E´DITORIAL
Le sujet est-il soluble dans la culture me´dicale ?
M.-F. Bacque´
Y-a-t-il autant de cultures que de terroirs ? Comment s’acculture-t-on a` un nouveau milieu ? Doit-on s’accultu- rer a` tout nouveau milieu ? Le mythe de la Tour de Babel nous renvoie-t-il a` ce fantasme que nous pourrions partager tous la meˆme culture ? Les guerres meurtrie`res ne sont-elles qu’enjeu de cultures ? La difficulte´ a` e´changer avec les malades est-elle affaire de culture ? La culture est- elle responsable de tant de souffrances ?
Avec la mondialisation, on observe a` la fois un partage des cultures les plus diverses, un impe´rialisme de la culture anglo- saxonne mais aussi une spe´cialisation de plus en plus pousse´e de chaque regroupement humain. Nous voyons disparaıˆtre des cultures anciennes avec leurs rites et leurs coutumes ; nous voyons naıˆtre de nouvelles manie`res d’eˆtre et de faire, qui ne peuvent eˆtre qu’apparente´es a` une culture car elles ne concernent souvent qu’un aspect partiel de l’individu.
La culture a e´te´ de´finie comme l’ensemble des signes d’appartenance communs a` un groupe humain : objets, langues, re´fe´rences intellectuelles et symboliques, modes de pense´e...Tout ce qui pourrait nous diffe´rencier des autres et nous donner un code commun. L’ensemble de ces e´le´ments est souvent inconscient. Les voyages nous montrent, par le de´calage perceptible avec nos anciens repe`res, combien nous sommes divers sur cette plane`te. Et pourtant, lorsque nous communiquons vers les autres eˆtres imaginaires dans le cosmos, ne retrouvons-nous pas les invariants de la culture de l’Homme ? Comme sur les plaques des satellites Pioneer 10 et 11 (Figure 1), ces images qui nous de´finissent, semblent tre`s re´ductrices d’ailleurs : deux eˆtres, un homme qui salue et une femme, un sche´ma de notre syste`me solaire et la trajectoire effectue´e par la sonde. Une culture minimaliste mais qui constitue le plus petit de´nominateur de l’eˆtre humain...
Avant de se demander quelle est la part de la culture dans le soin, nous devons questionner la part de la culture dans la maladie et dans le traitement. L’anthropologie nous l’apprend,
la maladie est d’abord objet de culture. Cet e´ve´nement, cause de douleur ou de modification du comportement a d’abord e´te´
compris comme un message. Message exte´rieur a` l’humain, provenant en ge´ne´ral d’un pouvoir exte´rieur, celui de la Nature puis celui des dieux. On pourrait presque dire que la maladie e´tait riche en culture jadis... Aujourd’hui ce qui frappe c’est la manie`re avec laquelle les patients maintiennent ce statut imaginaire, pour ne pas ce´der a` l’angoisse de l’absence de sens. Le « deuil du sens » de la maladie est impossible pour certains, pourtant, il se heurte souvent aux me´decins et au corps soignant parce qu’il confronte a` une dimension psychique et sociale qui rele`ve de la culture de l’individu et qui n’est donc ni ve´rifiable ni controˆlable.
C’est un fait, la culture devrait eˆtre prise en compte plus souvent, dans les tentatives de pre´vention des maladies et des cancers en particulier. Dans notre dernier N consacre´ au cancer colo-rectal, on se souvient avoir constate´ l’importance de la « culture ge´ne´rationnelle » (une ge´ne´ration, une culture) dans l’acceptation des mesures de protection, de de´pistage et de prise en charge. Une pe´riode de vingt ans, parfois moins, suffit pour de´marquer deux individus qui ne re´pondront absolument pas de la meˆme fac¸on a` une proposition de
M.-F. Bacque´ (*)
Professeur de psychopathologie clinique a` l’universite´ Louis-Pasteur, 67000 Strasbourg, France
E-mail : mfbacque@club-internet.fr Fig. 1.Plaques des satellites Pioneer 10 et 11 Psycho-Oncologie (2008) 2: 193–194
©Springer 2008
DOI 10.1007/s11839-008-0112-y
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de´pistage. Le film « Goodbye Le´nine », de Wolfgang Becker, avait montre´ les tentatives inouı¨es d’un jeune homme, pour tenter de faire croire a` sa me`re menace´e d’un nouvel infarctus, que rien n’avait change´ en RDA, alors qu’entre sa plonge´e dans le coma et son re´veil, le mur de Berlin s’e´tait effondre´...
La culture est-allemande pouvait eˆtre de´finie a` partir des meubles, alimentation, veˆtements. Le fils n’avait plus qu’a`
e´mailler le cadre familial de tous ces objets et la vie pourrait reprendre... Pour certains, la me´moire la plus intime est relie´e a` cette multitude de de´tails qui forment l’e´crin de moments de vie passe´e et toutes ces petites madeleines tirent a` elles les e´motions qui y sont associe´es. Partager le gouˆt de cette nostalgie est un signe de reconnaissance qui relie, dans la multitude, les hommes et les femmes e´gare´s dans l’indiffe´- renciation qui caracte´rise nos socie´te´s. Reprendre les repe`res culturels des uns et des autres permet peut-eˆtre de parler le meˆme langage, voila` une piste pour faire passer un certain nombre de messages de pre´vention.
Un dernier mot a` propos de la culture scientifique.
Notre revue, Psycho-oncologie, e´dite´e par Springer vient d’obtenir l’indexation dans le « Journal Citation Report ».
C’est un service d’indexation chez Thomson Reuters qui permet de calculer l’« Impact Factor » de la revue et de la hisser au niveau des grands journaux scientifiques internationaux. Psycho-oncologie acce`de donc a` la culture mondiale graˆce a` ce petit index... Signe des temps qui montre que pour eˆtre lu, il faut partager une culture scientifique, celle de la me´thode certes a` laquelle nous souscrivons pleinement, mais aussi celle du re´alisme : les facteurs culturels ponde`rent largement l’application de nos re´sultats. La culture scientifique reˆve de de´passer le particularisme des sous-groupes pour rechercher une ge´ne´ralisation des applications des recherches... Or, nous savons bien que, dans les sciences humaines, la culture vient, tel un grain de sable, enrailler la machine de l’uniformite´...
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