotionnelle causée par la restitution tardive du corps de leur fille décédée, et non d’une souffrance émotionnelle causée par une enquête ineffective sur le décès de la victime directe. Enfin, lorsqu’une violation est établie, en vertu de l’article 41 de la CEDH elle accorde généralement une indemnité en tort moral pour les proches afin de réparer cette violation.

Ainsi, la CrEDH adopte une « right-based approach »61. En d’autres termes, lorsqu’elle établit une violation d’un droit prévu dans la CEDH, elle accorde alors une indemnisation au requérant afin de réparer cette violation, sous réserve que le droit national en cause n’accorde qu’une indemnité partielle ou n’accorde aucune indemnité. On remarque donc un certain parallèle avec l’action civile en constatation. L’action en constatation a simplement pour but de faire constater l’existence ou l’inexistence d’un droit. Pareillement, les requérants souhaitent que la CrEDH

59 SCHABAS, Art. 41, p. 830.

60 Ibid., p. 838.

61 RIJNHOUT /EMAUS, Damages in Wrongful Death Cases, p. 106.

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« constate » que l’Etat défendeur a violé ses obligations découlant des droits prévus dans la CEDH. Ensuite, la CrEDH accorde une compensation pour cette violation. Car, il faut bien comprendre que le système de la CEDH a pour objectif de reprocher une violation des obligations qui incombaient à l’Etat défendeur, alors qu’au niveau national, l’idée est de rechercher les personnes impliquées dans le décès de la victime directe en responsabilité.

De ce fait, dans l’affaire Mazepa et autres, bien qu’il n’existât de tort moral pour les proches prévus dans le droit russe, et même si les enfants de la victime directe avaient obtenu une indemnité lors des procédures internes, la CrEDH a surement dû considérer que les requérants n’avaient certainement pas obtenu une réparation adéquate étant donné qu’il y a eu une violation de l’article 2 de la CEDH sous son angle procédural. Serait-ce donc son approche face aux autres droits internes des Etats du Conseil de l’Europe ?

IV. Comment est-ce que la CrEDH articule ce raisonnement face aux spécificités du droit national en cause ? L’approche de la CrEDH face au droit anglais

La CrEDH a rendu plusieurs arrêts sur le sujet à l’encontre du Royaume-Uni62. Seules trois de ces décisions seront examinées dans le cadre de ce travail : l’affaire Keenan, l’affaire Edwards et l’affaire Reynolds63. Avant cela, nous étudierons les dispositions pertinentes sous le droit anglais.

1. Le droit anglais

En droit anglais, la seule compensation admise aux proches pour leur souffrance émotionnelle causée par le décès de la victime directe se trouve dans la loi de 1976 sur les accidents mortels (Fatal Accidents Act 1976)64. L’article 1A paragraphe 1 de la loi est libellé ainsi : « [a]n action under this Act may consist of or include a claim for damages for bereavement ». Une indemnité pour deuil est donc accordée, mais seulement pour les personnes mentionnées à l’article 1A paragraphe 2 de ladite loi (soit la femme ou le mari de la victime directe ainsi que les parents

62 Seule la position de la CrEDH face au droit anglais sera examinée dans ce travail, car sur ce sujet, la CrEDH a rendu plusieurs décisions contre le Royaume-Unis.

63 Les autres décisions rendues par la CrEDH sont : ACEDH Z et autres c. Royaume-Uni, 10 mai 2005, requête n°29392/95 et ACEDH Bubbins c. Royaume-Uni, 17 mars 2005, requête n°50196/99.

64 YOUNGS, p. 532.

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si la victime directe était un enfant mineur). En outre, l’indemnité pour deuil est une somme fixée qui s’élève à 12'980 GBP (art. 1A par. 3 de ladite loi) 65.

Ensuite, étant donné que le Royaume-Uni est un État dualiste, il existe une loi qui incorpore la CEDH dans le droit anglais, soit la Human Rights Act 1998 (ci-après : HRA). Cette loi prévoit une compensation en cas de violation de la CEDH, sans qu’il ne soit nécessaire de déposer une requête devant la CrEDH66. En effet, les droits prévus dans la HRA sont exécutoire (enforceable) en droit anglais67.

