2. Les relations entre Genève et son hinterland français
2.3 L’essor des travailleurs frontaliers
Le dynamisme de Genève est très soutenu par la main-d’œuvre étrangère (notamment française). Ceci s’explique essentiellement par l’exiguïté de son territoire. En effet, le canton
de Genève ne compte que 282,2 km2, soit 28 244 hectares, dont une partie importante est
gelée. Selon Office fédéral de la statistique135, le canton de Genève est le 21e canton en termes
de surface territoriale136. Par contre, Genève a une densité de 1 844,1 hab./km² et constitue le
2e canton le plus dense, juste derrière Bâle-Ville (5 078,3 hab./km²). Selon les données
statistiques de 2004137, les surfaces d’habitat et d’infrastructures ne représentent que 33,3%
(aires de bâtiment 18,3%). Le reste du territoire cantonal est composé des surfaces agricoles 39,5%, des surfaces boisées 12,4% et des surfaces improductives 14,7% (lac Léman 13% soit 3 682 hectares). Entre 1980 et 2004, les surfaces d’habitat et d’infrastructures enregistrent une
progression de 1 213 hectares138. Cette augmentation est soutenue notamment par un
déclassement des zones agricoles de 1 178 hectares139.
En corrélation avec l’exiguïté territoriale, le marché de l’emploi genevois peut être qualifié d’extra-cantonal car une grande partie des emplois est occupée par des travailleurs
frontaliers140. En effet, le phénomène de travail frontalier est relativement récent. A l’échelle
nationale, le canton de Genève lui seul attire à peu près un quart du total de frontaliers actifs
de la Suisse depuis 2004141. Ceci est essentiellement lié à l’entrée en vigueur de la seconde
phase des accords bilatéraux.
135
OFS, Surface et population selon les cantons
136
Les trois plus grands cantons sont Grison (7 105,4 km²), Berne (5 841,2 km²), Valais (5 213,6km²) (OFS, Surface et population selon les cantons).
137
OCSTAT, Statistique de la superficie du canton de Genève
138
OCSTAT, juin 2007, Coup d’œil : L’utilisation du sol dans le canton de Genève de 1980 à 2004
139
Les communes qui se caractérisent par une progression importante des surfaces d’habitat et d’infrastructures voient leur surface agricole baisser. Notons notamment Plan-les-Ouates : + 106 hectares de surfaces d’habitat et d’infrastructures, - 105 hectares de surface agricole (OCSTAT, juin 2007, Coup d’œil : L’utilisation du sol dans le canton de Genève de 1980 à 2004).
140
Le terme de frontalier désigne « un travailleur étranger, titulaire d'une autorisation de travail spécifique (permis G), qui exerce une activité lucrative en Suisse, tout en conservant son domicile à l'extérieur des frontières de la Suisse, quelle que soit sa nationalité. Les Suisses et les binationaux résidant en France ne sont donc pas compris dans les effectifs publiés; il en va de même des employés des organisations internationales gouvernementales qui résident en France » (OCSTAT).
L’emploi frontalier est un phénomène banal dans les régions frontalières. Pourtant, le nombre de frontaliers travaillant à Genève est très élevé par rapport aux autres régions. La Suisse comptait env. 86 000 frontaliers en 1971, 84 000 en 1978 (après la crise de 1974), 109 000 en 1985, 180 000 en 1990 et 1991 (maximum), 152 000 en 1995 et 168 000 en 2001 (dont 32 700 au Tessin, 48 900 dans la région bâloise, 32 500 dans le canton de Genève, 11 500 dans celui de Vaud et 7200 dans celui de Saint-Gall) (Dictionnaire historique de la Suisse : http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F7843.php).
