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L'Intermédiaire des Educateurs - Juin-Juillet 1915

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L'Intermédiaire des Educateurs - Juin-Juillet 1915

BOVET, Pierre (Ed.)

Abstract

Revue éditée par l'Institut J.-J. Rousseau / Ecole des sciences de l'Education de 1912 à 1920.

A fusionné avec L'Educateur.

BOVET, Pierre (Ed.). L'Intermédiaire des Educateurs - Juin-Juillet 1915. L'Intermédiaire des éducateurs, 1915, vol. 3, no. 29-30, p. 88-120

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:128144

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88 L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEUR:,.

Mme Rose ABERSON nous a fait part de l'heureuse naissance d'un petit garçon.

Dans la soirée familière qui a cl'?� �otr': semestre d'hiver on a discuté la fondation d'une Soctete amicale comprenant les·

professeurs et les élèves de l'Institut. Le Comité provisoi�e � rapporté _le 23 avril par l'orsane de M. Boe�hat et la_ �oc1éte a été immédiatement consucuée. Le premier Comlte a été comJ>osé comme suit : Mlle _A; Giroud, présidente, �m� Hara_ri,., MU• Huguenin, M. Zameer101 M. Boe<:hat. La Soc1éte se reu­

nira le troisième vendredi de chaque moi�- Chaque _sé�ce C<?m­

prendra un travail d un des membres, puis une parue recréanve.

Les cours ont repris rég�iJière�ent le. 1 z avril. Disons ici le­

plaisir que nous avons eu a revoir parmi nous_ le Dr F. NAvrLLE>

qui avatt été mobilisé tout l'hiver. Une série de conféren·ces consacrées à des ')Uestions d'éducation morale, nous -vaut 1�

collaboration préc1eus·e de M. R. HERcoo, de Lausanne_, qui traite en cinq leçons l'histoire et les méthodes de l'enseigne­

ment antialcoolique.

M. Alb. SECHEHAYE nous a fait le r6 avril sous le titre Gram­

maire et psychologie une leçon d'un grand intérêt.

Dans le même ordre d'idées, d'une façon très concrète et immédiatement profitable, M. Jules RoNJAT, dont nous con­

naissions déjà la remarquable étude sur: le développ_ement d'��

enfant bilingue 11ous a exposé le zo avril, les expériences qu 1l avait faites en e�seignant à lire et à écrire à deux petits garçons.

M. Ed. Cu.PARÈOE a consacré à des questions d'intérêt gé­

néral pour to1;1s les édu_cateurs : L'hérédifé, l'eugénique, l�s théories freudiennes, trois conférences qui ont obtenu un tres vif succès.

C'est une joie pour nous d'annoncer ici la fondation à Genève­

de l'Institut rythmique q_ui ouvri�� ses portes le �er octobr<; et fixera :[>armi nous l'arnste et 1 educateur adrmrable qu est JAQUES�DALCROZE.

Le grand événement de ce printemps, c'est le tr_ansfert. de­

notre Maison des Petits à la campagne. Une gracieuse villa (16 chemin Sauner) a été mise à notre dispo�ition par M.

Cla'parède et, depuis le 2-0 avril, les enfants installés dans �e' belles pièces au rez-de-chaussée passent la plus {$Tande partie:

de leur temps en plein air. Le jardinage, l'aquanum, les jeux dans le sable, le modelage géographique ont pris le dévelop­

pement que vous devinez.

Deux excursions très réussies: Je zx mars à Chambésy et Genthod, le 9 mai à Presinges.

Mm.• Isabelle SADOVIANo, élève régulière de l'Institut dès_ le début, a obtenu à l'Université de Genève Je grade de licenc1_ée ès sciences sociales et nous a quinés pour rentrer �n Rouma01e.

L'Intermediaire des Éducateurs

3"ANNEE -N° 29-30 - JUIN-JUILLET 1915

NOS ENQUÊTES:

La vocation pédagogique.

Dans une contribution à l'étude de la vocation, parue 'dans les Archives de Psychologie en octobre

1908, M. Tobie Jonckheere, professeur à l'Ecole nor­

male de Bruxelles s'exprime ainsi : « Parmi les ques­

tions qui préoccupent spécialement les pères et les mères de familles, il en est une surtout qui est par­

ticulièrement difficile à résoudre, c'est celle de la pro­

fession qu'exerceront leurs enfants à la sortie de l'école. >> Afin de se rendre compte d'une façon expé­

rimentale des mobiles qui amènent les jeunes gens à l'Ecole normale, il fait une enquête auprès de 35 nor­

maliens tous âgés de 15 ans au moins. Voici les con­

clusions auxquelles il est arrivé :

I. Aucun élève n'est entré à l'Ecole normale par vocation.

Peut-être un seul fait-il exception.

II. Les motifs principaux qui ont incité les élèves à se rré­

senter à l'examen d'admission sont au nombre de deux : a) Les conseils donnés par les parents ou par d'autres per­

sonnes ayant une certaine autorité ou un certain ascendant sur les élèves (r r sur 35).

b) Les avantages qu'offre, aux yeux des élèves, la vie d'ins­

tituteur (15 cas sur 35, ou plus exactement 20 cas sur .35, car les conseils des parents sont basés 5 fois au moins sur le même motif).

III. Le choix d'une profession par les élèves est dominé

(3)

L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

souvent (20 cas sur 34) par des considérations pratiques, utili­

taires, égoïstes.

IV. Le choix n'est jamais motivé par des raisons nobles,.

élevées (par exemple le désir de se perfectionner, de se con­

sacrer ultérieurement a l'éducation des enfants).

Ce sont là des constatations plutôt pessimistes, et nous avons pensé qu'il valait la peine de les complé­

ter en étudiant quel est, chez ceux gui enseignent ou qui s'occupent d'éducation, l'état d'esprit produit ·par le métier.

« Il serait, continue M. J onckheere, très intéressant de re­

cueillir une série de monographies, émanant de personnes adultes animées évidemment du désir de fournir des matériaux scientifiques, dans lesquelles les auteurs feraient connaître comment et pourquoi ils ont choisi la profession qu'ils exer­

cent. Ces documents présenteraient une réelle valeur psycho­

logique et sociologique.

