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Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (Grande Chambre) du 30 juin 2009

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Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (Grande Chambre) du 30 juin 2009

HERTIG RANDALL, Maya, RUEDIN, Xavier-Baptiste

HERTIG RANDALL, Maya, RUEDIN, Xavier-Baptiste. Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (Grande Chambre) du 30 juin 2009. Pratique juridique actuelle , 2010, vol. 19, no. 1, p. 116-119

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42827

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8. Völkerrecht und Europarecht / Droit international public et droit européen 8.12. Menschenrechte im Völkerrecht / Droits

de l’Homme en droit international public 8.12.2. EMRK / CEDH

(6) Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme/Vollzug der Urteile des Europäi- schen Gerichtshofs für Menschenrechte.

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Grande Chambre) Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) du 30 juin 2009: le refus du Tri- bunal fédéral de procéder à la révision d’une décision nationale jugée contraire à l’article 10 CEDH constitue une nouvelle violation de la liberté d’expression.

I. Introduction

L’arrêt Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) (requête no 32772/02, 30.06.2009; ci-après: «arrêt de Grande Chambre VGT II») est la deuxième affaire qui, suite à une demande du gouvernement suisse, a été renvoyée de- vant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Contrairement à l’arrêt rendu dans la première affaire (Stoll c. Suisse, requête no 69698/01, 10.12.2007), la Grande Chambre n’a cette fois-ci pas suivi les conclusions du gouvernement helvétique. Dans son arrêt du 30 juin 2009, adopté à 11 voix contre 6, elle a refusé d’infirmer l’arrêt de chambre du 4 octobre 2007 (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VGT) c. Suisse, no 32772/02; ci-après: «arrêt de chambre VGT II»). Le présent commentaire rappellera et analysera brièvement les arguments principaux développés par la Grande Chambre et mettra l’accent sur les nouveautés par rapport à l’arrêt de chambre. Pour une analyse détaillée de l’arrêt de chambre VGT II, le lecteur est renvoyé au com- mentaire publié en 2008 (PJA/AJP 6/2008, p. 651–664).

II. Faits

Cette affaire est née du refus de la société responsable de la publicité télévisée Publisuisse SA (auparavant «AG für das Werbefernsehen», AGW) – confirmé en dernier lieu par le Tribunal fédéral (ATF 123 II 402) – de diffuser dans les programmes de la SSR un spot publicitaire conçu par une association de défense des animaux au motif qu’il se heur- tait à l’interdiction de la publicité politique contenue dans le

Commentaire de MAYA HERTIG RANDALL, Professeure de droit constitutionnel à l’Université de Genève, LL.M. (Cambridge), avocate

et XAVIER-BAPTISTE RUEDIN, docteur en droit, M.Juris (Oxford), avocat

droit fédéral. Dans un premier arrêt (VGT Verein gegen Tier- fabriken c. Suisse, requête no 24699/94, 28.6.2001, CEDH 2001-VI; ci-après: «arrêt VGT I»), la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après: «Cour») a constaté que ce refus constituait une violation de la liberté d’expression garantie par l’art. 10 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauve- garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (RS 0.101; ci-après: «CEDH»). Suite à cet arrêt, l’associa- tion requérante n’a pu obtenir la révision de la décision du Tribunal fédéral à l’origine de la violation (voir arrêt du TF 2A.526/2001). Elle s’est donc à nouveau tournée vers les juges de Strasbourg. Dans l’arrêt de chambre VGT II, la Cour (i) s’est déclarée compétente ratione materiae malgré le fait que la CEDH confie la surveillance de l’exécution des arrêts exclusivement au Comité des Ministres (art. 46 al. 2 CEDH) et (ii) a essentiellement retenu sur le fond que le refus de procéder à la révision de la décision nationale était consti- tutif d’une seconde violation de l’art. 10 CEDH. La Grande Chambre a consacré une importante partie de son arrêt à ces deux points (ci-dessous III.A et III.B). Elle a de plus apporté des précisions sur la portée de la liberté d’expression ainsi que sur celle de l’arrêt VGT I (ci-dessous III.C). Les considé- rations de Grande Chambre ne sont pas restées sans effet. Par arrêt du 4 novembre 2009, le Tribunal fédéral a donné une suite favorable à une nouvelle demande de révision de l’asso- ciation requérante (arrêt du TF 2F_6/2009; ci-dessous IV).

