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Oncologie : Article pp.266-270 du Vol.2 n°4 (2008)

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EXTRAIT DE COMMUNICATION

Repre´sentations culturelles de la maladie.

Les apports de l’anthropologie me´dicale clinique

R. Bennegadi

Introduction

Avant d’aborder l’enjeu exceptionnel que repre´sente la relation soignant soigne´ dans un cadre de soins particulier ou spe´cialise´, quelques prole´gome`nes sur le contexte ge´ne´ral de la rencontre interculturelle et de sa richesse.

Aspects psycho-anthropologiques de l’acculturation

Le concept d’acculturation continue a` eˆtre utilise´ au gre´

des disciplines de fac¸on impre´cise et souvent meˆme en dehors de sa signification premie`re. Il n’est que de voir dans les me´dias comment il devient tour a` tour un handicap, un proble`me, un obstacle, etc. L’anthropologie et la psychologie sont pourtant claires sur son contenu.

Les diffe´rentes approches et recherches de l’e´cole culturaliste, ame´ricaine d’une part et d’autre part l’apport fructueux de groupes interdisciplinaires ont amene´ a` poser de nouveau la question du changement psychologique et culturel au niveau de l’individu et non plus seulement au niveau groupal. L’acculturation (ad culturem) prenait alors son sens actuel le plus pre´cis en termes de « psychological acculturation » [4]. Et nous retrouvons ainsi une dyna- mique nouvelle qui fait intervenir l’individu dans ses re´ame´nagements psycho anthropologiques et ce, en inter- action avec d’une part le groupe ethnique auquel il souscrit et d’autre part la socie´te´ d’accueil dans laquelle il e´volue.

Il est tre`s fre´quent de voir que, dans ce genre de conflit les professionnels de la sante´ ou du soutien social usent du recours aux soins alors qu’il est plus judicieux de chercher un cadre de management interculturel. L’acculturation n’est ni un symptoˆme, ni une maladie, ni un handicap,

ni une fatalite´. C’est une interaction entre l’individu et l’environnement, qui mobilise son e´nergie psychique a` des niveaux conscients et inconscients.

Des chercheurs comme Hall [5] ont beaucoup fait avancer les aspects de la relation interculturelle dans sa dimension purement psycho- anthropologique et s’il n’est pas inutile de rappeler que des processus inconscients sont e´galement en jeu dans certaines strate´gies d’e´chec ou de succe`s, il faut rendre au processus d’acculturation sa dimension holistique en insistant sur les capacite´s d’adaptation en faisant re´fe´rence aux processus cognitifs e´galement. La « dissonance cognitivo-affective » est d’ail- leurs une des e´tapes dans tout processus d’acculturation. Il peut y avoir des de´se´quilibres dans les e´nergies mobilise´es.

On peut ne´gliger le travail de perlaboration en situation d’acculturation et risquer l’anxie´te´ qui paralyse l’e´lan vital, le de´sir de parachever ses ambitions, de s’inscrire dans le groupe social, et par la`-meˆme compromettre l’inte´riori- sation meˆme des expe´riences affectives.

C’est la` une re´ponse groupale adapte´e a` un question- nement individuel difficile. Il faut donc re´articuler le sens que la socie´te´ donne a` la de´marche de l’acculturation. Il n’y a pas de culpabilite´ ou de honte a` se vivre comme acteur dans ce processus ? Il peut y avoir, bien suˆr, de la culpabilite´ ou de la honte a` l’issue du travail de deuil ne´cessaire devant tout re´ame´nagement psychique.

L’acculturation est l’e´cole du renoncement d’une certaine manie`re, mais pas seulement, il faudrait y adjoindre e´galement la cre´ativite´ qui peut en de´couler sans que l’on ait a` se prononcer sur les conse´quences de cette cre´ativite´.

Pour rester en dehors du jugement de valeur dans la de´marche du changement culturel, il faudrait qu’il soit entendu, comme compromis de base, qu’il n’y a pas de de´but et de fin du processus car, au moment ou`

l’acculturation aboutit a` un e´quilibre, c’est pour en engager un autre. Etre partie prenante de ce processus, ou eˆtre un acteur, c’est partir a` la recherche d’un sens, recherche dans laquelle il ne faut exclure aucune me´thode, aucune

Cancers et cultures

R. Bennegadi (*) Psychiatre Anthropologue

Secre´taire General de la Section Psychiatrie Transculturelle de l’Association Mondiale de Psychiatrie. Centre F. Minkowska E-mail : bennegadi@minkowska.com

DOI 10.1007/s11839-008-0104-y

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technique, car il est probable que c’est dans cette diversite´

que se joue la re´alite´ interculturelle.