2. L’affaire Keenan

Dans l’affaire Keenan68, le fils de la requérante, Mark Keenan, âgé de 28 ans à l’époque, s’était suicidé en prison. Il souffrait de troubles psychiques qui se manifestaient notamment par des pensées suicidaires69. En raison de son comportement violent, les autorités pénitentiaires ont infligé plusieurs sanctions disciplinaires à l’égard de Mark Keenan, comme des mesures d’isolement70. De ce fait, la requérante alléguait que son fils s’était suicidé en prison car les autorités pénitentiaires n'avaient pas protégé sa vie. Elle prétendait également qu'il avait subi des traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH) en raison de ses conditions de détention et revendiquait qu'elle-même n'avait pas disposé de recours effectif pour redresser ses griefs71. Une enquête pénale a été menée et celle-ci conclut au décès accidentel de Mark Keenan. Pour ce qui était d'une action civile, comme prévu dans la loi sur les accidents mortels de 1976, Mark Keenan étant âgé de plus de dix-huit ans au moment de sa mort, la requérante n’a donc pas pu prétendre à une indemnité pour deuil72.

La CrEDH a jugé que les articles 3 et 13 de la CEDH avaient été violés, car aucune réparation n’a été accordée à la requérante alors que celle-ci avait subi une détresse causée par le suicide de son fils73. En effet, la CrEDH a réitéré son raisonnement dans cette affaire, car elle a nouveau affirmé qu’« en cas de violation des dispositions les plus fondamentales de la Convention [ce

65 Voir DAEKIN/JOHNSTON/MARKESINIS, p. 851.

66 Voir WADHAM/MOUNTFIELD/EDMUNDSON/GALLAGHER, p. 51.

67 WRIGHT, Tort Law And Human Rights, p. 36.

68 ACEDH Keenan c. Royaume-Uni, 3 avril 2001, requête n°27229/95.

69 Ibid., para. 11.

70 Ibid., para. 41.

71 Voir Ibid., para. 2.

72 Ibid., para. 48 ; voir para. 81.

73 Ibid., para 130-133 ; voir para. 116.

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qui est le cas pour les articles 2 et 3 de la CEDH], la réparation du dommage moral découlant de la violation doit en principe figurer au nombre des recours possibles »74. Or, au niveau national, ni la requérante ni son fils n’ont obtenu de telles réparations pour le sentiment d’angoisse, de stress et de détresse infligés75. Partant, étant donné qu’il y a eu une violation de l’article 3 en conjonction avec l’art. 13 de la CEDH, la CrEDH a alloué 7'000 GBP de dommage moral à Mark Keenan (à détenir par la requérante pour la succession de son fils) et 3'000 GBP de dommage moral à la requérante à titre personnel76.

La loi sur les accidents mortels de 1976 sur les accidents mortels a certes été mentionnés dans cette affaire, mais la Cour n’en a pas tenu compte étant donné qu’elle a octroyé une indemnité en tort moral à la requérante pour le décès de son fils, qui était majeur à l’époque des faits.

3. L’affaire Edwards

Dans l’affaire Edwards77, le fils adulte des requérants avaient été tué par un codétenu alors qu’il séjournait en détention provisoire. Les requérants reprochaient aux autorités anglaises de n’avoir pas protéger la vie de leur fils 78. Tout d’abord, la CrEDH a considéré que les autorités pénitentiaires n’avaient pas pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir le décès de la victime directe, étant donné que l’examen menée sur son codétenu avait été inadéquate. Partant, l’article 2 de la CEDH dans son volet matériel avait été violé79. Ensuite, elle a également considéré que le volet procédural de cette disposition avait été violé, car l’enquête menée sur le décès de la victime directe était ineffective. En effet, les autorités pénales n’ont pas pu obliger les témoins à comparaître dans l’enquête80. En ce qui concerne la violation de l’article 13 de la CEDH, la Cour a estimé que les requérants ne disposaient pas d’un moyen approprié pour faire statuer leurs allégations ni d’une possibilité d’obtenir une décision exécutoire d’indemnisation pour le dommage ainsi subi81. Or, encore une fois, la Cour a estimé qu’il s’agissait d’un élément essentiel du recours « pour un parent qui a perdu son enfant »82. Ainsi, étant donné qu’il existait une violation de l’article 2 en conjonction avec l’article 13 de la CEDH, la Cour a alloué aux

74 Ibid., para. 130.

75 Ibid., para. 138.

76 Ibid.

77 ACEDH Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, 14 mars 2002, requête n° 46477/99

78 ACEDH Edwards, para. 4.

79 Ibid., para. 64.

80 Ibid., para 64 et 87.

81 Ibid., para. 101.

82 Ibid.

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requérants une somme de 20'000 livres sterling en tort moral car elle a estimé qu’« [outre] la douleur et la souffrance que Christopher Edwards doit avoir éprouvées, elle estime que les requérants, ses parents, doivent passer pour avoir ressenti de l'angoisse et de la détresse en apprenant les circonstances du décès de leur fils et en constatant l'impossibilité pour eux d'obtenir qu'une enquête effective soit menée ou qu'une réparation leur soit accordée »83.