III. Observations

A. Compétence ratione materiae

Dans son arrêt VGT II, la chambre a justifié sa compétence pour statuer sur un problème soulevé dans le cadre de l’exé- cution de l’arrêt VGT I par l’existence de «faits nouveaux»

(voir art. 35 al. 2 let. b CEDH) non examinés dans la pre- mière requête. La Grande Chambre confirme ce raisonne- ment et précise la notion de «faits nouveaux». Le premier élément nouveau retenu par la Cour a trait aux motifs avan- cés par le Tribunal fédéral pour refuser de procéder à la révi- sion. Les juges fédéraux avaient considéré que l’association requérante n’avait pas démontré posséder un intérêt actuel à la diffusion du spot, dans la mesure où, selon eux, ce dernier était dépassé. En d’autres termes, la Grande Chambre semble indiquer que ce n’est pas le rejet de la demande de révision en tant que tel, mais les motifs du rejet qui sont constitutifs d’un «fait nouveau». Le second élément nouveau concerne le fait que le Comité des Ministres a mis fin à la surveillance de l’exécution de l’arrêt VGT I sans attendre l’issue de la procé- dure de révision devant le Tribunal fédéral. Pour la Grande Chambre, le rejet de la demande de révision «serait soustrait à tout contrôle au titre de la Convention» (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 67), si elle ne pouvait en connaître.

Les arguments de la Grande Chambre peinent à convain- cre. Ils s’écartent de la jurisprudence de la Cour selon laquel- le des faits nouveaux existent notamment lorsque, suite à un arrêt constatant une violation de la CEDH, la réouverture de la procédure interne a conduit à la modification de la situa-

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tion du requérant – le simple refus de rouvrir une procédure nationale (qui ne change rien à la situation du requérant) n’étant pas constitutif d’un «fait nouveau» (voir PJA/AJP 6/2008, p. 654–659).

Concernant plus spécifiquement le premier argument de la Cour, il semble difficile d’admettre que les motifs retenus par le Tribunal fédéral pour justifier le refus de procéder à la révision (l’absence de l’intérêt de l’association requérante) puissent être qualifiés de «faits nouveaux», alors que le rejet de la demande de révision en tant que tel ne constitue pas, selon la jurisprudence strasbourgeoise, un élément nouveau fondant la compétence de la Cour. Qui plus est, il est dis- cutable qu’un argument juridique puisse constituer un fait (nouveau).

Quant au second argument, il reflète la volonté de la Cour de remédier à la clôture – qu’elle considère prématurée – de la procédure de surveillance de l’exécution. Ce faisant, les juges de Strasbourg s’arrogent le pouvoir de surveiller l’exé- cution de leurs arrêts, alors que la CEDH confie cette tâche au Comité des Ministres (art. 46 al. 2 CEDH).

Malgré le fait que la Cour élargisse ainsi de manière signi- ficative le champ de sa compétence, les deux faits nouveaux, qui ont permis à la Grande Chambre de se déclarer compé- tente, pourraient paradoxalement être à l’avenir invoqués pour conférer à l’arrêt VGT II une portée étroite. En effet, la Cour pourrait – pour déclarer irrecevables des requêtes similaires – mettre l’accent sur les faits très particuliers de l’affaire VGT II, à savoir, d’une part, la clôture prématurée de la procédure de surveillance de l’exécution (qui soustrait le refus de réviser au contrôle du Comité des Ministres) et, d’autre part, les considérations du Tribunal fédéral sur l’inté- rêt de la requérante (qui concernent d’un point de vue stricte- ment procédural la question de la recevabilité de la demande de révision, mais qui risquent d’un point de vue matériel de

«préjuger» toute demande future de la requérante de faire diffuser le spot).

