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Oncologie : Article pp.71-76 du Vol.2 n°2 (2008)

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ARTICLE ORIGINAL

Les reconstructions mammaires : enjeux me´dicaux et psychologiques

Reconstructive breast surgery: medical and psychological issues

C. Baas

M. Henry

C. Mathelin

Re´sume´ : Les conse´quences psychiques d’une mastectomie varient subjectivement d’une femme a` l’autre, entraıˆnant des perturbations plus ou moins profondes de la fe´minite´

et de la sexualite´. La reconstruction mammaire constitue une re´ponse a` la de´tresse psychique des femmes qui subissent une ablation du sein, et cela par la pratique d’une chirurgie plastique se voulant re´paratrice. Ne´anmoins, la reconstruction ne dispense pas de la question du deuil du sein perdu et de l’appropriation du sein reconstruit. Ainsi s’engage un cheminement psychique singulier face a`

l’alte´ration visible et inte´rieure de la fe´minite´.

Mots-cle´s :Cancer du sein – Fe´minite´ – Mastectomie – Reconstruction – Sexualite´

Abstract: Psychological disorders following mastectomy are numerous and vary with breast cancer prognosis, adjuvant treatments and patients’ characteristics. In some cases, mastectomy can lead to feminine and sexual disorders. Reconstructive breast surgery has proved to be beneficial to improve these psychological disorders.

Nonetheless, even if breast reconstruction leads to favourable aesthetic outcome, breast mourning must be taken into account and the reconstructed breast must be appropriated and accepted by the patient. A psychological

‘‘reconstruction’’ is concomitantly necessary to face visible and profound femininity and self-esteem alteration.

Keywords: Breast cancer – Femininity – Mastectomy – Reconstructive surgery – Sexuality

En France, on observe chaque anne´e environ 50 000 nou- veaux cas de cancers mammaires [2]. Plus du tiers de ces cancers ne´cessite une mastectomie « curative » [4]. Par ailleurs, les progre`s de l’oncoge´ne´tique et de l’anatomo- pathologie ont conduit a` l’identification de groupes de femmes « a` haut risque » de cancer mammaire. Dans certains cas, une mastectomie « prophylactique » leur est propose´e, ge´ne´ralement associe´e a` une reconstruction mammaire imme´diate [11]. Le ve´cu de cette intervention pre´ventive est diffe´rent de celui de la mastectomie curative, car elle s’adresse a` une femme dont la maladie demeure hypothe´tique. Les re´percussions psychiques des mastecto- mies varient donc subjectivement d’une femme a` l’autre, et selon le contexte de l’ablation du sein. De meˆme, le recours a` une reconstruction mammaire et le proce´de´

choisi sont contingents de proble´matiques a` la fois me´dicales, chirurgicales et psychologiques.

Il nous a donc paru inte´ressant de faire le point sur les enjeux me´dicaux, chirurgicaux et psychologiques a` l’œuvre dans les diffe´rentes situations, depuis la mastectomie jusqu’a` la reconstruction mammaire.

Les mastectomies et les reconstructions : indications, modalite´s

Les mastectomies

Les indications des mastectomies

Les progre`s de la cance´rologie fondamentale, la mise en place des programmes de de´pistage mammographique et l’ave`- nement de la chimiothe´rapie ne´o-adjuvante ont modifie´ la chirurgie curative des cancers mammaires. Les interventions

Le corps reconstruit

C. Baas, M. Henry

Psychologue clinicienne. CHRU, service de gyne´cologie-obste´trique, hoˆpitaux universitaires de Strasbourg. 1,

place de l’hoˆpital, F-67091 Strasbourg Cedex, France C. Mathelin (MD, PhD) (*)

CHRU, service de gyne´cologie-obste´trique, hoˆpitaux universitaires de Strasbourg,

1, place de l’hoˆpital, F-67091 Strasbourg Cedex, France E-mail : Carole.Mathelin@chru-strasbourg.fr

DOI 10.1007/s11839-008-0074-0

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tre`s mutilantes d’autrefois (mastectomie avec ablation des muscles pectoraux) ont laisse´ la place a` des mastectomies moins larges, conservant les muscles de la paroi thoracique.

