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ARTheque - STEF - ENS Cachan | La nécessité de récit en vulgarisation scientifique

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Academic year: 2021

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(1)

LA

['iECESSTTE

VULGAR 1SATI ON

DU

REC IT

EN

SCIENTIFIQUE

Présentation: Michel de PRACONTAL

Journaliste ~ Science et Vie Unil'ersité l'"

rI"-vIT---Grollcho Il,,rl'o) : Quelle est la forme de la terre

Harpa: ????

"rOllcho: Voyons. quelle est la forme de mes houtons de manchette?

Il,1rDo : Carrée,

Gmucho :Je veux di re les boutons de manchette que je porte le dimanche, pas ceux de tous les jours 7 Alors, quelle est la forme de la terre !I,lrrO : Ronde le dimanche. carrée les jours de la semaine,

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L'anecdote qui fiqure en exergue de cet article illustre remarquablement la situation du vulgarisateur, du moins pour ce qui concerne le type de vulga-risation que je pratique, celle qui emprunte le canal d'une revue scientifique grand public (en l 'occurence, il s'agit de Science et Vie). L'échec pédagogique de Groucho, échec tout relatif du reste, tient essentiellement ~ ce que son discours fait implicitement référence a un corps de notions étrangères

a

Harpa, telles que la notion de planète ou le fait qu'une planète soit sphérique. Bien qu'il s'agisse d'astronomie élémentaire, ces notions n'en reposent pas moins su1- un sys tfime de représentat i ons dont Harpo ne di spose manifesÛ'ment pa s. Groucho tente de tourner l'obstacle en recourant au moyen indirect de la méthaphore. Celle-ci lui permet de transposer dans la langue de tout un chacun ce qui relè-ve d'une langue déja spécialisée, sophistiquée, même si c'est à un niveau rudi-mentaire.

Entenddns-nous bien: Groucho n'échoue pas -pas seulement- parce que sa métaphore est mauvaise. Il échoue d'abord parce que les représentations néces-saires font défaut chez Harpa. En fait, tout dialogue sur les planètes entre Groucho et Harpa est, sinon un dialogue de sourds, au mieux un dialogue entre un voyant et un non-voyant. Et il en sera ainsi jusqu'a ce que, grâce un en-seignement adéquat, Harpo ait appris ce qu'est une planète, et en quoi consiste la rotondité de la Terre. Après qté il n'aura plus du tout besoin des métaphores de son aîné.

La situation du vulgarisateur ressemble fort à celle de Groucho. Il se trouve face a ce paradoxe que, d'une part, il doit pour être compris traduire dans la langue ordinaire des messages qui ne s'expriment correctement que dans une langue scientifique inconnue de son public; et qu'a l'inverse, si ledit public possédait la langue scieontifique, il ne s'intéresserait aucunement ~ la

vulgarisat'o~scientifique. Ajoutons que pour arranger les choses, le

vulgari-sate'lr ne connaît, le plus souvent, qu'assez mal la langue spécialisée qu'il est censé traduire, et nous aurons un tableau à peu ~rés objectif de la situa-tian.

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/\ la diffpt'ence l'enseignant, le vulgarisateur ne peut espprer se tirer

de (ette situation difficile par une dpmarche pédagogique. Il n'a pas les moyens de le faire, et du reste ce n'est pas son but. Car si toute entreprise

vulgari-satrice suppose par définition une prpoccupation didactique, elle ne s'y rêduit ~ l'évidence pilS. Il serait profondément erroné de décrire l'entreprise

vulgari-s~trice comme un processus péd~gogiqup : d'abord, il lui manque cette composante pédagogique essentielle qu'est le dialogue enseigné-enseignant; ensuite, elle pilrticipe d'autres logiques: journalistique - souci d'informer, de suivre l 'actual ité - ou commerciale - une revue de vulgarisation est aussi un produit qui se vend dans des kiosques, de préférence en grand nombre d'exemplaires.