Ici encore, la loi de 1976 sur les accidents mortels a été mentionnée dans la décision de la CrEDH, mais dans la partie « Faits » de cet arrêt84, et non dans la partie « En droit ». La CrEDH a certes procédé à une analyse du droit national, mais elle n’en a pas tenu compte, ou du moins elle s’en est écarté, lorsqu’elle a accordé une indemnité aux requérants.

4. L’affaire Reynolds

Enfin, dans l’affaire Reynolds85, le fils adulte de la requérante, David Reynolds, qui était schizophrène, a été admis, de son plein gré, dans une unité de soins intensifs gérée par le National Health Service Trust (ci-après NHS Trust) car on craignait qu’il ne tentât de se suicider. Cependant, pendant la nuit, il s’est tué en sautant par la fenêtre86. En se fondant sur la Human Rights Acts 1998, la requérante a intenté une action civile contre le NHS Trust afin d’obtenir une compensation pour le décès de son fils. Elle alléguait que l’Etat défendeur avait manqué de respecter ses devoirs en vertu de l’article 2 de la CEDH, étant donné qu’il n’avait pas correctement évalué le risque de suicide qu’encourait son fils87. Cependant, la High Court avait rendu la décision Savage88 le 21 décembre 2006. En effet, suite à cette décision, il a été jugé qu’une négligence grave doit d’abord être établie pour admettre une indemnité pour deuil aux parents d’un enfant majeur décédé89. En se basant sur cette décision, l’Etat défendeur argumentait qu’aucune négligence grave n’avait été établie en l’espèce. Par conséquent, l’action de la requérante a été déboutée le 13 juillet 200790. Par la suite, la requérante a été conseillée par deux avocats experts de ne pas faire recours à cette décision, les chances de succès étant

83 Ibid., para. 106.

84 Voir ibid., para. 37ss.

85 ACEDH Reynolds c. Royaume-Uni, 13 mars 2012, requête n°2695/08.

86 Voir ACEDH Reynolds, para. 12.

87 Ibid., para. 19.

88 Savage v South Essex Partnership NHS Foundation Trust [2006] EWHC 3562 (QB) (21 December 2006).

89 Ibid., para. 55-56.

90 Ibid., para. 22.

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moindres91. En 2012, la requérante a interjeté un recours devant la CrEDH et elle prétendait qu’elle n’avait pas eu la possibilité d’intenter une procédure civile pour le décès de son fils92. La CrEDH a examiné l’affaire sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la CEDH.

En effet, elle a considéré qu’il existait une obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger le fils de la requérante contre le risque de suicide et que cette obligation n’a pas été respectée93. Ensuite, elle a constaté que l’action intentée par la requérante avait été déboutée en 2007. Or, en février 2012, la Cour suprême anglaise avait confirmé dans l’affaire Rabone94 qu’il incombait aux établissements de soins de protéger les patients suicidaires internés de leur plein gré, comme c’était le cas du fils de la requérante. De plus, suite à cette décision Rabone, les parents pouvaient prétendre à une indemnisation pour dommage moral après avoir perdu un enfant, même adulte, dans une telle situation95. Partant, la CrEDH a alloué 7'000 EUR pour le tort moral subi par la requérante pour la détresse et la frustration causées par l’absence d’une réparation civile pour le décès de son fils96.

L’approche de la CrEDH est assez étonnante dans cette affaire. Car elle a bien soulevé l’évolution de la jurisprudence anglaise, qui reconnait maintenant une indemnité pour deuil aux parents même lorsque l’enfant décédé est majeur. Néanmoins, il semblerait qu’elle n’ait pas pris en compte la somme fixée prévue par la loi anglaise lorsqu’il y a une indemnité pour deuil.