Celles-ci ont e´te´ remplace´es dans certains cas par des traitements conservateurs suivis de radiothe´rapie [21].

Cependant, malgre´ ces progre`s the´rapeutiques, le traitement des cancers mammaires infiltrants passe encore de nos jours par la mastectomie dans plus du tiers des cas. Celle-ci est indique´e chaque fois que la tumeur mammaire mesure plus d’une certaine taille (ge´ne´ralement fixe´e a` 3 cm), qu’il y a plus d’une tumeur dans le sein (on parle alors de cancer multifocal ou multicentrique) ou qu’il s’agit d’une re´cidive sur un sein de´ja` traite´ de manie`re conservatrice. La de´couverte de plus en plus fre´quente de formes tre`s pre´coces de cancer mammaire, appele´s cancers in situ, aboutit a` un paradoxe, ou` des cancers de gravite´ moindre sont parfois traite´s par des mastectomies en raison de leur extension diffuse a` l’ensemble du sein [8]. Enfin, parmi les indications de mastectomie, l’existence d’un ge`ne de susceptibilite´

(BRCA1 ou BRCA2), d’un terrain familial de pre´disposition ou de le´sions histologiques « a` risque » conduit parfois a` ce choix the´rapeutique. Dans ce cas-la`, la chirurgie est ge´ne´ralement bilate´rale.

Les risques carcinologiques apre`s mastectomie

Toutes les patientes ayant be´ne´ficie´ d’une mastectomie continuent a` eˆtre suivies a` l’issue du geste chirurgical, car des le´sions cance´reuses peuvent eˆtre observe´es dans de rares cas au niveau de l’aire de la mastectomie. Meˆme s’il s’agit d’une chirurgie pre´ventive, l’existence du « risque » qui conduit a` la mastectomie perdure au-dela` de cette chirurgie.

Cela pose la question de la de´cision de mastectomie dans un contexte d’incertitude. Celle-ci doit toujours eˆtre pluridisci- plinaire impliquant le radiologue, le pathologiste, le chirurgien ainsi que la patiente correctement informe´e et le psychologue.

La notion de risque ne s’efface donc jamais, meˆme apre`s une chirurgie radicale, qu’elle soit faite pour un cancer infiltrant, in situ ou un terrain a` risque. Dans la tre`s grande majorite´ des cas, les patientes connaissent ce risque et s’interrogent sur leur nouveau statut de « femmes a` risque ». En effet, bien qu’e´tant traite´es et redevenues en bonne sante´, elles ne se sentent plus tout a` fait les meˆmes sans eˆtre pour autant malades. Le diagnostic de risque est ve´cu comme quelque chose qui n’est pas encore la` et qui peut-eˆtre ne viendra jamais.

Les diffe´rents types de mastectomies

La mastectomie « classique » (encore appele´e mastectomie modifie´e selon Patey), re´alise´e pour les cancers infiltrants du sein, comprend l’ablation de toute la glande mammaire, la peau qui recouvre cette glande (c’est l’e´tui cutane´) ainsi que l’are´ole et le mamelon. Il en re´sulte une cicatrice oblique ou horizontale qui barre la moitie´ du thorax et la perte de tout relief a` cet endroit. Dans la plupart des cas, la mastectomie s’accompagne d’un pre´le`vement des ganglions axillaires pouvant entraıˆner des troubles de la sensibilite´ cutane´e, une geˆne a` l’e´le´vation des bras, voire un œde`me du membre

supe´rieur. Dans les premiers mois qui suivent une mastecto- mie, la peau qui recouvre le thorax n’a plus de sensibilite´ et il peut exister par endroits des zones « d’anesthe´sie doulou- reuse ». Le toucher de l’aire de mastectomie peut entraıˆner des dysesthe´sies tre`s geˆnantes.

Lorsque la mastectomie s’accompagne d’une pre´servation de l’e´tui cutane´ ou de la plaque are´olo-mamelonnaire (on parle alors de « mastectomie sous-cutane´e ») [14], la sensibilite´ cutane´e re´cupe`re de manie`re plus rapide et plus comple`te. Ce type de mastectomie facilite la reconstruction mammaire mais expose a` un risque majore´ de re´cidive locale.

