E´DITORIAL
L’absence d’information augmente les fantasmes.
Mais trop d’informations tue les fantasmes
M.-F. Bacque´
Qui se plaindrait (a` part la se´curite´ sociale), des examens comple´mentaires qui accompagnent le diagnostic et la prise de de´cision the´rapeutique ? Pour les me´decins et les professionnels de la sante´, ce sont de pre´cieux renseigne- ments et la garantie minimale de l’e´vitement de nombreux effets secondaires et limitations physiques des traitements.
Pour les patients en revanche, les prises de sang re´ite´re´es, les dosages de marqueurs et toute l’iconographie me´dicale alourdissent conside´rablement les passages a`
l’hoˆpital. En ville, ou a` la campagne en revanche, les visites de l’infirmie`re libe´rale ou du me´decin ge´ne´raliste sont inte´gre´es dans le re´seau social du malade et lui permettent de rompre le sentiment de solitude renforce´ par la maladie.
On constate cependant une inflation de ces examens comple´mentaires qui valorisent la technologie me´dicale certes, mais augmentent les a`-coups anxieux pour les patients, dans l’attente des re´sultats de chaque intervention. Les examens de sante´ envahissent meˆme le domaine de la non-maladie et, de´sormais la question du de´pistage (voire du sur-de´pistage) se pose, comme le souligne Gilles Marx dans ce nume´ro.
Du check-up au de´pistage de masse
Si le malade demandait son « check-up » (rembourse´ par l’assurance maladie) tous les cinq ans dans les anne´es soixante-quinze, il lui arrivait de se conside´rer comme une machine. Parfois plus familie`rement traite´ comme « la re´vision des quinze-mille », le check-up est reste´ la version moderne du bilan de sante´, graˆce a` cette expression anglaise qui le dotait d’une de´licieuse aura de gadget a` la mode. Las, en trente ans, le de´pistage qui s’est mis en place ne donne plus gue`re leur caracte`re anecdotique aux examens pratique´s en amont d’une pathologie et chacun d’entre nous se sent parfois embrigade´ dans un syste`me qui le de´passe. Pour lutter contre la de´personnalisation de ces examens propose´s a` toute la population (saine a priori), Be´atrice Barreau et ses
collaborateurs ont e´tudie´ les facteurs de motivation culturels et e´conomiques pre´sidant a` la participation au de´pistage de masse du cancer du sein. Je retiendrai que les facteurs socio- e´conomiques sont nombreux pour les femmes : la charge familiale est lourde (qu’elles prennent en charge petits- enfants ou parente´ malade ou invalide), elles n’ont souvent pas de ve´hicule, elles ont mal aux dents (et donc ne se soignent pas), elles ont peur, elles ont mal (la premie`re expe´rience de mammographie laisse a` certaines un cruel souvenir), enfin elles ont la faˆcheuse tendance, pour la ge´ne´ration des 50-69 ans a` peu anticiper le soin d’elle meˆmes.
Ainsi, leur sante´ n’est pas leur priorite´ : il faut d’abord s’occuper de leur travail (le proble`me du travail agricole est largement invoque´) et de leur famille. Les fantaisies imaginaires autour du cancer sont nombreuses et montrent que les repre´sentations sociales sont relativement solides : de l’allaitement qui prote`ge au lait qui pourrirait dans les seins (parce que non utilise´ par un enfant qui n’est pas venu), la me´nopause est aussi une phase dangereuse pour ces femmes, car le sang des re`gles est signe de vie et de bonne sante´.
On voit bien dans cette e´tude tre`s approfondie sur le plan anthropologique qu’il existe plusieurs registres : les contrain- tes socio-e´conomiques qui font de la vie des femmes relativement aˆge´es un univers encore tourne´ vers les autres et peu vers soi. Les contraintes culturelles ensuite, qui font que cette ge´ne´ration qui souvent n’a pas suivi d’e´tudes tre`s approfondies, reste bloque´e dans certaines ide´es rec¸ues.