Nous avons tenté de satisfaire à ce vœu en rédi- geant le questionnaire suivant :

1. Nom, prénom, nationalité, âge.

2. Dans quelle école enseignez-vous?

3. Quelles étapes préalables dans l'enseignement avez-vous faites?

4. Comment vous êtes-vous préparé à la carrière pédagogi- que?

5. Dans quelles circonstances et à quel âge avez-vous pris cette orientation?

6. Indépendamment de toutes questions matérielles ou au­

tres, quelle carrière auriez-vous entreprise en suivant votre seule impulsion ?

7. Comptez-vous dans vos ascendants des pédagogues ou des hommes appartenant à des professions similaires (pasteurs, professeurs, etc.)?

8. Pouvez-vous établir par un journal de jeunesse ou par des lettres et souvenirs que le goût de la carrière pédagogique est ancien chez vous ?

9. Le goût de l'étude (le goût du savoir) fut-il le principal

LA VOCATION PEDAGOGIQUE 91

mobile du choix que vous avez fait de la carrière pédagogi- que?

10. Quels avantages avez-vous vus dans l'enseignement?

I 1. Indépendamment du gain, accepteriez-vous de continuer cette carrière ou entreprendriez-vous autre chose?

Si vous deviez l'abandonner, serait-ce avec regret - ou si vous l'avez abandonnée déjà, la regrettez-vous ?

12. Croyez-vous à la vocation ?

Il semble qu'une certaine gêne, de la timidité, la crainte de se livrer, aient paralysé la majorité de ceux à qui nous nous étions adressé puisque sur plus de cent formulaires, on ne nous en a retourné que vingt.

C'est peu, mais suffisant, espérons-nous, pour essayer de démêler quelques-uns des mobiles qui ont fait ou qui font agir ceux qui sont entrés dans la carrière pédagogique.

Parmi nos 20 répondants il y a 17 dames et 3 mes­

sieurs; 14 Suisses et 6 étrangers : 1 Russe, 1 Alle­

mande, 1 Anglaise, 2 Italiens et I Grecque.

11 enseignent actuellement, 3 ont cessé momenta­

nément, 2 ont définitivement cessé d'enseigner, et 4 n'ont jamais enseigné mais s'intéressent activement à l'éducation.

L'âge varie de 44 à 20 ans; moyenne 3o ans.

On peut ranger les questions posées en trois caté­

gories:

1. Questions relatives à l'hérédité, au goût inné, à l'impulsion naturelle, aux souvenirs (5, 6, 7, 8).

Il. Questions relatives a la formation du pédago/

gue, à l'acquisition du métier (2, 3, 4).

III. Questions relatives à la profession elle-même:

avantages intellectuels, matériels ou autres, vocation (g, IO, II, I 2).

(4)

L'INTERMÉDIAIRE DES EDUCATEURS

I

Remontons aux origines. La question 7 était posée en ces termes : Compter_-vou.s dans vos ascendants des pédagogues ou des hommes appartenant à des profes­

sions similaires (pasteurs, professeurs, etc.)?

Nous ne savons s'il faut l'attribuer au hasard mais, parmi les 20 répondants 1 z ont dans leur ascendance du côté paternel, force pasteurs professeurs, du côté maternel, des institutrices, des femmes s'étant occu­

pées d'éducatiO.Jl plus ou moins directement.

Je ne puis résister à la tentation de citer la réponse d'un homme d'une trentaine d'années ayant fait des études de théologie qu'il a abandonnées et qui est a-ctuellement professeur dans une Ecole nouvelle:

« Mon père était pasteur.

Ma mère est fille d'un professeur de théologie.

Mon grand-père paternel était médecin.

Ma grand'mère paternelle était fille de pasteur.

Mon grand-père (tlaternel était pasteur.

Magrand'mère maternelle était fille de professeur de théologie.

Mon arrière-grand-père paternel était pasteur.

Mon arrière-grand-père maternel était un moine ayant quitté les ordres et s'occupant de sciences. �

Ce n'est pas banal, et il n y a rien d'extraordinaire que le descendant dune aussi docte lignée se soit tourné du côté de l'éducation.

On peut nous semble-t-il trouver à cette question de ! 'hérédité, au point de vue qui nous 'Occupe deux aspects : D'une part des qualités se sont développées et ancrées pendant plusieurs générations, l'exemple du père ou de la mère étant d ailleurs déterminant

LA VOCATION PÉDAGOGIQUE 93 au moment venu. D'autre part, la même tendance (le besoin d'éduquer) parait se modifier à travers les générations. En voici un exemple :

« Ma grand'mère paternelle a fondé un internat pour les jeunes filles du pays (Suisse romande) qui fut très fréquenté;

mon arrière-grand-père paternel et son frère furent régent et notaire, mon grand-père pasteur, mon père fioaocier. En ré­

sumé famille de pasteurs et notaires, comptant plusieurs insti­

tutrices aussi. »

Enfin peut-être n'est-il pas prématuré de deviner.

chez certains individus une réaction contre toute l'édu­

cation subie :

� Je sais peu de choses de ma famÜ!e, parce que j.'ai perdu mes parents de bonne heure et qu'ils n'ont pu me renseigner exactement sur mes ascendants. Mon père était dans les affai­

res; je sais qu'il se préoccupait des questions d'éducation, mais elles dérivaient pour lui de ses préoccupations sur le sens de la vie. »

La question que nous venons d'examiner est inti­

mement liée au n° 8 : « Pouve'{_-vous établir par un journal de jeunesse ou par d�s lettres et souvenirs que le goût de la ca1·rière pédagogique est ancien che'{_

vous ?·»

La plupart des réponses, 12 sur 20, sont catégori­

ques:

Non - non - rien - ou bien: « Je n'ai heureusement ja­

mais tenu de journal; c'est si difficile d'être sincère; mes lettres, où sont-elles? Je ne m'en suis jamais souciée. »

Une femme docteur ès lettres, nous dit :

« Mon journal de jeune fille ne recèle que le goût du savoir.

Les souvenirs des camarades diraient plutôt le plaisir que je prenais, enfant, à disséquer des bestioles, plus tard à « désar­

ticuler» des caractères. Mon journal de jeunesse prouve le

(5)

94 L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

goO.t dé l'introspection.,. Dans plusieurs réponses (5) on avoue avoir joué à l'école dès l'enfance: 1t J'ai toujours j0ué à l'école, et c'était toujours moi qui étais la maîtresse »,-ou bien u De­

puis toute petite mon jeu favori était de « jouer à l'école •.