Les reconstructions mammaires

Lorsqu’une mastectomie est pre´conise´e, les possibilite´s de reconstruction sont toujours aborde´es avec la patiente. Les reconstructions mammaires ne modifient pas le risque de re´cidive locale. Elles sont ge´ne´ralement diffe´re´es en cas de cancer infiltrant, car la chimiothe´rapie ou la radiothe´rapie locore´gionale peuvent nuire a` la qualite´ de la chirurgie re´paratrice. A` l’inverse, lorsqu’une mastectomie est re´alise´e pour un cancer in situ ou dans une finalite´

pre´ventive, l’absence de the´rapeutiques adjuvantes permet la reconstruction mammaire imme´diate [8]. Il est difficile de connaıˆtre avec pre´cision le nombre des patientes traite´es par mastectomie qui optent pour une reconstruc- tion mammaire. Lorsque la reconstruction mammaire est propose´e dans le meˆme temps ope´ratoire que la mastecto- mie, plus de la moitie´ des patientes y ont recours. En revanche, lorsqu’elle est diffe´re´e, les taux de chirurgie re´paratrice sont nettement plus faibles (de 12,5 a` 16 %), mais en augmentation constante [15]. Les contre-indica- tions a` cette chirurgie re´paratrice sont exceptionnelles et lie´es a` la re´-e´volution du cancer, au grand aˆge de la patiente ou a` l’existence de comorbidite´s importantes.

Le moment de la reconstruction mammaire

Concernant la reconstruction imme´diate, le couplage dans le meˆme temps ope´ratoire de la mastectomie avec la reconstruction pre´sente de multiples avantages : re´duction du nombre d’actes chirurgicaux et anesthe´siques, diminu- tion des risques ope´ratoires, re´insertion sociale plus rapide, absence de pe´riode sans sein, prothe`se externe inutile. Cependant, ces reconstructions mammaires imme´- diates favorisent le risque d’un de´ni de la maladie et peuvent parfois leurrer les femmes sur le re´sultat de la reconstruction, les patientes ayant davantage de difficulte´s a` faire le deuil de leur poitrine d’origine [5]. Lorsque la reconstruction est diffe´re´e et fait suite a` une pe´riode sans sein, elle est souvent mieux accepte´e par les patientes.

Les diffe´rentes techniques de reconstruction mammaire

Les diffe´rentes modalite´s de reconstruction, leurs avantages et inconve´nients ainsi que leurs indications et contre-indications

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sont syste´matiquement explique´s aux patientes. C’est un entretien indispensable souvent long, notamment si l’on a recours a` des photographies ou a` des ouvrages pour aider a` la compre´hension et a` la repre´sentation des diffe´rentes reconstructions [1]. A` l’instar des te´moignages de femmes reconstruites, la pre´sentation de ces informations et la discussion qui les accompagne supposent du tact et une e´coute soucieuse des attentes personnelles, afin d’e´viter un rejet ou des appre´hensions de´mesure´es. Quand plusieurs techniques sont possibles, le choix du type de reconstruction est fait par la femme elle-meˆme, guide´e par le chirurgien, apre`s une e´valuation minutieuse des avantages et inconve´nients, et un de´lai de re´flexion de plusieurs semaines [7].

La reconstruction par prothe`ses consiste a` placer en arrie`re du muscle pectoral une prothe`se mammaire gonfle´e au se´rum physiologique ou remplie de silicone [20]. Lorsque la peau est insuffisante, des expandeurs peuvent eˆtre utilise´s avec un gonflage progressif. Au final, le sein reconstruit est souvent plus petit, plus haut et plus rond que le sein controlate´ral, ne´cessitant parfois une syme´trisation controlate´rale, avec des cicatrices supple´mentaires entraıˆnant une diminution de la sensibilite´. La reconstruction par prothe`ses, de re´alisation simple, pre´sente certains inconve´nients [1]. En pe´riode postope´ratoire imme´diate, la douleur lie´e a` la tension du muscle pectoral est souvent intense, ne´cessitant des antalgi- ques par voie parente´rale. La modification de la forme et du volume du sein par rapport au sein d’origine, son aspect fige´, artificiel et insensible font l’objet de possibles insatisfac- tions. Ulte´rieurement, il peut se former autour de la prothe`se une coque fibreuse qui rend le sein reconstruit tre`s dur au toucher [22]. De plus, le sein reconstruit par prothe`se ne fait pas l’objet d’un vieillissement naturel, contrairement au sein controlate´ral. Il peut en re´sulter une asyme´trie mammaire inesthe´tique, parfois difficile a` corriger. Enfin, les patientes porteuses d’une prothe`se mammaire sont soumises a` la ne´cessite´ d’un changement prothe´tique re´gulier, environ tous les dix ans, en raison du risque de rupture de la prothe`se et de fuite du produit de remplissage. Pour ces diffe´rentes raisons, le choix de reconstruction par prothe`ses ne repre´sente que 20 % des cas environ [16].

