• Aucun résultat trouvé

Oncologie : Article pp.31-33 du Vol.2 n°1 (2008)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Oncologie : Article pp.31-33 du Vol.2 n°1 (2008)"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

ARTICLE ORIGINAL

La tache aveugle de la transparence 1

Transperency’s Blind spot

R. Gori

M.-J. Del Volgo

Re´sume´ : Le patient informe´ se pre´sente comme un « homme informationnel » auquel on aurait livre´ dans la transparence une « carte cognitive » de la maladie et de ses traitements possibles lui permettant de de´cider en toute autonomie.

Confondre ainsi re´ve´lation et information, c’est confondre l’homme cognitif et l’homme tragique. Les notions de consentement et de transparence se re´ve`lent comme les formes ide´ologiques du de´saveu de la marchandisation toujours croissante et continue du corps humain, du sexe et de la mort, pris dans une politique et une e´conomie utilitaires.

Mots cle´s :Consentement – Corps – E´conomie de marche´ – Humain – Information – Marchandisation – Tragique – Transparence

Abstract: The informed patient has become a kind of

‘‘informational’’ man who has been given a totally transparent

‘‘cognitive card’’ about his illness and the various treatment options possible, thereby enabling him to decide what to do independently. But confusing revelation with information in this way is confusing cognitive man with tragic man. The concepts of consent and transparency turn out in fact to be ideological ways of denying the continual and increasing commodification of the body, sexuality and death, in a utilitarian political and economic context.

Keywords: Consent – Body – Market-driven economy – Human – Information – Commodification – Tragic – Transparency

« L’homme civilise´a fait l’e´change d’une part de bonheur possible contre une part de se´curite´. » Sigmund Freud2

Le de´veloppement de la me´decine moderne, la rationa- lisation scientifique du savoir me´dical de´sacralisent toujours davantage la maladie comme le soin et proce`dent a` une naturalisation du corps qui va toujours davantage le disposer a` se trouver objective´ et instrumentalise´ sur le mode`le animal. Ce mode`le animal de la me´decine scientifique et expe´rimentale, comme de la psychologie dite scientifique, inclut le risque entr’aperc¸u aujourd’hui de voir la me´decine comme la psychologie devenir ve´te´rinaires.

De plus, au cours duXXesie`cle, les techniques d’exploration du corps humain, les techniques chirurgicales et les traite- ments pharmacologiques connaissent un de´veloppement sans pre´ce´dent. Depuis plus de 50 ans, la sante´ participe meˆme a`

une e´conomie industrielle qui a` la fois soutient ses de´couvertes et en meˆme temps tend a` transformer le vivant en marchandises. Les normes se modifient sous la pression des pratiques technoscientifiques et des inte´reˆts des industries de sante´. Au point que l’on peut se demander aujourd’hui si nous ne sommes pas devenus des ressources biologiques les uns pour les autres. Et si aux dires de la philosophe Hanna Arendt3 la survie de l’espe`ce ne risque pas de conduire a` l’ane´antis- sement de son humanite´ en transformant chaque individu en

« pie`ces de´tache´es de l’espe`ce ».

La modification constante des normes biologiques expose des populations entie`res aux diagnostics de morbidite´ et de pre´vention. De´terminer une norme pour l’hypertension

Roland Gori

Psychanalyste, Professeur de Psychopathologie Clinique a` l’Universite´ d’Aix-Marseille

Marie-Jose´ Del Volgo

Maıˆtre de Confe´rences-Praticien hospitalier et Directeur de recherche a` l’Universite´ d’Aix-Marseille

Adresse :Laboratoire de Psychopathologie clinique et psychanalyse Centre Saint Charles – 3, place Victor-Hugo – F-13331 Marseille cedex 3

1Cet article constitue l’argument d’un livre re´cemment paruExile´s de l’intime La me´decine et la psychiatrie au service du nouvel ordre e´conomique,Roland Gori, Marie-Jose´ Del Volgo, 2008, Paris : Denoe¨l.

2Sigmund Freud, 1929, Malaise dans la civilisation. Paris : puf, 1986, p. 69.

3Hanna Arendt, 1958,Condition de l’homme moderne. Paris : Calmann- Le´vy, 1994.