Voici une confession en règle :

« Le goilt de l'enseignement est venu de bonne heure chez moi. Je me rappelle que rien ne me semblait si long que les vacances et j'organisais très souvent, pour me distraire, une école où j'étais toujours la maîtresse et où mes deux sœurs, aînée et cadette, étaient mes élèves. Je faisais faire des dictées,

·j'expliquais de mon mieux les fautes commises. Plus tard, je ne tins plus d'école pendant les vacances, mais (dès l'âge de

1 z ans), j'aidais régulièrement un petit voisin et je m'appliquais à lui faire comprendre ce qu il ne savait pas. Mon jeune frère aussi venait chercher conseil. Je ne me rappelle pas leur avoir refusé mon aide. J'étais contente de pouvoir m'exercer déjà à mon rôle futur d'institutrice. "

Il y a ici, nous semble-t-il, une question intéres­

sante à examiner. L'enfant joue-t-il par instinct d'imi­

tation, ou bien dans le cas qui nous occupe, le jeu paraît-il déjà une révélation des intérêts et des éner­

gies qui se développeront plus tard? - On connaît les théories sur le jeu; on sait qu'on s'accorde à re­

connaître dans le jeu l'influence dé l'imitation. Dans une réponse, je lis cette déclaration catégorique. « Le jeu des enfants qui font l'école ne me paraît qu'un besoin d'imitation». D'ailleurs ceux qui observent les enfants sont frappés de voir combien dan.s ce jeu dit

« de l'école» les enfants sont préoccupés d'imiter les paroles, les gestes, les travers et ridicules de ceux qui font leur éducation. Que les enfants exagèrent, cela est fort possible, mais il m'a semblé souvent que ces jeux anodins de l'école rendraient un grand ser­

vice à ceux qui sauraient observer les enfants et re-

LA VOCATION PÉDAGOGIQUE 95

connaître ainsi leurs travers et leurs défauts. Les en­

fants sont en général d'excellents observateurs, et leur jugement est plus sain qu'on ne le suppose.

Une réponse bien instructive m'est venue d'une femme intelligente et fine qui a passé bien des an­

nées à enseigner et qui doit avoir ce qu'on est con­

venu d'appeler la vocation :

« Quand j'étais petite fille, mon zèle à instruire mes poupées me causait souvent des maux: de tête. J'ai tenu comme enfant des écoles de bêtes à Bon Dieu qui me donnaient aussi beau­

coup de souci, car les élèves s'envolaient à tout instant; aucun règlement, aucune punition n'y remédiaient."

C'est original et plein d'esprit. Peut-être cette femme si pleine de la vocation a-t-elle pris ses meil­

leures leçons de didactique dans ces écoles de bes- tioles !

A côté du goût ancien pour l'enseignement on re­

lève dans nos réponses des témoignages d'une con­

quête lente et laborieuse d'une raison de vivre :

<< J'ai haï au début l'obligation où j'étais de m'occuper Jes

enfants. parce que je n'aimais pas encore les enfants à ce mo­

ment-là et que je ne les connaissais pas. Je ne les aimais pas parce que trop jeune; l'instinct maternel n'était pas éveillé en­

core. Je ne les comprenais pas à cause de la préparation in­

suffisante que j'avais reçue au collège; je croyais m'adresser à des égaux, à des gens dont l'éducation de la volonté en par­

ticulier était déjà faite : je représentais pour eux la morale dans son austérité, je m'étonnais qu'ils ne la pratiquassent pas.

Ensuite j'ai eu affaire à des petits qui m'aimaient parce qu'ils recevaient assez peu comme soins et comme affection dans leurs familles ; je les ai aimés et j'ai commencé - très vague­

ment encore - à les comprendre. J'ai eu ensuite des classes . difficiles où il s'agissait d'établir la discipline; j'y suis arrivée facilement par la bonté et la persuasion. J'étais aimée des en­

fants, inais je n'étais pas pour eux une maîtresse idéale, parce

(6)

L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

qu'e j'avais encore trop la vieille conception de la discipline et de l'obéissance et que l'obligation de suivre les programmes m'étouffait. Pourtant, je m'efforçais de m'intéresser à tous individuellement. Tout ceci pour expliquer que la prédilection que j'ai actuellement pour l'éducation est une conquête lente. "

Et ailleurs ce cri de sincérité :

« Hélas I tous mes souvenirs s'accordent à reconnaître que je n'avais aucun goût pour l'éducation. - Je crois d'.ailleurs, que j'ai un tempérament très vif de révolutionnaire et que c'est en me mêlant d'éducation que je puis arriver à le satis­

faire. J'ai toujours été une révoltée; l'état actuel des choses me fait souffrir et j'ai toujours pensé que l'éducation seule pouvait y remédier.•

Dans quelles circonstances et à quel âge avq-vous pris cette orientation? (n° 5).

Huit personnes s'accordent à dire gue le désir de s'occuper d'enfants a toujours existé chez elles; im­

possible de préciser le moment où s'est éveillé ce be­

som:

« Je me rappelle avoir dit très jeune que je voulais être ins­

titutrice et je n'ai jamais eu d'autre idée, relativement à la pro­

fession que je voulais embrasser. » - « J'ai un frère de 4 ans plus jeune que moi; je lui ai appris à lire, plus tard, je lui ai donné ses premières leçons de physique. Il est ingénieur et il assure que c'est moi qui la première ai éveillé son goût pour la mécanique. Je n'ai jamais su une chose sans av.oir le désir de l'enseigner. Lorsque j'avais 16 ans, les élèves qui m'étaient confiées n'étant plus des enfants mais des adultes, je me rap­

pelle que le cœur me battait fort avant et pendant mes leçons.

Je crois que j'ai toujours enseigné, jusqu'à 15 ans par goût, après par nécessité. »

« Depuis mon entrée à l'école, mon jeu favori a été de faire l'école et cela avec la conviction qu'il arriverait un jour où je serais la maîtresse pour de bon. Mon plaisir à l'étude et mon désir de me créer une position indépendante ont déterminé le choix de ma vocation; à vrai dire, il ne m'est pas venu à l'esprit que je pusse me lancer dans une autre voie. »

LA VOCATION PEDAGOGIQUE 97 Dans une seconde catégorie, on pourrait ranger ceux qui ont été poussés dans la carrière pédagogi­

que par la force des circonstances, 6 sur 20.