La reconstruction par lambeaux musculo-cutane´s, choisie dans trois quarts des cas, utilise le muscle grand dorsal pe´dicule´ ou le muscle grand droit de l’abdomen (TRAM, transverse rectus abdomino musculocutaneous flap) [16]. Elle peut ne´cessiter des prothe`ses de comple´- ment. Le choix du type de lambeau est lie´ a` de nombreux parame`tres : aˆge physiologique de la patiente, proble`mes de sante´ associe´s (tabagisme, obe´site´...), habitudes de vie, forme et volume du sein a` reconstruire, e´tat des tissus locaux (peau, muscle) a` pre´lever. Le sein reconstruit par lambeau a souvent un aspect cosme´tique tre`s satisfaisant, car il est mobile, souple et chaud, avec une e´volution harmonieuse dans le temps. Cependant, la forme de la cicatrice mammaire en calisson, les risques de dyschromie (la peau du thorax, du dos et de l’abdomen ayant une couleur et une texture diffe´rente), ainsi que les cicatrices

des zones de pre´le`vement peuvent faire l’objet de de´sagre´ments. La cicatrice abdominale peut conduire a`

une faiblesse de la paroi abdominale. La cicatrice dorsale parfois longue ou disgracieuse peut rester insensible et douloureuse pendant plusieurs mois. Les autres inconve´- nients de ces reconstructions re´sident dans la lourdeur du geste ope´ratoire et anesthe´sique, les douleurs post- ope´ratoires et les incertitudes sur l’e´tat des lambeaux.

L’avantage principal des reconstructions par lambeau est lie´ a` leur caracte`re de´finitif, a` leur vieillissement naturel et au maintien de la sensibilite´ cutane´e du sein reconstruit.

La reconstruction de la plaque are´olo-mamelonnaire re´alise´e ge´ne´ralement dans un deuxie`me temps, quelques mois apre`s la reconstruction, peut s’effectuer selon diffe´rentes techniques, a` l’appre´ciation de la patiente : tatouage, greffe de peau inguinale, de´doublement du mamelon controlate´ral, greffe de lobe d’oreille. Ainsi, le de´roulement de la reconstruc- tion jusqu’a` son parache`vement s’e´tend sur une pe´riode de quelques mois a` un an [13]. Lorsque la plaque are´olo- mamelonnaire est mise en place, le sein est reconstruit, sans qu’il reproduise l’apparence, la texture, la consistance ni la sensibilite´ du sein d’origine. La qualite´ de vie des patientes apre`s reconstruction mammaire reste difficile a` appre´cier, meˆme si plus de 200 e´tudes ont e´te´ consacre´es a` ce sujet. De manie`re globale, la qualite´ de vie apre`s mastectomie semble meilleure pour les femmes qui ont choisi une reconstruction [19]. De nouveaux outils sont toutefois ne´cessaires pour appre´hender au plus juste les be´ne´fices de cette chirurgie re´paratrice [17]. En revanche, la qualite´ de vie des patientes ayant une reconstruction reste moins bonne que celle des patientes ayant un traitement conservateur [18].

De la mastectomie a` la reconstruction mammaire : quels enjeux psychiques ? Quelles promesses subjectives ?