5. En résumé

Ainsi, on pourrait penser que la CrEDH articule son raisonnement sans prendre en compte les spécificités du droit anglais en la matière. Mais à vrai dire, l’article 41 de la CEDH prévoit que, lorsqu’il existe une violation d’un droit prévu dans la CEDH, une satisfaction équitable est due,

« si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation ».

Donc, en réalité, face aux spécificités du droit anglais, ainsi que face autres des droits nationaux en la matière, la CrEDH en fait un simple constat afin de déterminer si le droit national en cause

91 ACEDH Reynolds, para. 21-24.

92 Ibid., para. 3 et 42.

93 Ibid., para. 60-61.

94 Rabone & Anor v Pennine Care NHS Trust [2010] EWCA Civ 698 (21 June 2010).

95 ACEDH Reynolds, para. 63-65 ; affaire Rabone, para. 53 ; voir WRIGHT, The Operational Obligation under Article 2 of the ECHR, p. 70-74 et TETTENBORN, p. 328.

96 ACEDH Reynolds, para. 73.

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prévoit une compensation adéquate lorsqu’il y a une violation d’un droit prévu par la Convention. À ce titre, la CrEDH détient un pouvoir discrétionnaire97. Ainsi, comme il a été vu dans l’affaire Mazepa et dans toutes autres les affaires condamnant le Royaume-Uni, la Cour accorde une indemnité pour tort moral aux proches car elle considère que « lorsque la violation concerne les articles 2 ou 3, qui sont les dispositions les plus fondamentales de la Convention, une indemnisation du dommage moral découlant de la violation doit en principe être possible et faire partie du régime de réparation mis en place »98. Donc même si une certaine indemnisation a été accordée par les autorités nationales, tant qu’elle considère cette compensation inadéquate ou incomplète, elle peut alors s’écarter du droit national et octroyer une indemnité qui lui semble la plus juste. Il lui arrive toutefois d’être incohérente dans son raisonnement, comme on le verra dans ses jurisprudences récentes.

V. Affaires récentes devant la CrEDH sur le même sujet

Dans sa jurisprudence récente, on retrouve que, pour l’essentiel, la CrEDH adopte le même raisonnement observé jusqu’ici. Toutefois, il existe à certains égards quelques incohérences qui seront examinées dans cette partie du travail.

L’affaire Güzelyurtlu et autres c. Chypres et Turquie99 portait sur le caractère effectif de l’enquête relative au meurtre de trois ressortissants chypriotes d’origine chypriote turque qui, le 15 janvier 2005, furent retrouvés morts, tués par balles, sur la partie de l’île de Chypre contrôlée par les autorités chypriotes100. Les requérants devant la CrEDH étaient les enfants, les frères et sœurs ainsi que les parents des victimes directes101. Ils prétendaient qu’une réparation leur était due car ils avaient subi une angoisse, des souffrances, un traumatisme et une frustration insupportables à cause de la gravité du crime commis contre leur proche. Ils reprochaient aux deux gouvernements défendeurs de n’avoir pas coopéré entre eux pour faire traduire les auteurs de ce crime en justice102. Selon la CrEDH, en vertu de l’article 2 de la CEDH sous son aspect procédural, l’obligation d’enquêter s’imposait aux deux États, étant donné que les décès étaient survenus sur le territoire contrôlé par la Chypre103. Les deux États étaient donc

97SCHABAS, Art. 41, p. 830 ; voir aussi SOMERS, pp. 85-86.

98 ACEDH Edwards, para. 97 ; voir ACEDH Keenan, para. 129-130 et ACEDH Z et autres c. Royaume-Uni [GC], requête n°29392/95, para. 109.

99 ACEDH, Güzelyurtlu et autres c. Chypres et Turquie [GC], 29 janvier 2019, requête n°36925/07.

100 Ibid., para. 13.

101 Voir ibid., para. 10-11.

102 Ibid., para. 279.

103 Ibid., para. 220.

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dans l’obligation de coopérer l’un avec l’autre104. Partant, la CrEDH a condamné la Turquie car les autorités turques n’avaient pas pris en compte les demandes d’extradition qui lui avaient été adressées par les autorités chypriotes. En effet, l’extradition des responsables du meurtre était nécessaire pour traduire ces derniers en justice105. De ce fait, 8 500 EUR ont été accordé à chacun des requérants pour le préjudice moral subi106.