Hall, dans son approche anthropologique des cultures, a bien repe´re´ l’aspect fondamental de la bonne qualite´ de la communication interculturelle. Quand on apprend quelque chose sur la culture africaine noire par l’inter- me´diaire d’un migrant malien, on n’extrapole pas cela a`

toutes les ethnies noires. A l’instant des socie´te´s multi- culturelles comme la socie´te´ canadienne ou ame´ricaine, il faudrait pouvoir accepter la communication interculturelle comme une ve´ritable base de la relation et non pas tenter de l’annuler en l’e´vacuant ou en la survalorisant.

Hall [5] dans son effort de the´orisation base´ sur de nombreuses recherches et de nombreux voyages, a de´gage´

une triade qui, pour la compre´hension du phe´nome`ne de l’inte´gration, est tre`s e´clairante. L’ide´e que nous pouvons fonctionner sur un mode formel, informel et technique est tre`s proche de ce que nous repe´rons souvent dans la communication interculturelle.

Le syste`me formel serait ce qui est appris de`s le jeune aˆge, sans qu’il y ait a` expliquer le contenu de l’apprentissage, et qui se situerait bien suˆr a` un niveau inconscient. Au niveau de la connaissance formelle, Hall explique que l’adulte

« mode`le l’enfant a` l’aide de sche´mas qu’il n’a jamais conteste´s... par les me´thodes d’enseignement des activite´s formelles que sont l’injonction ou la remontrance... ». La communication est alourdie du fait qu’aucune autre forme ne saurait eˆtre accepte´e. Il n’y a donc pas d’alternative pour l’enfant a` ce niveau la`. Cela finit, selon Hall, par mettre en place un syste`me formel que personne ne remet en question.

Le syste`me informel se caracte´rise par le fait que

« l’agent principal est un mode`le utilise´ en vue d’une initiation. On apprend en une seule fois tout un ensemble d’activite´s lie´es entre elles, souvent sans savoir qu’on apprend quelque chose ou que ce quelque chose est gouverne´ par des sche´mas ou des re`gles ».

Enfin, le syste`me technique reste caracte´rise´ par une transmission souvent a` sens unique de la connaissance : les termes sont explicite´s, la transmission se faisant de professeur a` e´le`ve, oralement ou par e´crit. « Contrairement a` l’apprentissage informel, il de´pend moins de l’aptitude de l’e´le`ve ou de la se´lection de mode`les ade´quats (mais) plus de l’intelligence avec laquelle est analyse´ et pre´sente´

le sujet ».

Cette triade permet de pouvoir comprendre l’origine de certains malentendus interculturels. Relevons cependant que Hall insiste sur le fait que les trois types de syste`mes peuvent exister en meˆme temps, e´tant entendu que l’un de ces trois types dominera toujours les autres.

C’est dans le changement qu’apparaissent les difficulte´s culturelles. Graˆce a` ce support the´orique, il est moins difficile de repe´rer ou` sont les rate´s de la communication inter- culturelle et surtout plus facile de mettre en place des moyens, des outils, des programmes permettant d’ame´liorer

la relation interculturelle, donc d’œuvrer dans le sens positif du travail acculturatif.

La manie`re de se conduire en situation de groupe, si le groupe n’est pas homoge`ne culturellement, fait intervenir des attitudes, des manie`res de parler, de gesticuler, de s’approcher de l’autre, de le toucher, qui mobilisent le syste`me informel. Le langage non verbal intervient souvent dans les de´rapages de la communication. Telle intention chaleureuse la` est perc¸ue comme une intrusion dans la bulle de l’autre. Cela ne s’explique pas et pourtant cela joue un roˆle parfois se´rieux dans les interpre´tations abusives.

Un regard appuye´ peut transformer le de´sir d’enrichir la communication verbale en une tentative de se´duction intempestive. Le respect de certaines de´marches dans la relation amoureuse fait partie souvent du syste`me informel et parfois le fait de bruˆler les e´tapes peut disqualifier la de´marche. La manie`re de compatir devant certaines pathologies ou devant une fin de vie prochaine rele`ve autant de l’universel que de variantes culturelles ritualise´es pour e´videment exorciser l’angoisse de mort. Toute cette charge affective ne s’improvise pas et demande au moins une e´le´gance de la re´ponse. L’anthropologie me´dicale clinique propose des e´le´ments de re´ponse de cet ordre.