Quels sont les enjeux psychiques et les promesses subjectives a` l’œuvre dans le de´sir de reconstruction mammaire d’une femme qui a subi une mastectomie ? Ils sont multiples et ont trait a` l’ablation du sein et au sentiment pour la femme de se voir de´posse´de´e, pour ainsi dire prive´e d’une partie essentielle de sa fe´minite´. Le projet de reconstruction mammaire renvoie a` la manie`re dont le sein est intimement investi et, ce, a` trois niveaux.

Concernant la fe´minite´, le sein est perc¸u comme un objet de se´duction et de coquetterie ; il mode`le l’image et la silhouette fe´minine, lui donnant une identite´ sexuelle gratifiante tout en jouant sur le de´collete´ et la mise en valeur du buste. En ce qui concerne la sexualite´, le sein est l’objet de de´sir e´rotique avant d’eˆtre une zone e´roge`ne extreˆmement sensitive, pour la femme comme pour son partenaire sexuel. Enfin, concernant la maternite´, le sein nourricier est le lieu d’une relation symbiotique entre la me`re et l’enfant, source d’un plaisir fusionnel partage´.

Dans ce contexte, la question de l’ablation et de la reconstruction se pose autrement : qu’est-ce que la femme perd re´ellement ? Comment est-elle atteinte symboliquement

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dans son statut de femme ? De quoi se trouve-t-elle de´pourvue dans sa conception imaginaire de l’eˆtre au fe´minin ? Que restaure au juste la substitution d’un sein de remplacement a` l’endroit du retrait du sein originel ? Pour chaque femme, il s’agit d’une perte subjectivement traumatique, avec des retentissements psychiques diffe´rents selon la manie`re dont elle a investi ses seins dans l’image inconsciente de son corps. Rappelons que l’image inconsciente du corps recouvre, selon Franc¸oise Dolto [9], « la synthe`se vivante de nos expe´riences e´motionnelles : interhumaines, re´pe´titivement ve´cues a` travers les sensations e´roge`nes e´lectives, archaı¨ques ou actuelles. Elle peut eˆtre conside´re´e comme l’incarnation symbolique du sujet de´sirant ».

La question du de´sir en jeu dans la mastectomie et la reconstruction

A` de´faut d’avoir une utilite´ biologique puisque le sein reconstruit ne permet pas la lactation, a` quoi sert la reconstruction mammaire ? S’agit-il uniquement d’un remodelage anatomique en guise de restauration esthe´- tique ou d’une re´paration de l’image de soi plus profonde ? La` ou` les prothe`ses externes que l’on glisse dans le soutien- gorge s’ave`rent contraignantes au quotidien, la reconstruc- tion mammaire permet a` la femme de s’habiller et de se de´shabiller au gre´ de ses envies : elle peut s’afficher sans complexe en public avec un de´collete´, en maillot de bain...

[12]. Elle retrouve une conformite´ avec l’image d’une silhouette fe´minine ordinaire, que ce soit avec ou sans veˆtements. Ge´ne´ralement les femmes n’imaginent pas eˆtre bien dans leur peau sans seins ; il leur est inconcevable de faire sienne leur poitrine mutile´e. Beaucoup sont attache´es a` l’espoir de retrouver l’inte´grite´ de leur sche´ma corporel via la reconstruction. Pour certaines, il s’agit meˆme de s’y raccrocher comme a` une boue´e de sauvetage, face a` une menace d’effondrement narcissique.

La mastectomie est un acte chirurgical subi, face auquel la femme est aux prises avec l’angoisse d’eˆtre de´pourvue de ses attributs fe´minins. Quelle est la nature de cette angoisse ? C’est une angoisse qui surgit a` l’ide´e du corps fe´minin mutile´, lui donnant une allure androgyne, une image re´gressive qui fait retourner la fe´minite´ vers un e´tat pre´pube`re. C’est une angoisse de castration [10]. Par analogie symbolique, les seins sont a` la fe´minite´ ce que le pe´nis est a` la virilite´, c’est-a`-dire une parure sexuelle phallique, objet du de´sir. Pour la femme, il y a une manie`re de mettre en valeur son de´collete´, d’attirer ou de de´centrer l’attention sur son buste, selon les codes de se´duction, mais aussi selon son sens de la valorisation de soi.