Dossier :

« Les examens comple´mentaires »

Psycho-Oncologie (2008) 2: 31–33

©Springer 2008

DOI 10.1007/s11839-008-0072-2

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com

(2)

arte´rielle ou la densite´ osseuse, ne re´sulte pas seulement d’un acte biologique mais constitue aussiune de´cision qui a des conse´quences sociales, e´conomiques, en un motanthropolo- giques. Pour exemple, lorsqu’en 1974 la Ligue Allemande de Lutte contre l’hypertension arte´rielle abaisse la norme de 16/10 a` 14/9 elle fait tripler en un seul jour le nombre de malades a` soigner ou a` suivre. L’OMS a contribue´ a`

l’e´largissement du tableau clinique de l’oste´oporose en fixant depuis les anne´es 1990 des crite`res de normalite´ de la densite´ osseuse tels que le nombre de patients vulne´rables ne pouvait que s’accroıˆtre et ne´cessiter de plus en plus de traitements pre´ventifs. L’oste´oporose est-elle une maladie ? Sans doute. Mais encore convient-il de pre´ciser qu’apre`s 70 ans chaque individu a perdu un tiers de sa substance osseuse et un tiers de sa masse musculaire. On imagine sans peine les enjeux commerciaux de la de´finition des normes dans ce cas, comme dans celui des seuils de normalite´ des lipides sanguins ou encore des marqueurs plus ou moins sensible du diabe`te.

Nous sommes dans la plupart de ces exemples dans le domaine de la pre´vention laisse´e a` l’initiative et a` la discre´tion plus ou moins grandes des patients et des me´decins, plus ou moins expose´s aux messages des rhe´toriques de sante´ publique. Mais la politique de sante´ et de conformisation aux normes devient beaucoup plus contraignante lorsqu’il s’agit de services spe´cialise´s comme en cance´rologie par exemple. L’agre´ment accorde´ a` ces services s’e´tablit sur l’e´valuation de leurs pratiques et des bases de donne´es auxquelles elles se re´fe`rent et par rapport auxquelles la plupart du temps ces services sont agre´e´s. Ici encore il est plus commode d’e´valuer un service hospitalier sur la base des donne´es formelles auxquelles il se re´fe`re, comme les normes de bonnes pratiques que sur d’autres e´le´ments plus qualitatifs participant aux soins. Nous ne contestons en aucune manie`re la` encore l’inte´reˆt des re´fe´rences statistiques qui ont contribue´ a` accroıˆtre les progre`s de la connaissance me´dicale et des soins. Mais les cance´rologues4insistent aussi sur la relativite´ de ces normes re´fe´rentielles qui sont construites dans un consensus et jamais « donne´es » par la « nature » comme parfois on feint de le croire. Il convient de remarquer par ailleurs que les me´dicaments anticance´reux sont fournis par l’industrie pharmaceutique (« qu’avez-vous de nouveau dans vos pipelines ? »). Depuis plus de 10 ans, la cance´rologie est devenue un marche´ lucratif aux the´rapies cible´es au sein duquel la rentabilite´ e´conomique se trouve couple´e a`

l’efficacite´ the´rapeutique. Bien e´videmment les re´fe´rences des bonnes pratiques cliniques reposent aussi sur des techniques de marketingqui en assurent la diffusion aupre`s des spe´cialistes et des autorite´s de tutelle. Qu’on le veuille ou non, qu’on le de´plore ou qu’on s’en re´jouisse, les traitements

sont de´ja` des marchandises prises dans des re´seaux de pouvoir propres a` l’e´conomie de marche´.

Pre´cisons qu’il ne s’agit pas de discuter de la pertinence ou de la validite´ des de´cisions de sante´ publique, mais simplement d’attirer l’attention sur le fait que de telles normes re´fe´rentielles pour la pre´vention et le soin ne sont en aucune manie`re « naturelles », et qu’elles proce`dent d’une ne´gociation permanente entre les experts et la culture scientifique, e´conomique et politique dont elles e´mergent. Et cette culture semble de nos jours sous l’emprise dominante des mode`les formels des traitements statistiques qui pour utiles et ne´cessaires qu’ils soient fac¸onnent une manie`re de penser et de vivre.

Cette porosite´ entre les sciences, les pratiques biome´dicales et les enjeux politiques, e´conomiques, industriels et sociaux s’accroıˆt de`s lors qu’il ne s’agit plus « simplement » de prendre en charge des « maladies » ou des « infirmite´s physiques ».

C’est-a`-dire que la me´decine, depuis le XVIIIe sie`cle n’a de cesse de voir son pouvoir d’inge´rence et de controˆle social des individus et des populations augmenter a` l’infini. Cette me´dicalisation de l’existence5 constitue un dispositif bio- politique essentiel a` la normalisation des conduites. Plus re´cemment, la jonction d’un « homo economicus » a` un

« homme biologique » a produit une nouvellefiction anthro- pologique, celle d’un individu calculateur, rationnel, de´termine´

par ses neurones et ses ge`nes. Et paradoxalement, cet individu de´termine´ par ses archives ge´ne´tiques et son patrimoine neurocognitif est toujours davantage sollicite´ pourconsentir aux « de´cisions the´rapeutiques » concernant sa sante´.

La liberte´ du patient semble aujourd’hui une priorite´

pour les me´decins, pourtant et au nom de l’expertise scientifique et de la gestion rationnelle de la vie quoti- dienne, jamais on n’a soumis l’individu a` autant de controˆles, jamais on a garde´ autant de traces et d’archives des comportements prive´s, jamais les pratiques me´dicales n’ont a` un tel point perdu le souci du malade. Un mode`le de socie´te´ s’installe sournoisement sous nos yeux et re´ve`le cette nouvelle alliance de la me´decine et de l’e´conomie, en train de construire un homme «neuroe´conomique », soi- disant libre et autonome.