Bien que la CrEDH s’était penchée sur le droit turc et chypriote relatifs à la compétence pénale et à l’extradition pour résoudre cette affaire, la CrEDH a admis une indemnité pour tort moral aux proches sans observer le droit interne en la matière. En effet, il semble que la CrEDH procède à un examen du droit interne afin de déterminer s’il existe une violation d’un droit de l’homme. Mais une fois qu’elle constate une telle violation, elle octroie une réparation, si elle considère que le droit national n’a pas accordé une réparation adéquate, comme il est exigé par l’article 41 de la CEDH.

L’affaire Semache c. France107 présente un caractère plutôt particulier. En 2009, le père de la requérante, M. Ali Ziri, âgé de 69 ans, avait été arrêté par la police pour outrage, en compagnie du conducteur d’une voiture qui faisait des embardées. Durant le trajet vers le commissariat, un policier a recouru à une technique d’immobilisation par « pliage » (la tête contre les genoux) contre M. Ali Ziri108. Il avait été traité de manière négligente lorsqu’il était arrivé au commissariat de police. Il avait été laissé sans vérification ni surveillance médicale109. On l’amena plus tard à l’hôpital, car il avait subi un arrêt cardiaque lorsqu’il était au commissariat.

Il décéda le lendemain110. Selon la CrEDH, le père de la requérante avait été traité avec négligence par les autorités nationales lorsqu’il se trouvait au commissariat de police. De ce fait, « dès lors qu’il y a eu négligence la Cour ne peut que retenir que les autorités n’ont pas fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir la réalisation du risque de décès auquel il était exposé »111. Effectivement, la CrEDH a estimé que l’Etat défendeur n’a pas respecté son obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger le droit à la vie de M. Ali Ziri. Par conséquent, elle a retenu une violation de l’article 2 de la CEDH dans son volet

104 Ibid., para. 233.

105 Ibid., para. 59-62.

106 Ibid., para. 283.

107 ACEDH, Semache c. France, 21 juin 2018, requête n°36083/16.

108 Ibid., para. 6-7.

109 Ibid., para. 8-10.

110 Ibid., para. 11-12 et 15.

111 Ibid., para. 101 (ajout personnel des italiques).

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matériel. Cependant, elle n’a admis aucune violation de cette disposition sous son angle procédural112. Pourtant, la CourEDH a octroyé à la requérante une indemnité pour le tort moral subi car « la mort de son père a causé une immense souffrance à la requérante »113. Ainsi, dans cette affaire, il semblerait que la CrEDH s’écarte de sa pratique habituelle. Dans les autres affaires, le préjudice subi par les proches était l’enquête ineffective menée par les autorités nationales sur le décès de la victime directe, ce qui infligeait une certaine détresse aux requérants. Or, dans cette affaire, le préjudice subi par la requérante est que l’Etat défendeur n’ait pas pris les mesures nécessaires afin de prévenir le décès de son père. Mais alors, dans cette perspective, ne serait-ce pas la victime directe qui aurait réellement subi ce préjudice, plutôt que la requérante ? N’aurait-il pas été plus approprié d’octroyer une telle indemnité à la requérante sur le fondement de l’article 8 de la CEDH (droit à la vie familiale) ? Car dans le cas d’espèce, la CrEDH cherchait à savoir si les autorités nationales avaient pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir un risque du décès. Or, la requérante ne subissait aucun risque à ce titre et donc aucun dommage moral, selon moi. Il est certes vrai qu’en cas de violation d’un droit, la CrEDH accorde une réparation si celle octroyée au niveau national est inadéquate (art. 41 CEDH). Néanmoins, admettre que la requérante ait subi un préjudice sur la base de l’article 2 de la CEDH sous son aspect matériel est, à mon avis, fort discutable. Peut- être qu’il aurait été plus judicieux d’accepter une telle requête sous l’angle de l’article 8 de la CEDH.

L’affaire Sarishvili-Bolkvadze c. Géorgie114 est également particulière. Dans cette affaire, le fils de la requérante était mort à l’hôpital suite à une erreur médicale lors de son traitement115. L’enquête pénale menée au niveau national a aussi pu établir que plusieurs médecins ne détenaient pas de licence autorisée par le Ministère de la Santé116. Devant la Batumi City Court, la requérante a intenté une action civile afin d’obtenir une compensation pour le tort moral qu’elle a subi en raison du décès de son fils causé par une négligence médicale117. Cette demande a été rejetée par la Cour Suprême car une telle compensation n’était pas expressément prévue dans le droit géorgien118. En réitérant son raisonnement étayé dans l’affaire Edwards et l’affaire Reynolds, la CrEDH a jugé qu’une indemnité pour tort moral accordée aux proches