C’est ainsi que les seins peuvent eˆtre l’objet d’une gratifica- tion ou d’une de´pre´ciation narcissique, allant meˆme du complexe de supe´riorite´ au complexe d’infe´riorite´. Pour certaines, leur identite´ fe´minine passe par la ne´cessite´ d’eˆtre l’objet du de´sir de l’autre, leur estime de soi s’appuyant alors sur le regard de l’autre de´sirant pour se sentir de´sirable.

Ainsi, la condition sine qua non pour soutenir leur de´sir fe´minin de´pend de leur relation spe´culaire avec le de´sir de

l’autre. C’est pourquoi l’appre´ciation du partenaire quant au projet de reconstruction mammaire peut s’ave´rer de´termi- nante, l’alte´ration de son corps de femme sera mieux ve´cue par celle qui se sent reconnue dans son eˆtre, avec ou sans ses seins. Cependant, meˆme si le partenaire accepte la me´tamor- phose de sa fe´minite´, il se peut que l’angoisse de castration l’emporte sur le deuil du sein. Il est alors impossible pour la femme de soutenir son image castre´e, et la reconstruction en tant que promesse de restitution de l’image de soi vient au secours d’un vacillement narcissique profond. La possibilite´

d’une reconstruction imme´diate est, dans ce cas de figure, be´ne´fique pour faire coı¨ncider son buste avec l’image de femme a` laquelle elle est assigne´e.

Mais la mastectomie n’est pas toujours ve´cue comme une menace de de´structuration subjective. Certaines femmes retrouvent une estime de soi, et un autre positionnement de leur identite´ fe´minine sans en passer par la reconstruction mammaire, parfois meˆme sans faire usage de prothe`ses externes. Elles continuent a` se sentir fe´minines au-dela` et apre`s la mastectomie.

Du visible a` l’intime f e´ minin :

le ve´cu de la perte et du sein reconstruit

Quelles sont les attentes intimes de la femme qui demande une reconstruction mammaire ? Comment peut-elle anti- ciper de l’inte´rieur le remodelage de son buste et se repre´senter d’avance le remaniement de son corps ? Comment sera ressenti le passage de l’absence de sein a`

la sensation du sein reconstruit, dans les diffe´rentes sphe`res de la fe´minite´ ? Quels seront alors les retentisse- ments des changements esthe´tiques sur le psychisme ?

Le sein est une partie de soi a` la charnie`re du visible et de l’intime [3]. C’est pourquoi l’expe´rience ve´cue de la perte du sein recouvre aussi bien l’expe´rience de l’alte´- ration de la silhouette dans le miroir que l’absence des sensations tactiles a` l’endroit de la zone ope´re´e, ou lorsque le corps est en mouvement. Il se produit une conversion du sche´ma corporel et de la proprioception, par la prise de conscience en acte de l’absence de sein.

La diminution ou la transformation de la sensorialite´

perturbe l’e´roge´nicite´ de cette zone. De plus, les tensions qui sont habituellement ressenties au fil du cycle menstruel au niveau du sein et la sensibilite´ du mamelon disparais- sent. L’ensemble de la sphe`re sensorielle est alte´re´, sans que la femme puisse l’anticiper. En effet, c’est apre`s la mastectomie qu’elle en prend conscience, faisant l’expe´rience du vide et d’un manque de sensations. Le remodelage plastique ne restaure pas la sensorialite´

et ge´ne`re meˆme d’e´tranges sensations, quelles que soient les modalite´s de la reconstruction. Il se peut que la sensation d’e´trangete´ a` l’inte´rieur de soi soit telle qu’elle perturbe l’inte´grite´ fe´minine. Quel de´fi de faire sien un sein ressenti d’abord comme un corps e´tranger, sans vie, et pourtant faisant partie de soi ? Le travail d’incorporation psychique du sein reconstruit peut donner sens a`

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l’e´trangete´ des perceptions ressenties a` cet endroit. Ainsi s’encheveˆtrent diffe´rents phe´nome`nes psychiques dont les dynamiques s’influencent mutuellement : la familiarisa- tion avec l’e´trangete´ des perceptions, le processus de deuil du sein perdu, le ressenti inte´rieur du sein reconstruit, et le regard que porte la femme sur le re´sultat esthe´tique de la reconstruction.