141
En 1960, on compte seulement quelque 2 000 travailleurs frontaliers qui gagnent leur vie à Genève. Depuis, le nombre de frontaliers ne cesse d’augmenter. Toutefois, il faut noter que l’essor de travailleurs frontaliers n’est pas effectué de manière linéaire. Car le nombre de frontaliers est essentiellement influencé par le marché d’emplois genevois qui connaît des fluctuations liées aux conjonctures économiques mondiales. Au début des années 1970,
Genève représente déjà 20 000 frontaliers (Raffestin, et al., 1975). Le premier choc
pétrolier142 fait nettement baisser le nombre de frontaliers à Genève. Au cours des années
1980, le marché du travail genevois s’établit progressivement mais connait un recul suite aux crises économiques qui dure jusqu’à la fin des années 1990. Depuis le redémarrage de
l’économie genevoise en 1998, le nombre de frontaliers connaît une forte croissance143 :
l’augmentation annuelle du nombre de frontaliers actifs est de plus de 8% dans le canton de
Genève144. Ce rythme est largement supérieur à celui enregistré au niveau de la Suisse (4,2%).
Depuis l’entrée en vigueur du 1er volet des accords bilatéraux sur la libre circulation des
personnes au 1er juin 2002, le nombre d’arrivées est amplifié145. Jusqu’au 3e semestre de 2008,
le nombre de frontaliers actifs a atteint 52 583 personnes : plus que doublé par rapport à 1998
(25 728)146. Dès mai 2009, suite au repli de l’activité économique dans le canton de Genève,
la croissance du nombre de titulaires d’un permis frontalier (permis G) se ralentit. Au cours de
l’année 2009, Genève enregistre 1 069 nouveaux frontaliers (+ 1,6 %147), soit une progression
moindre que celle constatée en 2008 (+ 4 496; + 7,4 %) et que celle observée durant les cinq
années précédents (entre 2004 et 2008 : + 5 189 ou + 10,7 % en moyenne annuelle) » 148. A
mi-2010, Genève compte 54 100 frontaliers actifs, soit une hausse de 1 400 personnes en six
mois149. L’Observatoire statistique transfrontalier (OST) estime que la dynamique de fond de
l’agglomération franco-valdo-genevoise n’est pas entravée par la conjoncture150.
142
Le premier choc pétrolier s’est produit en 1973. Ses effets ont duré jusqu’en 1978.
143
OCSTAT, mars 2009, Résultats statistiques n°4 : frontaliers du canton de Genève en 2008.
144
« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série, pp.14.
145
OCSTAT, 16 mars 2010, Communiqué de presse n°8 : 66 195 titulaires d’un permis frontalier à la fin 2009 dans le canton de Genève.
146
Ibid.
147
La méthode est de calculer la différence entre les nouveaux titulaires du permis et les départs. Par exemple, en 2008, la hausse de 4 496 frontaliers résulte de la différence entre les 13 895 nouveaux permis (+ 13,5 % par rapport à 2007) et les 9 399 départs (+ 10,0 %) (OCSTAT).
148
OCSTAT, 16 mars 2010, Communiqué de presse n°8 : 66 195 titulaires d’un permis frontalier à la fin 2009 dans le canton de Genève.
149
« 54 100 frontaliers travaillent à Genève. Un nombre en hausse », 05 octobre 2010, Tribune de Genève.
150
Observatoire statistique transfrontalier, octobre 2010, Synthèse 2010. Les accros de la conjoncture n’entravent pas la dynamique de la région transfrontalière.
Notons que les mouvements de travailleurs frontaliers s’effectuent essentiellement de la France en direction de Genève. En 2008, parmi les 65 126 titulaires d’un permis G, 60 858
personnes sont de nationalité française151. Seulement quelque 5 100 actifs sortent de
Genève152. Ceci peut s’expliquer notamment par les avantages dans le canton de Genève par
rapport à la France (niveau de salaire, droit du travail, etc.) A Genève, le salaire est beaucoup plus élevé. En 2000, dans le secteur privé, un actif à Genève touche un salaire brut horaire supérieur en moyenne de 75 % à celui perçu par un actif de l’Ain et de la Haute-Savoie. Ce
décalage est réduit à 30 %, compte tenu de la différence de niveau de prix entre les pays153.