Encore une fois, c’est tous les jours que nous sommes utilisateurs du syste`me informel qui, pour eˆtre inconscient, n’en est pas moins repe´rable. C’est peut-eˆtre la` que le discours de Hall, , diffe`re de l’inconscient freudien qui, lui, ne peut eˆtre accessible que par la parole. Mais cela n’exclut en rien que la prise de conscience de son propre syste`me informel et meˆme formel soit le re´sultat d’une psychanalyse.

Il est donc plus que ne´cessaire de mieux e´tudier les syste`mes formels et informels des individus appartenant a` telle ou telle culture. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’enqueˆtes ethnologiques ponctuelles mais de processus d’explication des mode`les qui sont a` l’origine de ces syste`mes informels. Si on sait comment dans telle ou telle culture, le temps, l’espace, la relation hie´rarchique, la sexualite´ la maladie la mort, s’articulent en syste`mes informels et formels chez tel ou tel membre de cette culture, on est mieux a` meˆme, a` condition d’eˆtre en situation d’e´change, d’interaction, de rendre performante la relation interculturelle.

Les obstacles culturels a` la prise en charge the´rapeutique des migrants

Je propose d’aborder cette proble´matique par un pre´alable important auquel je donnerai une valeur paradigmatique.

Il est en effet question d’une interaction d’une part entre un patient qui exprime une demande en recrutant des croyances sur le manque de sante´, sur la pre´sence de mal ou de maladie, en s’appuyant sur un mode`le explicatoire largement inspire´ par sa culture, d’autre part avec un soignant qui exerce son savoir et sa compe´tence dans un

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lieu de soins, un espace nosographique, un statut , des croyances sur l’action a` mener pour pallier le manque de sante´ ou la pre´sence de maladie ou de mal eˆtre. La` aussi, la prestation est de´termine´e par des items culturels [1]. Le cadre ainsi pose´, il est donc logique de conside´rer comme un sous-syste`me ce qui va de´terminer la de´cision de la prise en charge des soins ou de l’accompagnement d’un malade [2].

La premie`re a` ne jamais ne´gliger est la performance des deux acteurs dans un outil linguistique commun suffisant pour que l’acce`s au symbolique ne soit pas brade´. En effet souvent le patient maıˆtrise mal la langue franc¸aise, plus souvent le the´rapeute ne maıˆtrise pas la langue maternelle du patient. Si une langue en commun se de´gage la prestation de soin garde sa validite´ sinon l’aide d’un interpre´tariat linguistique et culturel est incontournable [3].

La deuxie`me est la capacite´ a` laisser le patient de´velopper sa propre version de la maladie ou du manque de sante´ (certaines cultures ne conside´rant pas comme un corollaire le manque de sante´ et la pre´sence de maladie) et d’en tenir compte comme un e´le´ment de progression dans la qualite´ de la relation soignant soigne´. C’est la notion de illness, qui traduit l’expe´rience subjective de la souffrance, de l’impotence. Elle est la construction mentale de l’anormalite´ ve´cue, elle est ce que le patient pre´sente a` son the´rapeute. Pour A. Kleinman [9] elle englobe

« l’ensemble des modifications et les re´organisations physiques et psychiques conse´cutives et constitutives de l’e´tat de maladie. Elle ne se re´sume pas a` la seule subjectivite´ du malade car elle est de plus partage´e par les non malades. C’est donc une conception profane de la maladie, de ses causes, de ses conse´quences, de son ve´cu, donc des moyens ne´cessaires pour y reme´dier.

La troisie`me est la manie`re avec laquelle le the´rapeute va reconstruire a` partir des termes de l’illness du patient, en fonction de ses mode`les explicatoires, the´oriques. C’est l’e´tat biophysique objectivement attestable par la techni- cite´ du praticien, qui vise a` e´purer l’illness de toute sa subjectivite´. C’est tout de meˆme une repre´sentation de la maladie partage´e et a` juste titre par toute la profession me´dicale. C’est ce que recouvre largement le concept de disease.

La quatrie`me concerne le concept de sickness qui vient comple´ter le tre´pied de l’anthropologie me´dicale clinique et qui regroupe les de´terminants sociaux et les pratiques traditionnelles en meˆme temps que les interactions entres diffe´rents syste`mes de recours au soin [8].

