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La réorientation de la politique d’aménagement cantonal de Genève : vers une

5. Le passage de la non-coopération à la coopération entre Genève et les collectivités

5.3 Les autorités publiques face à de nouvelles opportunités et contraintes

5.3.2 La réorientation de la politique d’aménagement cantonal de Genève : vers une

Le développement des conditions permissives ne génère pas automatiquement la coopération transfrontalière. Dans le cas de l’agglomération franco-valdo-genevoise, la volonté de coopérer des autorités publiques genevoises constitue un élément déterminant. Puisque

Genève maintient dans son histoire une position centrale à l’échelle régionale (c.f. chapitre 2).

En contrepartie, les communes françaises limitrophes, dépendant de Genève, ne sont pas suffisamment puissantes pour négocier avec Genève en matière d’aménagement du territoire (c.f. chapitre 6).

Rappelons que la politique d’aménagement cantonal de Genève a reposé pendant longtemps

sur le concept de construire la ville en ville. Les autorités publiques genevoises négligent les

territoires limitrophes du canton. Cette attitude vis-à-vis des territoires voisins peut s’expliquer par la suffisance (RD 567 : 12). C’est-à-dire, les fonctions internationales de Genève suffisent pour désenclaver Genève de son petit territoire. Pourtant, une réorientation

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M.O.T., 2006, Guide pratique de la coopération transfrontalière, pp.16.

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de la politique d’aménagement cantonal de Genève peut être constatée à partir de l’année 1989, lors que la coopération transfrontalière est définie par le Plan directeur cantonal de Genève comme l’enjeu fort pour Genève. Cette évolution se traduit ensuite par la création d’un Service des affaires extérieures, attaché au Département cantonal de l’Intérieur et de l’Agriculture (Jouve, 1994 : 212).

La réorientation de la politique d’aménagement cantonal de Genève résulte effectivement d’une prise de conscience des enjeux régionaux de Genève de la part des autorités publiques genevoises. Pour expliquer ces derniers, nous nous référons à un rapport s’intitulant « Les grands enjeux d’une politique transfrontalière, régionale et européenne du canton de

Genève »315, qui alimente d’une manière importante le « Rapport du Conseil d’Etat au Grand

Conseil concernant la politique régionale, transfrontalière et européenne » ([RD 567], 27 janvier 2005).

La Genève internationale face aux incertitudes

Sur la scène internationale, Genève est très présente dans différents secteurs tels que droits de l’Homme, Forum Mondial de la Société Civile, Plan de Paix de Genève concernant les

relations entre Israël et Palestine, etc. Comme nous l’avons montré, l’image, le renom,

l’attractivité et les perspectives de Genève reposent toujours largement sur ses fonctions

internationales.Celles-ci constituent le soubassement du développement de Genève qui reste

relativement stable jusqu’à la fin de la guerre froide. Dès lors, Genève est inscrite dans des

grandes mutations auxquelles aucune ville contemporaine ne peut échapper (c.f. 5.2.1). Dans

un climat de plus en plus concurrentiel, les principaux secteurs relevant des fonctions internationales de Genève connaissent l’instabilité.

Concernant l’accueil des organisations internationales, la concurrence devient de plus en plus forte. Ayant un poids croissant au sein des organisations intergouvernementales, les pays en développement cherchent à accueillir chez eux des organisations internationales. La concurrence provient également des grandes villes et métropoles qui attirent des organisations internationales.

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En juillet 2003, un groupe de réflexion prospective a été constitué par le Département de l’Economie, de l’Emploi et des Affaires Extérieures. Ce groupe a été confié la mission de fournir un éclairage sur les grands enjeux d’une politique transfrontalière, régionale et européenne du canton de Genève.

De même, le secteur privé international est aussi placé dans une vive concurrence dans le contexte de la globalisation économique. Dans le secteur bancaire, les éléments d’instabilités proviennent des incertitudes liées au secret bancaire et des changements d’habitude de

certains clients désirant désormais se faire servir dans leur pays de résidence (gestion

on-shore). Par conséquent, plusieurs établissements décident d’ouvrir des bureaux à l’étranger (en France, en Europe en général et en Asie principalement). Même si les chiffres récents montrent encore une croissance des fonds gérés depuis Genève, la majeure partie des nouveaux fonds provient des filiales étrangères. Pour Genève, son poids dans la gestion de fortune à l’échelle mondiale ne devient plus sûr, surtout avec l’émergence de certaines places financières.