B. Refus de réviser constitutif d’une nouvelle violation de la CEDH

Sur le fond, la Grande Chambre confirme l’arrêt de chambre selon lequel le refus de réviser était excessivement forma- liste et donc constitutif d’une nouvelle violation de la liberté d’expression. Dans les termes de l’opinion dissidente du Juge Malinverni jointe à l’arrêt de Grande Chambre VGT II (§§ 24, 28), la Cour donne ainsi un «effet cassatoire indi- rect» à l’arrêt VGT I. Elle exige que l’Etat défendeur passe outre les exigences formelles de la procédure nationale et qu’il «casse» la décision interne litigieuse par le biais de la révision (sous peine de nouveau constat de violation de la Convention).

La Grande Chambre va toutefois encore plus loin. Elle admet non seulement que le Tribunal fédéral aurait dû dé- clarer la demande de révision recevable malgré le fait qu’elle n’était pas conforme aux exigences procédurales découlant de l’art. 140 de l’ancienne loi fédérale d’organisation judi-

ciaire (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 29), mais elle retient également que la réouverture de la procédure natio- nale aurait dû permettre «aux autorités de l’Etat défendeur de se conformer aux conclusions et à l’esprit de l’arrêt de la Cour à exécuter» (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 90).

Par ce raisonnement, la Cour balaie l’argument du gouver- nement suisse selon lequel le Tribunal fédéral n’aurait pas eu le pouvoir d’ordonner la diffusion du spot litigieux dans le cadre de la procédure de révision. En effet, pour les auto- rités suisses, l’arrêt du Tribunal fédéral à l’origine de l’af- faire VGT I (ATF 123 II 402) se limitait à confirmer que le spot était de nature politique et ne pouvait être diffusé sans violer l’interdiction de la publicité politique du droit fédéral en vigueur à l’époque. Dans cette logique, le Tribunal fédé- ral aurait par le biais de la révision uniquement pu constater que le refus de diffuser le spot ne pouvait pas être justifié par l’interdiction de la publicité politique – sans pour autant pou- voir condamner Publisuisse SA à diffuser le spot. Publisuisse SA étant une société privée au bénéfice de la liberté contrac- tuelle, un tel résultat ne pouvait d’après les juges fédéraux être obtenu que par la voie civile (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 23; arrêt du TF 2A.526/2001, consid. 4.2–4.4).

En considérant que ce dernier argument n’est pas pertinent, la Grande Chambre met en exergue une divergence entre le point de vue des juges fédéraux et celui des juges strasbour- geois. Pour les premiers, la révision est une ultima ratio qui est subsidiaire à une compensation financière et n’est ouverte que si aucune autre voie ne permet de remédier à la violation, alors que pour les seconds, si la législation d’un Etat pré- voit la possibilité de rouvrir une procédure nationale et si la réouverture permet de placer autant que possible le requérant dans la situation dans laquelle il se trouverait en l’absence de la violation, cette voie est prioritaire et doit permettre de remédier effectivement à la violation de la CEDH. Il s’ensuit que pour se conformer à la jurisprudence de la Cour, le Tri- bunal fédéral devrait interpréter la condition de la nécessité de la révision contenue à l’art. 122 de la Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (RS 173.110) de façon large et admet- tre qu’elle est remplie dès que la révision est un moyen utile pour mettre en œuvre un arrêt de Strasbourg.

A l’instar de l’arrêt de chambre VGT II, la Grande Cham- bre pose le principe de l’effet utile de la voie de la révision.