Enfin, il y a la ne´cessite´ d’accepter l’existence re´elle d’un vrai cadre accompagnant la prestation me´dicale, c’est a` dire l’interfe´rence d’e´le´ments de la communication interculturelle comme le de´taille Hall dans ses aspects proxe´miques, la gestion du temps, la notion de contextes riches ou pauvres.

Cette compe´tence interculturelle est souvent un atout majeur dans le processus ne´cessaire de complexification de

la demande du patient pour justement englober l’e´ventuel obstacle naturel dans le projet de prise en charge the´rapeutique. Avoir engrange´ le discours du patient sur les esprits, les rabs, les anceˆtres, avoir entendu les messages me´tacommunicatifs, ne s’eˆtre pas seulement inte´resse´ aux « bruits de fond », voila` une strate´gie plausible pour ce projet de soin dont la mise en forme et la viabilite´ est une affaire a` deux, la culture ne jouant pas le roˆle du « tiers » mais devenant partie inte´grante du cadre dans lequel deux mode`les explicatoires se confrontent pour me´taphoriser,perlaborer et donner a` la prestation de soins une prestation de sens.

Profitons de cet exemple pour signaler quelques errances dans ce domaine. Un patient migrant pre´sentant une pathologie organique ou psychiatrique peut parfaite- ment exprimer son mai eˆtre en franc¸ais, avec me´taphori- sations a` la cle´, et avoir besoin de se re´fe´rer a` des repre´sentations traditionnelles de la maladie mentale. Il n’est pas « ope´rationnel » de s’e´tonner sur ce paradoxe.

Il n’y a pas de ne´cessite´ a` plaquer trop vite un cadre relationnel ou` le corollaire langue- culture fonctionnerait comme s’excluant l’un l’autre. « Il parle bien franc¸ais, donc il partage ne´cessairement les codes implicites du discours sur la maladie telle qu’elle est perc¸ue, de´veloppe´e dans le syste`me de soins auquel le the´rapeute souscrit ». Ceci est une affirmation trop rapide. Il manque une e´tape, et elle est essentielle.

Il faut laisser les e´le´ments culturels souligner le propos sans les figer dans un regard ethnologique stigmatisant et mettre en perspective les re´fe´rences culturelles dans le cadre propose´ par le syste`me de soins. C’est-a`-dire faire

« entendre » au patient les outils disponibles dans le lieu de soins ou` il vient consulter. Avec cette couverture relationnelle, il n’est pas ne´cessaire d’eˆtre spe´cialiste de telle ou telle culture, comme il n’est pas strictement ne´cessaire d’e´vacuer syste´matiquement toutes re´fe´rences culturelles, au nom du dogme de l’universalite´ du paradigme scientifique ou, ce qui est plus grave, de l’universalite´ de la pratique du soignant. A ce point de re´flexion, il va de soi que toute strate´gie the´rapeutique visant a` enfermer le sujet seulement dans ses re´fe´rences culturelles rele`ve plutoˆt d’une perversion du discours anthropologique [7].

Le migrant vit en France, cherche le soin autant aupre`s des professionnels de la sante´ qu’aupre`s de certains tradipraticiens bien e´tablis dans notre socie´te´. Le tradi- praticien ne revendique jamais sa toute puissance sur le syste`me de soins, car il n’ignore pas la liberte´ du patient devant l’efficacite´ du syste`me de soins et des profession- nels de la sante´. Il ne faut pas que l’on tombe dans le travers de nous substituer aux gue´risseurs et aux chamanes sous pre´texte d’inefficacite´ dans tel ou tel cas.

Il existe des lois de l’interaction soignant soigne´ dans un contexte multiculturel ou interculturel. Il serait bon de les e´noncer aussi. La loi de la spe´cificite´ de l’individu par

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rapport au groupe socioculturel auquel il appartient. Par exemple, la manie`re avec laquelle un sujet migrant pre´sentant telle ou telle pathologie par le biais des repre´sentations culturelles exprime sa maladie (illness) lui appartient proprement et le caracte´rise dans son entite´

d’individu en meˆme temps qu’elle est partage´e dans les grandes lignes par une grande majorite´ de son groupe ethnique. Ceci est fondamental pour ne plus confondre le sujet migrant et son destin personnel avec le groupe migrant auquel il appartient et sa trajectoire e´conomique.