Voici ce que dit une femme, actuellement profes­

seur dans une Ecole normale :

« C'est à 23 ans que j'ai songé à l'utilisation pratique de mes diplômes, avec l'impression d'une « chute dans l'inconnu "

sans enthousiasme et sans méthode pédagogique; je n'ai pas le feu sacré, mais que voulez-vous? j'ai été intoxiquée du« virus pédagogique » dans la section d'école normale que j'ai suivie.»

- « L'école normale étant la seule école de culture secon­

daire dans l'endroit que j'habitais, je l'ai suivie pour continuer mes études et j'ai été aiguillée vers l'enseignement sans voca­

tion, sans réflexion, de ma part du moins, peut-être que ceux qui me guidaient avaient ce but .pour moi, j'e ne m'en suis ja­

mais doutée. �

- « En faisant un retour sur moi-même, je me rends parfai­

tement compte que j'ai « subi» tout cet enseignement pédago­

gique et que la perspective de m'occuper d'enfants toute ma vie m'épouvantait. •

- « Aucune circonstance spéciale ne m'a poussée à obtenir le brevet d'institutrice. J'ai suivi le conseil de ma mère qui pensaü qu'un diplôme en poche permet de faire plus facile­

ment face aux. besoins matériels de la vie.,,

- « Mon përe ayant fondé un Institut d'orphelins, je désirai travailler avec lui, surtout pour le débarrasser des soucis ma­

tériels (collectes, administration) de façon qu'il pût réaliser son idéal pédagogique. C'est en vue de cela que, tout en me ren­

dant compte que je n'avais pas la vocation, j'avais commencé les études de théologie, poussé dans cette voie par des consi­

dérations utilitaires et par le désir de me conformer au désir de mes parents qui croyaient que c'était ma vocation. En vue donc de ma future activité dans l'institut de mon père, je jugeai utile de m'occuper un peu de pédagogie. C'est en travaillant théoriquement la pédagogie que je me suis décidé à renoncer à la théologie et' à me consacrer à l'enfance. li

Une �roisième catégorie comprendrait ceux pour qui la carrière pédagogique a été une sorte de révé-

(7)

L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

lation; il y a pour quelques-uns semble-t-il, dans leur décision un fort élément de volonté. Voici ce que dit une jeune Anglaise de vingt ans :

a: Il me semble que depuis l'âge de quatorze ans, j'ai toujours eu plus ou moins l'idée, bien peu définie, il est vrai, de m'oc­

cuper d'enfants. A seize ans, connaissant des personnes qui s'étaient dévouées à l'éducation d'enfants délaissés, il me vinr le désir de me vouer entièrement aux enfants de parents indi­

gnes ou dénaturés. Ce clésir m'est toujours resté, il s'est éclairci et défini avec les années. C est ce désir ce but encore bien lointain qui m'a guidée dans l'Ecole où je suis actuellement élève».

- « Je me suis dirigé vers la pédagogie ap.rès avoir renoncé au pastorat à 22 '/tans (c'est le descendant du moine qui parle).

Il m'est difficile de dire l'â.ge où je me suis orienté dans la voie de l'éducatfon. J'ai toujours eu de l'affection pour les plus jeunes que moi et pour les enfants. »

- « Je me suis décidée à me tourner du côté de l'enseigne­

ment d'une manière assez fortuite : Ayant un neveu et une nièce du même âge, je les ré1.1nis er leur donnai des leçons.

Sentant mon inexpérience complète et ayant entendu parler d'une pédagogue de mérite, je fis le stage dans une école en­

fantine, ce fut une véritable 1·évélation pour moi. J>

D'autres -enfin, des privilégiés de ceux qui n'étaient pas talonné� par la nécessité de gagner leur pain, ont connu l'hésitation la plus cuisante er se sont finale­

ment tournés du côté de la pédagogie.

Nous voici arrivés à un tournant dans l'étude du problème qui nous occupe, où les timides oseront a:vouer leurs désirs les plus secrets, où les malheu­

reux et les dégoûtés voudront briser les liens qui les enserrent, où l'on pourra, ne fût-ce qu'un instant, s'affirmer tel qu'on aurait aimé être. Sur nos 20 ré­

ponses 9 déclarent catégoriquement qu'aucune autre carrière ne les aurait tentées qu'elles n'ont jamais

LA VOCATION PEDAGOGIQUE 99 songé à faire autre chose, 3 avouent n'avoir eu aucun désir déterminé, une autre n'a pas eu la faculté de choisir.

L'une é�rit : Les questions matérielles ont été si importantes

�ans . ma Jeu?ess_e que j'e ne puis m'i�agine,r ce que j'au.rais eté s1 elles n av81ent pas pesé sur m01. Dans le domaine des rêves, mes ambitions ne s arrêtaient à rien de bas (c'est un professeur de diction qui parle), et je visais aussi bien à être

�arah B�rnhardt, Juliette, Georges Sand, une reine ou une I�pératnce, Mm• Rothschild ou la belle Hélène. Aucune des­

tinée d aucun g7nre o'a�ait pu me paraître trop glorieuse.En attendant .... Je donnais des leçons. Mais je pense que tout le monde, dans la jeunesse, attend autre chose. »

Quatre réponses paraissent regretter de n'avoir pu donner essor à leur instinct de jeunesse :

«.:ar gofit, j'eu�se fréquenté la Faculté de médecine, parti­

�uherem�nt la cb_1rurgie, mais· c'était trop saugrenu pour mon epoq_ue (11 y a bientôt 20 ans) et ma famille (une lignée de pasteurs).»

- ." A

;4:

ans, j'�i versé les premières larmes sérieuses parce que Je n a� �u su1vr� mon _ goût pour la photographie; c'était le c�té art1st1que qm m'a1;1..r_air. �l�s tard, j'ai fait de la gym­

�a�u�que et là e�core le cote arusnque l'emportait, plus tard, J a1 taté �e la reliure et de beaucoup d'autres choses. »

Deux Jeunes gens encore au seuil de là carrière déclarent l'un �u'après a':oir fi.ni le Lycée, si sa position financiere l'avait pernus, 11 aurait commencé des études de philosophie mais pas av�c le but d'enseigner; l'autre, qu'en suivant sa' se-ule 1mpuls1on, elle se serait occupée de l'étude des langues.

Un professeur �éclare qu'il a _été orienté vers l'enseignement au �.ornent où, a 18 ans, apres de longues hésitations, il acho1s1 les lettres.