Elle semble même suggérer que les obligations découlant de l’art. 6 al. 1 CEDH s’appliquent à la phase de l’exécution des arrêts (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 97). En d’autres termes, les Etats connaissant dans leur ordre juridique une procédure de révision doivent faire en sorte qu’elle soit effi- cace. Par contre, selon la jurisprudence de la Cour, les Etats membres n’ont pas l’obligation de créer dans leur ordre ju- ridique une procédure de révision. Ces deux principes insti- tués par la Cour laissent songeur du point de vue de l’égalité de traitement. Comme le relèvent les opinions dissidentes des arrêts de chambre et de Grande Chambre VGT II, le rai- sonnement de la Cour revient à traiter moins favorablement les Etats qui ont introduit une procédure de révision dans

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leur ordre juridique pour exécuter les arrêts de Strasbourg par rapport à ceux qui n’ont pas prévu un tel mécanisme. La Grande Chambre rétorque à cette critique que le seul critère d’évaluation est «l’exécution correcte et entière des arrêts de la Cour» (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 90) et que ce critère est applicable également à tous les Etats – la procé- dure de révision n’étant qu’un moyen pour se conformer aux arrêts de Strasbourg (et non une fin en soi). Cet argument ne change toutefois rien au fait que seuls les Etats qui connais- sent une procédure de réouverture risquent de générer des faits nouveaux et d’être attaqués une deuxième fois devant la Cour.

Le raisonnement de la Grande Chambre n’est pas non plus exempt de critique du point de vue dogmatique. Pour décider de l’existence d’une nouvelle violation de l’art. 10 CEDH, la Cour a estimé nécessaire de «vérifier si, à la lumiè- re de l’importance que revêt l’exécution de ses arrêts dans le système de la Convention […], une obligation positive pe- sait sur l’Etat défendeur de prendre les mesures nécessaires afin de permettre la diffusion du spot litigieux à la suite de l’arrêt [VGT I]» (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 91).

La Grande Chambre a ainsi mêlé les obligations (positives) matérielles ancrées au Titre I de la CEDH et les obligations d’exécution découlant de l’art. 46 al. 1 CEDH. Cependant, comme la Cour a admis l’existence de faits nouveaux pour justifier la recevabilité de la requête, elle aurait dû traiter l’af- faire VGT II comme une nouvelle affaire (indépendamment du fait que les éléments nouveaux étaient survenus à l’oc- casion de l’exécution de l’arrêt VGT I). Autrement dit, elle aurait dû se contenter de contrôler si l’art. 10 CEDH avait été violé une nouvelle fois. Il est pourtant clair que la Grande Chambre (tout comme la chambre d’ailleurs) a voulu exami- ner l’affaire VGT II également sous l’angle de l’exécution de l’arrêt VGT I en dépit du fait que seul le Comité des Minis- tres est compétent pour surveiller l’exécution des arrêts de la Cour (art. 46 al. 2 CEDH).

C. Portée de la liberté d’expression et de l’arrêt VGT I La Cour et l’Etat défendeur se sont affrontés au sujet de la portée de la liberté d’expression telle qu’appliquée dans l’af- faire VGT I. Il s’agissait en particulier de déterminer dans quelle mesure des obligations positives incombent à l’Etat.

Ainsi, dans l’arrêt VGT II, la Grande Chambre a estimé «op- portun d’aborder la présente requête sous l’angle de l’obli- gation positive de l’Etat défendeur de prendre les mesures nécessaires afin de permettre la diffusion du spot litigieux»

(arrêt de Grande Chambre VGT II, § 78). La Grande Cham- bre semble ainsi vouloir clarifier la portée de l’arrêt VGT I, dans lequel la Cour a indiqué qu’à l’obligation de l’Etat de s’abstenir de toute ingérence dans les droits de l’homme pouvaient «s’ajouter des obligations positives inhérentes» à ces droits (arrêt VGT I, § 45). La Cour a toutefois considéré