Enfin le croisement de toutes ces variables qui ne doit pas eˆtre ne´glige´. Si l’invitation surgit dans la boıˆte aux lettres au milieu de documents dont le titre est proche, alors elle sera ne´glige´e. Ainsi la malheureuse de´nomination de la campagne de mammographies « Orchide´es », qui aurait pu eˆtre me´taphorique mais fait confondre le de´pistage avec une publicite´ pour un horticulteur, a peut-eˆtre amene´ directe- ment a` la poubelle nombre de propositions d’examen. La re´pe´tition de l’invitation est primordiale. Elle est encore plus suivie lorsqu’elle est double´e d’un article dans la presse locale ou fe´minine de la classe sociale ou d’aˆge de la personne ou, mieux encore lorsqu’elle passe a` la te´le´ (cela dit, de nombreuses femmes « font la vaisselle » aux heures de messages les plus populaires).
M.-F. Bacque´ (*)
Universite´ Louis Pasteur, de´partement de psychologie 12, rue Goethe, F-67000 Strasbourg, France
E-mail : mfbacque@club-internet.fr Psycho-Oncologie (2008) 2: 3–4
©Springer 2008
DOI 10.1007/s11839-008-0071-3
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com
Plus angoisse´s sont les malades atteints de cancer qui vont passer un examen au nom difficile, la tomographie par e´mission de positons. Il faut dire que l’enjeu est impression- nant, l’examen permet de rechercher les preuves d’une re´cidive tumorale et de l’efficacite´ des traitements. Ici aussi, l’e´tude mene´e par E´milie Montreuil et son e´quipe montre que, malgre´ les informations de qualite´ divulgue´es sur l’examen, l’anxie´te´ reste importante avant sa re´alisation. L’anxie´te´ en revanche diminue lors de l’annonce des re´sultats et quinze jours plus tard, quels que soient les re´sultats. Ceci montre qu’une information re´pe´te´e, sur un support e´crit et appre´cie´e d’un point de vue de la compre´hension peut diminuer l’anxie´te´ due a` un examen particulie`rement angoissant.
De l’homme opaque...
Les textes de ce nume´ro de´die´s a` l’impact psychique des examens comple´mentaires, nous montrent qu’il existe deux types de re´actions oppose´es sur le meˆme axe. D’une part, une attitude ferme´e aux examens, apeure´e, parce que l’homme ou la femme craint d’eˆtre malade et donc pre´fe`re ne pas re´pondre aux questions qui peuvent le re´ve´ler (et donc le rendre) malade. Ces malades nourrissent souvent de nombreux fantasmes a` l’encontre de la me´decine et des maladies. Lorsque, finalement a` leur insu (ils ne l’ont pas de´sire´), une maladie est de´couverte, sa re´ve´lation devra eˆtre progressive, pre´supposant sans cesse des difficulte´s d’inte´- gration. Son annonce devra donc re´aliser une constante attention aux difficulte´s psychiques. Nous savons tous a`
pre´sent qu’a` chaque fois qu’une ve´rite´ trop crue est donne´e a`
un patient qui n’y est pas pre´pare´, elle va donner lieu a` des de´fenses massives particulie`rement couˆteuses pour le patient.
Ce sont la persistance du de´ni (aveuglement face a` la re´alite´), le clivage (maintien concomitant de deux re´alite´s oppose´es d’un meˆme objet ou concept) et la re´pression des affects (le patient ne ressent pas le besoin d’exte´rioriser ce qu’il ressent et ce qu’il pense de ses e´motions).
A` l’homme transparent
L’autre attitude face aux examens comple´mentaires est moins connue, bien que tre`s souvent souligne´e par les malades. C’est celle du malade « ouvert aux quatre vents » comme le disait Michel Foucault, cet « homme transparent », qui voit son corps sans cesse expose´ a` l’œil du me´decin, mais aussi a` lui- meˆme. Ce malade qui ne supporte plus d’eˆtre de´coupe´ en tranches photographiques, ce patient qui ne se reconnaıˆt plus dans l’exposition de ses organes et de ses dosages biologiques.