Quant aux manifestations et salons internationaux, face à la forte concurrence d’autres

marchés, Genève perd l’organisation de TELECOM 2008, le plus important salon mondial

des technologies de télécommunication (400 millions de Francs de retombées directes et indirectes).

A part la concurrence acharnée, de nouvelles exigences relatives aux fonctions internationales de Genève s’imposent, suite à la montée en puissance des ONG dont les représentations permanentes sont à Genève. Il est nécessaire d’offrir l’infrastructure (logements, infrastructure de travail, transports, offre hôtelière et d’hébergement économique, etc.) adaptant aux besoins des ONG ainsi qu’au rôle croissant des délégués non gouvernementaux. La même tendance touche tous les autres secteurs de fonctions internationales de Genève. Cela implique qu’un meilleur fonctionnement urbain est primordial pour stabiliser et renforcer le poids de Genève dans les activités internationales. Cependant, la pénurie croissante de logements et les congestions du trafic prennent des proportions inquiétantes et constituent le

véritable handicap (c.f. chapitre 3). Et le canton de Genève souffre de l’exiguïté de son

territoire. D’autant qu’il existe une concurrence entre les firmes multinationales, les fonctions intergouvernementales, la construction de logements, les O.N.G. et l’économie locale : chacun veut obtenir des espaces à sa disposition. Bref, la coopération transfrontalière

constitue un enjeu essentiel pour le devenir de la Genève internationale.

Les effets des accords bilatéraux

A partir du début des années 2000, la coopération entre Genève et ses périphéries étrangères est rendue obligatoire par l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des

personnes (ALCP). Cet accord ouvre le marché du travail suisse aux ressortissants européens

et le marché du travail européen aux travailleurs suisses316. Les effets de cet accord sont

controversés.

Sur le plan économique, l’ALCP a globalement des effets positifs pour l’économie suisse et celle de Genève. D’après le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) de la Confédération suisse, cet accord attribue à un tiers de la croissance économique suisse depuis 2004. Ceci est aussi le cas sur le canton de Genève : plus de 90% des grandes entreprises du secteur financier

considèrent l’ALCP comme facteur positif voire très positif (enquête Genève, Place

financière, citée par Schwok, 2008 : 4). L’impact de l’ALCP sur la croissance économique genevoise peut être notamment illustré par l’augmentation de l’imposition à la source des travailleurs frontaliers qui passe d’environs 435 millions de francs en 2002, lors de l’entrée en vigueur des accords bilatéraux I, à près de 723 millions de francs (Schwok, 2008 : 4).

Au niveau de la démographie, le fait le plus marquant est la forte croissance de la

main-d’œuvre frontalière317. Le nombre de permis passe de près de 35 514 à 62 744 au 1er juin 2008

(soit 27 230 permis supplémentaires). Dans le canton de Genève, la proportion de

ressortissants européens par rapport à l’ensemble de la population reste relativement stable depuis 2002, soit près de 24,5% (Schwok, 2008 : 4). Par contre, la croissance de cette population s’effectue essentiellement en France voisine (ibid.). La combinaison de ces mouvements conduit à l’accélération des flux de déplacements au sein de l’agglomération franco-valdo-genevoise ainsi que l’accentuation de la crise du logement.

Désormais, l’interdépendance entre Genève et les territoires voisins ne cesse d’accroître. La coopération transfrontalière s’impose comme une obligation pour les autorités publiques de part et d’autre de la frontière.

Les impacts de la politique étrangère de la Confédération suisse

Bien que Genève soit englobée par la zone européenne, ses relations avec l’Europe ne sont pas très proches. Genève possède une économie de niche qui est très tournée vers les marchés extra-européens (américains et asiatiques) (RD 567). Pourtant, face à la concrétisation de

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C.f. http://www.ge.ch/statregio-francosuisse/presentation/accords.asp

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OST, 2006, Synthèse 2006 : les accords bilatéraux déploient leurs effets sur l’agglomération transfrontalière, pp.3

l’intégration économique européenne, Genève risque de perdre la centralité économique régionale. Les relations avec l’Europe deviennent problématiques pour Genève.