«qu’il n’[était] pas souhaitable, encore moins nécessaire, d’élaborer une théorie générale concernant la mesure dans laquelle les garanties de la Convention doivent être éten-

dues aux relations entre les personnes privées» (arrêt VGT I,

§ 46). Elle s’est contentée de conclure à une violation de la liberté d’expression en relevant que l’interdiction de la publi- cité politique contenue dans la législation suisse en vigueur à l’époque légitimait le refus de Publisuisse SA de diffuser le spot (arrêt VGT I, §§ 47–49, 79). A l’objection du gouver- nement suisse, selon laquelle la constatation d’une violation de la CEDH revenait à reconnaitre un «droit d’antenne», la Cour n’a pas donné de réponse claire. Au lieu d’indiquer si les obligations positives inhérentes à la liberté d’expression ont comme corollaire un droit d’accès aux médias, elle a rap- pelé le principe de la liberté du choix des moyens pour par- venir à un résultat conforme à la CEDH (arrêt VGT I, § 78).

Par conséquent, elle n’a pas clairement tranché la question de savoir si la Suisse avait l’obligation positive de garantir la diffusion du spot par Publisuisse SA (une société de droit privé).

Statuant sur la demande de révision de l’association re- quérante présentée suite à l’arrêt VGT I, le Tribunal fédéral a interprété ce dernier arrêt de façon très étroite. Selon les juges fédéraux, l’arrêt VGT I ne fondait pas une obligation de la Suisse d’assurer la diffusion du spot, mais se bornait à relever que le refus de diffusion ne pouvait être justifié par l’interdiction de la publicité politique. «La Cour ne s’est pas exprimée sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, la Suisse, en ne garantissant pas la diffusion, avait manqué à d’éventuelles obligations positives qui découleraient d’une extension des garanties de la Convention aux relations en- tre les personnes privées» (arrêt de Grande Chambre VGT II,

§ 23; arrêt du TF 2A.526/2001, consid. 4.2). Tout en circons- crivant la portée de l’arrêt VGT I au problème de l’interdic- tion de la publicité politique, le Tribunal fédéral a ajouté que d’autres normes et principes légaux que la Cour n’avaient pas examinés dans cet arrêt (notamment les dispositions en matière de concurrence déloyale et la liberté d’expression négative de Publisuisse SA) entraient en ligne de compte pour légitimer le refus de diffuser le spot.

Dans l’arrêt VGT II, la Grande Chambre rejette claire- ment la vision du Tribunal fédéral et confère à l’arrêt VGT I une portée beaucoup plus large. Elle semble considérer que la Suisse a l’obligation d’assurer la diffusion du spot. Indi- rectement, elle rejette aussi l’argument tiré de la concurrence déloyale. Elle souligne l’importance, dans une société dé- mocratique, de la liberté d’expression, qui protège aussi les informations ou idées «qui heurtent, choquent ou inquiètent»

(arrêt de Grande Chambre VGT II, § 96). La «thèse selon la- quelle la diffusion du spot télévisé risquerait d’être perçue comme désagréable, notamment par les consommateurs ou les commerçants et producteurs de viande, n’est pas de na- ture à justifier le maintien de l’interdiction du spot» (arrêt de Grande Chambre VGT II, § 96). Suite à l’arrêt Hertel c.

Suisse (requête no 25181/94, 25.8.1998, Rec. 1998-VI), qui met le doigt sur l’effet de censure que risque de déployer l’application des règles suisses en matière de concurrence déloyale sur des non-concurrents (comme notamment la

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presse, les scientifiques et les organisations vouées à la pro- tection des consommateurs), le raisonnement de la Cour ne surprend guère. La liberté d’expression serait effectivement réduite à la portion congrue si elle admettait une immunité des acteurs économiques (in casu des producteurs de viande) contre toute critique. Cette conclusion s’impose d’autant plus que le spot publicitaire litigieux était conçu comme une critique générale de l’élevage en batterie et ne visait pas une cible déterminée. L’argument tiré de la concurrence déloyale repose donc sur un fondement faible. Par contre, l’argument de la dimension négative de la liberté d’expression (qui re- vient à conférer à Publisuisse SA le droit de ne pas diffuser une opinion à laquelle elle ne souscrit pas) a plus de poids.