Rappelons que le salaire en moyenne à Genève est 13% plus que le salaire en moyenne en Suisse. En outre, le droit du travail Suisse est beaucoup plus souple et libéral que le droit du
travail français (la durée du travail, le temps d’essai, etc.154).
En ce qui concerne le lieu de résidence (figure 7), une grande majorité de travailleurs frontaliers habitent dans le Genevois français. En juin 2008, les frontaliers travaillant sur le
canton genevois sont au nombre de 49 243 en Haute-Savoie et de 12 163 dans l’Ain155. Entre
1984 et 2003, les titulaires d’un permis frontalier domiciliés en Haute-Savoie représentent
plus de 80% du total. Ce chiffre a légèrement baissé en 2008 pour atteindre 77,9%156. La
division entre lieu de travail et lieu de résidence pose notamment un problème fiscal (c.f.
4.3.1). De plus, les collectivités françaises doivent assumer d’importantes pressions sur le prix du foncier et de l’immobilier ainsi que prendre en charge les nouveaux équipements. Dans ce
contexte, la compensation financière (c.f. 4.3.1) est mise en place pour atténuer certaines
tensions relatives aux frontaliers. En 2007, les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie reçoivent respectivement 23,35 millions d’euros (soit 24%) et 73,86 millions d’euros (soit 76%).
Concernant les secteurs d’activités, à Genève, les frontaliers sont très actifs dans le secteur secondaire et surtout dans le secteur tertiaire. En 2007, parmi les 60 630 titulaires du permis frontalier, le secteur primaire compte 400 personnes ; le secteur secondaire (économie énergique, industrie, arts et métiers, bâtiment et génie civile) 14 255 personnes ; le secteur
151
OCSTAT, Titulaires d’un permis frontalier dans le canton de Genève, selon la nationalité.
152
CCIG, OCSTAT, BCGE, 2008, Economie genevoise, connais-toi toi-même !, 32p.
153
INSEE Rhône-Alpes, 2004, Une comparaison des salaires entre la France et la Suisse dans la zone frontalière genevoise.
154
Voir le site d’internet du Groupement transfrontalier européen : http://www.frontalier.org/contrat.htm.
155
« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série.
156
OCSTAT, Titulaires d’un permis frontalier dans le canton de Genève, selon le département de domicile, depuis 1965.
tertiaire 45 975 personnes. « Les services représentent toujours les plus gros employeurs de
main d’œuvre frontalière (au 1er semestre 2008, 58% pour Genève157) »158. Commerce et
réparations 17%, industrie 16%, construction 7%. Agriculture 1%. Au niveau des catégories professionnelles, les ouvriers et employés constituent une majorité considérable (97% en 2007). La sur-représentation des ouvriers et des employés pose un certain nombre de
problèmes notamment dans le domaine de formation professionnelle (c.f. 3.3).
157
41% pour Valais, mais dans le canton de Vaud, l’industrie attire tout de même 33% des effectifs frontaliers, contre 16% pour Genève (« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série, pp.14).
158
« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série, pp.15.
Figure 7. Provenance des pendulaires en région genevoise
Source : PRIEUR Marie, 8 janvier 2010, « D’où viennent les 82 000 travailleurs du canton résidant en France voisine ? », Tribune de Genève.
Conclusion du chapitre
Dans ce chapitre, nous avons présenté les trois principales étapes dans lesquelles Genève étend son rayonnement au-delà des frontières. L’attractivité économique du canton de Genève, renforcée par les effets-frontière, y joue un rôle essentiel. Surtout à partir des années 1960-1970, la Genève internationale devient le véritable moteur du développement de l’agglomération franco-valdo-genevoise. Les territoires voisins notamment français se transforment rapidement sous l’influence de Genève. À partir de ce moment-là, une intégration fonctionnelle au sein de l’agglomération franco-valdo-genevoise peut être observée à travers la continuité morphologique, les mouvements des travailleurs frontaliers