112 Voir ibid., para. 102 et 118-119.

113 Voir ibid., para. 125.

114 ACEDH, Sarishvili-Bolkvadze c. Géorgie, 19 juillet 2018, requête n°58240/08.

115 Voir ibid., para. 29.

116 Ibid., para. 27, 30-33 et 74.

117 Ibid., para. 26.

118 Ibid., para. 41-42.

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doit faire partie des moyens de réparation en cas de violation de l’article 2 de la CEDH, qui fait partie des droits les plus fondamentaux prévus par la CEDH119. Partant, la CrEDH a estimé que priver la requérante d’une telle réparation, alors qu’elle avait subi une détresse psychologique causée par le décès de son jeune fils, était une violation de l’article 2 de CEDH sous son volet procédural120. Or, dans cette affaire, la CrEDH n’a alloué aucune indemnité à la requérante, car elle a remarqué que le droit géorgien permettait de rouvrir l’action civile, si une violation est constatée121.

Considérerait-elle qu’il existe un consensus entre les Etats du Conseil de l’Europe pour admettre qu’une indemnité en tort moral doit être octroyée aux proches en cas de décès de la victime directe causée par une négligence médicale ? La plupart des droits nationaux octroie une certaine indemnité aux proches de la victime directe, y compris le droit néerlandais depuis 2019122. Une telle indemnité est aussi prévue à l’article 10:301 des Principes du droit européen de la responsabilité civile et à l’article 2:202 du Draft of Common Frame Reference (DCFR).

En effet, la CEDH exprime un certain dynamisme qui lui est inhérente. En d’autres termes, la Convention est reconnue comme un « instrument vivant [qui doit être interprétée] à la lumière des conditions de vie actuelles »123. Par ailleurs, il est important de soulever que le préambule de la Convention met l’accent sur la nécessité d’œuvrer pour « la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales »124. Le contenu de la CEDH doit donc évoluer au rythme des progrès juridiques125. A ce titre, il est possible que la CrEDH ait considéré qu’il existe dorénavant un consensus en la matière, ce qui expliquerait pourquoi la Géorgie ait été condamnée dans cette affaire.

Comme vu, pour l’essentiel, la CrEDH adopte la même approche dans ces jurisprudences récentes. Toutefois, il existe plusieurs incohérences. Notamment, dans l’affaire Güzelyurtlu et autres, la CrEDH procède à un examen du droit interne en matière de coopération et entraide

119 Ibid., para. 96.

120 Ibid., para. 96-98.

121 Voir ibid., para. 100-101.

122 Une indemnité pour deuil est maintenant disponible pour les proches de la victime directe. L’article 6 :108 du Code Civil néerlandais (Burgerlijk Wetboek) a été modifié pour inclure une telle indemnité ; voir : https://www.government.nl/latest/news/2018/12/20/new-legislation-as-of-1-january-2019 (site du gouvernement néerlandais); voir aussi : voir aussi https://iclg.com/practice-areas/aviation-laws-and-regulations/compensation- for-non-pecuniary-losses-in-wrongful-death-cases-addressing-the-global-inconsistency.

123 ACEDH Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, requête n° 5856/72, para. 31.

124 Préambule de la CEDH, para. 3.

125 CONSEIL DE L’EUROPE, Dialogue entre juges 2008, p. 13 ; voir aussi VELU/ERGEC, p. 33-34.

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internationale. Mais elle ne fait pas un tel examen pour le droit interne relatif au tort moral accordé aux proches de la victime directe. Ensuite, dans l’affaire Semache, la CrEDH a accordé un tort moral à la requérante alors qu’elle a retenu une violation de l’article 2 dans son volet matériel alors qu’il aurait peut-être été plus judicieux de résoudre l’affaire sous l’angle de l’article 8 de la CEDH. Enfin, dans l’affaire Sarishvili-Bolkvadze, la Géorgie a été condamnée en raison de l’absence du tort moral accordé aux proches dans son droit interne. Cela pourrait éventuellement s’expliquer par l’interprétation évolutive faite par la CrEDH sur les droits prévus dans la Convention. Existerait-il alors, dans les droits nationaux, un raisonnement plus cohérent que celui de la CrEDH ?

