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2. Les relations entre Genève et son hinterland français

2.1 Les jalons historiques sur la relation entre Genève et son hinterland français

2.1.3 Les zones franches

Après une période de coupure, Genève, la République de 282,2 km2, risque d’étouffer si elle

est privée de l’arrière-pays. Dès le début du XIXe siècle, Genève s’efforce de rétablir les liens

avec les espaces environnants, par le biais de l’instauration des zones franches, pour ne pas

rester prisonnière de ses frontières. Du point de vue du droit international, étant un régime

exclusivement douanier non pas un régime territorial, une zone franche est « comparable à

une zone d’échange, seule sa dimension est réduite, à savoir qu’il ne s’agit que d’une partie du territoire d’un ou plusieurs Etats à partir et à destination de laquelle les restrictions douanières sont abolies (sous réserve de quotas dans lesquels les franchises s’appliquent) »43. Les premières zones franches s’instaurent dans le Pays de Gex, par le traité de Paris du 20 novembre 1815, et ensuite en Haute-Savoie, par le traité de Turin du 16 mars 1816. Ces zones

représentent 392 km2 dans le Pays de Gex et 151 km2 en Haute-Savoie (figure 5). Celles-ci

accordent au canton de Genève un peu d’oxygène. Ces zones permettent de franchir certains obstacles institutionnels en garantissant la libre-circulation des denrées, et de doter Genève d’un approvisionnement suffisant.

Jusqu’en 1849, le fonctionnement des ces zones est marqué par un grand libéralisme :

« Alors que les exportations de Genève étaient entièrement libres, les importations en provenance des zones supportaient, à leur entrée à Genève, de modestes péages prélevés au profit de la Confédération » (Raffestin, et al., 1975 : 26).

Avec l’avènement de l’Etat fédéral, les douanes sont instaurées. Le traité de commerce entre la Suisse et la Sardaigne est conclu en 1851 pour dix ans afin de faciliter les échanges. Genève démonte ses murailles en s’ouvrant sur son arrière-pays pour étendre son développement. En 1860, suite à la décision unilatérale de Napoléon III, la Savoie est annexée à la France. Cette annexion fait l’objet de contestation car les provinces du Nord de la Savoie (Chablais, Faucigny, Genevois) ont des échanges économiques (notamment au niveau de l’industrie horlogerie) très étroits avec Genève. Napoléon III propose donc d’élargir les zones franches, la fameuse consultation « Oui et Zone », afin que les habitants du Nord de la Savoie

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Direction des affaires extérieures, Département de l’économie de l’emploi et des affaires extérieures du Canton de Genève, 1999, Dictionnaire de la coopération transfrontalière et européenne : région franco-genevoise et lémanique, pp.180.

Figure 5. Carte des zones franches

acceptent l’annexion à la France44. Ainsi, les zones franches sont agrandies pour recouvrir

environ 70% du territoire actuel de la Haute-Savoie, soit 3122 km2 avec 150 000 habitants

(Haegi, 1993 : 21 ; Raffestin, et al., 1975 : 26). Entre 1860 et la première guerre mondiale, la

Grande Zone constitue une vaste trame d’échanges économiques au niveau régional. Il faut

souligner que ce régime est très original à l’époque : « c’est une sorte d’Espace Economique

Européen régional avant la lettre » (Haegi, 1993 : 21). De plus, grâce à cette zone, Genève se

désenclave sur le plan économique, prospecte un marché commercial45 non négligeable

auquel se rattache l’importance financière genevoise. Genève s’affirme comme la capitale

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Direction des affaires extérieures, Département de l’économie de l’emploi et des affaires extérieures du Canton de Genève, 1999, Dictionnaire de la coopération transfrontalière et européenne : région franco-genevoise et lémanique, pp.179.

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Il s’agit des échanges commerciaux plus qu’industriels qui ont prévalu entre Genève et la Grande zone (Raffestin et al., 1975 : 27).

Source : République et Canton de Genève, Direction des affaires extérieures, 1999, Dictionnaire de la coopération transfrontalière et européenne : région franco-genevoise et lémanique, pp.181

commerciale de la région à partir de la Grande Zone sans avoir fait un véritable aménagement

économique (Raffestin, et al., 1975 : 26)46.

Or, pendant la première guerre mondiale, le cordon douanier entre Genève et la France voisine est coupé à cause de l’abolition des zones franches. En effet, la France considère la zone franche comme un privilège accordés au canton de Genève à l’égard de la France mais un obstacle à l’industrialisation de la France voisine (Grange, 1990 : 318, cité par de Buren, 2007 : 7). Ainsi, elle n’est d’accord sur son adhésion au rétablissement du cordon douanier que sous conditions de signer un accord de bon voisinage et de commerce spécial avec les cantons de Genève, de Vaud et de Valais (Haegi, 1993 : 21). A cause du refus du peuple suisse, les zones franches sont globalement supprimées en 1923. Finalement, suite à l’intervention de la cour internationale de justice de la Haye, un accord est signé en 1933 afin

de rétablir les petites zones de 1815-1816. Le fonctionnement actuel47 du régime zonien est

défini par cet accord.

Certes, la réhabilitation des petites zones franches relance indiscutablement l’économie

genevoise, mais le rôle de celles-ci devient aujourd’hui beaucoup plus limité48. Et, comme

nous l’allons présenter tout de suite, dans les périodes suivantes (à partir de la deuxième guerre mondiale), la relation entre Genève et son arrière-pays français ne cesse de dégrader tant au niveau économique qu’au niveau politique. Parallèlement, le traité de Versailles signé en 1919 permet à Genève de se mettre en route pour développer ses fonctions internationales. Ce qui va de pair est une internationalisation de l’économie genevoise. Le développement de la Genève internationale désenclave sans doute ce canton exigu, mais occulte progressivement sa vocation régionale.

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Cette « tradition » continue jusqu’à nos jours. D’après un fonctionnaire genevois interviewé, c’est peut-être parce que l’économie genevoise est forte, et que le politique n’a pas suffisamment de force à intervenir.

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Le régime permet aux produits zoniens de pénétrer en Suisse en franchise de droits douaniers, et aux produits genevois d’être exportés vers les zones en franchise de droits douaniers. La franchise se limite à l’exemption des droits douaniers. Il faut noter aussi d’autres redevances dues lors de l’importation, TVA, droit de monopole, taxes vétérinaires, etc. (Direction des affaires extérieures, Département de l’économie de l’emploi et des affaires extérieures du Canton de Genève, 1999, Dictionnaire de la coopération transfrontalière et européenne : région franco-genevoise et lémanique, pp.180)

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Au niveau des prérogatives de la zone franche, il n’en subsiste que quelques particularités douanières notamment dans le domaine des échanges agricoles, des immatriculations de véhicules (série TTW), etc. En 1996, les échanges zoniens avec l’Ain et de la Haute-Savoie ont atteint 54,4 millions de francs suisses. Ce chiffre ne représentait qu’un peu plus de 0,3% du trafic des marchandises du canton de Genève (14,4 milliards de francs suisses) (Direction des affaires extérieures, Département de l’économie de l’emploi et des affaires extérieures du Canton de Genève, 1999, Dictionnaire de la coopération transfrontalière et européenne : région franco-genevoise et lémanique, pp. 180).