Il semble par conséquent assez stérile, du moins à un premier niveau d'ana-lyse, d'étudier la vulgarisation en termes d'efficacité pédagogiques. Non que ces questions soient dépourvues d'intérêt, mais parce qu'elles sont subordonnées

il un problème plus fondilmental : celui de savoir

à quelles conditions la vulga-risation est possible ou, si l'on préfère, par quelle opération de transposition,

de traduction, des contenus scientifiques peuvent-ils atterrir dans l'univers non scientifique d'un lecteur de revue de vulgarisation.

Ma réponse est que l'instrument fondamental du vulgarisateur est la

tech-nique narrative. Un texte de vulgarisation se bâtit comme un récit. Il ne se réduit pas à l'agencement plus ou moins habile d'une série d'informations, comme tendrait à le faire croire l'idéologie journalistique dominante. Que l'informa-tion au sens strict ne suffise pas, c'est facile à concevoir si je vous annonce à brOie-pourpoint qu'une expérience vient de mettre en évidence une violation des inégalités de Bell, cela constitue, certes, une information. Mais elle ne vous apportera pas grand-chose si vous ne savez pas ce que sont les inégalités

de Bell, ce qui est le cas de la plupart des gens. Mon information ne présente un intérêt quelconque que si elle s'accompagne d'un récit explicatif: que sont

les inégalités de Bell, d'où viennent-elles, comment peut-on les vérifier, que rerrésente leur violation, et ainsi de suite. Il est impossible, en vulgarisa-tion (et en fait, dans presque toutes les formes de journalisme) d'esquiver ce problème de la technique narrative. Cette vérité de bon sens est malheureusement masquée par l 'omnipré<;ente idéologie de l'information. Le concept même d'infor-mation connaTt apparemment une sorte d'hypertrophie sémantique qui s'expl ique probablement par le succès des théories cybernf>t iques de l'information et 1eUI'S

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part i e d'échecs. La séquence qui suit est maîtres Se irawan et Kortchnoi disputée en en notation usuelle 1. ç4 Cf6 2. Cç3 é6 3. é4 d5 (a) 4. é5 (b) d4 (ç) 5. éxf6 dxç3

arplications de plus en plus nombreuses: développement de l'informatique et de tous les dispositifs de stockage, de transmission et de traitement de l'in-formation. L'amalgame systématique entre journalisme et information est du reste attesté par l'usage de l'expression "moyens d'information" POUl" désigner l'ensemble des organes de presse.

Mais revenons à nos moutons. Pour commencer, qu'est-ce qui différencie un réc it de 1a représenta tion ordonnée d'un s toc k d' informa t ions, comme l'a fouloni t un tableau à double entrée, une liste, une carte, un graphique, une courbe ou autre tel? Sans rechercher de définitions formelles rigoureuses, on peut dire que le récit est une composition complexe, aux multiples degrés hiérarchiques,

et se suffisant à elle-même. Pour lire Le Père Goriot ou ~fu~~~ame

~noir, il suffit de connaître lefrançais, ou de disposer d'une traduction dans sa propre langue. Aucune connaissance spécialisée n'est nécessaire. De la première à la dernière page, le texte guide l'attention, lui assigne un parcours que la langue seule suffit à tracer.

A l'opposé, aucune opération de "traitement de l'information" ne peut réussir à faire circuler l'attention comme le fait un récit bien charpenté. Pour illustrer cette notion, considérons l'exemple de la transcription d'une