La loi de la « compe´tence culturelle » regroupe des niveaux de savoir et des niveaux de ve´cu. Les niveaux de savoir sont bien e´videmment une formation a` la proble´matique de l’autre (cognitive et affective) mais e´galement une approche convenable des aspects sociologiques et anthro- pologiques de la population migrante par rapport a` la socie´te´ d’accueil. Un travail multidisciplinaire incluant les aspects sociaux et anthropologiques est une ne´cessite´ de type sante´ publique. Les niveaux de ve´cu sont toujours a`

conside´rer avec vigilance et rejoignent la de´ontologie la plus rigoureuse : d’une part, les attitudes inconscientes ethnocentriques sont le risque pour tout soignant, quelle que soit son origine, dans une interaction soignant soigne´ ; d’autre part, l’appartenance ethnique du the´ra- peute joue de fac¸on de´terminante dans la relation soignant soigne´. Le phe´notype, la connaissance de la langue, la connaissance de la culture, sont autant d’informations conscientes et inconscientes qui interviennent dans la relation transfe´rentielle et contre- transfe´rentielle. Cepen- dant il faut aussi dire qu’un soignant empeˆtre´ dans sa proble´matique ethnocentrique est tout aussi inefficace qu’un colle`gue migrant empeˆtre´ dans ces effets pervers de la complicite´ culturelle.

A partir de cette « e´piste´mologie Morinienne » [10], on peut mieux comprendre l’aspect cyberne´tique qui e´merge lors de la confrontation du sujet migrant confronte´ a` nue pathologie organique se´ve`re et du syste`me sanitaire qui croit bien faire en tentant la re´ponse technique univoque, la meilleure, du moins le syste`me y croit, pour garantir l’e´galite´ devant le soin. L’intention est louable, les moyens encore peu e´labore´s, les re´sultats encore assez de´cevants tant que les acteurs du syste`me de soins ne seront pas initie´s a` l’anthropologie me´dicale clinique, outil de re´flexion et de connaissance au meˆme titre que la se´miologie me´dicale ou psychiatrique.

En attendant cette « fe´condation », il faut user de la formation continue, banaliser la ne´cessite´ d’utiliser un interpre´tariat linguistique et culturel quand c’est le moyen le plus pratique de re´soudre des dysfonctions graves de la communication, faciliter l’aide a` la de´cision diagnostique ou the´rapeutique en conside´rant le soignant migrant compe´tent (dans le cadre de ce que nous avons de´fini comme la compe´tence interculturelle) comme un e´le´ment a` part entie`re du syste`me de soins et qui ajoute a` la cohe´rence du syste`me plus qu’il ne participerait a` une marginalisation. Ce n’est pas le lieu de citer toutes les

pathologies spe´cifiques que l’on a cru isoler ici et la`, tant la tentation est « naturellement » grande de cerner une pathologie en la figeant dans ses oripeaux culturels, peut-eˆtre pour mieux soigner, peut-eˆtre aussi pour mieux la mettre a` distance (au sens de l’e´loignement exotisant et non de la recherche de la bonne distance

L’expression culturelle de la souffrance ou de la maladie peut prendre des allures particulie`res dans un cadre qui n’a l’habitude de traiter que ce qu’il sait nommer ou classer. La capacite´ aussi du syste`me a` ignorer, e´garer, est aussi tre`s grande. Que dire d’une prestation ou` tout se´pare le the´rapeute du patient migrant et ou` le seul lien reste la ne´cessite´ de produire une prestation me´dicale, meˆme s’il faut s’acharner a` de´nier que l’on n’a pas fourni une re´ponse ade´quate ? Lorsqu’on est forme´ pour entendre ces subtilite´s anthropologico- cliniques, on se retrouve dans une situation qui rejoint par ce point l’universalite´, non pas de la pathologie mentale ou de l’inconscient mais surtout d’une confrontation de mode`les explicatoires.

Celui qui va ou veut aider celui qui souffre et qui demande de l’aide, va-t-il se donner les moyens d’eˆtre en mesure de le faire en respectant l’inte´grite´ du sujet, en tant que sujet qui souffre et en tant que sujet qui souffre avec les moyens de sa culture ? [11].

La pathologie des migrants peut eˆtre aborde´e en toute se´curite´ par le biais de la nosographie, la difficulte´ n’e´tant jamais dans le repe´rage d’une entite´ syndromique, mais dans les moyens utilise´s ou non pour retrouver la pathologie quand elle existe [2].