Trouver un juste équilibre entre un droit d’accès du public aux médias audiovisuels, d’une part, et la liberté éditoriale, d’autre part, n’est pas aisé. Du point de vue des autorités éta- tiques, le défi consiste à concilier les obligations négatives et positives découlant de la liberté d’expression. Les premières commandent à l’Etat de s’abstenir de toute atteinte à la liber- té des médias, les secondes exigent de l’Etat la prise de me- sures afin de protéger les particuliers contre la censure privée (en leur permettant d’accéder aux médias). Il est regrettable que les considérations de la Grande Chambre sur cette pro- blématique soient très générales et ne fournissent guère d’in- dication sur l’étendue et les limites des obligations positives découlant de la liberté d’expression dans le contexte audiovi- suel ainsi que sur les conditions d’un éventuel droit d’accès à la tribune médiatique. Il incombera donc à la jurisprudence future d’en concrétiser les contours.

IV. Conclusion

Dans le cas d’espèce, le message de la Grande Chambre est clair: pour se conformer à l’esprit des arrêts VGT I et VGT II, la Suisse a l’obligation d’assurer la diffusion du spot liti- gieux. Le Tribunal fédéral est, quant à lui, censé conférer à la procédure de révision son plein effet utile en vue d’atteindre ce résultat. L’arrêt du Tribunal fédéral du 4 novembre 2009 (arrêt du TF 2F_6/2009) est un pas dans la bonne direction.

Les juges de Mon Repos ont en effet admis la demande de ré- vision introduite par l’association requérante suite à l’arrêt de Grande Chambre VGT II. Dans le dispositif, ils ont constaté que le spot litigieux n’était pas contraire à l’interdiction de la publicité politique à la radio-télévision, ce qui est en soi in- suffisant pour contraindre la SSR (voire Publisuisse SA) à le diffuser. Dans les considérants de l’arrêt, le Tribunal fédéral rappelle toutefois que les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique (art. 35 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999; RS 101). Leur respect incombe à quiconque remplit une tâche étatique, ce qui est le cas pour la SSR (même lors- qu’elle agit dans le domaine de la publicité commerciale).

En effet, bien que la publicité télévisée soit soumise au droit privé, elle est étroitement liée au service public de la radio- télévision. Le Tribunal fédéral conclut que la SSR est tenue de collaborer à la mise en œuvre de l’arrêt de Grande Cham-

bre VGT II et de garantir la diffusion du spot dans un délai raisonnable. Ainsi, le dialogue entre le Tribunal fédéral et la Cour au sujet de la diffusion du spot litigieux a eu l’effet bé- néfique de renforcer l’efficacité de la procédure de révision dans le cas d’espèce. Reste à savoir si ces développements conduiront à la reconnaissance d’un effet cassatoire indirect des arrêts de Strasbourg dans l’ordre juridique helvétique.

Dans une perspective plus générale, il est regrettable que la Grande Chambre n’ait pas réussi à établir des principes clairs dans le domaine particulier de la réouverture des pro- cédures nationales en exécution d’un arrêt de Strasbourg.

En effet, la délimitation entre les compétences de la Cour et celles du Comité des Ministres reste floue. Il est notamment difficile de prévoir si les juges européens vont poursuivre la tendance qu’ils ont amorcée (et considéreront à l’avenir qu’un simple refus de réviser un arrêt national est un «fait nouveau» justifiant leur compétence ratione materiae) ou s’ils relativiseront leur récente jurisprudence en arguant que seules les circonstances spécifiques de l’affaire VGT II ont permis de déclarer recevable la seconde requête de l’associa- tion requérante.

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