Une je_une,femme,. assoiffée de sincérité écrit: « Au moment de cho1s1_r, c e�t-à�dm� vers 16-18 an.s, je pense n'avoir eu au­

cune espece d 10cl10at1on pour quoi que ce füt. Je ressemblais a?s�lume;1t à tou�es les jeunes filles du milieu dans lequel je vivais q1:11 attendaient, peut-êrre inconsciemment, le mariage comme la seule porte de sortie. »

(8)

100 L'lNTERMÉDIAIRE DES ÉDUCATEURS

II

Comment vous êtes-vous préparé à la carrière pé­

dagogi,que? (Question n° 4).

La proportion de ceux qui ont passé par l'Ecole normale est relativement faible : 11 sur 20; encore parmi ces plus loin leurs études; plusieurs ont smv1 1 Umver­11 personnes pl�sieurs ont-_el�es, po_ussé sité, nous en retrouvons aussi bon nombre à l'Insti­

tut J .-J _ Rousseau. D'autres, surtout parmi les mes­

sieurs, ont, après avoir fait la maturiré fédérale ou le baccalauréat, continué des études de lettres ou de théologie (abandonnées en route, 2 cas), pour arriver à l'éducation ou à l'enseignement; d'autres enfin déclarent ne s'être préparés d'aucune façon spéciale à la carrière pédagogique; la minorité prétend s'y être formée par la pratique. Plusieurs disent s'être formés individuellement en se soumettant à des lectures mé­

thodiques. Remarguons un regret qui se dessine dans plusieurs réponses et dont on perçoit souvent des échos dans la vie quotidienne; le manque com­

plet de préparation pédagogique pour ceux gui ont passé par le collège et le gymnase, qui ont poursuivi à l'Université, et qui d'un jour à l'autre ont été mis en présence d'une bande de garçons indisciplinés et moqueurs.

N'y

aurait-il pas là une réforme urgente à proposer? car c'est la majorité des professeurs qui sont préparés à l'enseignement de c_ette façon toute négative. Qu'on songe ici aux soins que les Améri-

LA VOCATION PÉDAGOGIQUE 101

cains apportent à tout ce qui touche à la pédagogie et qui constitue l'avenir de la race.

Quelles étapes préalables dans l'enseignement aveî­

vous faites? (n° 3).

Les réponses à cette question sont des plus variées et nous ne songerons même pas à les systématiser.

Il y en a pour tous les goûts : leçons privées depuis de nombreuses années, intern�t, préceptorat, écoles de toutes sortes, écoles de montagne, de village, de ville, écoles du jeudi, du dimanche, écoles pour ,en­

fants abandonnés , écoles nouvelles, écoles étrangè­

res, etc. Enfin en réponse à la question n° 2 : Dans quelle école enseignq-vous et depuis quand? nous ob­

tenons les renseignements les plus divers. 8 ensei­

gnent dans des écoles privées, 5 dans des écoles offi­

cielles; 7 n'enseignent plus ou n'ont jamais enseigné.

III

Quels avantages aveî-vous vus dans l'enseignement?

(Question n° 10).

Comme le démontre le dépouillement de notre enquête, les personnes qui ont choisi cette voie l'ont choisie à cause de certains avantages : intellectuels, moraux, matériels. Deux personnes avouent avoir subi cette profession sans y voir aucun avantage.

Résumons ces réponses.

11 personnes déclarent que c'est le côté intellec­

. tuel qui les a en_traînées, soit qu'elles aient un véri­

table plaisir à enseigner, soit qu'elles jouissent d'ap-

(9)

102 L'INTERMÉDIAIRE DES ÉDUCATEURS

prendre pour le transmettre plus tard, soit qu'elles aiment à observer.

C1 L'immense intérêt qu'il y a dans l'obser.vation des enfants, la joie de vivre dans une atmosphère de sympathie réciproque, de voir les enfants les uns après les autres mordre au travail avec ardeur. Voilà pour l'essentiel.

Au point de la comparaison avec d'autres carrières, je trouve tout en ayant une occupation suivie, agréable d'avoir chaque jour quelques heures, chaque semaine un jour, et chaque an­

D?e plusieurs semaines de loisirs pour travailler pour soi, étu­

dter théoriquement ce qu'on a l'occasion d'expérimenter en classe. En outre et surtout je considère comme un privilège si grand qu'il me parait presque injuste, de pouvoir travailler sur de la matière vivante, tandis que tant de pauvres gens en sont réduits à des besognes matérielles, souvent sans loisir aucun.»

Comme on le voit par cette citation, le plaisir in­

tellectuel peut se combiner soit à l'amour de l'obser­

vation, soit au plaisir de l'influence à exercer, ou bien encore à des avantages moraux proprement dits.

« J'y vois des avantages de deu.x sortes : ro avantages intel­

lectuels, car on apprend bee.ucoup en faisant des recherches pour préparer les leçons; avantages moraux, car cette car­

rière contribue beaucoup & l'éducation de la volonté à la

maîtrise de soi. ,i '

A côté de cela, on déclare être heureux de s'être créé une position indépendante, on y voit R l'avan­

tage de gagner sa vie, ce qui est d'une importance capitale, et puis, ajoute celle qui parle, j'aime ensei­

gner et j'aime encore plus l'art que j'enseigne » (dic­

tion). En ce qui concerne le côté matériel de la ques­

tion, voici une déclaration sincère à laquelle souscri­

raient, je pense, beaucoup de maîtres :

C1 Ce n'est pas le gain qui me poussa à la carrière pédagogi-

LA VOCATION PÉDAGOGIQUE ro3

que; ce sera justement l'idée du gain qui peut-être me pous­

sera à I abandonner. (C'est un jeune homme de 22 ans qui parle et qui n'a pas encore enseigné.) J'ai souffert beaucoup n'étant pas libre dans mes actes et mes paroles à cause de ma position financière, et je ne veux pas que mes enfants, puisque j'espère en avoir un jour, puissent se trouver dans le même cas. C'est donc le besoin de me créer une bonne position sous ce rap­

port qui peut-être me fera abandonner, pour quelque temps tout au moins, la carrière pédagogique. Je dois avouer que je n'ai pas d'idées bien nettes là-dessus. En tous cas, je la quit­

terai avec regret et avec le désir d'y revenir, car je ne conçois pas d'occupation aussi noble et aussi belle. »

D'autres enfin déclarent n'avoir vu aucun avantage au moment où ils s'y sont engagés :

Œ J'y suis entrée sans conviction, à contre-cœur. Maintenant ( r 2 ans après) je crois qu'il n'est rien de plus beau, rien qui ait une valeur plus grande comme intérêt dans la vie. »

Le goût de l'étude, du savoir, a-t-il été le principal mobile du choix que vous avet fait de la carrière pé­

dagogique? (Question n° g).