L’ethnocentrisme, dans ce domaine, est de´vastateur et nul d’entre nous ne peut s’exclure de ce genre d’aveu- glement. L’avantage de l’approche anthropologique me´di- cale clinique est qu’elle donne au cadre du soin un aspect bien plus cohe´rent et plus ouvert sur l’interaction entre deux sujets et non entre un repre´sentant d’un syste`me de soins et un « extraterrestre ».

Que faire quand, dans le de´lire du patient, le the´rapeute se trouve concerne´, soit par re´fe´rence a` son groupe social, soit par la couleur de sa peau, soit par rapport a` de suppose´es positions politiques ? Que faire quand les solutions the´rapeutiques propose´es ont plus d’effets pervers que the´rapeutiques ? Que faire quand le traitement est conteste´ par un tradipraticien ? Que faire quand une pratique culturelle est conside´re´e par le soignant comme une toxicomanie ? Comment faire le diagnostic chez un bouddhiste qui nous e´voque la de´pression grave mais qui, lui, ne se conside`re pas comme tel ? Faut-il entrer en

« transes culturelles » ou faut-il eˆtre « posse´de´ » par un savoir anthropologique vaste et e´rudit ? Peut-on tout savoir sur toutes les cultures ? Faut il des spe´cialisations de personnel, qui serait plus qualifie´ dans le culturel que d’autres ?

L’anthropologie me´dicale clinique, dont Hellman [6]

et Kleinman [9] sont les de´fenseurs les plus ardents actuellement, pre´sente l’avantage de laisser une marge

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bien plus grande aux discours du patient qui peut asseoir son argumentation sur sa propre repre´sentation d’une part, d’autre part d’exhorter le soignant a` comprendre que lui aussi fonctionne sur un mode`le explicatoire.

C’est la de´marche qui est ope´rante, pas la the´orie seulement. Cette de´marche, peu importent les ancrages the´oriques ou institutionnels du soignant, peu importent les tentatives d’he´ge´monie de telle ou telle obe´dience, c’est la qualite´ d’interface, la « compe´tence culturelle », qui va faire de la rencontre avec l’autre.

Rien de cela ne peut venir atte´nuer ou porter pre´judice a` une compe´tence. Bien au contraire, c’est le premier pas psychologique et e´thique pour travailler dans les champs de la migration et de la sante´. Ce premier pas, de`s qu’il est

« pre´sent a` la conscience », me`ne force´ment a` une formation plus correcte, plus pousse´e dans le management interculturel, la transmission d’informations dans un contexte transculturel. Ce que l’on peut dire, c’est que plus la formation s’organise, plus le besoin de l’intensifier se fait sentir. « L’e´paisseur de l’expe´rience » dans le transculturel n’exclut pas qu’a` tout moment il est possible de se trouver incompe´tent. L’art de gue´rir ou de soutenir consiste parfois a` savoir faire appel a` des personnes ressources, depuis l’interpre`te linguistique et culturel jusqu’a` ce the´rapeute de la meˆme culture, pour de´meˆler

une situation grave, car c ’est a` ce prix que le principe e´thique du « droit a` la sante´ pour tous » rejoint le principe de´ontologique « primum non nocere ».

Re´fe´rences

1. Bennegadi R Migrations et urgences. Revue de Medecine Psycho- somatique 1992 ; 29: 49-58

2. Bennegadi R, Bourdillon F La sante´ des travailleurs migrants en France, aspects me´dico-sociaux et anthropologiques. Revue. Euro- pe´enne des Migrations Internationales 1990 ; 6: 129-143

3. Bourdillon F, Lombrail P, Bennegadi R et Coli., (1991) La sante´ des populations d’origine e´trange`re en France. Social Science and Medecine 32: 1219-27

4. Berry JW (1989) Acculturation et adaptation psychologique. Extrait de la recherche interculturelle. L’Harmattan ed. Paris

5. Hall ET (1984) Le langage silencieux. Le Seuil ed., Paris

6. Helman CG (2007) Culture, Health and Illness – Fifth Edition.

Hodder Arnold

7. Jankelevitch V, Berlowitz B (1978) Quelque part dans l’inacheve´.

Gallimard ed., Paris

8. Kirmayer L (1989) Cultural variations in the response te, psychiatric disorders and emotional distress. Soc. Science and. Medecine 29: 327-39

9. Kleinman A (1993) In « GAW A.C. – Culture, ethnicity and mental illness ». Ameiican Psychiatric Press. ed., Washington, p. 640 10. Morin E Science avec conscience. Paris

11. Tousignant M (1982) Les origines sociales et culturelles des troubles psychologiques. PUF ed. Paris

Références

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