Dans le cas des reconstructions imme´diates, qu’ad- vient-il du processus de deuil du sein d’origine auquel on a substitue´ sans transition un sein artificiel ? Il peut s’engager apre`s coup ; mais s’amorcent alors simultane´- ment les mouvements de de´possession et d’incorporation, avec le risque de court-circuiter la dynamique de deuil.

La question des angoisses apre`s reconstruction mammaire

Le ve´cu subjectif depuis la mastectomie et jusque dans les suites de la reconstruction s’articule avec l’angoisse de mort que le diagnostic de cancer a fait surgir. L’annonce du cancer est traumatique, dans le sens ou` elle nous met face a` notre condition de mortel [6]. L’angoisse de mort, autrement dit l’angoisse de se voir disparaıˆtre, se conjugue de fac¸on plus ou moins puissante avec l’angoisse de castration, la femme voyant de´ja` disparaıˆtre un signe essentiel de sa fe´minite´.

En ge´ne´ral, l’angoisse de mort vient prendre le dessus sur l’angoisse de castration, si bien que la femme consent a` perdre son sein plutoˆt que de perdre la vie. La ne´cessite´

vitale comme le sentiment de ne pas avoir le choix engendrent un processus de rationalisation secondaire qui minimise l’alte´ration de la fe´minite´. Cela lui permet de se re´soudre au sacrifice qu’elle va subir et parfois meˆme de relativiser les re´sultats esthe´tiques e´ventuellement de´cevants, ainsi que les de´sagre´ments de la reconstruction mammaire. Comment son image dans le reflet du miroir lui importe-t-elle, en regard du destin funeste que le cancer lui aurait re´serve´ ? Mais la cicatrice qui marque l’image de soi dans le miroir figure un morceau d’histoire inscrit de manie`re visible, comme la trace d’un combat avec la mort qui a eu lieu.

Si l’angoisse de mort est pre´gnante dans les cas de cancer du sein, elle est latente pour les femmes qui pre´sentent un terrain a` risque et subissent une mastecto- mie prophylactique. Or, comment se re´signer a` subir une alte´ration de soi, pour contrer une menace de mort qui n’est meˆme pas advenue et qui perdurera au-dela` de l’ablation, comme une e´ventualite´ ? Le risque ainsi minimise´ ne suffit pas toujours a` consoler de la perte du sein, ni a` soulager l’angoisse de mort.

Conclusion

Il est difficile d’appre´cier ce qu’une femme peut subjecti- vement attendre d’une reconstruction mammaire. La question se pose pour elle d’en estimer les avantages et

les inconve´nients afin de se pre´parer au re´sultat final et a`

ses ale´as. Cependant, cette attitude rationnelle est biaise´e par la de´tresse de la femme, qui espe`re implicitement du sein reconstruit des retrouvailles avec sa fe´minite´ menace´e.

En re´alite´, cette promesse se limite a` l’incorporation d’un sein d’apparat qui produit l’illusion d’un buste indemne.

Or, la finalite´ de la reconstruction n’est absolument pas biologique : en aucun cas, les fonctions organiques, la glande mammaire et ses canaux galactophoriques indis- pensables a` l’allaitement, pas plus que la sensorialite´

ne sont restaure´s a` l’endroit du sein reconstruit. Ainsi, la reconstruction ne re´veille pas dans cette re´gion du corps la part de vie envole´e de´finitivement avec la perte du sein.

Au-dela` des transformations visibles de la fe´minite´, il importe donc de relever l’existence d’une perturbation interne de la sphe`re fe´minine conse´cutive a` l’ablation et a`

la reconstruction, et de soulever la question de son devenir subjectif. Ici se glisse un travail psychique associe´ au contexte angoissant du cancer : un processus de deuil et d’appropriation combinant l’enveloppe corporelle au ve´cu inte´rieur de la fe´minite´. Ce faisant, l’image inconsciente du corps de la femme est soumise a` des remaniements profonds, lesquels de´terminent le re´investissement libidi- nal de cette zone mutile´e ou de ce sein reconstruit, et enfin la possibilite´ d’habiter autrement sa fe´minite´.

Re´fe´rences

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