VI. Le raisonnement de la CrEDH est-il justifié ?

Dans cette partie, nous examinerons les droits anglais, suisse et allemand en la matière afin de déterminer s’il existe une approche plus cohérente que celle observée par la CrEDH. Ensuite, nous pourrons déterminer si le raisonnement de la CrEDH est réellement justifié ou non.

1. Le droit anglais en la matière

Le droit anglais en la matière a été majoritairement examinée plus haut dans ce travail. La loi sur les accidents mortels de 1976 (Fatal Accident Acts 1976) prévoit une indemnité pour deuil pour le conjoint de la victime directe ou pour les parents de la victime directe, si celle-ci est un enfant mineur. Ensuite, l’affaire Rabone accorde dorénavant une telle indemnité pour les parents d’un enfant majeur décédé en raison d’une négligence médicale. De plus, en 2017, la Court of Appeal a rendu l’affaire Jakki Smith126 dans laquelle elle a considéré que refuser l’indemnité pour deuil à un concubin pour le décès de son partenaire causé par une négligence médicale serait contraire à l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et à l’article 14 (interdiction de discrimination) de la CEDH.

L’approche anglaise se fonde donc plutôt sur l’article 8 de la CEDH. Les auteurs de la Fatal Accidents Acts 1976 avait pour idée d’octroyer une somme symbolique aux personnes qui dépendaient de la personne décédée127. Cela explique pourquoi l’indemnité pour deuil octroyée aux parents d’enfant majeur décédé n’a été admise qu’en 2010 dans l’affaire Rabone128. Une

126 Jakki Smith v. Lancashire Teaching Hospitals NHS Foundation Trust & Others (Rev 2) [2017] EWCA Civ 1916 (28 November 2017).

127 Voir LUNNEY/OLIPHANT, p. 921.

128 Rabone & Anor v Pennine Care NHS Trust [2010] EWCA Civ 698 (21 June 2010).

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telle indemnité accordée aux concubins n’a été admise qu’en 2017. Il serait alors encore plus difficile de l’admettre pour les frères et sœurs. Or la CrEDH l’admet déjà pour les frères et sœurs de la victime directe, comme on peut le voir dans l’affaire Mazepa et autres.

2. Le droit allemand en la matière

Sous l’ancien droit allemand, en cas de décès de la victime directe, une indemnité en tort moral était octroyée aux proches que si les proches avaient eux-mêmes subi un choc (Schockschaden) médicalement attesté129.

Toutefois depuis 2018, le §844 du Code Civil Allemand (le Bürgerliches Gesetzbuch) contient un nouveau un paragraphe. Le §844(3) prévoit que « la partie redevable versera aux personnes qui étaient à la charge de la personne décédée et qui au moment de la blessure entretenaient une relation personnelle spéciale avec la personne tuée, une indemnisation pécuniaire appropriée pour les souffrances mentales infligées aux personnes survivantes. Une relation personnelle spéciale est présumée si la personne tuée a laissé un époux, un partenaire de vie, un parent ou un enfant défunt »130. En effet, le législateur admet qu’une douleur émotionnelle suffit pour admettre une telle indemnité131 pour autant qu’il existât des liens de proximité entre le proche en question et la victime directe. Ce lien de proximité est présumé pour les conjoints, le partenaire de vie, les parents et les enfants132.

Ainsi, la notion de proches est plus élargie qu’en droit anglais car on admet le tort moral pour le partenaire de vie, soit le concubinage stable et partenariat enregistré déjà dans la loi. La solution allemande pourrait donc être une meilleure approche, cependant, la disposition est encore récente. Il n’existe donc pas tellement de jurisprudence en la matière. Il serait intéressant d’examiner la jurisprudence à l’avenir.

3. Le droit suisse en la matière

La Suisse est peut-être le pays le plus libéral en ce qui concerne l’octroi d’indemnité pour le tort moral des proches en cas de décès de la victime directe. L’article 47 du Code des

129 MAGNUS, Schadensersatz für Körperverletzung in Deutschland, p. 172, N.79 ; Oberlandesgericht Freiburg, 30 juin 1953, JZ 1953, 704 ; Bundesgerichtshof 11 mai 1971, BGHZ 56, 163.

130 Traduction de l’allemand par l’auteure.

131 https://www.lto.de/recht/hintergruende/h/hinterbliebene-schmerzensgeld-deliktsrecht-neuregelung/2/.

132 PEIFFER, p. 2.

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