Les avis se partagent; 10 sont pour l'affirmative,

10 pour la négative. La plupart des réponses sont brèves et ne prêtent pas à de longs commentaires.

En voici une pourtant qui vaut la peine d'être citée: « Ah non! j'en saurais bien plus si je n'avais pas été obligée de donner tant de leçons; car alors j'aurais eu le temps d'étudier davantage. Le goil.t du savoir m'a souvent fait maudire la né­

cessité d'enseigner à l'âge où d'autres apprennent. » Et une autre : ,c Il est certain que j'ai une certaine curiosité intellec­

tuelle et je pense que c'est elle qui m'a permis de supporter les années assommantes de l'é<:ole normale. »

Indépendamment du gain, accepterie1-vous de con­

tinuer cette carrière ou entreprendrie:{-vous autre chose? (Question n° 11).

14 personnes déclarent qu'elles continueront le

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L'INTERMEDIAIRE DES ÊDUCATEURS

plus longtemps possible, qu'elles abandonneraient avec beaucoup de regrets.

L'une d'elles dit : � Peut-être donnerais-je plus de temps à mon arc; mais je ne suis pas de ces victimes qui rêveur de toucher des Tentes pour être délivrées de l.eur profession com:ne d'un supplice.» - « Une grave maladie m'a fait envi­

sager la nécessité d'abandonner ma carrière pédagogique : ce fut avec une grande tristesse, et je souffrirais grandemeat du sacrifice. Privée de me.s éleves, loin de l'activité scolaire, j'ai compris combien l'étude spéculative seule est décevaote. Nous autres professionnels de l'enseignement, nous go·i1tons fort l'érudition, mais nous ne concevons pas autre chose que la spécialisation qui approfondit et perfectionne notre matière d'enseignement. Nous sentons que l'étude acquiert tout son prix quand elle sert à nos élèves et, si la maladie m'obligeait à renoncer précocement _à ma carrière, je voudrais servir en­

core à mes élèves par le Jivre et la causerie. » 3 réponses témoignent d'avis partagés.

3 personnes s'abstiennent de répondre.

Croye:{_-vous à la vocation? (Question n° 12).

Avant de rendre compte des réponses reçues, con­

sultons Larousse : cc Vocation. Acte par lequel la Providence prédestine toute créature raisonnable à un rôle déterminé. Inclinaison à un état, » Dans la Psychologie de /'Attention de Ribot, nous lisons (p; 15) : « Qu'est-ce donc qu'une vocation, sinon une attention qui trouve sa voie et s'oriente pour toute la vie? Il n'est pas de plus beaux exemples d'attention spontanée, car celle-ci ne dure pas quelques minutes ou une heure, mais toujour\. ii

Toutes les réponses sauf deux sont affirmatives.

Toutefois bien qu'on croie en général à la vocation, il y a plus d'une réserve.

« Oui, j'y crois, malheureusement. Je veux dire que la voca-·

tien étant rare, beaucoup plus rare que le nombre d'institu-

LA VOCATION PÉDAGOGIQUE I05

teurs qu'il faut trouver à tout prix, il n'y a que peu d'enfants qui aient le privilège d'être enseignés par vocation et des mul­

titudes d'enfants sacrifiés.» - « Je crois à la vocation, aux vocations diverses, notamment à celle d'enseignant et d'édu­

cateur. »

- « Il m'est plus difficile de ne pas y croire que d'y croire;

cela doit être si affreux de n'avoir d'inclination pour aucun état, fô.t-ce celui de pàresseux. On peut avoir des inclinations pour plusieurs éJats à la tois et les satisfaire toutes; par exem­

ple : état conjugal, artistique, pédagogique et commercial. N'y a-t-il plus vocation e-n ce cas?»

- « Oui, je crois à la vocation, non pas à une impulsion in­

née qui se révèle dès l'adolescence et conduit au triomphe d'emblée dans la carrière difficile de la pédagogie; mais bien à la vocation de celui qui, après les échecs inévitables du dé­

but, s'attache à ses élèves, à son travail, y donne le meilleur de ses forces physiques, mentales et affectives, prend plaisir à perfectionner son système, comme l'artiste son œuvre d'art et qui après des années de labeur consciencieux a la sanction de ses élèves. »

Voici enfin un point de vue intéressaq.t:

« Je crois à la vocation. Je trouve criminel d'être éducateur sans vocation; je dirais volontiers que je souhaiterais que tous les hommes eussent une vocation, - cela n'est pas possible.

Il faut se borner à désirer que ceux qui réfléchissent en aient une. Je me demande si la vocation es_t un donné ou déja un produit de l'éducation ou tous les deux à la fois. »

Conclusions.

De tant d'avis, de points de vue, de renseignements divers, il me paraît qu'il se dégage une impression optimiste. La plupart de ceux qui se sont exprimés sont heureux à leur place, satisfaits de leur travail quotidien. Nous aimerions croire que la majorité de ceux qui touchent à la carrière pédagogique par un point ou par un autre est du même sentiment. Hé-

(11)

106 L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

las ! il n'en est rien; la pratique le démontre plus souvent qu'il n'est besoin.

Mais une constatation est capitale. La vocation, n'est pas toujours quelque chose d'inné, c'est souvent une c nquê_!e. lente, laborieuse, difficile, où d�$ �a�­

�J� très-divers peuvent jouer leur rôle : l'exemple d'éducateurs dévoués, - la révélation de la richesse inépuisable des sujets d'études qu'offre l'enfant, - la découverte de la portée nationale ou sociale d'un en­

seignement bien donné, - etc. Beaucoup parmi les jeunes passent par une période douloureuse de recher­

ches et �e tâtonnements jusqu'au moment où ils entre­

voient la beauté de la tâche à remplir. Est-ce inévi­

table? L'Ecole normale, telle qu'elle est comprise aujourd'hui est-elle organisée de manière à faire agir sur le jeune homme ou la jeune fille toutes les in­

fluences qui pourraient lui donner le goût de sa car­

rière, le sentiment' d'une vocation? N'est-elle pas sou­

vent trop exclusivement préoccupée de meubler l'in­

telligence du candidat? Ne lui manque-t-il pas, par exemple, la connaissance de l'enfant, et le désir de le connaître ? Et aussi la connaissance de ses propres élèves? N'y aurait-il pas là tout un programme?