Deviendrons-nous tous des « exile´s de l’intime », comme le soulignent Roland Gori et Marie-Jose´ Del Volgo dans leur nouvel ouvrage (1) ? La folie du controˆle me´dical et de la preuve, provoquent, au contraire, un court circuit des fantasmes. Il est impossible de se penser cohe´rent, uni, lorsque son corps se mue en machinerie inte´rieure, sans commune mesure avec l’eˆtre qui en est le proprie´taire (ou le
« support »)... Trop d’information sur son propre corps rend
vide de fantasme la psyche´. Ainsi en te´moignent certains malades comme Marie-Louise Poeydomenge : « Je n’ai plus de futur, seulement un passe´ me´dical... ». Elle ressent une ve´ritable dissociation entre ses organes, ses membres ou l’inte´rieur de son corps et elle-meˆme. Pre´sentant une lymphangite de son bras, elle dit « Je voudrais mourir avant mon bras... ». Agrippe´e aux re´sultats de ses marqueurs tumoraux elle constate : « Un mauvais re´sultat d’analyses biologiques, comme un grain de sable fit de´railler mon syste`me e´motionnel, laissant aussi perplexes les me´decins qui me suivaient... » (2). La me´decine n’est plus ici un soutien, la crudite´ de ses constats renvoie sans cesse a` la mort qui attaque de toute part, laissant le patient interdit devant les batailles virtuelles qui se de´roulent sur le terrain de son propre corps.
E´largir le dispositif d’annonce a` tous les re´sultats
Nous comprenons dans le cas de ces patients « survivants chroniques », qu’au fond un seul dispositif d’annonce est largement insuffisant pour l’annonce initiale du diagnostic et de ses suites. Il faudrait ge´ne´raliser l’approche progressive de la re´ve´lation a` l’ensemble des examens.
Apprendre par lettre la longue liste des re´sultats de laboratoire avec leurs normes (dont les chiffres s’e´loignent parfois dangereusement) semble tre`s inquie´tant. Passer une radiographie et voir le manipulateur et le radiologue confier dans un souffle « vous parlerez de vos re´sultats avec votre cance´rologue qui vous connaıˆt bien », c’est alors vivre des journe´es d’angoisse terribles.
Le dispositif d’annonce est sans aucun doute encore a`
ame´liorer. Il doit aujourd’hui eˆtre repense´ en fonction des diffe´rents re´sultats a` annoncer. Les marqueurs tumoraux par exemple ne peuvent eˆtre remis sur le comptoir d’attente du laboratoire, la radio « de controˆle » doit eˆtre imme´diatement explique´e, en cohe´rence avec le cance´rologue.
Les examens comple´mentaires comme ceux qui sont volontairement accomplis dans le contexte du de´pistage organise´ du cancer sont anxioge`nes. De nombreuses recher- ches montrent les ame´liorations qui peuvent eˆtre construites pour diminuer l’angoisse qui pre´ce`de l’annonce des re´sultats.
Il est globalement possible d’ame´nager la situation par une information e´crite accompagne´e d’entretiens, par une consul- tation d’annonce re´pe´te´e (avec le meˆme me´decin re´fe´rent) parce qu’elle doit eˆtre progressive. Enfin, il apparaıˆt que ce ne sont pas seulement les cance´rologues qui doivent eˆtre forme´s a`
l’annonce mais tous les autres me´decins intervenant dans la chaıˆne the´rapeutique du cancer : radiothe´rapeutes, radio- logues, chirurgiens et autres spe´cialistes d’organes, sans oublier les ge´ne´ralistes trop souvent confronte´s a` la solitude.
Re´fe´rences
1 Gori R, Del Volgo MJ (2008) Exile´s de l’intime. La me´decine et la psychiatrie au service du nouvel ordre e´conomique. E´ditions Denoe¨l 2 Poeydomenge ML Cancers a` la chaıˆne (2005) Rev Fr Psycho-Oncol 2,
1e`repartie : 124-32, 2epartie, n3: 220-31 4
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