Or constatons que le patient informe´ n’est pas qu’un

« homme informationnel » auquel on aurait livre´ dans la transparenceune « carte cognitive » de la maladie et de ses traitements possibles lui permettant de de´cider en toute autonomie.

Les notions de consentement et de transparence ne seraient-elles pas les formes ide´ologiques du de´saveu de la marchandisation toujours croissante et continue du corps humain, du sexe et de la mort, pris dans une politique et une e´conomie utilitaires ? Confondre ainsi re´ve´lation et information, c’est confondre l’homme cognitif et l’homme

4Nous remercions notre ami, le professeur Roger Favre, Chef de service d’Oncologie a` Marseille, pour les informations pre´cieuses qu’il nous a communique´es lors de nos diffe´rentes rencontres a` titre professionnel ou amical.

5Roland Gori, Marie-Jose´ Del Volgo, 2005,La Sante´ totalitaire Essai sur la me´dicalisation de l’existence. Paris : Denoe¨l.

32

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com

(3)

tragique. C’est confondre l’homme formel et l’homme du reˆve, l’homme « nume´rique » et l’homme « historial », le savoir et la ve´rite´. Ce serait une fiction de croire en cette communication purement cognitive quand on sait a` quel point les patients guettent les indices et les signes qui dans les discours des soignants leur permettent de de´celer autre choseque ce qu’ils disent. Dans la pratique clinique concre`te, cet « homme informe´ et consentant » n’existe pas. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’on doive prendre pre´texte de cette « fiction juridique » et sociale pour supprimer les be´ne´fices qu’elle permet. Les fictions permettent aussi aux e´ve`nements d’exister pour quelqu’un et dans le dialogue. Le mode`le d’une « socie´te´ de l’information » et de la « transparence » n’est pas sans risque si on ne laisse pas en son sein la place au reˆve et a` la pense´ee´tho-poı¨e´tique.

Face aux exigences de transparence et de visibilite´ qui hantent nos socie´te´s modernes au nom d’une volonte´ de ve´rite´ qui n’est que la revendication tyrannique d’une

« prodigieuse machinerie destine´e a` exclure6», nous reven- diquons de´sespe´re´ment et me´lancoliquement le droit a`

l’intimite´ autant qu’au dialogue clinique. Face aux logiques et aux limites d’un homme biome´dical maˆtine´ depuis peu d’un « homo economicus » libre et rationnel, conc¸u comme une micro-entreprise libe´rale autoge´re´e et ouverte a` la concurrence et a` la compe´tition, nous revendiquons une autre culture, celle d’une psychanalyse renouant avec les pratiques antiques du « souci de soi7». Peut-eˆtre est-ce une utopie ? Mais nous pre´fe´rerons pour notre part re´pondre avec Kafka auquel on demandait : « Pourquoi restez-vous la` ? La personne que vous attendez ne viendra pas. » : « c¸a ne fait rien. Je pre´fe`re la manquer en l’attendant. »

6Michel Foucault, 1970,L’Ordre du discours. Paris : Gallimard, 1971, p. 22.

7Michel Foucault, 1984,Le souci de soi. Paris : Gallimard, 1997.

33

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com

Références

Documents relatifs

Le travail avec le reˆve est d’un grand inte´reˆt pour la clinique de l’enfant touche´ par le cancer, en tant que sa re´pe´tition constitue une e´laboration

» Robert Zittoun aborde assez rapidement l’objectif de son ouvrage, car il ne se satisfait pas seulement de citer les grands auteurs qui ont renouvele´ l’e´thique me´dicale, mais

Gulliver ne s’inte´resse pas a` elle, mais a` son abdomen, et plus particulie`rement son foie, et plus pre´cise´ment son foie droit avec ses deux images inde´termine´es (on ne

Cela pose la question du retentissement psychologique de ces techniques, qu’elles soient utilise´es dans le cadre d’un de´pistage, d’un bilan d’extension ou d’une suspicion

Les fantaisies imaginaires autour du cancer sont nombreuses et montrent que les repre´sentations sociales sont relativement solides : de l’allaitement qui prote`ge au lait

Une femme n’a pas participe´ dans la Charente a` la campagne Orchide´es car elle avait eu auparavant une expe´rience douloureuse au cours d’une mammographie pre´ce´dente

Force est d’admettre, a` partir d’un tel constat sur le terrain, qu’il existe un hiatus proble´matique entre, d’une part, les objectifs et les enjeux du de´pistage, organise´

Re´sume´ : L’objectif de cette e´tude est d’e´valuer le niveau d’anxie´te´ et de de´pression de patients expose´s a` la tomographie par e´mission de positons (TEP),