L’intégration européenne genevoise dépend avant tout de la politique étrangère menée par la Confédération suisse qui n’est guère propice à l’ouverture européenne. En effet, la Confédération suisse se positionne toujours de manière floue par rapport à l’Union européenne en prenant une « troisième voie » entre l’adhésion totale et l’autarcie complète (Jouve, 1994, 1996). Dans le référendum du 6 décembre 1992, le corps électoral suisse, essentiellement soutenu par les cantons alémaniques, refuse l’intégration suisse à l’EEE. Cela confine Genève et d’autres cantons suisses (notamment les cantons lémaniques) limitrophes de la Communauté Economique Européenne (CEE) dans un certain isolement. Pour Genève, cet événement est l’élément déclencheur de la réflexion sur la coopération transfrontalière.

« 1992 est à marquer d’une pierre blanche. Alors que le peuple suisse dit non à l’adhésion de la Confédération à l’EEE, les autorités régionales réalisent qu’elles doivent prendre en main l’avenir de leur région. Une véritable conscience collective se développe... » (Baettig et al., 1997 : 47, cité par de Buren, 2007 : 13).

Avec l’entrée en vigueur des Accords bilatéraux, les effets-frontière entre Genève et la France voisine sont diminués dans certains domaines, mais perdurent dans de nombreux domaines (RD 567 : 19). De plus, la participation de la Suisse au Conseil de l’Europe et à certains

programmes communautaires (INTERREG, programmes de recherche, etc.) ne permet à

Genève de tisser un réseau dense de contacts permanents et de coopérations avec d’autres régions européennes. Bref, l’échec de l’intégration « macroscopique » renforce la nécessité de la coopération transfrontalière pour que Genève puisse tisser des liens avec l’Europe.

L’évolution des rapports de force entre Genève et les communes françaises

D’après B. Jouve (1994), les communes françaises cherchent à rompre leur dépendance vis-à-vis de Genève par le biais du développement économique, notamment à travers l’emplacement de technopôles autour de Genève. Ces derniers se développent sur la haute technologie et l’industrie de pointe pour attirer la localisation des entreprises appartenant au tertiaire supérieur et au secondaire à haute valeur ajoutée. Dès le début des années 1970, l’influence économique de Genève dans le secteur industriel ralentissait (Bonazzi, 1972, cité par Jouve, 1994 : 210). A partir des années 1980, la tertiarisation de l’économie genevoise est

poussée à l’extrême (c.f. 2.2.1). Et la relocalisation du tissu industriel sur territoires de la France voisine et vaudois constitue un risque potentiel pour Genève. Car la position genevoise comme centre économique régional risque d’être affaiblie, et la suprématie de Genève sur l’espace lémanique peut être remise en question. Les autorités cantonales genevoises ressentent pour la première fois les craintes de ne pas pouvoir maintenir « l’équilibre ville-campagne » entre Genève et sa périphérie française. Ces soucis s’expriment par le Conseiller d’Etat d’alors chargé de l’Economie publique :

« Axées sur la haute-technologie et l’industrie de pointe, ces nouvelles entreprises, aux coûts de production faibles, ne vont-elles pas modifier notre tissu industriel ? L’équilibre ville-campagne de notre canton ne sera-t-il pas bouleversé ? » (le Journal de Genève, 22 mai 1988, cité par Jouve, 1994 : 209).

En conclusion, ces quatre facteurs conduisent voire obligent les autorités publiques genevoises à découvrir les fonctions régionales de Genève et s’engager sur ce sujet. Dès lors, la coopération transfrontalière est considérée par les élus cantonaux genevois comme l’élément primordial des prospectives genevoises. Pour les élus locaux français, ceci constitue

une opportunité à saisir pour négocier avec Genève dans le cadre du PAFVG (c.f. 6.2.1).