En apprenant aux ,jeunes gens à se connaître, on montrerait sans doute à plusieurs d'entre eux que la carrière pédagogiqhe n'est pas pour eux la seule pos­

sib-le. Dans une certaine classe de la société on a, semble-t-il, horreur du travail manuel. Quoi de plus oeau cependant que le travail de l'artisajllui met de l'art dans tout ce qu'il touche? Ce serar une belle chose que la création d'ateliers où chacun pourrait

UNE EPREUVE

apprendre un métier en relation avec ses capacités.

Mais qu'on ne craigne pas de voir diminuer outre mesure le nombre des maîtres ; dans des écoles nor­

males plus riches et d'un horizon plus large, beau­

coup se sentiraient appelés, gui aujourd'hui n'entrent dans la voie de l'enseignement que contraints, prêts à s'en aller sans regret par le premier chemin de tra­

verse qui leur paraîtra praticable.

C. HUGUENIN.

Une épreuve de psychologie appliquée L'Institut J. J. Rousseau a ouvert depuis deux ans une

Maison des Petits où l'on s'efforce de concilie les nécessités pratiques de l'organisation pédagogique avec la réalité psychologique de l'enfant. Depuis une année Mlle Audemars la dirige avec talent. C'est une directrice qui veille à l'hygiène et à l'aspect riant de sa maison, elle est soucieuse du bonheur présent des enfants et plus encore de leur bonheur futur, qui dépend d'habitudes d'activité ordonnée, d'altruisme équilibré et de joyeuse sérénité prises au fur et à mesure des heures vécues.

M11e Audemars a comme aide les élèves de l'Institut J .. J. Rousseau qui veulent se vouer spécialement aux petits et qui se préparent pendant deux années à leur carrière. Les plus avancées de ces élèves viennent de subir il y a quelques semaines leurs épreuves finales.

Ces épreuves ont duré trois jours. Ceux qui sans être

(12)

108 L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEuRS

initiés auraient assisté aux examens auraient pu s'étonner de leur allure: les petits et leurs maîtresses travaillent au jardin, dans la lumière douce du soleil qui filtre à travers les feuilles vertes. Chacun semble accepter son travail avec plaisir, nulle contrainte ne pèse sur les enfants qui sont répartis en groupes;

quelques-uns vont et viennent doucement, il y en a qui abandonnent leur place pour venir suivre avec curiosité et intérêt le travail de leurs voisins.

La dernière épreuve consistait dans une leçon de calcul: Les enfants sont disposés en rond, repré­

sentant les heures sur le cadran d'une horloge, ils portent suspendues au cou des plaques de canon avec les chiffres de I à 1 2; un des enfants est au milieu deux baguettes à la main, c'est lui qui fera les aiguilles qui indiquent les heures. Une des jeunes maîtresses frappe sur un triangle un certain nombre de coups, que les enfants comptent attentivement.

L'enfant qui est au milieu désigne alors celui de ses petits camarades qui figure l'heure qui vient de sonner. Avec l'assistance d'une autre des maîtresses, les deux enfants échangent baguette et numéro et le jeu continue. Tout le monde ·suit l'exercice avec intérêt. Tout d'un coup on entend là dans le jardin tout près, les notes d'un accordéon ; , maîtresses et petits s'arrêtent deux secondes.

Trois des enfants, des garçons, sans réfléchir, élec­

trisés par la musique qui met des ressorts dans leurs jambes et dans tout leur corps, s'élancent avec des bonds de sauterelles jusque vers le joueur des rues qui est installé là devant l'école. Les jeunes maîtresses

UNE EPREUVE 109

restent atterrées, les enfants indécis. Une petite voix demande: « Je voudrais aussi aller vers la musique, est-ce qu'on peut aller vers la musique?». Une des maîtresses répond « non », l'autre essaie de retenir les élèves en frappant à coups redoublés sur le triangle. Mais la tentation est plus forte, l'accordéon continue à jouer une marche entraînante, presque tous les enfants quittent la leçon. Parmi ceux qui restent une fillette dit : « J'aurais bien voulu conti- nuer la lecon moi , ' ». Est-ce vraiment son désir, ou dit-elle cela pour faire plaisir aux deux maîtresses qui se regardent désolées. L'une de celles-ci murmure même: « C'est joli pour un examen!». Elles essayent pourtant d'en prendre leur parti et elles vont en entraînant les enfants qui sont encore autour d'elles, rejoindre la farandole qui se prépare. Les petites jambes vont leur train, les mains battent la mesure, et les visages sont rouges de plaisir. Un peu plus loin le jury respectable sourit avec bienveillance à tout ce mouvement et à toute cette gaîté.

Est-ce vraiment un examen sérieux ? Ne serait-on pas tenté de penser ce que la jeune maîtresse a mur­

muré:« C'est du joli pour un examen! » Que signifie cette distraction? Est-elle fortuite ou prévue ?-Malgré ce qu'elle a de choquant pour l'ordre scolaire établi, malgré son caractère de fête, elle est prévue. Pour­

quoi pas? Pour quelles raisons exclure la gaieté de tout examen de pédagogie ? Cette épreuve choisie avec intention a permis de voir jusqu'à quel point les can­

didates ont compris que l'activité de l'enfant doit être le centre de l'école. Trop souvent, hélas, les enfants

(13)

IIO L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

assistent simplement intéressés ou même passifs à l'activité du maître. Je dirais volontiers que le maître qui sait captiver ses élè,;.res au point de les tenir cons­

tamment sous le charme de son activité personnelle, au lieu de leur apprendre à organiser et à discipliner leur activité propre, est un maître dangereux, parti­

culièrement pour les jeunes enfants. Son rôle est de so�ir et de diriger le tr� de l'e�ant, non de le remplacer par le sien, mais pour cela il faut qu'il con­

naisse l'enfant et qu'il règle ses propres actions sur lui. Cette connaissance de l'activité enfantine s'ac­

quiert surtout par l'observation directe des enfants, l'étude de la psychologie peut éveiller ou orienter le sens de l'observation.