le début d'une partie entre les grand-janvier 1980 à I\.msterdaml , transcrite

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C.... tte 1iste de ,oup" COITespond exactement ,j la représentation oldonnée d' tin stock d'inform~tion5 : tr~nscription codée de coups joués dans l'ordre de la partie r~elle. Il suffit de connaître le code de la transcription et de dis-poser d'IJn jeu d'échecs pOIH' être en mesure de rejouer fictivement l~ partie. r·tême la conl1aiss~nce des l'ègles rlu jeu d'échecs n'est pas vr~iment nécessaire pour être capable de dérlacer 1es pièces conformément à la séquence indiquée. Le point que je voudrais faire ressortir, c'est que bien qu'il suffise rie connaître la not~tion pour rerroduil'e la partie sur l'échiquier, cet exercice ne présente évidemment aucun intérêt pour le lecteur qui ne connaît rien du jeu ri '!'checs, hormis la notation. Autrement dit, la 1iste des cours transcrite en notation codée est totalement vide de sens pour le lecteur non conmisseur d'é-checs, et cela même s'il est c~pable de décoder au premier la transcription (ce qui ne requiert bien sOr aucune connaissance échiquéenne). Réduite à elle-même, l~ liste de coups ne nous apprend pas grand-chose sur la superbe bataille qui a aprosé les deux joueurs. Elle n'est véritablement signifiante que peur l'amateur averti, capable de comparer cette partie à d'autres, d'en repérer les temps forts, de reconnaître les bons coups et les erreurs, d'admirer les combi-naisons, de suivre le mouvement de la bataille, en un mot de revivre la partie. En réalité, notre amateur averti procède à une véritable reconstitution historique de la partie. Il élabore un récit détaillé qui commence par un déhut anglais et se termine par la victoire de Seirawan. Il est d'ailleurs assisté dans sa tâche par les commentaires de Claude Lemoine figurant à la suite de la partie. Ces commentaires fournissent des bribes de récit: ils nous indiquent, par exemple, que la réponse de Kortchnoï, au 22e coup, manifeste un certain mépris du danger ... ou encore qu'au 24e, Seirawan sacrifie un pion avec beaucoup de panache. Il ne s'agit pas là d'un simple prolongement de l~ liste codée des coups: les commentaires npcessitent le recours à une métalangue, en l'occuren-ce un m~lange de notation corl~e et de langue naturelle, qui transcende la sim-ple transcription codêe. Autrement dit, ~ l'inverse d'un roman de 8~lzac ou de Gaston Leroux. la transcription codpe ne se suffit pas à elle-même, même si elle contient toute l'information nécessaire.

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<;(1.

On pourrait d'~illeurs très hien imaginer de rapportrr entièremrnt la partie sous forme d'un récit en langue n~turelle, avrc ou sans transcription des coups. Disons plus exactement qu'on pourrait élaborer un récit en langue naturelle qui "épouserait" l~ forme de la partie, rn restituerait le mouvement d'une manière intelligihle mêmr au non connaisseur. Une telle narration, qui reviendrait à traduire dans la langue de tout un ch~cun un "texte" en langlle échiquéenne, constituerait une forme de vulgarisation du jeu d'échecs.

L'objet de ce long développement n'est pas de prouver qu'il faudrait transcrire les parties d'échecs en langue naturelle plutôt qu'en notation codér. mais de montrer en quoi le récit est un outil de partage du sens beaucoup plus puissant que le traitement de l'information brute. Lorsqu'il s'agit de faire circuler du sens. de faire comprendre - et quelle est la tâche du vulgarisateur sinon celle-là? - il est nécessaire de raoonter autant que d'informer. Le vul-garisateur ne peut se contenter de collecter des informations, il doit en tirer une histoire cohérence, partageable. Il se fait romancier ou nouvelliste par nécessité technique.

L'objet du récit vulgarisateur est de faire comprendre: clarté du style, exactitude scientifique, rigueur logique de l'exposé, tels sont les impératifs. Mais à ces qualités scientifiques et pédagogiques du vulg~risateur s'ajoute le talent tout ~ussl important, de conteur: on ne capte pas l'attention du lecteur avec une version simplifiée d'une communication à l'académie des sciences; il y faut du suspense, de l'intensité dramatique. Un bon article de vulgarisation c'est d'abord, comme un roman, une bonne histoire. Assez paradoxalement, le succès du vulgarisateur dépend autant, sinon plus, de ses qu~lltés littéraires que de ses qualités scientifiques. Juste retour des choses, ~rrès tout ...

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