Cette épreuve permettait de juger du développe­

ment de ce sens chez les candidates, car elle offrait une occasion admirable d'observer. Nettement les enfants se sont divisés en trois types : les impulsifs qui ont suivi sans hésitation leur premier mouvement, puis, ceux qui avaient besoin de l'impulsion des autres ou d'un moment de réflexion pour se décider, enfin les studieux et les dociles. Serait-il juste de traiter ces enfants de la même façon? N'est-il pas bien préfé­

rable de traiter chacun selon ses forces ? Si on lui demande un effort d'attention plus grand qu'il ne peut le donner, l'enfant se décourage, se désintéresse et devie-nt, suivant son caractère, endormi ou agité. Si on lui demande moins que ce qu'il pourrait faire, il perd l'habitude de l'effort, il apprend à faire tout à moitié et non aussi bien qu'il peut. On pourrait objecter que dans ces conditions l'ordre et le travail

UNE EPREUVE III

sont impossibles en classe. Non, si l'ordre et la mé­

thode vivent dans l'esprit du maître et dans sa con­

duite. Pourquoi vouloir mettre ces qualités dans des cadres scolaires qui sont rigides ? 11 ne faut jamais oublier que la vie est changeante, fluide, active, et qu'une forme qui se fixe est une forme morte.

Cette expérience permettait également de se rendre compte de la connaissance que les candidates avaient d'elles-mêmes et de leur autorité. Il est indispensable que le maîtr:e connaisse la limite de sa force et de son prestige afin qu il n'ait pas l'illusion de pouvoir faire ce qui lui est impossible. La connaissanc:e de soi-même· et une certaine humilité sont nécessaires si l'on veut diriger les autres. La jeune maitresse qui a répondu

«non» à l'enfant qui lui demandait la permission

« d'aller vers la musique», n'avait pas conscience de sa faiblesse présente, puisque son «non>> a été sans résultat. Il faut savoir se laisser entraîner par les enfants quand on ne peut soi-même les entraîner il faut éviter les conftits de volonté qui entraînent les enfants à la victoire ou à la défaite, et avec elles à l'outrecuidance au désir de vengeance à la simula­

tion. Il faut attendre le moment propice pour re·prendre les élèves en main et les diriger dans une activité dé­

sirable, mais non les y obliger. Au reste toute activité, et surtout celle que l'enfant choisit lui-même repré­

sente, _si l'on sait s'en servir, une possibilité de per­ fectionnement. Il faut au maître une présence d'esprit et une souplesse constantes s'il veut vraiment faire œuvre d'éducation.

Cette épreuve représentait grossies toutes les dis-

(14)

It2 L'INTERMEDIAIRE DES EDUCATEURS

tractions qui assaillent l'enfant en classe, depuis la mouche qui vole jusqu'au régiment qui passe sous les fenêtres de l'école. Ces distractions sont, avec la plu­

part des systèmes scolaires acrnels, une plaie inévi­

table qu'on essaie d oublier en acceptant que les enfants fassent semblant d'être attentifs, et gare à ceux qui n'ont pas la force de caractère de rester tranquilles quand ils ont bien envie de remuer I Quelle attitude prendre en face de cette distraction profonde de l'en­

fant? Tout d'abord si l'enfant avait plus d'activité per­

sonnelle, il se distrairait moins. Cependant la concen­

tration de l'attention se fait bien difficilement pour beaucoup. d'enfants, surtout quand il s'agit d'activité intellectuelle; il est donc nécessaire d'y aider, en apprenant à l'enfant, toutes les fois que cela est pos­

sible à vaincre les distractions ; mais quand la distrac­

tion est trop puissante pour être inhibée, il faut alors l'utiliser. L'art de la pédagogie consiste à savoir con­

centrer l'attention des enfants sur l'objet nouveau qui l'a attirée. La distraction préparée dans ces examens étant de celles qui ne peuvent être vaincues par l'enfant, il était intéressant de constater quel parti les jeunes éducatrices allaient tirer de cette diversion. Elles en ont fait, un peu par la force des choses, un entraîne­

ment de culture physique et de bonne humeur. Cela avait bien son charme et aussi son utilité.

Cette distraction joyeuse a donc permis au jury de juger à quel degré les candidates possédaient le sens de l'observation de l'enfant et la connaissance d'elles­

mêmes et jusqu'à quel point elles avaient l'art de la

pédagogie. A. Grnoun.

QUESTIONS ET REPONSES II3

QUESTIONS ET RÉPONSES:

Réponses.

34. PHRASES ABSURDES. - On nous soumet une grande abondance de phrases du type demandé. Elles ne prendront naturellement une valeur de test qu'après avoir été essayées sur des enfants d'âges différents:

«Je vais te dire une phrase oh il y a quelque chose de bête. Ecoute-bien. Après, tu me diras ce qui est bête dans cette phrase. )>

Nous publierons volontiers les résultats qu'on nous enverra encore.

r. M. Charles, ingénieur, a eu les deux mains arrachées par une machine. Il a immédiatement écrit à sa femme pour lui annoncer cet accident.

z. J'ai demandé tou't bJs à ce monsieur s'il était aussi sourd qu'on le prétendait, • Certainement, m'a-t-il répondu, je suis complètement sourd, des deux oreilles. »

3.Je regrette d'être aveugle, Monsieur le peintre, pour ne pas pouvoir yous féliciter de votre tableau, que je trouve exquis.

4.Les personnes qui se lavent sont sales; car si elles n'étaient pas sales, elles n'auraient pas besoin de se laver.

5. Il est regrettable que le soleil soit caché la nuit; c'est juste­

ment à ce moment qu'il serait le plus utile d'être éclairé.

6. Quand ces deux loups se sont rencontrés, ils se sont dévorés mutuellement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que leurs deux queues.

7.Jeàn vient de se remarier: il a ëpousé la sœur de sa veuve.

8.Mon enfant, le vent est complètement tombé; va donc Jaire marcher ton cerf-vola11t.

9.Les glaciers sont fondus peu à peu par le sel que les rivières leur apportent de la mer.

10. Comme il pleuvait beaucoup, il s'est jeté dans le lac pour ne pas être mouillé.

r 1. Albert dit qu'il n'ira pas dans l'eau avant de savoir nager.

12. Un monsieur écrit une lettre à son ami, et, à la.fin de la

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